Françoise Hardy "Tous les garçons et les filles" | Archive
Tout commence donc en 1962 avec ce succès instantané – plus de 2 millions d’exemplaires vendus – Tous les garçons et les filles, qu’elle a écrit et composé, fait rare à l’époque.
Elle a 18 ans, c’est son premier disque. Françoise Hardy, toute en contradictions, est là: elle perce en pleine vague yéyé, mais ne correspond pas vraiment à cette étiquette.
Dans cette période insouciante, sa mélancolie tranche: «Oui, mais moi, je vais seule par les rues, l’âme en peine / oui, mais moi, je vais seule, car personne ne m’aime.»
Son physique androgyne et sa retenue sont également loin des formes et de l’exubérance d’une Brigitte Bardot. Mais elle préfigure les mannequins longilignes qui envahiront bientôt les podiums. Et elle fait rapidement la une des magazines, photographiée en France par son petit ami de l’époque, Jean-Marie Périer, à l’international par le célèbre William Klein.
Elle a les cheveux longs, une frange – qu’elle gardera plus tard avec sa coupe à la garçonne – et porte à merveille les robes à lamelles, futuristes, signées Paco Rabanne.
Le 4 juin, le photojournaliste palestinien Motaz Azaïza, 25 ans, a reçu à Caen le Prix Liberté 2024 de la Région Normandie, lors d’une cérémonie en présence des vétérans américains de la Seconde guerre mondiale. Loin de souligner la continuité historique d’un combat pour la liberté, la célébration a creusé davantage le fossé entre les valeurs historiques de l’Europe et la passivité face à ce qui se passe aujourd’hui à Gaza.
Caen, 4 juin 2024. Motaz Azaïza à la remise du Prix Liberté de la Région Normandie. En arrière-plan, une de ses photos montrant la détresse d’une Palestinienne prise le 22 octobre 2023 à Gaza.
Mardi 4 juin 2024, plus de 4 000 personnes, dont beaucoup de jeunes, se pressent dans le Zénith de Caen pour chanter la liberté, 80 ans après le débarquement allié sur les côtes normandes. Une quarantaine de vétérans américains, centenaires ou presque, ont fait le voyage pour une célébration aux allures de kermesse présentée par l’animateur de France télévision Raphaël Yem. Ce fils de réfugiés cambodgiens chauffe une salle conquise par l’émotion et présente numéros de trapèze, de danse et autres lectures théâtralisées.
C’est dans le cadre de cette commémoration que le Prix Liberté est décerné chaque année depuis 2019 par la Région Normandie. Il récompense une personne choisie par des milliers de jeunes de 15 à 25 ans à travers le monde, via un vote en ligne, pour son combat en faveur des droits humains et de la liberté. Cette année, c’est Motaz Azaïza, photoreporter palestinien qui a couvert l’offensive israélienne contre Gaza jusqu’à son départ de l’enclave le 24 janvier, qui a été choisi par les plus de 15 000 jeunes, pour recevoir un trophée et un chèque de 25 000 euros, lui permettant de continuer son travail.
« JE N’AVAIS PAS LE CHOIX DE PARTIR »
Pendant plus de deux heures, assis au premier rang face à la scène, le lauréat est resté stoïque. Plusieurs fois pendant ce qui s’est avéré un spectacle son et lumière en hommage au courage des vétérans américains, le jeune homme a quitté la salle à grands pas, visiblement mal à l’aise. La dichotomie entre passé et présent, entre l’armée américaine d’hier et celle d’aujourd’hui, entre ceux qui célèbrent la liberté et ceux qui ne l’ont jamais connue glace une petite partie de l’assistance.
Avant que le lauréat ne soit appelé sur scène, on y fait monter les deux autres finalistes du prix, la sœur de Maria Kolesnikova, militante incarcérée en Biélorussie, et Noura Ghazi, avocate syrienne. Le ton change alors, et les sourires de la victoire laissent place aux visages graves de la résistance. « Mon pays n’existe plus », souligne Noura Ghazi, vêtue d’une robe sur laquelle des centaines de noms de détenu⋅es ou disparu⋅es en Syrie ont été brodés.
Quand vient le tour de Motaz de monter sur scène, le jeune photojournaliste plein de pudeur s’élance avec le courage du survivant. La démarche est solennelle, lui non plus n’a plus de pays à rejoindre. D’une voix douce, lente mais affirmée il déclare :
Ma présence ici signifie que j’ai perdu ma maison, je suis sans abri, je ne peux plus rentrer chez moi. Je vais ici et là pour montrer au monde la réalité brutale, après avoir couvert pendant 107 jours la réalité du génocide, après avoir montré les dizaines, les centaines de massacres auxquels j’ai assisté avant de devoir évacuer. Je n’avais pas le choix de partir, comme je n’ai jamais eu le choix de rester. Nous, Palestiniens, n’avons pas l’opportunité de choisir de vivre ou de mourir.
« AVANT, J’ÉTAIS UN TYPE NORMAL »
Pourquoi les jeunes de ce qu’on appelle « la génération Z » ont-ils et elles voté pour Motaz Azaïza ? Peut-être parce qu’ils connaissent son travail grâce à Instagram et font partie de ses plus de 18 millions de followers ? Peut-être parce qu’il a déjà reçu le prix de l’homme de l’année du magazine GQ Middle East1 ? Ou que l’une de ses photos - une jeune fille de 13 ans sous les décombres d’un immeuble - a été sélectionnée par le Time Magazine parmi les 10 photos les plus fortes de l’année 2023 ? Comme nombre de ses collègues vivants ou morts (136 journalistes ont été tué.es par Israël depuis le 7 octobre), le journaliste a été nos yeux et nos oreilles à Gaza. Les 25 jeunes membres du jury international, qui ont sélectionné en février les trois finalistes sur des centaines de profils, ont souligné qu’il représente trois valeurs cardinales selon eux : le droit à l’information, la protection des journalistes et la reconnaissance des prisonniers de guerre.
Motaz Azaïza est né à Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza, une ville côtière connue pour ses dattiers, ses champs d’oliviers… et ses spots de surf. Il a fait ses études à l’Université Al-Azhar, fondée en 1991 et dont il ne reste rien aujourd’hui, à l’instar des autres établissements universitaires de l’enclave, tous détruits par les bombardements israéliens. « Avant le 7 octobre, mes proches disaient que j’étais un rêveur. J’étais un type normal qui prenait des photos et rêvait un jour de bosser pour National Geographic, de parcourir le monde à la rencontre d’autres cultures. J’étais aussi très déprimé : je ne trouvais pas de travail », explique-t-il dans un entretien avec Orient XXI.
Cet amateur de photos de nature et amoureux inconditionnel de Gaza, de ses vieilles pierres et de ses enfants, avait un don pour capturer toutes les identités qui se croisaient dans l’enclave. Les sourires des enfants jouant au foot sur la plage, les petites victoires des pêcheurs à la ligne, les enfants de chœur à noël, les Bédouins gardant les chèvres et les médecins organisant des banques de sperme clandestines pour permettre aux prisonniers de procréer… Si ses piges ne se vendaient pas facilement, son compte Instagram regorge de trésors joyeux et colorés, qui aujourd’hui sont tout aussi difficiles à regarder que les ruines grisâtres et les cadavres blanchis de poussière.
« LES PREUVES SONT LÀ, IL SUFFIT DE LES REGARDER »
Comment devient-on reporter de guerre quand c’est son propre pays qui en est le théâtre ? Comment photographier l’éradication d’un territoire, quand sa propre famille gît sous les débris, quelque part ? Une position impossible dans laquelle se sont trouvés de nombreux photoreporters en Syrie, en Haïti, et qui semble, dans le contexte actuel, encore plus compliquée à résoudre. C’est ce que l’on décèle dans ce visage aux yeux fuyants, dans cette bouche qui hésite et grimace, dans ce refus à évoquer directement le traumatisme.
Motaz Azaïza a déjà perdu 15 membres de sa famille, des dizaines d’amis et de collègues depuis le 7 octobre. Difficile dans ces conditions d’être journaliste, à la fois témoin et victime. « Quand je travaille, j’essaie d’oublier ma nature humaine », nous explique-t-il. « J’essaie de reléguer les émotions ailleurs, sinon je ne peux pas travailler sans m’effondrer. » À force de perdre des camarades, le jeune homme de 25 ans comprend que son gilet pare-balles estampillé PRESSE est davantage une cible dans le dos qu’une protection. « J’ai choisi de partager ma position en live : s’ils me tuaient, ils ne pourraient pas dire que c’était un accident fâcheux. »
Pendant 107 jours, avant de rejoindre le Qatar avec sa famille, Motaz Azaïza a amené ses followers et nombre de médias occidentaux avec lui sur les ruines fumantes des immeubles, à la recherche de rescapés. Le monde a pu entendre à travers son téléphone les sirènes hurlantes des ambulances du Croissant rouge se frayant un chemin sur des routes périlleuses. Tou⋅te⋅s ont cherché avec lui de la nourriture et de l’eau, croisé ses collègues. Tou⋅te⋅s se sont inquiété⋅es quand il ne pouvait plus publier sur les réseaux sociaux, faute de connexion. Tou⋅te⋅s ont pleuré avec lui quand il retrouvait les corps de ses proches dans les ruines de la maison de sa tante. Revenant sur cette période, il raconte lors de la conférence de presse organisée après la remise du prix :
Quand j’ai reçu mes premières menaces de mort, je suis allé dormir à l’hôpital. J’avais très froid, mais j’étais si fatigué que j’ai dormi d’un trait. J’ai été réveillé par des cris et l’odeur des cadavres : j’étais entouré d’une soixantaine de corps. J’ai pris des photos.
Face à lui, une poignée de journalistes s’interrogent : « Les enfants ne sont-ils pas des victimes oubliées du conflit ? » Motaz Azaïza rappelle : « Sauf votre respect, vous avez des milliers de sources à disposition qui montrent les violences que subissent tous les jours les enfants de Gaza, les preuves sont là, il suffit de les regarder. » D’aucuns persistent : « Comment accéder aux preuves matérielles, aux données, aux chiffres ? », remettant en question, comme la plupart de leurs confrères et consœurs, les chiffres délivrés par le ministère de la santé de Gaza sous prétexte que ce sont « les chiffres du Hamas »2 Le photoreporter est inébranlable : « Nous faisons du mieux que nous pouvons pour faire notre travail d’information, nous risquons notre vie tous les jours pour le faire. Français, européens, envoyez des enquêteurs ! » Puis il ajoute : « Cela n’a rien d’une guerre, ce qui se passe à Gaza. »
« GÉNOCIDE », MOT TABOU
Le jeune homme lance ainsi une perche aux quelques journalistes encore présents dans la salle, une planche de salut plutôt. Depuis le début de l’après-midi, on parle de guerre, de forces armées, d’adversaires et d’alliés. Pour la Palestine, on déplore les trop nombreuses victimes civiles. Non ce n’est pas une guerre, explique Motaz Azaïza. Quoi alors ? demande une journaliste au premier rang, qui connait très bien la réponse. « En tant que Palestinien, le mot que j’utilise, c’est “génocide”, parce que je ne suis pas comme vous, qui travaillez ici ou là et choisissez votre vocabulaire. C’est ma maison et mon peuple [qui est concerné], j’utilise le mot “génocide”. »
À la gauche du lauréat, Patrick Chauvel gigote sur son tabouret. Le correspondant de guerre chevronné, qui a regardé la guerre dans les yeux un peu partout dans le monde et notamment à Gaza3, considère que récompenser Motaz Azaïza c’est être du côté de la vérité. Il est fier — cela se voit — de le compter parmi ses collègues. Pourtant, il ne peut s’empêcher de le reprendre : « Non Motaz, tu dois faire attention quand tu utilises ce mot de “génocide”, c’est un mot très violent qui invoque de très lourds souvenirs. C’est un mot qui appartient à l’Histoire. Tu es jeune, tu es en colère, je comprends. Mais tu dois faire attention à ce mot. » Mais alors que l’on veut clore la conférence de presse par un spectaculaire « les femmes devraient prendre le pouvoir », le jeune Gazaoui reprend le micro pour rappeler que faire son travail de « vérité » lui vaut aujourd’hui d’être taxé de terrorisme.
Montrer ce qu’ils font, ce n’est pas de l’antisémitisme, ce n’est pas du terrorisme. Ce n’est pas une guerre de religion, c’est une bataille pour exister qui se joue. Vous, en Normandie, vous vous êtes battus, vous vous êtes libérés, il y a eu la paix et aujourd’hui vous êtes libres. Personne ne vient sauver la Palestine.
Ce jeune homme de 25 ans qui parle de sa mère pour invoquer sa force intérieure a déjà les tempes grises de celui qui en a trop vu, trop fait. Devenu témoin du grand malheur de son peuple, il ne sait pas comment avancer, la tête ici, le cœur là-bas. « C’est un gros changement », dit-il pudiquement. Aujourd’hui, que ce soit depuis Doha, Genève, Londres ou la Normandie, il utilise ses comptes pour relayer le travail de ses collègues restés sur place, eux dont les conditions de vie et de travail se détériorent chaque jour un peu plus.
Depuis qu’il a quitté Gaza, Motaz Azaïza a fait l’objet de controverses sur ses accointances supposées avec le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Dans un communiqué publié par l’Ambassade d’Israël en France au lendemain de la cérémonie, le photoreporter est présenté comme « un soutien affiché au Hamas » et accusé de faire l’apologie du terrorisme. Dans un autre communiqué, 35 députés français de la majorité présidentielle suivent la même ligne : le lauréat est présenté comme un « sympathisant du Hamas » et la sélection des jeunes comme « un choix incompréhensible et inapproprié ». Motaz Azaïza soupire : « Ils ne peuvent plus me mettre une balle, alors ils se décrédibilisent, ils m’attaquent avec des mots pour me faire taire. »
Si le journaliste plie sous le poids du présent et refuse d’évoquer ses projets, il y a fort à parier qu’il ne cessera pas de parler, quoi qu’il lui en coûte :
J’ai failli mourir de nombreuses fois, j’ai survécu. J’ai fait une promesse à mon peuple : je pars, mais je ferai passer le message, après plus de 40 000 morts4, plus d’un million et demi de déplacés qui craignent de mourir chaque seconde sous les bombes ou par manque de nourriture. Nous ne sommes pas des terroristes. La Seconde guerre mondiale n’était sans doute pas une leçon suffisante [pour l’humanité], mais j’aimerais croire qu’un jour la paix reviendra et que la Palestine sera libre.
Le 4 juin, le photojournaliste palestinien Motaz Azaïza, 25 ans, a reçu à Caen le Prix Liberté 2024 de la Région Normandie, lors d’une cérémonie en présence des vétérans américains de la Seconde guerre mondiale. Loin de souligner la continuité historique d’un combat pour la liberté, la célébration a creusé davantage le fossé entre les valeurs historiques de l’Europe et la passivité face à ce qui se passe aujourd’hui à Gaza.
Mardi 4 juin 2024, plus de 4 000 personnes, dont beaucoup de jeunes, se pressent dans le Zénith de Caen pour chanter la liberté, 80 ans après le débarquement allié sur les côtes normandes. Une quarantaine de vétérans américains, centenaires ou presque, ont fait le voyage pour une célébration aux allures de kermesse présentée par l’animateur de France télévision Raphaël Yem. Ce fils de réfugiés cambodgiens chauffe une salle conquise par l’émotion et présente numéros de trapèze, de danse et autres lectures théâtralisées.
C’est dans le cadre de cette commémoration que le Prix Liberté est décerné chaque année depuis 2019 par la Région Normandie. Il récompense une personne choisie par des milliers de jeunes de 15 à 25 ans à travers le monde, via un vote en ligne, pour son combat en faveur des droits humains et de la liberté. Cette année, c’est Motaz Azaïza, photoreporter palestinien qui a couvert l’offensive israélienne contre Gaza jusqu’à son départ de l’enclave le 24 janvier, qui a été choisi par les plus de 15 000 jeunes, pour recevoir un trophée et un chèque de 25 000 euros, lui permettant de continuer son travail.
« JE N’AVAIS PAS LE CHOIX DE PARTIR »
Pendant plus de deux heures, assis au premier rang face à la scène, le lauréat est resté stoïque. Plusieurs fois pendant ce qui s’est avéré un spectacle son et lumière en hommage au courage des vétérans américains, le jeune homme a quitté la salle à grands pas, visiblement mal à l’aise. La dichotomie entre passé et présent, entre l’armée américaine d’hier et celle d’aujourd’hui, entre ceux qui célèbrent la liberté et ceux qui ne l’ont jamais connue glace une petite partie de l’assistance.
Avant que le lauréat ne soit appelé sur scène, on y fait monter les deux autres finalistes du prix, la sœur de Maria Kolesnikova, militante incarcérée en Biélorussie, et Noura Ghazi, avocate syrienne. Le ton change alors, et les sourires de la victoire laissent place aux visages graves de la résistance. « Mon pays n’existe plus », souligne Noura Ghazi, vêtue d’une robe sur laquelle des centaines de noms de détenu⋅es ou disparu⋅es en Syrie ont été brodés.
Quand vient le tour de Motaz de monter sur scène, le jeune photojournaliste plein de pudeur s’élance avec le courage du survivant. La démarche est solennelle, lui non plus n’a plus de pays à rejoindre. D’une voix douce, lente mais affirmée il déclare :
Ma présence ici signifie que j’ai perdu ma maison, je suis sans abri, je ne peux plus rentrer chez moi. Je vais ici et là pour montrer au monde la réalité brutale, après avoir couvert pendant 107 jours la réalité du génocide, après avoir montré les dizaines, les centaines de massacres auxquels j’ai assisté avant de devoir évacuer. Je n’avais pas le choix de partir, comme je n’ai jamais eu le choix de rester. Nous, Palestiniens, n’avons pas l’opportunité de choisir de vivre ou de mourir.
« AVANT, J’ÉTAIS UN TYPE NORMAL »
Pourquoi les jeunes de ce qu’on appelle « la génération Z » ont-ils et elles voté pour Motaz Azaïza ? Peut-être parce qu’ils connaissent son travail grâce à Instagram et font partie de ses plus de 18 millions de followers ? Peut-être parce qu’il a déjà reçu le prix de l’homme de l’année du magazine GQ Middle East1 ? Ou que l’une de ses photos - une jeune fille de 13 ans sous les décombres d’un immeuble - a été sélectionnée par le Time Magazine parmi les 10 photos les plus fortes de l’année 2023 ? Comme nombre de ses collègues vivants ou morts (136 journalistes ont été tué.es par Israël depuis le 7 octobre), le journaliste a été nos yeux et nos oreilles à Gaza. Les 25 jeunes membres du jury international, qui ont sélectionné en février les trois finalistes sur des centaines de profils, ont souligné qu’il représente trois valeurs cardinales selon eux : le droit à l’information, la protection des journalistes et la reconnaissance des prisonniers de guerre.
Motaz Azaïza est né à Deir al-Balah, au centre de la bande de Gaza, une ville côtière connue pour ses dattiers, ses champs d’oliviers… et ses spots de surf. Il a fait ses études à l’Université Al-Azhar, fondée en 1991 et dont il ne reste rien aujourd’hui, à l’instar des autres établissements universitaires de l’enclave, tous détruits par les bombardements israéliens. « Avant le 7 octobre, mes proches disaient que j’étais un rêveur. J’étais un type normal qui prenait des photos et rêvait un jour de bosser pour National Geographic, de parcourir le monde à la rencontre d’autres cultures. J’étais aussi très déprimé : je ne trouvais pas de travail », explique-t-il dans un entretien avec Orient XXI.
Cet amateur de photos de nature et amoureux inconditionnel de Gaza, de ses vieilles pierres et de ses enfants, avait un don pour capturer toutes les identités qui se croisaient dans l’enclave. Les sourires des enfants jouant au foot sur la plage, les petites victoires des pêcheurs à la ligne, les enfants de chœur à noël, les Bédouins gardant les chèvres et les médecins organisant des banques de sperme clandestines pour permettre aux prisonniers de procréer… Si ses piges ne se vendaient pas facilement, son compte Instagram regorge de trésors joyeux et colorés, qui aujourd’hui sont tout aussi difficiles à regarder que les ruines grisâtres et les cadavres blanchis de poussière.
« LES PREUVES SONT LÀ, IL SUFFIT DE LES REGARDER »
Comment devient-on reporter de guerre quand c’est son propre pays qui en est le théâtre ? Comment photographier l’éradication d’un territoire, quand sa propre famille gît sous les débris, quelque part ? Une position impossible dans laquelle se sont trouvés de nombreux photoreporters en Syrie, en Haïti, et qui semble, dans le contexte actuel, encore plus compliquée à résoudre. C’est ce que l’on décèle dans ce visage aux yeux fuyants, dans cette bouche qui hésite et grimace, dans ce refus à évoquer directement le traumatisme.
Motaz Azaïza a déjà perdu 15 membres de sa famille, des dizaines d’amis et de collègues depuis le 7 octobre. Difficile dans ces conditions d’être journaliste, à la fois témoin et victime. « Quand je travaille, j’essaie d’oublier ma nature humaine », nous explique-t-il. « J’essaie de reléguer les émotions ailleurs, sinon je ne peux pas travailler sans m’effondrer. » À force de perdre des camarades, le jeune homme de 25 ans comprend que son gilet pare-balles estampillé PRESSE est davantage une cible dans le dos qu’une protection. « J’ai choisi de partager ma position en live : s’ils me tuaient, ils ne pourraient pas dire que c’était un accident fâcheux. »
Pendant 107 jours, avant de rejoindre le Qatar avec sa famille, Motaz Azaïza a amené ses followers et nombre de médias occidentaux avec lui sur les ruines fumantes des immeubles, à la recherche de rescapés. Le monde a pu entendre à travers son téléphone les sirènes hurlantes des ambulances du Croissant rouge se frayant un chemin sur des routes périlleuses. Tou⋅te⋅s ont cherché avec lui de la nourriture et de l’eau, croisé ses collègues. Tou⋅te⋅s se sont inquiété⋅es quand il ne pouvait plus publier sur les réseaux sociaux, faute de connexion. Tou⋅te⋅s ont pleuré avec lui quand il retrouvait les corps de ses proches dans les ruines de la maison de sa tante. Revenant sur cette période, il raconte lors de la conférence de presse organisée après la remise du prix :
Quand j’ai reçu mes premières menaces de mort, je suis allé dormir à l’hôpital. J’avais très froid, mais j’étais si fatigué que j’ai dormi d’un trait. J’ai été réveillé par des cris et l’odeur des cadavres : j’étais entouré d’une soixantaine de corps. J’ai pris des photos.
Face à lui, une poignée de journalistes s’interrogent : « Les enfants ne sont-ils pas des victimes oubliées du conflit ? » Motaz Azaïza rappelle : « Sauf votre respect, vous avez des milliers de sources à disposition qui montrent les violences que subissent tous les jours les enfants de Gaza, les preuves sont là, il suffit de les regarder. » D’aucuns persistent : « Comment accéder aux preuves matérielles, aux données, aux chiffres ? », remettant en question, comme la plupart de leurs confrères et consœurs, les chiffres délivrés par le ministère de la santé de Gaza sous prétexte que ce sont « les chiffres du Hamas »2 Le photoreporter est inébranlable : « Nous faisons du mieux que nous pouvons pour faire notre travail d’information, nous risquons notre vie tous les jours pour le faire. Français, européens, envoyez des enquêteurs ! » Puis il ajoute : « Cela n’a rien d’une guerre, ce qui se passe à Gaza. »
« GÉNOCIDE », MOT TABOU
Le jeune homme lance ainsi une perche aux quelques journalistes encore présents dans la salle, une planche de salut plutôt. Depuis le début de l’après-midi, on parle de guerre, de forces armées, d’adversaires et d’alliés. Pour la Palestine, on déplore les trop nombreuses victimes civiles. Non ce n’est pas une guerre, explique Motaz Azaïza. Quoi alors ? demande une journaliste au premier rang, qui connait très bien la réponse. « En tant que Palestinien, le mot que j’utilise, c’est “génocide”, parce que je ne suis pas comme vous, qui travaillez ici ou là et choisissez votre vocabulaire. C’est ma maison et mon peuple [qui est concerné], j’utilise le mot “génocide”. »
À la gauche du lauréat, Patrick Chauvel gigote sur son tabouret. Le correspondant de guerre chevronné, qui a regardé la guerre dans les yeux un peu partout dans le monde et notamment à Gaza3, considère que récompenser Motaz Azaïza c’est être du côté de la vérité. Il est fier — cela se voit — de le compter parmi ses collègues. Pourtant, il ne peut s’empêcher de le reprendre : « Non Motaz, tu dois faire attention quand tu utilises ce mot de “génocide”, c’est un mot très violent qui invoque de très lourds souvenirs. C’est un mot qui appartient à l’Histoire. Tu es jeune, tu es en colère, je comprends. Mais tu dois faire attention à ce mot. » Mais alors que l’on veut clore la conférence de presse par un spectaculaire « les femmes devraient prendre le pouvoir », le jeune Gazaoui reprend le micro pour rappeler que faire son travail de « vérité » lui vaut aujourd’hui d’être taxé de terrorisme.
Montrer ce qu’ils font, ce n’est pas de l’antisémitisme, ce n’est pas du terrorisme. Ce n’est pas une guerre de religion, c’est une bataille pour exister qui se joue. Vous, en Normandie, vous vous êtes battus, vous vous êtes libérés, il y a eu la paix et aujourd’hui vous êtes libres. Personne ne vient sauver la Palestine.
Ce jeune homme de 25 ans qui parle de sa mère pour invoquer sa force intérieure a déjà les tempes grises de celui qui en a trop vu, trop fait. Devenu témoin du grand malheur de son peuple, il ne sait pas comment avancer, la tête ici, le cœur là-bas. « C’est un gros changement », dit-il pudiquement. Aujourd’hui, que ce soit depuis Doha, Genève, Londres ou la Normandie, il utilise ses comptes pour relayer le travail de ses collègues restés sur place, eux dont les conditions de vie et de travail se détériorent chaque jour un peu plus.
Depuis qu’il a quitté Gaza, Motaz Azaïza a fait l’objet de controverses sur ses accointances supposées avec le chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Dans un communiqué publié par l’Ambassade d’Israël en France au lendemain de la cérémonie, le photoreporter est présenté comme « un soutien affiché au Hamas » et accusé de faire l’apologie du terrorisme. Dans un autre communiqué, 35 députés français de la majorité présidentielle suivent la même ligne : le lauréat est présenté comme un « sympathisant du Hamas » et la sélection des jeunes comme « un choix incompréhensible et inapproprié ». Motaz Azaïza soupire : « Ils ne peuvent plus me mettre une balle, alors ils se décrédibilisent, ils m’attaquent avec des mots pour me faire taire. »
Si le journaliste plie sous le poids du présent et refuse d’évoquer ses projets, il y a fort à parier qu’il ne cessera pas de parler, quoi qu’il lui en coûte :
J’ai failli mourir de nombreuses fois, j’ai survécu. J’ai fait une promesse à mon peuple : je pars, mais je ferai passer le message, après plus de 40 000 morts4, plus d’un million et demi de déplacés qui craignent de mourir chaque seconde sous les bombes ou par manque de nourriture. Nous ne sommes pas des terroristes. La Seconde guerre mondiale n’était sans doute pas une leçon suffisante [pour l’humanité], mais j’aimerais croire qu’un jour la paix reviendra et que la Palestine sera libre.
par Claude Grimal et Sonia Dayan-Herzbrun 16 avril 2024
Des poètes et écrivains de Gaza ont, dès les premiers jours des bombardements israéliens, publié des textes littéraires sur les réseaux sociaux. Certains ont été ensuite rassemblés par la chercheuse Sara Roy (Harvard Center for Middle Eastern Studies) avec la permission des auteurs, en un opuscule intitulé This is Gaza: Literary Texts Written Under the Israeli Bombardment of Gaza. EaN présente ici la traduction de cinq d’entre eux (écrits en anglais, ou bien écrits en arabe puis transcrits en anglais pour This is Gaza, ils sont tous traduits de cette langue).
Nasser Rabah. Poète | 10 octobre 2023.
Encore une guerre, elle passera, c’est ce que je disais aux premiers jours de la précédente. Avant, la guerre était, au pire pour moi, une encombrante invitée qui me ferait perdre mon temps puis s’en irait, car à Gaza, la guerre, on s’en soucie peu. Nous sommes constamment en guerre avec la vie. En guerre avec l’électricité et l’eau, avec la manière de nous déplacer et de trouver un travail. La guerre est habituée à nous et nous sommes habitués à elle. À Gaza nous partons en guerre comme si nous allions soutenir notre équipe de foot favorite. Nous chantons à tue-tête et plus fort encore lorsque nous gagnons des martyrs ou qu’une de nos maisons est pulvérisée.
À Gaza, nous sommes atteints de l’hystérie du martyr, parce que nous n’avons rien d’autre à offrir à nos terribles vies que la mort, et donc nous nous en approchons avec un grand cérémonial et un tapage plus grand encore.
Beesam Abdel Raheem. Nouvelliste et poétesse | 12 octobre 2023.
Aujourd’hui est hier
Et hier coule d’une vieille blessure.
Je ne veux pas être écrivain.
Je ne rêve de rien pour demain
Et tout ce qui me tient c’est ma foi.
Aujourd’hui, 23 octobre 2023, une heure de l’après-midi.
Comment nos jours sont-ils devenus si terrifiants ?
Mon Dieu, d’habitude nous avons peur de voir, à présent
Nous nous trouvons sans jour ni nuit.
Ah, mon Dieu, ils nous ont volé le temps.
Ohmar Hussein. Poète | 21 octobre 2023.
La guerre était assise
puis elle s’est levée, timide les premiers jours,
cachant son visage et son souffle.
Le premier mort portera un nom et un numéro
et peut-être indiquera-t-on la couleur de ses souliers.
Quelle chance, ce sera un martyr.
Alors nous passons, et la mort nous frappe,
sans nom et sans histoire.
La guerre s’est levée pour un combat maudit,
non elle ne dormait pas, elle faisait semblant.
Di Haidar Al Ghazali. Poète | 23 octobre 2023.
Nos rêves sont si modestes.
Je veux que tous vous assistiez à mes funérailles
et jetiez des fleurs sur mon visage
car je veux mon visage.
Je le veux
Et je n’aime pas attendre
Je veux que ma chambre
assez grande pour abriter mes vastes rêves
ne m’étouffe pas.
Je ne veux pas attendre la mort sous les décombres.
Car, je le redis, je n’aime pas attendre.
Et avant cette mort,
je veux être un être humain
une dernière fois
je veux boire le nectar des mûres dans le calme de la nuit
et venir simplement à toi,
ô Dieu
mon Dieu.
Youssef Al-Quidra. Poète | 24 octobre 2023.
Je pourrais écrire un poème avec du sang.
Avec des larmes, avec la poussière qui remplit mes poumons
Avec les dents des pelleteuses, avec les morceaux de corps,
Avec les immeubles en ruine, avec la sueur des sauveteurs
Avec les gémissements des femmes et des enfants
Avec les sirènes des ambulances
Avec le cadavre d’un arbre que j’aime
Avec tous ces visages examinant les êtres aimés qu’ils ont perdus
Avec la voix de l’enfant sous les décombres qui crie « Je suis vivant »
Je pourrais écrire un poème
Avec l’assourdissante amertume, le silence nu,
la neutralité lugubre, la paralysie éhontée,
la prostration absolue devant l’Amérique.
Mais à quoi servirait ce poème ?
Retrouvez nos articles sur les littératures israéliennes et palestiniennes
De quoi s'agit-il ? Les travaux de cette commission d'historiens, créée par les deux présidents algérien et français, ont commencé par l'étude exhaustive de la longue période de la conquête de l'Algérie à partir de 1830 et des résistances algériennes tout au long de la moitié du XIXe siècle et du début du XXe.
La liste, désormais sur le bureau du président Macron, concerne donc cette période. Il s'agit, principalement, des effets de l'émir Abdelkader, dont on peut citer deux épées, un pistolet, sa tente de commandement, son bâton de commandement, l'original de traités signés avec la France, ses éperons, son caftan, des manuscrits, etc.
La majorité de ces objets sont tombés entre les mains du maréchal de camp Henri d'Orléans, duc d'Aumale et fils du roi Louis-Philippe, lors de la prise de la Smala, la capitale itinérante de l'émir, en 1843.
D'autres objets historiques concernent les chefs de la résistance algérienne – notamment la bibliothèque de Cheikh El Haddad qui a mené l'insurrection de 1871. Ce fonds de manuscrits a été intégré dans les collections de la Bibliothèque universitaire des langues et civilisations à Paris. S'y ajoutent la clé de la ville de Laghouat et les étendards des résistants de cette cité conquise en 1852. Une pétition, signée par des personnalités algériennes et françaises, dont l'historien Benjamin Stora (coprésident de la commission d'historiens) et Lilian Thuram, président de la fondation Éducation contre le racisme, avait demandé, en février 2023, la restitution à l'Algérie de ces objets, qualifiant la prise de Laghouat de « crime de guerre ».
Une autre catégorie de biens s'articule autour de la période précoloniale d'avant 1830, comme les avoirs au palais du Dey à Alger, les traités et correspondances de la Régence avec les pays européens, etc. On trouve enfin les 16 canons d'Alger pris en 1830 (sur un total de 24 canons pris à cette époque) et exposés dans la « batterie trophée » aux Invalides à Paris. Enfin, l'Algérie réclame également la restitution du canon géant (7 mètres de long) Baba Merzoug, ou La Consulaire, pris à Alger en 1830 et installé, depuis 1833, comme colonne commémorative, surmontée d'un coq gaulois posant la patte sur un globe terrestre, dans la cour de l'arsenal de Brest.
Des biens inaliénables et imprescriptibles
Dans le détail, ces demandes de restitution posent nombre de problèmes juridiques à la partie française, à l'image des effets de l'émir Abdelkader. Ces derniers sont partagés entre le musée de l'Armée à Paris et le musée Condé à Chantilly, le musée Denon à Chalon-sur-Saône et le musée des Beaux-Arts de Valenciennes.
Il y a d'abord le caractère inaliénable et imprescriptible des collections des musées de France, est-il précisé dans le Code du patrimoine (articles L451-3 et L451-5).
En 2012, l'ancien président François Hollande, à l'occasion de sa visite à Alger, a voulu restituer les clés de la citadelle d'Alger prises en 1830, mais il fit face à la résistance au sein du ministère de la Culture, qui considère que les clés sont la propriété du musée de l'Armée avec le statut de « trésor national ». Ce qui, d'après le Code du patrimoine, les rend, donc, à ce titre, inaliénables et imprescriptibles.
Ajoutant à cela le statut juridique même de la prise de guerre qui se transforme avec le temps en bien culturel appartenant aux collections muséales nationales ou le fait que ce bien soit, à l'origine, un don ou un legs, comme les deux tiers des collections du musée de l'Armée, puis intégré dans les collections. Dans les deux cas s'appliquent les principes de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité.
Le burnous, plus précisément le caftan, de l'émir a été l'objet d'un don en 1897 au musée de l'Armée par le fils d'Abdelkader, le prince Khaled ben el-Hachemi, officier de l'armée française. Ce don, d'après le coprésident de la commission des historiens du côté algérien, Mohamed Lahcen Zeghidi, « a été fait sous le chantage et la pression des autorités françaises. Quand bien même ils ont été donnés, le burnous et l'épée sont la propriété de l'émir Abdelkader, donc, par déduction, celle de l'Algérie ».
Au-delà de cet aspect, les effets de l'émir au musée Condé de Chantilly posent un problème supplémentaire. Propriété du duc d'Aumale, Henri d'Orléans, où il y rassembla ses collections historiques, et notamment les objets ayant appartenu à l'émir qu'il avait pris lors de la chute de la Smala, le domaine est légué par lui à l'Institut de France en 1886 et deviendra à sa mort le musée Condé.
Les conditions de ce legs sont strictement précisées dans le testament d'Henri d'Orléans : les collections ne peuvent quitter le domaine ni changer d'emplacement au sein même du musée. D'ailleurs, dans ce même testament sont inventoriés un poignard serti de pierres précieuses de l'émir (cadeau du duc d'Aumale à Abdelkader) et un sabre qui lui a été offert par le roi Louis-Philippe lors de la paix de la Tafna. Selon nos sources, même une loi spécifique ne peut rendre caduc le testament d'Henri d'Orléans.
Le cas de Baba Merzoug
Prenons aussi le cas du canon emblématique de douze tonnes de bronze Baba Merzoug (« Père fortuné »), dont la date de fabrication à Alger remonterait à 1542. Par le passé, des personnalités et des associations algériennes ont plusieurs fois réclamé sa restitution en tant que symbole de la puissance de la Régence d'Alger. Dans son rapport sur la mémoire de la colonisation, remis au président Macron en janvier 2021, Benjamin Stora avait préconisé d'« étudier » la restitution du fameux canon.
En 2012, l'entourage de François Hollande lui avait soufflé l'idée de sa restitution en prévision de sa visite à Alger, mais, face à plusieurs obstacles juridiques, le canon appartenant au ministère des Armées, l'idée fut vite abandonnée. Quelques mois auparavant, ce sont des associations algériennes qui avaient réclamé le retour de Baba Merzoug à Alger et, en réponse à des médias sur ces demandes, le ministère des Armées avait considéré que l'amirauté était très attachée à ce canon, « qui fait partie désormais de l'histoire de la marine nationale ». La préfecture maritime de l'Atlantique, basée à Brest, a carrément osé un parallèle très parlant : « Imaginez que l'Égypte nous réclame demain l'obélisque de la place de la Concorde ! »
Ironie de l'histoire, le célèbre canon, qui aurait servi à exécuter un consul de France à Alger, Jean Le Vacher, en 1683, aurait pu revenir sur sa terre natale en 1919 : le comité du Vieil Alger, appuyé par l'un de ses membres, l'amiral Cros, commandant en chef de la marine en Algérie, avait réclamé le retour de La Consulaire. En vain.
Ces différents obstacles juridiques ne semblent pas pour autant faire fléchir la position algérienne. « Je dis aux Français que, si la loi fait obstacle à l'intérêt national, à quoi faut-il donner la priorité, à l'intérêt national ou à la loi ? » déclarait ce jeudi 6 juin, au quotidien El Khabar, le coprésident de la commission des historiens, Mohamed Lahcen Zeghidi. Le fait qu'une loi ait été votée pour permettre le transfert des crânes de résistants à l'Algérie reste un précédent encourageant pour Alger. D'ailleurs, une loi-cadre sur les restitutions sera discutée à l'automne par l'Assemblée nationale. L'occasion, espèrent certaines sources, de « faire glisser » un texte spécifique pour les restitutions algériennes.
En attendant, la partie algérienne semble plus pressée que jamais : « La prochaine réunion (de la commission des historiens qui se déroulera en juillet à Paris) sera celle de la restitution », a martelé Mohamed Lahcen Zeghidi. « C'est dommage de rester sur cet axe alors qu'énormément de projets peuvent être concrétisés entre les deux parties, certes moins spectaculaires que des restitutions hautement symboliques, mais on a tellement de chantiers à lancer ensemble », regrette une source proche du dossier. Reste à savoir jusqu'où ira Macron sur la question des restitutions avec la perspective de la visite du président Tebboune à Paris cet automne.
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Racisme post-colonial : quelle ampleur ? | Les débats de Débatdoc
Comment être juif et de gauche après le 7 octobre 2023 ? Comment se sentir concerné par le sort d’Israël tout en étant solidaire de la cause palestinienne ? Réponses avec l’avocat Arié Alimi qui plaide contre l’indifférence.
Le photojournaliste, qui a couvert au péril de sa vie la guerre à Gaza avant de fuir l’enclave, est l’invité de notre émission « À l’air libre ». Un témoignage exceptionnel.
PendantPendant des semaines, Motaz Azaiza, 25 ans, photojournaliste palestinien, propulsé reporter de guerre après le 7 octobre, a documenté les massacres israéliens à Gaza, informant le monde au péril de sa vie. Il l’a fait sur Instagram, où il cumule aujourd’hui plus de 18 millions d’abonné·es, transformant ce réseau social en un espace politique et médiatique inédit, à l’instar de plusieurs autres voix de Gaza et alors qu’Israël interdit tout accès au territoire palestinien aux journalistes étrangers depuis huit mois.
Le 23 janvier 2024, Motaz Azaiza a fui Gaza avec sa famille pour le Qatar. Sans renier son combat : porter la voix du peuple palestinien, lutter pour une Palestine libérée de la colonisation et de l’occupation israéliennes. Invité de notre émission « À l’air libre » à l’occasion de son passage en France pour la remise du prix Liberté 2024 à Caen, il livre un témoignage exceptionnel.
Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre son appartement de la ville de Gaza avec sa femme et son fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et le siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.
Une jeune Palestinienne déplacée s’appuie sur une corde à linge à côté de tentes à Deir El-Balah, dans le sud de la bande de Gaza, le 3 juin 2024.
BASHARTALEB / AFP
Dimanche 9 juin 2024.
Aujourd’hui, je vais vous parler de la tente. Comme vous le savez, nous sommes exilés pour la deuxième fois. Après être passés de Gaza-ville à Rafah, près de la frontière égyptienne, nous sommes maintenant à Deir El-Balah, plus au nord, mais toujours à l’intérieur de la partie sud de la bande de Gaza, selon les Israéliens qui l’ont coupée en deux.
Cette fois, nous nous sommes installés dans une tente. La tente, c’est le symbole des réfugiés palestiniens depuis 1948. Les gens qui ont été forcés de quitter les villes de Jaffa, d’Acre, de la Palestine historique en général, sont tous venus s’installer dans des tentes pour fuir les massacres et les boucheries de l’époque. Ils se sont réfugiés à l’extérieur, au Liban, en Jordanie, en Syrie ; ou à l’intérieur, en Cisjordanie et à Gaza. Ils s’étaient installés dans la rue, dans des terrains vagues, partout où il y avait de l’espace. Ils croyaient que ça n’allait pas durer, qu’après y avoir commis des massacres, les milices israéliennes allaient quitter les villes et les villages, et qu’eux, les Palestiniens, allaient rentrer un jour. Cela fait 76 ans qu’ils l’attendent.
« VIVRE DANS UNE TENTE, C’EST UNE HUMILIATION ET UNE VIE INFERNALE »
Aujourd’hui, Nous sommes en train de vivre la même chose. Nous sommes partis de Rafah pour fuir les massacres et les boucheries. Nous sommes partis malgré nous. C’était un exode forcé. Et la majorité des déplacés se sont installés dans des tentes. En 1948, c’étaient les Nations unies qui avaient donné des tentes aux réfugiés. C’est à nouveau le cas aujourd’hui, avec aussi l’aide d’ONG.
Des amis en France me demandent ce que c’est de vivre sous une tente. Ce n’est pas seulement échanger une pièce en dur pour un habitat en toile. Non, vivre dans une tente, c’est une humiliation et une vie infernale. Cette vie, nous allons peut-être la supporter pendant des mois ou des années. Cette guerre dure depuis huit mois et on ne sait pas quand elle va se terminer.
J’avais préparé ma famille à ce changement de vie inéluctable et radical. Jusqu’ici, ils se sont bien adaptés. Mais je sens la fatigue monter chez les enfants. Ils vont et viennent avec moi pour chercher de l’eau, par exemple, et ils découvrent petit à petit que ce n’est pas du tout un plaisir de vivre dans ces tentes. Je ne sais pas quand ils vont se rendre compte que c’est vraiment une vie très dure et que j’avais inventé un amusement qui n’existe pas. Et qu’on ne sait pas quand cette situation humiliante prendra fin. C’est dur de faire le clown, de montrer qu’on est solide, de faire croire que tout va bien.
UNE TENTE, C’EST COMME UN SAUNA PLEIN DE MOUCHES
Vivre dans une tente, ce n’est pas seulement avoir un lieu pour dormir et pour rester en vie pendant quelques semaines, quelques mois, quelques années en attendant de rentrer chez soi. C’est une vie très difficile. Je vais vous parler de cette vie, de la nôtre et de celle des milliers de gens qui nous entourent. En comparaison, la nôtre est une tente cinq étoiles, et nous sommes six. Mais parmi les 1,5 million de déplacés, beaucoup d’autres familles vivent à 12 sous la même tente, souvent un abri de fortune fabriqué avec des bâches. Notre tente mesure quatre mètres de long sur cinq de large et un mètre quatre-vingts au milieu, le seul endroit où on peut se tenir debout. C’est juste un lieu pour dormir. Il est entièrement occupé par les matelas.
Vivre sous la tente, c’est endurer une chaleur d’enfer pendant la journée, avec des mouches qui pénètrent toujours à l’intérieur, même si on a tout fermé, et qui n’arrêtent pas de vous agacer. Une tente, c’est comme un sauna plein de mouches. Et la nuit, c’est l’inverse : il fait froid, parce qu’on est sur un terrain vague où il n’y a que du sable, non loin de la mer. Il faut mettre deux ou trois couvertures. Vivre sous une tente, c’est se réveiller en ayant mal partout, parce qu’on dort sur un sol déformé qui n’est pas plat, même si on a tout fait pour l’aplatir.
Vivre sous une tente, c’est aussi dépendre de l’aide humanitaire, et ne manger que des boîtes de conserve. C’est aller chercher tous les jours un endroit pour charger nos téléphones et nos lampes rechargeables, pour avoir un peu de lumières la nuit.
Vivre sous une tente c’est faire la queue tous les jours, pour l’eau, pour la nourriture, etc. Il faut marcher des centaines de mètres, parfois des kilomètres, pour aller remplir des seaux de sept à dix litres. Encore faut-il posséder des seaux. Ils coûtent aujourd’hui entre 50 et 60 shekels, (entre 12 et 20 euros) le seau, alors qu’avant, il était à deux shekels (un euro). Et au retour, il faut avoir une citerne pour stocker l’eau.
VIVRE SOUS UNE TENTE, C’EST DORMIR AVEC LES YEUX À MOITIÉ OUVERT
Pour faire la cuisine, il faut un four en argile, et trouver du bois. Et quand on n’a pas de bois, on utilise n’importe quoi. Beaucoup de gens brûlent des cartons ou du plastique. On respire presque toute la journée cette fumée de plastique. On fait la lessive dans les seaux, on porte les mêmes vêtements trois ou quatre jours pour économiser l’eau. Pour les toilettes, on creuse un trou.
Vivre sous la tente, c’est aussi surveiller en permanence les insectes, les serpents, les scorpions. Moi, la nuit, je ferme tout, je peux le faire parce que j’ai une tente « cinq étoiles », mais ceux qui vivent sous des bâches, directement sur le sable, courent un vrai danger, surtout la nuit. Récemment, sur notre terrain, nous avons trouvé un scorpion. Les voisins ont vu des serpents. Donc vivre sous une tente, c’est dormir avec les yeux à moitié ouvert, avec toujours la crainte que quelque chose se faufile à l’intérieur. Je crains surtout pour Walid, mon fils de deux ans et demi. Quand il a vu des fourmis, il en a eu peur. Je lui ai chanté une chanson qu’il connaît, qui parle de fourmis qui marchent deux par deux, et je lui ai fait toucher les fourmis pour lui montrer qu’elles n’étaient pas dangereuses : « Regarde maman, je touche les fourmis ! » J’essaye de lui montrer que tout ce qui nous entoure, tout ce qu’il voit n’est pas forcément un danger, parce que je ne veux pas installer la peur dans son cœur. Mais évidemment, je crains que s’il tombe sur un scorpion ou un serpent, il le touche en croyant que rien ne peut lui faire de mal…
Vivre sous la tente, c’est n’avoir aucune intimité. Comme vous le savez, nous sommes installés sur un petit terrain entouré d’un mur, avec deux autres familles, dont celle de mon ami Hassoun. Trois tentes en tout. Mais ce terrain est encerclé par un camp de déplacés, qui s’entassent les uns sur les autres dans des abris de fortune. On entend un bruit continuel, celui des conversations de milliers de personnes. On entend tout ce qui se dit sous les tentes les plus proches. On doit rester habillés vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je vous ai déjà décrit les changements apportés par la guerre à notre société conservatrice, comment il n’y a plus d’intimité pour les femmes, comment cette vie discrète où on évitait la mixité est en train de disparaître. Nous avons construit un petit coin cuisine adossé au mur d’enceinte, pour gagner un peu d’espace, économiser les bâches et le bois de construction. Juste derrière le mur, il y a des tentes, on entend les gens parler, on entend tous les secrets de leur vie privée.
« ENTENDRE LE BOURDONNEMENT DES DRONES SEPT JOUR SUR SEPT »
Vivre sous la tente, c’est aussi être la proie de maladies dermatologiques. Moaz, le fils aîné de mon épouse, a le dos tout rouge à cause d’une piqûre d’insecte et d’une allergie. À l’hôpital, ils considèrent que ce genre de chose ne fait pas partie de leurs priorités. Ils sont débordés par l’afflux de blessés graves par les bombardements israéliens. Nous sommes allés voir des médecins et des pharmaciens, mais pour le moment ils n’ont pas trouvé de solution.
Vivre sous la tente, c’est entendre les bombardements en permanence, c’est entendre le bourdonnement des drones sept jour sur sept. C’est sentir que nous n’avons plus de toit ni de murs qui pourrait au moins nous protéger des éclats d’obus, car ceux-ci peuvent déchirer le tissu et provoquer des dégâts énormes dans les camps de déplacés, comme on l’a vu à plusieurs reprises, à Deir El-Balah ou ailleurs.
Vivre dans une tente, c’est aussi une vie d’humiliation. J’ai toujours insisté sur ce mot. C’est cela que les Israéliens veulent : nous humilier. Ils le font depuis 1948. À l’époque, nos parents ont commencé à vivre sous les tentes, parfois des abris de fortune comme aujourd’hui. Petit à petit, ces camps de fortune se sont transformés. Il y a eu de vraies tentes, puis ceux qui avaient les moyens ont construit en dur dans les camps où ils se trouvaient. Ils ne les ont pas quittés parce que ces camps étaient pour eux le symbole du retour. C’était une façon de dire : je suis de Jaffa, d’Haïfa, d’Acre, j’appartiens à cette ville ou à ce village dont j’ai été chassé. Pour eux, le camp représentait l’endroit d’où ils venaient. Même s’ils vivent dans une maison, ils considèrent qu’ils sont toujours sous une tente, sous un abri provisoire, avant de retourner un jour chez eux.
Mais cette tente est surtout le symbole de la résilience palestinienne, malgré tout ce qu’on peut vivre sous elle. Nous nous sommes installés sous des tentes pour ne pas quitter la Palestine. Nous en avons fait un symbole politique, pour dire que nous allons rentrer chez nous. Parce qu’un jour, tout cela va s’arrêter, et il n’y aura plus de tentes.
Motaz Azaiza, le reporter palestinien qui raconte le calvaire de son peuple
Le photojournaliste, qui a couvert au péril de sa vie la guerre à Gaza avant de fuir l’enclave, est l’invité de notre émission « À l’air libre ». Un témoignage exceptionnel.
PendantPendant des semaines, Motaz Azaiza, 25 ans, photojournaliste palestinien, propulsé reporter de guerre après le 7 octobre, a documenté les massacres israéliens à Gaza, informant le monde au péril de sa vie. Il l’a fait sur Instagram, où il cumule aujourd’hui plus de 18 millions d’abonné·es, transformant ce réseau social en un espace politique et médiatique inédit, à l’instar de plusieurs autres voix de Gaza et alors qu’Israël interdit tout accès au territoire palestinien aux journalistes étrangers depuis huit mois.
Le 23 janvier 2024, Motaz Azaiza a fui Gaza avec sa famille pour le Qatar. Sans renier son combat : porter la voix du peuple palestinien, lutter pour une Palestine libérée de la colonisation et de l’occupation israéliennes. Invité de notre émission « À l’air libre » à l’occasion de son passage en France pour la remise du prix Liberté 2024 à Caen, il livre un témoignage exceptionnel.
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