En 2003, le Pentagone organise une projection du film La Bataille d'Alger pour tenter de comprendre quelle stratégie adopter dans la lutte contre le terrorisme insurrectionnel pendant la guerre d'Irak. Réalisé initialement en 1965 par Gillo Pontecorvo avec une volonté anticolonialiste affirmée, le film a fait l'objet de réappropriations hétérogènes et a été réutilisé à contre-emploi. Histoire du film deGillo Pontecorvo, La Bataille d'Alger : de l'anticolonialisme à la lutte anti-terroriste.
Le milieu du cinéma algérien a réagi de façon bien plus épidermique. Une réalisatrice et productrice algérienne contactée par Le Monde, et qui a requis l’anonymat, s’interroge, quant à elle : « Si le film a été dans un premier temps programmé, c’est qu’il avait obtenu un visa d’exploitation de la part de la commission du visionnage,l’organe qui autorise la diffusion des films. Je trouve donc scandaleux de déprogrammer un film. C’est triste de déclarer la guerre à une poupée. »
La réalisatrice Sofia Djama a été l’une des premières à élever la voix : « Comme d’habitude, l’Algérie a agi par mimétisme. Le film a été censuré au Koweït et au Liban et voilà que l’Algérie s’est réveillée d’un seul coup en disant qu’il faut que ça soit le cas ici aussi. » Dans une vidéo de sept minutes diffusée sur ses réseaux, la réalisatrice a dénoncé « une infantilisation de la société algérienne ». « [Les dirigeants algériens] ont cédé à la voix du populisme, de la bigoterie de l’intégrisme et des réactionnaires. Dire que le film ne représente pas [les] valeur[s] algérienne[s]… comme si le peuple algérien était un peuple monolithique où ne règne qu’une seule pensée. »
Une histoire d'amour impossible entre Dahmane et Amélie, deux personnages que tout oppose, qui vont se lier...
Après dix longues années de labeur, le tournage du film Les amants d'Alger adapté du roman Les amants de Padovani de l'écrivain-essayiste et poète Youcef Dris est enfin terminé, a indiqué ce dernier, hier. «Clap de fin pour Les Amants d'Alger, inspiré de mon roman Les Amants de Padovani», a annoncé Youcef Dris qui attendait ce moment avec une grande impatience, son roman ayant déjà connu un immense succès en librairie et ayant été réédité plusieurs fois. Youcef Dris a précisé qu'après dix longues années de déboires, de problème de planning et on ne sait quels autres, le tournage du film est enfin terminé. Désormais, le film va partir en post-production afin d'assembler toutes les scènes et de mettre en place tous les effets spéciaux nécessaires, a-t-il ajouté. Après avoir décalé la fin du tournage du film il y a quelques mois encore, Les amants d'Alger a officiellement terminé sa production. Le film en question a été réalisé par Mohamed Ketita. Ce dernier a, d'ailleurs, confirmé, également, que le tournage est terminé tout en révélant que, désormais, le film est dans la boîte... après des années de production! «Le réalisateur a mis en ligne des photos des acteurs qui ont participé au tournage, accompagnées d'un message de remerciements à destination de l'équipe technique, pour son travail dévoué, surtout que le tournage qui a été suspendu depuis de longs mois a aussi été très largement impacté par la pandémie», souligne en outre Youcef Dris. Ce dernier a indiqué que» maintenant c'est fini, c'est un sentiment doux-amer: ça fait des années qu'on espère, et on est épuisés, mais c'est surtout merveilleux d'arriver au bout de l'aventure. C'est la fin d'une ère que nous ne sommes pas prêts à recommencer à moins que... Évidemment, c'est complexe et on ne veut pas se tromper. Personne n'a envie de faire un film dans ces conditions, bien que l'objectif soit que l'on donne au public ce qu'on pense qu'il veut, tout en ajoutant des nouveautés et en surprenant les gens», a enchaîné Youcef Dris. Pour ce dernier, « Les Amants d'Alger sera sans doute différent des précédents films réalisés en Algérie, car les difficultés rencontrées sont désespérantes. Mais ce film a une grande portée émotionnelle qui nous fait oublier les déboires qu'il nous a causés. La volonté des personnes en charge de cette mission presque impossible a été inébranlable. La volonté est un facteur-clé au cinéma, sans celle-ci le projet paraîtrait impossible», ajoute Youcef Dris qui rappelle qu'en Algérie, le tournage d'un film est une aventure complexe qui met en jeu un grand nombre de corps de métiers afin d'obtenir le résultat attendu: choix des acteurs, choix du lieu, choix des costumes et mise en place, bref, il s'agit d'une véritable machinerie, où rien n'est laissé au hasard. «Tous ces paramètres ont été autant de difficultés rencontrées tout le long du tournage, et rares sont ceux qui nous ont aidés à les surmonter», regrette l'écrivain originaire de Tizi Ouzou, mais qui réside dans la ville d'Oran depuis plus de deux décennies. Il faut rappeler que le roman Les amants de Padovani» a été publié en 2004. Il s'agit d'une histoire d'amour impossible entre Dahmane et Amélie, deux personnages que tout oppose, qui vont se lier d'amitié, ils vont grandir, jouer, voyager ensemble, partager les mêmes passions aussi, Mais...
Depuis le printemps dernier, l’icône du cinéma français est accusée de violences sexuelles et sexistes sur plusieurs femmes. Toutes rejoignent ainsi la parole de Charlotte Arnould, une comédienne qui a porté plainte pour viols contre Gérard Depardieu en 2018.
Par Manon Bernard
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Dans les témoignages qui s’enchaînent, l’acteur français de 74 ans a désormais tous les traits d’un prédateur sexuel. Autrefois incontournable au cinéma, Gérard Depardieu est accusé par au moins seize femmes d’agressions sexuelles ou viols. Toutes décrivent le rire graveleux, les regards insistants et les propos sexuels vulgaires de l’acteur.
Vendredi, une nouvellevictime présuméetémoignait sur France-Inter. Il y a une dizaine d’années, la jeune femme, alors âgée de 30 ans, se fait embaucher sur un tournage comme technicienne. Elle raconte avoir été prise pour cible par Gérard Depardieu. « Il faisait rire le plateau en me prenant à partie. Il a commencé à dire : “Je vais t’emmener manger, je vais t’enivrer, on va passer une bonne soirée”, toujours avec des grognements. Il me mettait au centre de l’attention pendant que j’étais en train de travailler. J’ai compris que j’étais dans sa ligne de mire », se souvient-elle.
Une semaine plus tard, alors qu’elle règle une caméra, Gérard Depardieu profite de l’occasion. « J’ai senti sa grande main, sa grosse main dans mon entrejambe, me choper l’entrejambe avec volonté, en laissant échapper un gros rire graveleux », raconte-t-elle.
« Officiellement, je ne suis plus seule ! »
Autre décor, autre tournage : le 10 juillet dernier, une autre jeune femme accusait l’acteur, toujours sur la radio publique. « Il a baissé son pantalon et il m’a bloquée contre le mur », avait-elle raconté. En avril dernier, le site d’investigation « Médiapart » dévoilait 13 témoignages de femmes« affirmant avoir subi des gestes ou des propos sexuels inappropriés ». Comédiennes, maquilleuses ou encore techniciennes, elles décrivent toutes les propos déplacés, les « mains dans leur culotte, à leur entrejambe, à leurs fesses ou bien sur leur poitrine », écrit le site d’investigations.
« Officiellement, je ne suis plus seule ! » : ces mots sont ceux de Charlotte Arnould, comédienne, la première dénoncer les agissements de Gérard Depardieu. « C’est triste d’en arriver là, mais ça donne aussi du poids à mon histoire et à mon dossier », réagissait-elle le 26 avril dernier dans « Elle » après la publication de l’article de Mediapart. « Parmi celles qui ont parlé à Mediapart, il y en a pour qui les faits ne sont pas prescrits. J’espère que certaines seront prêtes à porter plainte », avait-elle ajouté.
En 2018, Charlotte Arnould a 22 ans, et elle rêve de devenir comédienne. Elle demande conseil à Gérard Depardieu, un ami de ses parents, hôteliers. L’acteur l’invite chez lui à Paris, dans son hôtel particulier. La jeune femme s’y rend à deux reprises. Elle affirme y avoir été violée les deux fois. De son côté, Gérard Depardieu n’a pas nié avoir eu des relations sexuelles avec elle. Selon « le Monde », l’acteur assure que Charlotte Arnould « n’a pas opposé de résistance ». Il dit avoir vu dans son regard « un mélange d’étonnement et de complicité ». Une précision qui pourrait avoir son importance pour la justice, puisque la « surprise » fait partie des éléments constitutifs de la définition juridique du viol.
Une plainte pour viols
Pour Khadija Azougach, avocate spécialisée dans les affaires de violences sexistes et sexuelles, les mots de l’acteur révèlent qu’il a lui même estimé que Charlotte Arnould était consentante. « A aucun moment le fait qu’elle soit tétanisée et en état de choc ne l’inquiète, voire ne le questionne », s’indigne-t-elle, estimant que la notion de consentement doit être inscrite dans la loi.
A la fin de l’été 2018, Charlotte Arnould dépose plainte pour viols. Sa plainte est classée sans suite. Mais la jeune femme dépose une nouvelle plainte avec constitution de partie civile, ce qui déclenche la nomination, obligatoire, d’un juge d’instruction. En décembre 2020, Gérard Depardieu est mis en examen pour viols et agressions sexuelles. « L’information judiciaire relative aux faits dénoncés par Charlotte Arnould se poursuit », confirme le parquet de Paris à « l’Obs ». Une commission rogatoire et des auditions sont en cours, précise-t-on.
Dans ces multiples témoignages, Khadija Azougach, avocate spécialiste des violences sexistes et sexuelles, voit un mécanisme bien rodé qu’elle compare aux accusations visant le journaliste Patrick Poivre d’Arvor. « Dans ces milieux, le journalisme comme le cinéma, ces hommes usent de leur pouvoir et abusent de leur position. Ils considèrent leurs victimes comme des proies. Par ailleurs, ils pensent que les victimes ont besoin d’eux pour avancer, que c’est du donnant-donnant », détaille-t-elle.
« Le procureur de la République devrait s’en emparer »
Dans un des articles du « Monde » consacrés à l’acteur, Sophie Marceau raconte le tournage du film « Police », de Maurice Pialat, dans lequel elle joue aux côtés de Gérard Depardieu. A cette époque, « le réalisateur et l’acteur principal peuvent se permettre, sans que personne ne dise rien dans ce monde ultra-hiérarchisé du cinéma, des comportements considérés ailleurs comme inadmissibles », rapporte-t-elle.
Selon le parquet de Paris, aucune autre plainte n’a été déposée et enregistrée contre Gérard Depardieu à ce jour. « Toutefois, les témoignages ont été portés à la connaissance du magistrat instructeur », ajoute-t-on.
« Le procureur de la République devrait s’en emparer et essayer d’engager des poursuites. L’article 40 du Code de procédure pénal dit qu’il peut apprécier la suite à donner à de simples dénonciations. Malheureusement, on a l’impression qu’il se réfugie derrière la plainte de Charlotte Arnould qui s’est constituée partie civile », juge Khadija Azougach.
Contactés par « l’Obs », les avocats de Gérard Depardieu n’ont pas répondu. En avril, ils avaient assuré à Mediapart que l’acteur démentait « formellement l’ensemble des accusations susceptibles de relever de la loi pénale ».
Traitant de la prostitution et de ses impasses sans jamais être moralisateur, Les damnés ne pleurent pas, du réalisateur d’origine marocaine Fyzal Boulifa est bourré de références mélodramatiques. Magnifiquement mis en images, ce film qui sort dans les salles françaises mercredi 26 juillet 2023 scrute la relation entre une mère et son fils adolescent, et l’échec de leurs propres passions.
Les damnés ne pleurent pas
avec Aïcha Tebbae et Abdellah El Ajjouji
Mélodrame sur la prostitution et les différentes formes qu’elle peut prendre, les mensonges et les non-dits qui l’accompagnent, le film du réalisateur britannique d’origine marocaine Fyzal Boulifa, Les damnés ne meurent pas, se situe clairement dans un contexte, celui du Maroc et de son rapport au sexe, mais aussi, et de façon toute aussi claire, dans une histoire spécifique du cinéma, celle dont les personnages vendent leurs corps de diverses façons. Il y a du Mamma Roma dans le rôle de Fatima-Zahra, l’héroïne du film, une femme subtile et complexe d’une quarantaine d’années, tout autant heureuse que malheureuse de son sort, selon les jours et les tours qu’il lui joue. Il y a du Henri de L’homme blessé dans celui de son fils, Selim, qui à 17 ans va se vendre d’une façon différente que celle qui est sa mère à l’écran.
L’essentiel de l’histoire de ce film beau et âpre porte sur le destin qui semble s’acharner contre Fatima-Zahra (Aïcha Tebbae) et Selim (Abdellah El Ajjouji). Il est plus triste que joyeux, et pourtant porté par une forme de grâce qui confine à l’optimisme, car si le désir n’est pas contradictoire avec l’intérêt, sa nature même ne peut être vendue. Le corps, lui, peut être vendu, pas l’esprit. Malgré les moments de cynisme et de désespoir, le film va traiter de pièges bien plus terribles qu’un monnayage de la chair, plus tristes aussi. Que vaut le désir quand pour Fatima-Zahra et Selim il est central alors que pour leurs partenaires la mère et son fils ne sont que des moins-que-rien, des seconds rôles, une deuxième épouse, un amant de passage délocalisé.
PASOLINI ET CHÉREAU SOURCES D’INSPIRATION
Mamma Roma a été écrit et réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1962 et est incarné par Ana Magnani, que le poète communiste, catholique et homosexuel qu’était Pasolini filme comme jamais en femme forte et fragile entre deux mondes, celui de la déchéance et celui de la rédemption. Le récit pasolinien porte sur une prostituée qui tente de s’en sortir avec son fils adolescent Ettore, qui ignore tout de son passé, dans les nouveaux quartiers de la périphérie romaine, tandis que L’homme blessé, film de Patrice Chéreau réalisé en 1983 co-scénarisé par Hervé Guibert et joué par Jean-Hugues Anglade, est centré sur un prostitué masculin de la gare du Nord à Paris. Henri se prostitue par amour d’un homme.
Fyzal Boulifa, le réalisateur du film, qui a grandi au Royaume-Uni, ne peut évidemment ignorer ces références, pas plus qu’une tendance récente du cinéma et de la littérature marocaine à affronter la question de la prostitution et plus généralement celle du sexe. On peut ainsi penser à Much Loved de Nabil Ayouch, à plusieurs récits d’Abdallah Taïa ou encore au récent Le Bleu du caftan de Maryam Touzani. Mais au-delà de la prostitution et de l’homosexualité, il y a dans la mise en scène de Fyzal Boulifa quelque chose de très neuf, pas tant dans le propos que dans la progression du récit, avec une dramatisation très cinématographique, une bande originale intense de Nadah El Shazly, une façon de prendre les personnages à gros traits, de les placer face à leur destinée sans échappatoire possible.
LA VILLE DE TOUS LES POSSIBLES
Fatima-Zahra quitte dans la précipitation la petite ville où elle vivote modestement avec son fils Selim à la suite d’une violente agression. C’est une petite femme ronde qui voit le monde de façon enfantine, surtout quand elle essaye de renouer avec une famille qui ne fait que la juger. Maquillage et bijoux semblent le centre de son monde, et défier la misère un objectif permanent. Il faut se débrouiller, et pour cela elle peut compter sur son fils, qui parait d’abord bien plus raisonnable qu’elle. Selim ne la quitte pas des yeux ou presque, travaille pour deux, veut qu’elle soit belle, désirable, avec des bijoux dignes d’elle.
Chassée par sa famille, Fatima-Zahra prend la route de Tanger. Elle veut refaire sa vie dans cette ville de tous les possibles, se fait d’abord embaucher dans une usine textile, d’où elle est vite renvoyée parce qu’elle se maquille trop (« pour être honnête » selon la formule consacrée des braves gens). Elle se laisse séduire par un père de famille pieux, qui cherche une deuxième épouse parce que sa première femme divague. Selim lui va rapidement côtoyer ce Tanger interlope, où les maquereaux sont avides de chair fraiche. Il se fait embaucher comme homme à tout faire dans un riyad de la médina, ses rencontres vont le rapprocher du métier de sa mère, alors même que celle-ci semble tourner casaque et se dévoue à la religion pour satisfaire son mari promis. Rien ne va se passer comme prévu ni pour l’un ni pour l’autre, aggravant leurs déchirements. Fatima Zahra, roublarde et naïve et Selim, rebelle et soumis, s’aiment et se détestent, ont besoin l’un de l’autre tout en cherchant sans cesse à s’émanciper de cette relation que des « psys » qualifieraient de toxique, mais qui n’est finalement que de la passion.
Les damnés de Boulifa ne pleurent effectivement pas, mais ont souvent le cœur gros. Les bouffées d’émotion des acteurs principaux, formidables, Aïcha Tebbae et Abdellah El Ajjouji, tous les deux non professionnels, sont filmées de près par la cheffe-opératrice Caroline Champetier qui a travaillé avec Jean-Luc Godard, Xavier Beauvois et Leos Carax (Holy Motors et Annette notamment). À gros grains, avec des cadres serrés dans une lumière d’entre-deux, elle leur donne une densité qui fait le charme de ce film d’une amplitude exceptionnelle, dans la mesure où il réussit à donner une forme nouvelle à une histoire éternelle.
Enquête« Le cas Depardieu » (2/6). Un retour sur la carrière de l’acteur aide à comprendre l’homme, ses excès et les accusations portées aujourd’hui contre lui. Le film « Les Valseuses », sorti en 1974, incarne ces changements d’époque, dans le cinéma comme en dehors.
A 24 ans, Gérard Depardieu semble en avoir dix de plus. Sa carrure est impressionnante. De l’embrasure de la porte, on croirait une statue de Rodin, se dit Bertrand Blier. Le réalisateur, installé dans les bureaux de la production, boulevard des Invalides, à Paris, où il vient de commencer le casting de son troisième film, Les Valseuses, se demande s’il ne faut pas pousser les murs pour permettre au colosse d’entrer.
Avec Depardieu, Bertrand Blier a le sentiment d’être propulsé dans une zone inconnue. Il y a sa gueule : nez vallonné, menton en forme de théière, cheveux blonds, très longs, si raides. Il y a aussi la tenue. L’acteur apparaît dépenaillé, le torse offert, comme si, en ce mois de mars 1973, il échappait aux rigueurs de l’hiver. Les hippies sont en vogue et l’acteur en a adopté tous les oripeaux. Il y a enfin la silhouette étrange. Un buste massif posé sur une aiguille, constate le réalisateur. Une taille de guêpe. En principe, ce corps devrait s’écrouler, s’il n’y avait ces bottes en fourrure montant jusqu’aux genoux.
Bertrand Blier a découvert l’acteur, deux ans plus tôt, au Théâtre de la Madeleine, dans une pièce de Jean Chatenet, Galapagos. Le jeune réalisateur venait voir son père, Bernard Blier, et jeter un coup d’œil sur une certaine Nathalie Baye. On lui a aussi parlé d’un jeune type, Gérard Depardieu. Sans doute en raison de la distance imposée par la scène, il découvre un bon acteur, rien de plus.
Manifeste transgressif
Mais à hauteur d’homme, les yeux dans les yeux, avec le scénario des Valseuses sur la table, Bertrand Blier se trouve face à une apparition. Elle ne se négocie pas. Depardieu entre sans frapper et se porte candidat à un casting auquel il n’est pas invité, mais dont tous les jeunes comédiens de Paris connaissent l’existence. Il n’a pas encore tenu un rôle de vedette au cinéma, mais il sent qu’il arrive au bon moment, se trouve au bon endroit, que ce film peut bouleverser la carrière de tous ceux qui seront de l’aventure.
Le prétendant tient dans les mains un exemp
laire des Valseuses, le livre de Blier sorti l’année précédente et qui est devenu un succès de librairie. C’est une sorte de roman picaresque post-soixante-huitard où s’entrechoquent l’esprit libertaire de la nouvelle jeunesse et cette France profonde qui ne sait pas encore qu’elle va disparaître. L’histoire de deux marginaux qui rêvent d’argent facile et de filles, qui veulent échapper aux flics et jouir sans entrave. Blier en a fait une sorte de manifeste transgressif de l’époque, drolatique et très masculin.
« Putain, le personnage de Jean-Claude, c’est moi !, hurle Depardieu en jetant le livre à la figure de son auteur. Ces deux mecs qui se font chier, qui harcèlent les filles, qui volent des bagnoles, qui se bourrent la gueule tous les soirs, c’est ma vie, ça ! C’est ma vie ! » Ce personnage ne ressemble en rien aux étudiants gauchistes qui ont fait Mai 68 ni aux jeunes bourgeois qui porteront bientôt Valéry Giscard d’Estaing au pouvoir. Mais ces paumés dont Blier a fait ses héros ont un sacré air de famille avec lui.
Depardieu a le flair pour saisir que cette histoire peut devenir une sorte d’emblème des seventies. Et il a surtout le culot de ceux qui n’ont rien à perdre. Depuis ce jour de 1966 où il a largué les amarres d’une existence sans avenir à Châteauroux, il a effacé l’idée d’échec. Après tout, que se serait-il passé s’il n’avait pas sauté, à 18 ans, dans un train pour rejoindre à Paris cet ami d’enfance, Michel Pilorgé, qui venait de lui parler d’un cours d’art dramatique et de lui donner la moitié de son argent pour payer son billet ? Ce parcours, dans Les Valseuses, d’un petit loubard qui rêve d’échapper à une vie terne, c’est le sien.
« Je suis un animal »
Bertrand Blier, qui, à 34 ans, n’a tourné que deux films confidentiels, ne perçoit pas que son personnage se matérialise sous ses yeux. « Je ne vois rien », se dit-il, sans conviction. Pour son Jean-Claude, il imagine un homme plus petit, fluet, un courant d’air. Or, ce comédien prend tant de place… Il est trop aride et sec. Trop paysan. « Un caillou », estime-t-il.
Pour Patrick Dewaere, puis Miou-Miou, il a une sorte de coup de foudre. Dewaere a un faux air de Marcello Mastroianni, son idole de jeunesse. Et cette manière d’exhaler le malheur aussi, qui le rend bouleversant et donne envie de le protéger. Rien de cela avec Depardieu. « Je ne suis pas un grand animal domestique », lui lance le comédien. Mais il ajoute ces mots qui, encore aujourd’hui, frappent le réalisateur : « Je suis un animal tout court, un animal qui mord si jamais quelqu’un essaye un peu de le ferrer. On appelle ça un Depardieu. » A cet instant, le timbre de la voix de l’acteur devient étonnamment doux, contrastant avec le corps minéral. « Tout s’est ouvert, détaille Bertrand Blier. Les portes se sont ouvertes. Les fenêtres se sont ouvertes. Gérard tenait à ce rôle car c’était sa langue, écrit par quelqu’un s’exprimant comme lui. Il a les pieds dans la merde et pourtant, c’est la grâce littéraire. C’est absolument inexplicable. »
Depardieu a déjà compris comment attirer les regards. A-t-il développé cet instinct dès l’enfance, pour exister parmi cinq frères et sœurs, une mère débordée et un père mutique qui passe ses soirées au bistrot ? La première fois qu’il monte sur scène, dans le cours de Jean-Laurent Cochet, à Paris, il fait sensation. L’apprenti comédien doit réciter un poème en vers de Jules Laforgue. Autour de lui, la plupart des élèves sont des enfants de la bourgeoisie ou de ces classes moyennes montantes qui profitent à plein des « trente glorieuses ». Même les deux copains de Châteauroux, Michel Pilorgé et Michel Arroyo, venus à Paris pour faire du théâtre, ne lui ressemblent pas : ils sont fils de médecins.
Petit loubard de province
Gérard prend son poème et s’en imprègne toute la nuit au domicile de Pilorgé, rue de la Glacière, où il réside depuis son arrivée dans la capitale. A cette époque, il ne récite pas. Il ânonne. « Il ne comprend pas les mots qu’il lit », constate son ami. Gérard a arrêté l’école à 12 ans. Son père (« le Dédé », comme il l’appelle) est analphabète. Il n’y a jamais eu ni livre ni même de vraie conversation dans cette maison un peu excentrée de Châteauroux qui, aujourd’hui encore, est habitée par sa famille à quelques pas d’un lycée qu’il n’a jamais fréquenté. « On ne savait pas parler. On ne pouvait pas parler. On braillait, on se criait dessus. Mais pour les choses importantes, les idées, les sentiments, c’était la loi du silence », dira-t-il, un jour, au Monde. Alors, la poésie…
Au bout de la nuit, il parvient pourtant à restituer les vers. En comprend-il le sens ? Sans doute pas. Mais quand il monte sur la scène de l’école, c’est une autre histoire. « Il récite avec une telle sensibilité, dans ce corps, avec ce plaisir à dire les mots, les ressentir. C’était très, très beau », se souvient Michel Pilorgé. Jean-Laurent Cochet se lève : « Je ne te dis rien. C’est parfait. » Ce metteur en scène le fera débuter sur les planches en 1967, alors qu’il a 19 ans.
Avant même d’affirmer à Blier : « Jean-Claude, c’est moi ! », Gérard raconte son adolescence à Châteauroux à ses copains du cours de théâtre. Les Rastignac s’inventent souvent un passé glorieux. Lui magnifie ses aventures de petit loubard de province en une succession de faits d’armes. Il pousse comme une herbe folle devant des parents regardant ailleurs. Il ne connaît pas la contrainte. Il a l’habitude de voler une Mobylette le matin avant de la reposer le soir au même endroit. Il a trafiqué whisky et cigarettes et lorgne les prostituées qui débarquent le week-end pour les milliers de GI postés à Châteauroux, une ville devenue, en 1951, base militaire de l’OTAN.
« Il nous racontait ses séjours en prison… C’était une vie si différente des fils de bourgeois que nous étions », se souvient Jean-Christophe Bouvet, qui, plus tard, incarnera le diable face à Depardieu dans Sous le soleil de Satan (1987), de Maurice Pialat. Il décrit par le menu une incarcération de trois semaines, à l’âge de 16 ans, pour vol de voiture. « A peine un vol, d’ailleurs, un “emprunt” pour une soirée », nuance-t-il, en 2014, dans son autobiographie, Ça s’est fait comme ça (XO éditions). Au cachot, écrit l’acteur, il reçoit la visite d’un psychologue. Frappé par les mains du jeune détenu, des mains de sculpteur, le thérapeute lui aurait prédit un destin d’artiste. « Tu te croyais enfermé, prisonnier, raconte Depardieu dans son livre, tu pensais que le mur était infranchissable, et soudain tu découvres que la Terre vient de trembler et qu’une brèche est apparue à travers laquelle tu vas pouvoir te glisser, t’envoler vers la lumière. »
Une masse inerte sur le béton
Ni dans sa famille, ni parmi ses amis, ni même à Châteauroux on ne trouve trace de ce séjour en prison. Michel Pilorgé se souvient tout juste d’une garde à vue, en 1968. Une histoire de képi de gendarme jeté à terre, croit savoir Michel Arroyo. Ou d’un « mort aux cons » écrit sur la voiture de François Gerbaud, le candidat gaulliste à l’Assemblée nationale, se souvient sa veuve Lydie. Alain Depardieu, le frère aîné, s’emporte carrément : « Mon frère n’est jamais allé en prison ! C’est du baratin tout ça. » Les Valseuses, voilà l’occasion de fixer sur grand écran une légende à laquelle Depardieu a fini par croire. S’il ressemble au Jean-Claude de Bertrand Blier, c’est par son sans-gêne, sa façon de picoler sec, une sexualité qui s’impose aux femmes et un instinct de survie qui le rend attachant.
Cette biographie qui ne ressemble à aucune autre et cette voix douce dans un corps de brute suscitent déjà l’attention des équipes de tournage de ses treize premiers films, au tout début des années 1970, alors qu’il y tient uniquement des petits rôles. Sur le plateau d’Un peu de soleil dans l’eau froide (1971), de Jacques Deray, le maquilleur Jean-Pierre Eychenne se souvient d’une apparition faisant cesser le brouhaha des murmures. « Lorsque Romy Schneider arrivait sur un plateau, tout se figeait. Même phénomène avec Alain Delon. C’était le même silence pour Depardieu. »
C’est qu’il y a, chez lui, un sens de l’observation, de la manipulation et même une forme de cabotinage dont il a mesuré l’attraction, deux ans avant Les Valseuses, face au plus grand monstre sacré de l’époque : Jean Gabin. En 1972, Depardieu est engagé pour jouer un petit indic dans Le Tueur, de Denys de La Patellière. Gabin est le commissaire. A près de 70 ans, le patriarche du cinéma français est trop âgé pour un rôle qui, d’ailleurs, lui déplaît. Le jeune acteur n’en mène pas large pour tourner la scène de leur rencontre, dans un quartier des Halles de Paris en pleine mutation. Alors, dans l’attente du mot « Action ! » et pour desserrer l’étau de son angoisse, il tombe par terre. Une masse inerte qui heurte d’un coup le béton puis se relève aussitôt et lâche à Gabin : « Ah, ça décontracte ! » Amusé puis séduit, l’acteur de La Grande Illusion imposera Depardieu dans deux films sortis en 1973 : L’Affaire Dominici, de Claude Bernard-Aubert, et Deux hommes dans la ville, de José Giovanni. « Je veux le môme avec moi », demande-t-il, assurant, durant les longues pauses déjeuner, l’éducation de son successeur.
Des garçons qui « ne pensent qu’à ça »
Mais voilà, Les Valseuses, pour Depardieu, c’est autre chose. L’irruption du nouveau monde au cœur de l’ancien. Un choc pour la société française. Son premier grand rôle, aussi. Pour comprendre la bourrasque et le scandale monstre que constitue le film de Bertand Blier, autant partir des dernières images, lorsque la DS volée, embarquant le trio infernal, incarné par Miou-Miou, Patrick Dewaere et Gérard Depardieu, franchit le col de l’Izoard et plonge dans l’inconnu, sans destination mais avec un projet de vie, que Gérard/Jean-Claude, au volant, définit en quelques mots devenus cultes : « On va pas se faire un trou au cul, on en a déjà un… On n’est pas bien ?… Paisibles, à la fraîche, décontractés du gland… Et on bandera quand on aura envie de bander… »
S’ébat sur grand écran un tandem de garçons qui « ne pensent qu’à ça », épuise les virtualités de sa libido, y compris les plus transgressives. On y trouve des scènes de triolisme et d’homosexualité : « Mais non, t’es pas humilié, entre copains, c’est normal ! », assène Depardieu à Dewaere après l’avoir sodomisé. Du côté des femmes, Blier se montre moins audacieux. Alors que les mouvements féministes manifestent et revendiquent liberté sexuelle et droit d’avorter, les filles des Valseuses n’ont presque jamais le beau rôle, toujours soumises et souvent violées. La « copine », interprétée par Miou-Miou, qui accompagne les deux héros, est à la fois passive et peu farouche, frigide et indifférente : « Elle crie pas, elle mord pas, elle écarte. Tranquille… », explique, fataliste, Jean-Claude (Depardieu).
ssi dans le film une fille de 16 ans, jouée par Isabelle Huppert. Ils couchent avec une femme mûre sortie de prison, Jeanne Moreau, l’icône de la Nouvelle Vague dont la seule présence a permis de financer le film. Ils agressent dans un train une mère de famille avec son bébé, jouée par Brigitte Fossey, et Dewaere lui tête les seins. « Je lisais tout Henry Miller à l’époque, se souvient la comédienne, je n’étais pas dépaysée en lisant Les Valseuses. C’est une traversée de la nuit qui va vers la nuit. »
La fameuse sentence de Depardieu pour décrocher le rôle – « Jean-Claude, c’est moi ! » – colle surtout à l’ouverture du film, quand les deux larrons surgissent dans les rues désertes d’une ville de Picardie, pourchassent une femme, mettent leurs mains sur elle et emportent son sac à main. « Cette scène, qui n’était pas dans le scénario, raconte notre enfance, à Gérard et moi », assure Alain Depardieu, le frère de l’acteur.
Seul dans son monde
Du reste, Gérard paraît englouti dans cette histoire qui semble confondre réalité et fiction. A la ville, il mène une vie apparemment stable. Marié depuis 1970 avec Elisabeth Guignot, une comédienne de sept ans son aînée rencontrée au cours de théâtre, il a déjà un fils de 2 ans, Guillaume, et vient d’avoir une fille, Julie. Mais, sur le tournage, il déborde. Brigitte Fossey connaît Depardieu depuis qu’il a travaillé avec Marguerite Duras en 1972. Mais elle découvre un nouveau visage, à la fois ange et monstre, « d’une humanité extensible », dit-elle. Un matin, il disparaît. On le cherche en vain, l’inquiétude se transformant bientôt en affolement. Soudain, au milieu des vignes avoisinantes, il apparaît. Ivre. Seul dans son monde.
Depardieu n’est pas seulement bousculé par ce personnage de Jean-Claude qui lui rappelle son passé. Il doit composer avec son partenaire et rival. Ils ont débuté tous les deux au Café de la Gare, mais Patrick Dewaere, fils d’une comédienne et d’un chanteur lyrique, a pris d’emblée les rôles de beau gosse, à la fois drôle et fragile. « Patrick avait un humour grave et cinglant, alors que Gérard montrait une forme d’indiscipline joyeuse, mais aussi une intuition diabolique de l’autre », décrit Bruno Nuytten, alors directeur de la photo des Valseuses.
Dewaere séduit. Depardieu inquiète. C’est à ce dernier qu’incombe la charge sexuelle, amplifiée par le vocabulaire le plus cru. Le producteur Paul Claudon le pressent et le dit à Bertrand Blier dès le début du tournage, à la fin de l’été 1973 : « Cet acteur va faire peur aux femmes. »
Depardieu fait même parfois peur à toute l’équipe. D’autant qu’au-delà du scénario le réalisateur laisse aux acteurs une part d’improvisation. « Gérard était compliqué à l’époque, car insaisissable, confirme Bertrand Blier. Il y avait du Depardieu à droite, du Depardieu à gauche, on ne savait jamais où il se trouvait, mais face à la caméra, il trouvait d’instinct sa place, comme Alain Delon. »
Le comédien n’est ni malléable, ni prévisible, ni même raisonnable. Doit-il, pour une scène, conduire une 2 CV et suivre un trajet précis ? Il part au volant et plus personne ne le revoit. « A la fin de la journée, raconte Blier, il m’appelle et m’annonce que la 2 CV est dans un ravin. Il cassait un peu tout à l’époque, les voitures et les mentons. » Dans ce tournage joyeux qui prend quinze jours de retard, Bertrand Blier constate aujourd’hui que si ses trois acteurs principaux, Depardieu, Dewaere et Miou-Miou, sont difficiles à gérer, « les deux garçons, surtout, continuaient d’être leur personnage après leur journée de travail » : « Je rentrais à mon hôtel, mais eux dormaient dans leur costume. »
« Une véritable bombe atomique »
Alors que le film sort en salle, le 20 mars 1974, Depardieu tourne au même moment l’une des dernières scènes de Vincent, François, Paul et les autres. Claude Sautet, mieux que d’autres cinéastes, comprend l’irrésistible fragilité et les failles de l’acteur, lui offrant un beau rôle de jeune boxeur, aux côtés de noms consacrés, Yves Montand, Michel Piccoli et Serge Reggiani. En voyant son acteur partir quelques jours pour faire la promotion des Valseuses, Claude Sautet sait qu’il quitte un comédien et retrouvera une star. « Une véritable bombe atomique », dira-t-il. D’autant que Depardieu plonge avec délectation, tout comme Blier, dans le scandale qui accompagne la sortie du film.
A cause du sexe – images et mots –, l’Eglise catholique s’indigne. Le quotidien L’Aurore réclame que le film soit interdit. La Croix parle d’« une décharge publique ». Le Figaro évoque une « œuvre marquée du sceau de la bassesse ». Même Libération, compagnon de route de l’esprit Mai 68, prend ses distances avec un film qui se proclame symbole de la liberté sexuelle, jugeant « phallocrate » la représentation des femmes. L’acteur, lui, partage intuitivement l’avis du critique du Monde, qui salue « un film bourrasque auquel on ne résiste pas ». Il faut dire que le journaliste appuie essentiellement son enthousiasme sur les comédiens, et notamment sur Depardieu, « dont la présence remplit l’écran » et dont il prédit déjà que ce long-métrage « va le hisser au premier rang ».
Aujourd’hui, le sexisme des Valseuses saute aux yeux. Mais, dès ces années 1970 et au cours des suivantes, il devient un film-culte. Il s’inscrit dans la lignée d’œuvres cinématographiques à la sexualité ostensible et à la violence affirmée qui séduisent alors le public : Orange mécanique, de Stanley Kubrick (1971), Le Dernier Tango à Paris, de Bernardo Bertolucci (1972), La Grande Bouffe, de Marco Ferreri (1973), et bientôt Emmanuelle, de Just Jaeckin (1974). C’est une période – elle ne durera pas – où films traditionnels et films pornographiques sont diffusés dans le même circuit, et parfois dans les mêmes cinémas.
Après avoir frôlé la censure pure et simple, Les Valseuses est interdit aux moins de 18 ans. Il triomphe cependant, favorisé par le soufre qu’il porte : près de 6 millions d’entrées. Dans un paysage dévasté de cités-dortoirs annonçant la crise économique, Bertrand Blier fait habilement de jeunes décomplexés les enfants tardifs de Mai 68, les porte-parole d’un esprit libertaire, l’annonce d’un nouveau monde. Symbole ultime, le président Georges Pompidou meurt dix jours après la sortie en salle. « On a mis le paquet à la France de Pompidou », ose alors déclarer le réalisateur. Quarante ans plus tard, lors d’une projection au festival Premiers Plans d’Angers, en 2015, Depardieu l’envisage toujours ainsi : « La France était coincée du cul dans ces années-là ! On ne voyait pas beaucoup de femmes aussi libres que celle interprétée par Miou-Miou. »
En attendant, l’acteur brosse sa légende. Il répète, d’interview en interview, combien il ressemble au petit voyou dérivant au cœur de la France profonde. Il superpose son rôle et son passé, rajoute des détails qui en réalité n’existent pas. Quelle importance ? Le cinéma est devenu sa vraie vie.
Par Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld
Publié aujourd’hui à 05h00, modifié à 06h34https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2023/07/18/les-valseuses-ou-le-surgissement-depardieu-putain-le-personnage-de-jean-claude-c-est-moi_6182398_3451060.htm...
Le film relate les derniers moments du premier militant algérien, Ahmed Zabana, guillotiné en juin 1956. 15 février 1956: Le gouvernement vote l’usage de la guillotine contre les nationalistes algériens, condamnés à la peine capitale.
Mercredi 05 juillet à 21h
La Bataille d’Alger (1966)
Le nettoyage d’Alger en 1959, par les paras du colonel Matthieu (en réalité le général Massu), des réseaux F.L.N. Le dernier sursaut d’un colonialisme bientôt défait, reconstitué à travers une magistrale mise en scène empruntant ses images au cinéma d’actualité.
Vendredi 07 juillet à 21h
L’Opium et le Bâton (1969)
C’est l’histoire de Thala, village kabyle, pendant la guerre. Avec d’un coté la présence de l’armée française, de l’autre un village avec des habitants engagés dans la vie dure des champs. Peu à peu, ils se trouvent entraînés dans la lutte pour la libération du pays.
Samedi 08 juillet à 21h
Ils ont rejoint le front (2012)
Annie Steiner, Felix Colozzi, Pierre Chaulet et Roberto Muniz nous expliquent ce qui les a amenés à se solidariser avec le combat des faibles, des humiliés et à risquer leur liberté et leur vie. Ces quatre grands témoins qui vivent toujours en Algérie, nous montrent ce qu’a été réellement cette colonisation, qu’ils ont, eux, perçue comme l’oppression d’un peuple par un autre.
Lundi 10 juillet à 21h
Hors-la-loi (2010)
Chassés de leur terre algérienne, trois frères et leur mère sont séparés. Messaoud s’engage en Indochine. A Paris, Abdelkader prend la tête du mouvement pour l’Indépendance de l’Algérie et Saïd fait fortune dans les bouges et les clubs de boxe de Pigalle. Leur destin, scellé autour de l’amour d’une mère, se mêlera inexorablement à celui d’une nation en lutte pour sa liberté.
Mercredi 12 juillet à 21h
Le Vent des Aurès (1967)
L’histoire se passe pendant la guerre d’Algérie. La paix des longues journées de travaux rituels d’une famille, le père, la mère et le fils qui fils vaque aux travaux domestiques pendant la journée et parcourt la nuit les montagnes pour ravitailler les maquisards de l’armée de libération nationale.
Jeudi 13 juillet à 21h
Les Portes du Silence (1987)
Amar, un jeune algérien sourd et muet assiste impuissant aux exactions de l’armée française coloniale dans son village. Contraint de fuir, il sera poussé à la vengeance, lui qui était jusque là enfermé dans « Les portes du silence ».
Vendredi 14 juillet à 21h
Octobre à Paris (1973)
Documentaire retraçant la préparation, l’organisation et les conséquence de la manifestation parisienne du 17 octobre 1961, visant à protester contre le couvre-feu imposé aux Algériens.
Samedi 15 juillet à 21h
La Montagne de Baya (1997)
En Kabylie au début du XX e siècle, un village entier est contraint de fuir l’oppression française pour se réfugier dans une montagne aride. Baya, la fille du saint patron du village, reçoit une bourse de louis d’or : la ddiya, le prix de l’assassinat de son époux par son rival Saïd, fils du bachagha.
Après un long sommeil, le CADC a décidé d’ouvrir ses tiroirs, La dernière reine et La cinquième saison d’Ahmed Benkemla, puis Abou Leila de Amin Sidi Boumediène à la Cinémathèque d’Alger. Déstabilisant et stressant, comme une séquence intérieur-nuit des années terrorisme.
Après un long sommeil, le CADC a décidé d’ouvrir ses tiroirs, La dernière reine et La cinquième saison d’Ahmed Benkemla, puis Abou Leila de Amin Sidi Boumediène à la Cinémathèque d’Alger. Déstabilisant et stressant, comme une séquence intérieur-nuit des années terrorisme.
Au milieu des immeubles fraîchement repeints en blanc de la rue Ben M’hidi, par ailleurs titre d’un film de Bachir Derraïs toujours bloqué et sur lequel on reviendra, la petite et célèbre Cinémathèque d’Alger poursuit son inlassable travail de cinéphilie.
Cette fois c’est Abou Leïla, sorti en 2019 et produit par Thala, rapidement projeté puis disparu. Pour Amin Sidi Boumediène, scénariste et réalisateur de ce premier long métrage, il ne s’agit pas de parler du premier trauma suite à la guerre d’Algérie et qui a généré beaucoup de films, mais de la deuxième séquence post-traumatique des années terrorisme.
L’Algérie, ayant réussi au passage ses deux crash-tests, l’externe en 1962 avec ses conséquences psychologiques et l’interne dans les années 90 avec d’autres effets psychiatriques, c’est sur ce dernier que s’attarde Abou Leïla dans une ambiance à la David Lynch, du sang, du sable et du pneu pour ce road movie vers le désert, qui roule sur les convenances cinématographiques. Nous sommes en 1994 et tout commence par un assassinat, la suite n’étant pas vraiment une suite mais une histoire qui tourne en boucle comme une obsession meurtrière, la non linéarité du film ayant déstabilisé de nombreux spectateurs. «On n’a rien compris à l’histoire», de l’avis presque général, ce qui n’a pas empêché chacun de suivre avec attention ce puzzle déchiré jusqu’à la fin.
Comment filmer la folie
A la Cinémathèque d’Alger, l’entrée est gratuite, ce qui ne signifie par pour autant que l’on va en sortir indemne. En effet, Abou Leïla est très perturbant, d’abord par son renvoi à cette période sanglante des années 90, ensuite par l’image, dressée de main de maître par le directeur photo japonais Kanamé Onoyama qui a notamment fait l’image des saisons 2 et 3 de Top Boy pour Netflix ainsi que Inshallah a boy d’Amjad Al Rasheed, lauréat Final Cut à la Mostra de Venise 2022.
En ajoutant à ce tableau instable monté sans trépied Slimane Benouari qui joue tellement bien le schizophrène qu’on a l’impression qu’il a la carte du club, encadré par Lyes Salem qui n’est pas non plus sain d’esprit, fuyant le Nord sauvage violence pour se retrouver dans le désert confrontés à leur propre violence, le tour est joué, tout le monde est fou, y compris le policier du Sud avec sa fausse nonchalance, Samir El Hakim. Un film pour ceux qui ont connu ces années folles ?
Pas vraiment, Amin Sidi Boumediène, né en 1982, n’avait que 10 ans à ce moment et évite la question centrale, c’est le terrorisme qui rend fou ou la folie qui engendre le terrorisme ? Car cet affrontement entre services de sécurité aux éléments qui se dérangent et terroristes déjà largement désaxés, pose un autre problème, l’explication de la folie est contestée par les sociologues, politologues et coiffeurs, comme dans les films américains où l’assassin convoque la démence et finit dans un asile avec de bons repas chauds au milieu de la verdure au lieu de la prison froide et dure. Mais qu’y avait-il avant ?
Les premiers éléments
La Cinémathèque d’Alger est aussi un centre, le CAC, pour Centre algérien de la cinématographie, à ne pas confondre avec le CADC, Centre algérien de développement du cinéma, considérée d’ailleurs comme la première en Afrique et dans le monde arabe et la seconde dans le monde en matière de nombre de films stockés. C’est là qu’au milieu d’affiches de vieux films, on réalise qu’il y a eu d’autres réalisateurs.
En effet, autour du drame des années 90, il y a eu des œuvres, dans le feu de l’action comme Bab El Oued City, 1993, où, pendant le tournage, les meurtres d’intellectuels dont celui du poète Tahar Djaout se poursuivaient, et Le Démon au féminin de Hafsa Zinaï Koudil, 1993.
Plus tard, c’est Le harem de Madame Osmane de Nadir Mokhnèche en 1999, Le repenti, encore de Merzak Allouache 2012, Viva L’Aldjérie, encore Moknèche, ou Rachida de Yasmine Chouikh, L’arche du désert et Youcef, de Mohamed Chouikh. Tous avec ce point commun, parler du terrorisme et de son impact. De ce point de vue Abou Leïla n’est donc pas le premier à attaquer le problème mais amène une vision différente. Le terrorisme a un lien avec la folie des hommes, le film est donc une folie. De l’homme.
L’explication zoologique
Là, c’est bien la faute de la Cinémathèque, qui aurait pu interdire le film aux moins de 12 ans. Gore, violent, mortifère, le sang y est partout et peut heurter la sensibilité de certains. Mais la violence n’est pas gratuite, justifiée par le thème et le propos et entre moutons, guépards, ânes et chiens, on pourrait même prendre Abou Leïla comme un documentaire animalier métaphorique. Les hommes sont des guépards pour l’homme, surtout si ce dernier est un mouton, tout autant victime qu’auteur de sacrifices, sur le mode qui tue un œuf, tue un bœuf, qui égorge une poule, égorge une foule.
Entre rituels et égorgements (d’animaux par l’homme et d’hommes par des animaux), pas de chance, ou si, pour Amin Sidi Boumediène, la projection est tombée avec l’aïd du sacrifice. Y a-t-il un lien ? Oui et non, mais à la question «y a-t-il un cinéma algérien ?» Amin Sidi Boumediène répond : «Il y a des films et il y a des Algériens qui font des films.» Donc pas vraiment, ou si, entre individus et collectif, même si la psychiatrie pourrait être l’avenir du cinéma algérien.
Ailleurs, il y a même un festival Psy à Lorquin, en France, et ce n’est pas un hasard si l’Algérien Malek Bensmaïl y a obtenu un prix pour son film, Aliénations (2003) qui montre les psychiatres algériens face à la lente désintégration d’une société et ses difficultés pour définir son identité collective et nationale.
La folie dans le cinéma, c’est peu ou trop, et pour Abou Leïla, il faut évidemment se demander s’il faut être fou pour faire un film fou de fous. Amin Sidi Boumediène, encore lui, répond que «non, pas forcément, mais il faut peut-être demander à l’autre Amin» précise-t-il en riant, chaque Algérien(n)e, normalement constitué(e) possédant son propre double inversé en lui-même.
Bref, le cinéma peut être une thérapie, ou pas, mais en tous cas, à la Cinémathèque d’Alger, la climatisation ne fonctionnait pas bien, comme pour la Salle Afrique où elle était carrément inexistante. En été, c’est de la folie.
Avec "La dernière reine", dont l'action se situe au XVIe siècle en Algérie, le cinéaste Damien Ounouri cosigne une oeuvre ample, splendide et spectaculaire portée par une dimension anticolonialiste et féministe.
En 1516 en Algérie, le pirate Aroudj Barberousse libère Alger de la tyrannie des Espagnols et prend le pouvoir sur le royaume. Selon la rumeur, il aurait assassiné le roi Salim Toumi, malgré leur alliance. Contre toute attente, une femme va lui tenir tête: la reine Zaphira. Entre histoire et légende, le parcours de cette femme raconte un combat, des bouleversements personnels et politiques endurés pour le bien d’Alger.
Si la véritable histoire de Zaphira, l'épouse du roi, oscille entre légende et réalité, elle marque depuis toujours l'imaginaire des Algériens. Au fil des siècles, ce personnage fut contesté puis soutenu par les historiens. Lui consacrer un film a permis aux deux réalisateurs, Adila Bendimerad et Damien Ounouri, de mettre l'accent sur l'invisibilité des femmes dans l'histoire, en particulier à une époque peu représentée de l'histoire algérienne.
>> A voir: la bande-annonce de "La dernière reine"
Faire renaître un pan de l'histoire
Cette reconstitution ample, intime et impressionnante ne cache pas sa dimension anticolonialiste et féministe. "Retourner dans cette époque, en 1500, permettait de faire resurgir un monde englouti, explique à la RTS Damien Ounouri, l'un des co-réalisateur. Il y a l'effacement historique de la grande histoire, notamment par la période coloniale française. Et il y a aussi l'effacement des femmes.(...) Le personnage de cette reine contestée ou soutenue selon les historiens devenait un véhicule pour parler d'Alger au XVIe siècle".
"La dernière reine" s'impose comme une sorte d'exception dans le cinéma d'Afrique du Nord. Car en dehors du film "Le destin" de l'Egyptien Youssef Chahine (1997), dont l'action se situe au XVIIe siècle, les films d'époque dans cette région sont inexistants. Les deux co-réalisateurs de "La dernière reine" ont endossé cette responsabilité avec rigueur, en prenant soin de chaque détail.
Initié en 2020, le tournage du film a été arrêté après deux jours seulement en raison de la pandémie. Il a failli ne jamais reprendre pour des raisons financières. Diffusé dans les cinémas français en avril et depuis le 14 juin en Suisse romande, des doutes ont longtemps plané sur la sortie du film en Algérie. Montrer le côté cosmopolite de l'Alger de l'époque n'allait pas de soi. Mais finalement, "La dernière reine" peut être vu sur grand écran en Algérie depuis le 23 juin.
Coréalisé par Damien Ounouri et Adila Bendimerad, ce film étonnant réconcilie grand spectacle historique et tragédie théâtrale. Une nouvelle forme de cinéma maghrébin à découvrir en salles et dans le cadre du Festival international du film oriental de Genève.
On n’osait pas trop y croire, tant le projet tenait de la gageure et ses auteurs semblaient manquer d’expérience. Sortir de l’oubli une figure légendaire du bas Moyen Age, la princesse Zaphira, aujourd’hui tenue pour une invention romanesque du XVIIIe siècle, n’était pas à la portée de n’importe qui. Il faut aussi dire que le cinéma d’Afrique du Nord ne nous a guère habitués à ce genre de grand spectacle, du moins depuis la disparition de l’Egyptien Youssef Chahine. Pour leur premier long métrage de fiction, le cinéaste franco-algérien Damien Ounouri et la comédienne algérienne Adila Bendimerad ont donc visé haut. D’autant plus que quelques documentaires pour l’un, une poignée de rôles chez Merzak Allouache pour l’autre et un moyen métrage en commun (Kindil el Bahr, 2016) ne font pas encore un nouveau Cecil B. DeMille, ni même un Manoel de Oliveira – si l’on préfère ses évocations historiques minimalistes.
La surprise de ce film révélé à la dernière Mostra de Venise est d’autant plus belle. Avec un talent bluffant, les auteurs de La Dernière Reine brossent une fresque prenante, pleine de combats et d’intrigues de palais. Mais surtout avec comme cœur battant un destin de femme aussi fascinant que tragique, reine d’Alger un court instant avant de voir tous ses espoirs s’écrouler. Réelle ou imaginaire, peu importe au fond, tant leur Zaphira revisitée raconte avant tout la lutte pour le pouvoir des hommes et la place de la femme dans la société arabe d’hier et d’aujourd’hui.
Rivalité d’hommes, solidarité de femmes
Nous voici donc au début du XVIe siècle, période très agitée en Méditerranée. Depuis une dizaine d’années, les frères Barberousse, pirates d’origine grecque, écument les mers, se muant plus récemment en corsaires au service de divers sultans pour combattre les Espagnols. En 1516, Aroudj Barberousse libère Alger du joug ibère et prend le pouvoir sur le royaume de l’émir Salim al-Toumi, quant à lui plus fin diplomate que guerrier. Seconde épouse de ce dernier, Zaphira se sent délaissée dans son palais et veille sur l’éducation de leur fils, le jeune prince héritier Yahia. Lorsque son mari est assassiné, convoitée par Aroudj, elle tente de s’inventer un rôle de régente, s’alliant avec l’autre veuve, Chegga, et d’autres fidèles de Salim entrés en rébellion pour reprendre le pouvoir. Mal leur en prendra…
De ce matériau haut en couleur, il y avait de quoi tirer une œuvre feuilletonesque à la Dumas, ou alors une tragédie shakespearienne. Or, se refusant à choisir, les auteurs sont parvenus à faire cohabiter les deux! Et ce sont peut-être leurs limitations budgétaires qui les ont poussés à cette heureuse décision. Dans un pays où ne subsiste quasiment aucune trace architecturale de cette époque, il s’est en effet agi de styliser. Quelques criques encore sauvages et recoins montagneux accueillent ainsi les séquences de combat tandis que de splendides intérieurs abritent la vie de palais. Très tôt, on comprend aussi qu’Ounouri et Bendimerad entendent ainsi figurer la séparation entre le monde violent des hommes et celui, a priori protégé, des femmes.
Au terme d’une scène de combat introductive où gicle le sang, Aroudj Barberousse perd un avant-bras, qui sera bientôt remplacé par une terrible main de fer. Il est celui par qui le chaos arrive, qui va renverser l’ordre établi d’une sorte de photo de famille évidemment anachronique, mais surtout trop belle pour être vraiment crédible. Malgré ses rondeurs rassurantes et tout son art diplomatique, on se doute bien que Salim ne fera pas longtemps le poids. Mais comment réagira Zaphira, qui se dépérissait dans l’attente d’un mari accaparé par les affaires d’Etat et polygame? La libération d’Alger ne pourrait-elle pas devenir aussi la sienne? L’intelligence des auteurs est de faire fi d’une trop stricte historicité pour éveiller de telles questions, plus en phase avec notre temps.
Reine tragique
Il convient de préciser que Zaphira est aussi en bisbille avec sa propre famille, un père qui a déjà pris ombrage de son mariage et qui enverra ses frères la remettre dans le droit chemin de la soumission. De tous côtés, on devine son étroite marge de manœuvre, le piège qui risque de se refermer sur elle. Pour gérer cette complexité, une seule solution: recourir véritablement aux moyens de la mise en scène. Les cinéastes usent ainsi d’ellipses et de rêves prémonitoires, suggèrent le hors-champ et assument une part de théâtralité, osent des montages audacieux et font le meilleur usage de la musique (des précieux père et fils Galperine), le tout dans un mélange étonnamment harmonieux de cinéma classique et moderne.
Incarnée par Adila Bendimerad elle-même, Zaphira ne suscite pas d’emblée la sympathie dans son existence privilégiée mais la conquiert par sa lutte de femme pour sa liberté. A côté d’elle, toujours plus belle et émouvante, la seule actrice reconnaissable, la blonde Nadia Tereszkiewicz (Les Amandiers, Mon crime), ne pèse soudain plus très lourd dans le rôle d’Astrid la Scandinave, maîtresse jalouse de Barberousse. Zaphira finira-t-elle par céder à celui qu’elle soupçonne d’avoir fait assassiner son mari ou choisira-t-elle une issue plus digne? On pense à la Cléopâtre de Joseph Mankiewicz, à la reine Margot de Patrice Chéreau et à d’autres reines tragiques. Entre Histoire et légende, cette Dernière Reine séduit tel un somptueux livre d’images qui aurait pour finir trouvé des accents quasi shakespeariens.
La Dernière Reine , de Damien Ounouri et Adila Bendimerad (Algérie, France, 2022), avec Adila Bendimerad, Dali Benssalah, Mohamed Tahar Zaoui, Imen Noel, Nadia Tereszkiewicz, 1h52. Projection spéciale en présence du réalisateur et de l’actrice Imen Noel dans le cadre du Festival international du film oriental de Genève, vendredi 16 juin aux Cinémas du Grütli (20h30). Festival jusqu’au 18 juin.
Norbert Creutz
Publié le 13 juin 2023 16:19. Modifié le 13 juin 2023 21:39.
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