Le nouveau variant du Covid-19, BA.2.86, surveillé attentivement par l’OMS, a été détecté pour la première fois en France, a indiqué ce jeudi 31 août à l’AFP Santé Publique France, confirmant une information du « Parisien ».
Ce membre de la famille Omicron est particulièrement scruté en raison d’un « plus grand nombre de mutations », le rendant « susceptible d’évoluer de façon plus importante et de se répandre plus facilement », a rappelé la semaine dernière la présidente du Comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) Brigitte Autran.
Ce cas de variant a été détecté dans le Grand Est, a précisé Santé Publique France, soulignant avoir « lancé une investigation pour récolter les informations épidémiologiques permettant de documenter ce premier cas ».
Ce variant avait été détecté jusqu’ici dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis, le Danemark ou Israël, mais pas encore en France.
Des niveaux de maladies et de décès comparables à la pandémie pas attendus
L’OMS a décidé de classer ce nouveau variant, surnommé « Pirola » sur les réseaux sociaux, dans la catégorie des variants sous surveillance en raison du très grand nombre (supérieur à 30) de mutations du gène Spike qu’il porte.
C’est la protéine Spike qui donne au virus son aspect hérissé et c’est elle qui permet au SARS-CoV-2 de pénétrer les cellules de l’hôte.
Même si BA.2.86 provoquait un pic majeur d’infections, « nous ne nous attendons pas à voir des niveaux comparables de maladies graves et de décès par rapport à ce que nous avons fait plus tôt dans la pandémie lorsque les variantes Alpha, Delta ou Omicron se sont propagées », avait récemment commenté François Balloux, qui dirige la chaire de bio-informatique à l’University College de Londres.
LA MESSAGERIE DU CRIME (1/5). « L’Obs » raconte les coulisses du décryptage de la messagerie canadienne sécurisée, prisée des narcotrafiquants, qui a permis aux polices européennes de déjouer des crimes, de faire tomber leurs auteurs et de mieux comprendre l’organisation des trafics. Tout démarre fin 2016, en Belgique, avec la saisie dans des affaires de cocaïne de téléphones équipés d’une obscure application…
Ce 23 février 2021, Jean-François Eap adresse un message aux 160 000 utilisateurs de son service de communication crypté Sky ECC. Un faux article du « Washington Times » mettant en doute la fiabilité de son application de téléphonie sécurisée circule alors sur le web. Un mauvais coup derrière lequel il perçoit l’ombre de ses concurrents. « Sky ECC est impiratable. Nous sommes fiers de disposer de la plateforme de communication la plus sûre du monde », écrit le start-upper canadien signant son message d’un simple « Jean, PDG et fondateur ». Pour prouver ses dires, il annonce offrir 5 millions de dollars à celui qui parviendra à « hacker » sa messagerie.
Cas d’hubris 2.0 : il l’ignore alors mais, quelques jours plus tôt, dans le cadre d’une enquête de longue haleine, les policiers belges, français et néerlandais ont réussi à discrètement pirater la plateforme qu’ils soupçonnent d’être essentiellement utilisée par des membres du narcobanditisme. « Nous n’avons pas eu l’outrecuidance de réclamer la récompense », ironise aujourd’hui Nicolas Guidoux, sous-directeur de la lutte contre la cybercriminalité à la Direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ).
1,5 milliard de messages interceptés
A défaut d’empocher la récompense, les enquêteurs sont tombés sur une véritable mine d’or. Cette infiltration policière va déboucher sur la plus grosse fuite de données sur le crime organisé avec près de 1,5 milliard de messages interceptés. De véritables « narcos leaks » : sur la plateforme, les criminels discutaient sans précaution de conteneurs de cocaïne à expédier ou de cibles à exécuter.
« Le système de cryptage des communications contribuait à mettre en confiance les malfaiteurs qui, se sentant de fait à l’abri de toute interception, procédaient sans précaution dans leurs échanges, allant jusqu’à poser avec les futures victimes d’assassinat alors que, dans le même temps, ils mettaient localement tout en œuvre pour effacer le produit de leur crime », écrit un policier français dans un procès-verbal (PV).
Depuis la chute de cette « messagerie du crime », les services de police européens enchaînent les coups de filet et les saisies record. Selon les chiffres du parquet de Paris, l’opération aurait permis à ce jour l’arrestation dans le monde de 5 270 personnes, la saisie de 172 tonnes de cocaïne et de 187 tonnes de résine de cannabis, mais également la confiscation de près de 700 millions d’euros de liquidités et de biens non mobiliers. A l’automne s’ouvrira ainsi à Bruxelles le plus vaste procès lié à l’« affaire Sky ECC » : 125 prévenus doivent y comparaître dans une salle d’audience délocalisée en périphérie de la ville dans une ancienne base de l’Otan.
L’analyse de la masse des données collectées a également permis de remettre à jour la cartographie de la criminalité organisée en Europe, révélant l’ampleur de la corruption comme celles des importations de cocaïne et des montants financiers en jeu.« Sky ECC a démontré que la force financière des groupes criminels, spécialement dans le trafic de drogue, dépasse largement les analyses produites à ce jour », écrit le Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) dans son dernier rapport. « La chute de Sky ECC marque un tournant dans la lutte contre le crime organisé », confiait lors d’une récente conférence Jean-Philippe Lecouffe, le directeur exécutif adjoint des opérations d’Europol, l’agence de coopération entre les polices européennes. « Cette affaire nous a déniaisés sur la réalité du crime organisé et sur les menaces que celui-ci fait peser sur la nation », confie-t-on au parquet de Paris.
Drôles de téléphones, Mocro Maffia et café malfamé
L’enquête, sans doute la plus vaste jamais menée en Europe, débute fin 2016 en Belgique. Dans le cadre d’affaires liées au port d’Anvers, première porte d’entrée de la cocaïne sur le Vieux Continent, les policiers saisissent à plusieurs reprises des téléphones équipés d’une application inconnue de leurs services dont ils se montrent incapables de déchiffrer le contenu. D’autant plus que celui-ci semble s’effacer à distance une fois les propriétaires des appareils arrêtés.
De l’autre côté de la frontière, les policiers néerlandais s’intéressent eux aussi à ces drôles de téléphones qu’ils voient apparaître dans un nombre croissant d’affaires. Le 29 mars 2018, le patron d’une agence de publicité est assassiné dans ses bureaux à Amsterdam. La victime est le frère de Nabil Bakkali, un tueur à gages repenti. Six jours plus tôt, ce dernier a obtenu le statut de « témoin de la Couronne » dans l’enquête visant Ridouan Taghi, Néerlandais d’origine marocaine considéré comme le parrain de la Mocro Maffia, nébuleuse criminelle présente aux Pays-Bas et en Belgique. Selon les premiers éléments de l’enquête, le suspect de l’assassinat communiquait par le biais de Sky ECC avec Taghi, alors en cavale à Dubaï – il sera arrêté en décembre 2019.
Les policiers belges et néerlandais enquêtent de concert et cherchent à en savoir plus sur Sky ECC. Première découverte : si la plateforme canadienne possède son propre site internet, il s’avère impossible d’y commander directement ses téléphones. Après avoir pris contact par e-mail, le client potentiel se voit adresser en retour le tarif des appareils et des abonnements – autour de 600 euros pour trois mois –, ainsi que le courriel du revendeur le plus proche de chez lui.
Les Belges lancent une première opération d’infiltration : il s’agit d’acquérir un de ces appareils. Ils découvrent alors un réseau de commercialisation des plus surprenants. « Un rendez-vous était alors donné, le cas présent dans une arrière-boutique d’un café malfamé, avec un revendeur. Ce dernier n’acceptait que l’argent liquide et ne demandait aucun justificatif de domicile, ni aucune pièce d’identité. De plus, aucune facture ou document de vente n’était remis », explique un PV. De quoi intriguer les policiers. Lors de l’infiltration suivante, ils tombent sur deux revendeurs porteurs de bracelets électroniques, visiblement pas vraiment engagés dans un projet de réinsertion professionnelle.
Même constat, côté néerlandais : un des revendeurs s’est révélé avoir été condamné pour des faits d’homicide et de possession de stupéfiants. Ce dernier donne, en outre, rendez-vous à l’agent infiltré dans une boutique de téléphonie d’Amsterdam défavorablement connue des services de police néerlandais, selon l’expression consacrée. « Ces dernières années, de nombreux criminels avec différents antécédents ont été observés au magasin », explique un PV néerlandais.
Une villa à 6 millions
Cet univers semi-clandestin contraste avec celui dans lequel évolue Sky Global Holdings Inc, la société mère de Sky ECC. Basée à Vancouver, ville de la côte ouest du Canada réputée pour son dynamisme et sa douceur de vivre, la start-up occupe un étage entier de la Jameson House, un gratte-ciel rutilant du quartier d’affaires construit par l’agence du célèbre architecte Norman Foster. Jeune entrepreneur de la tech, Jean-François Eap colle aux canons du genre : bouille ronde de gamin, tee-shirt de fonction, présence erratique au bureau. Outre Sky Global, il dirige une vingtaine d’entreprises dont un restaurant japonais spécialiste du « hand roll ».
Le trentenaire travaille en famille. Réfugié cambodgien devenu ingénieur sur le tard, son père gère la partie technique. Occupant un bureau mitoyen de son fils, sa mère supervise la comptabilité, tout en veillant sur le moral des soixante salariés. Les locaux de la start-up hébergent également la société de design d’intérieur de sa compagne, Jennifer, née à Pékin. En 2017, ce couple à succès a acquis pour 6 millions d’euros une propriété sur les hauteurs verdoyantes de la capitale de la Colombie-Britannique. Pas mal pour un entrepreneur ayant commencé son aventure dans un petit studio dix ans plus tôt.
Si Sky Global commercialise plusieurs applications, parmi lesquelles une de cryptomonnaies et une autre de cartes-cadeaux, son produit phare demeure sa messagerie ultrasécurisée. Une plateforme destinée à des « personnes et des industries ayant des préoccupations accrues en matière de confidentialité », selon le marketing de la société. Dans les couloirs, il se murmure que le rappeur Drake figure parmi les utilisateurs. « Notre clientèle est un étrange mélange. Nous avons honnêtement de tout, des prostituées aux journalistes, aux espions, aux cadres dirigeants », dira un des distributeurs de Sky ECC.
Un « code sous pression »
En apparence, ces téléphones cryptés ressemblent à des appareils des plus classiques : il s’agit de BlackBerry, d’iPhone ou de Google Pixel… A un détail près : la plupart des fonctionnalités (caméra, microphone, sortie USB…) ont été désactivées. Une fois la technologie de cryptage installée, seuls les échanges entre utilisateurs Sky sont possibles.
En outre, ces téléphones disposent d’un « mode furtif » dissimulant l’application sous l’icône de la calculatrice et d’un « code sous pression » permettant d’effacer instantanément toutes les données. « Si un policier tentait de le faire, ça réinitialisait le téléphone comme un téléphone normal », expliquera un revendeur serbe aux enquêteurs français. Se disant attachée à la vie privée de ses utilisateurs, la société canadienne affirme ne pas disposer de leurs identités réelles et ne pas collaborer avec les services de police.
Pour les enquêteurs belges et néerlandais, aucun doute : sous couvert de discours marketing aux accents libertariens, Sky Global fournirait sciemment aux organisations mafieuses, par le biais de canaux de commercialisation occultes, une application facilitant la perpétration de leurs crimes.
Des serveurs à Roubaix
Dans le cadre de leur enquête, ils ont remarqué une particularité intéressante : les deux serveurs de Sky ECC sont hébergés chez OVH, une société française basée à Roubaix (Nord). Fin 2018, ils adressent donc une demande d’entraide à la justice française.
A l’époque, ces téléphones commencent aussi à apparaître dans les radars des policiers français. Dans une conversation téléphonique interceptée, un trafiquant en fuite au Maroc et son beau-frère resté en France évoquent la nécessité de se parler désormais par le biais de ces appareils :
« J’ai récupéré un téléphone, mais je sais pas si ça marche avec le tien, explique le beau-frère. – Un Sky ? – Ouais. – Euh… Nan nan, ça marche pas. – Vas-y, vas-y. Dans ton entourage, y’a personne qu’y en a un ? – Euh, si… Envoie, bah si, envoie-moi, envoie-moi ton adresse. »
En février 2019, une enquête préliminaire est ouverte au parquet de Lille pour association de malfaiteurs et infraction à la législation sur les moyens de cryptologie, la société canadienne n’ayant pas rempli ses obligations en la matière. Nom de code de l’enquête : « Vanilla », une référence au film « Vanilla Sky » (2001), de Cameron Crowe, avec Tom Cruise.
Mi-juin, les policiers français placent un système d’interception des communications sur les serveurs Sky ECC à Roubaix. La mission s’avère délicate. « Quand vous pénétrez dans un système, même si vous le faites de la manière la plus discrète possible, vous laissez toujours une trace », explique Nicolas Guidoux, à la DCPJ. Chez Sky Global, personne ne remarque l’intrusion.
« El Chapo is back »
L’enquête prend alors un tournant. Sous l’égide d’Europol, une équipe commune d’enquête se met en place. En France, le dossier ouvert à Lille est transmis à la Juridiction nationale Chargée de la Lutte contre la Criminalité organisée (Junalco), basée au parquet de Paris qui vient alors de voir le jour. Dans un premier temps, toutes les communications sont enregistrées dans l’espoir d’être un jour déchiffrées. En attendant, les enquêteurs font une nouvelle et réjouissante découverte : une partie des métadonnées (dates des messages, pseudonymes, noms des groupes…) circule en clair entre les deux serveurs. En les croisant avec des bornages téléphoniques et d’autres données, elles permettent de livrer des informations pertinentes sur les utilisateurs.
Un premier constat frappe les enquêteurs : de nombreuses conversations de groupes portent des noms suggérant une activité criminelle : « Vendetta 2 », « El Chapo is back » ou encore « 730 » ou « 1700 », soit les numéros de quais sensibles du port d’Anvers…
Deuxième constat : le service support de Sky reçoit de fréquentes demandes d’effacement à distance. Tout comme les revendeurs, parfois dans des messages qui laissent peu de doutes sur les activités des utilisateurs : « Salut, fréro peux-tu effacer ce téléphone, il a été arrêté […] Et pourrais-tu préparer deux nouveaux téléphones pour demain », écrit ainsi un client belge.
Autre découverte : 10 % des utilisateurs mondiaux sont localisés en Belgique. Et parmi ces utilisateurs belges, 70 % sont localisés dans la région d’Anvers. De nombreux appareils activent aussi l’itinérance à Dubaï, lieu de refuge des criminels – en particulier des têtes de réseaux.
Collecte des espèces
A l’époque, les policiers européens ne sont alors pas les seuls à s’intéresser à Sky ECC : les services américains mènent leurs propres investigations. Elles portent sur des soupçons de blanchiment de la part des dirigeants. En mai 2020, ils adressent une demande d’entraide à la Belgique : un associé de Sky serait à la recherche d’un contact sur place pouvant récupérer des sommes en espèces, les convertir en bitcoins et les envoyer ensuite au Canada. L’argent correspond aux revenus devant être reversés à la société mère.
Un agent infiltré belge joue les collecteurs. Il se voit remettre 560 000 euros en trois fois. « Les billets […] empestaient les produits chimiques, ce qui suggère qu’ils pourraient avoir été présents à un moment donné dans un ou plusieurs labos de drogues », indique un rapport de police sur l’opération.
t des trafiquants : s’appuyant sur des distributeurs et revendeurs occultes, Sky ECC fait ensuite remonter l’argent par un mécanisme de collecte d’espèces auprès des points de vente. « Le cash était ensuite échangé contre des cryptomonnaies par des banquiers parallèles spécialisés dans la compensation », explique le Sirasco dans son dernier rapport.
La chute d’EncroChat
A l’été 2020, un dossier parallèle vient bousculer l’enquête. Le 2 juillet, les cybergendarmes français et la police néerlandaise annoncent le démantèlement d’EncroChat, une messagerie cryptée concurrente elle aussi prisée des criminels. L’opération peut s’avérer à double tranchant. D’un côté, la chute d’EncroChat peut provoquer une migration des utilisateurs vers Sky ; de l’autre, elle peut aussi nourrir les doutes de certains à l’égard de ces téléphones chiffrés. Les jours suivants, les policiers constatent d’ailleurs que de nombreux utilisateurs s’enquièrent d’éventuelles failles auprès du service support de Sky.
La start-up, elle, cherche à profiter de la chute du concurrent. Pour ce faire, Jean-François Eap lance son premier concours de hacking : « Essayez de craquer notre système de cryptage impénétrable SKY ECC et gagnez 1 000 000 USD [dollars américains] », écrit-il le 18 juillet 2020. Destiné à séduire de nouveaux clients comme à rassurer les anciens, le coup de com porte ses fruits : le nombre de téléphones Sky en circulation passe de 80 000 en avril 2020 à 145 000 en novembre 2020. Pour le plus grand bonheur des policiers.
travers "Papicha", la réalisatrice Mounia Meddour défend le combat féministe d’une génération : celle des femmes algériennes des années 90, soumises à l’oppression de plusieurs groupes islamistes pendant les années de guerre civile. Un manifeste féministe et engagé, à découvrir ce jeudi 31 août sur La Trois.
Nous sommes à Alger, dans les années 90. À cette époque, l’Algérie est la proie d’une violente guerre civile qui fera plusieurs dizaines de milliers de victimes. Pour les habitantes du pays, c’est donc une décennie noire qui s’esquisse, à mesure que les groupes islamistes gagnent du terrain. Privées de bon nombre de leurs libertés, celles-ci devront dorénavant lutter pour s’habiller comme elles l’entendent.
Parmi elles, Nedjma, une étudiante en licence de français passionnée par le stylisme, dont la coquetterie lui vaut quelquefois de se faire appeler "papicha". "Un mot qu’on utilisait beaucoup dans les années 90, qui voulait dire jeune et jolie fille, émancipée, coquette…",explique à ce propos la réalisatrice Mounia Medour lors d’une entrevue accordée aux Grenades.
Refusant de porter le hijab, la jeune femme décide d’organiser un défilé de mode clandestin au sein de sa résidence universitaire pour se révolter contre les extrémistes islamistes…
Une intrigue inspirée du vécu de la réalisatrice
Comme Nedjma, Mounia Meddour a elle aussi été étudiante dans l’Algérie des années 90. Elle a étudié pendant un an à la faculté de journalisme d’Alger, avant de partir s’installer en France avec sa famille. À travers ce film, c’est donc un pan de sa propre histoire qu’elle raconte, même si une part importante du scénario relève de la fiction. Ainsi, elle confie à AlloCiné que la passion dévorante de son personnage pour la mode a avant tout "une dimension symbolique". "Ce que les islamistes voulaient, à cette époque-là, c’était cacher le corps des femmes", rapporte-t-elle d'ailleurs, avant de poursuivre :
Pour moi, la mode, qui dévoile et embellit les corps, constitue une résistance aux foulards noirs.
Un succès sur les tapis rouges, et une sortie contestée en Algérie
Dès sa sortie en 2019, "Papicha" connaît un succès retentissant non seulement auprès du public, puisqu’il comptabilise pas moins de 250.000 entrées au box-office, mais également auprès de la critique, qui l’encense de toutes parts.
Présenté au Festival de Cannes dans la catégorie "Un Certain Regard", il est par la suite couronné de nombreux prix, avec notamment le César du meilleur film et le César du meilleur espoir féminin, remis à son actrice principale Lyna Khoudri.
Je crois aux nostalgies génétiques qui font que les oiseaux migrent que la mer des sargasses reste un mystère que Jérusalem est la mémoire d'un peuple et que certaines haines perdurent plus fortes que les vérités. Je crois que la mémoire des peuples est pervertie par les tabous, les superstitions et les religions.
Qui ne m'accepte pas, reste mon frère, il ne peut être fautif des détournements de conscience pratiqués par ses maîtres, par l'école des rumeurs, des peurs et des frustrations millénaires. Qui parle de "la joue tendue" n'a rien compris s'il ne se reconnaît pas en l'autre. Qui parle d'amour mais prêche ou vit de vengeance et de haine n'a pas de miroir.
Si en ces temps je reste le maître de mes espoirs, j'ai peur des cons et de leur haine, j'ai peur de ceux qui rient de la misère, de ceux qui disent que riches et pauvres sont dans la nature des choses, que contre mauvaise fortune il n'y a rien à faire.
Dans cette marche où s'écrit le destin je n'ai pas peur du printemps en hiver, je n'ai pas peur des échelles, des hiboux, j'aime les chouettes et les chats noirs.
Je crois à la génétique de l'inné et à la conscience du bien et du mal. Je crois que toutes les croix, toutes les marseillaises tous les nationalismes, toutes les exclusions, sont fils et filles de l'ignominie et de la négation de l'autre, j'attends le jour où s'enseignera le respect et l'acceptation des différences.
Je crois à l'espoir, aux lendemains, aux vérités non édulcorées, j'affirme que les demi-vérités sont des mensonges entiers.
Je crois l'amour plus fort que les frontières, je crois à une mémoire du Tout et au droit de l'infime, je crois que l'insecte, le bonobo, le dauphin, l'homme d'hier et celui de demain sont mes frères, je les crois enfants du contenant, de la fraction et de l'immense, simples notes dans l'infinie symphonie.
Je n'ai pas peur de vieillir, j'ai peur d'oublier d'aimer
Le 24 mars 2022, quatre membres d’une famille française sont morts après avoir sauté de leur appartement de Montreux, sur les bords du lac Léman. Un « suicide collectif », a conclu la police suisse. Dans un livre-enquête qui paraît aux Editions du sous-sol vendredi 1er septembre, la journaliste au « Monde » explore les origines de ce drame familial.
La sœur jumelle [Narjisse Feraoun-Gama, 40 ans, chirurgienne-ophtalmologue].
Puis la mère [Nasrine Feraoun-David, chirurgienne-dentiste].
Puis la petite fille de 8 ans.
Puis le fils adolescent.
Et enfin le père [Eric David, 40 ans, ingénieur du corps des Mines].
Le jour venait de se lever sur le Léman quand les cinq membres de la famille David-Feraoun ont sauté dans le vide, les uns après les autres [seul l’adolescent a survécu]. Il était environ 6 h 45 du matin. Ce fut comme une pluie de corps depuis le septième étage de l’immeuble. Cinq longues minutes, avec parfois soixante secondes entre chaque saut. A cette heure matinale, Montreux paresse et personne n’a rien vu. Les seuls témoins, un passant retraité, une voisine psychothérapeute, n’ont fait qu’entendre le son des corps sur le bitume de la rue Igor-Stravinsky. C’est là que donnent les balcons en forme de trapèzes incurvés du 35, avenue du Casino, comme des vagues déferlant sur sept étages, afin que chacun puisse profiter de la vue sur le lac s’étalant à cent mètres.
Un détail les a frappés. Les procès-verbaux des rares témoins auditifs sont formels, et le procureur, pourtant peu bavard, a tenu à souligner cette information « saisissante » : les chutes n’ont été accompagnées d’aucun cri. Les corps ont plongé sans une plainte, sans un appel au secours. Rien d’autre que le bruit de cinq corps tombés, vingt-cinq mètres plus bas, sur l’artère en pente douce plantée de huit palmiers. Sans que personne ne voie rien. Une caméra veillait, cependant. « Aujourd’hui, tout commence par des caméras de surveillance, me glisse plus tard Jean-Christophe Sauterel, le porte-parole de la police cantonale vaudoise. De nos jours, toutes les enquêtes démarrent par là. »
(…)
Une seule a enregistré la scène : celle du casino, installée par le Groupe Barrière pour guetter toute tentative d’intrusion, quelqu’un qui voudrait filer avec le jackpot. Posée près du dais de l’entrée, elle scrute jour après jour les deux rangées de palmiers de la rue Stravinsky – à gauche l’Adam’s Café, « best pub in Town », plus haut le coiffeur, à droite la pharmacie et l’horloger qui fait l’angle – une institution, la bijouterie où acheter ses montres Patek. La caméra de surveillance a un regard fixe : elle ne lève jamais les yeux au ciel. « On voit les corps tomber, mais on ne voit pas le balcon ni le point de départ, me précise le commissaire. Nous ne savons rien du saut, mais tout des chutes. » La caméra a permis de conclure, vu le laps de temps écoulé entre chaque plongeon, que le saut n’était pas groupé. Y a-t-il eu des ordres et des consignes donnés par l’un des adultes ? Impossible de savoir. Peut-être des mots murmurés, des regards et alors un autre silence dans le silence, un mystère plus épais encore ? (…) Cinq jours après le drame, la police cantonale vaudoise pouvait indiquer que « la piste du suicide collectif était privilégiée » – terme retenu un an plus tard, lors de la préclôture du dossier, en mars 2023. (…)« Aucun signe avant-coureur d’un tel passage à l’acte » n’avait été décelé, assurent alors les enquêteurs, qui ajoutent en guise d’explication : « Depuis le début de la pandémie, la famille était très intéressée par les thèses complotistes et survivalistes. »
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(…)
« J’admire ma sœur », confie la dentiste Nasrine David à l’un de ses patients croisés devant le Monoprix de la place centrale de Vernon [où sa famille s’était installée en 2008], tandis que Narjisse fait quelques courses. « Nous sommes fusionnelles. » Autant la nouvelle praticienne de l’Eure tient le reste de sa famille à distance, autant le lien quotidien avec sa jumelle s’est renforcé. Il n’y a de place pour personne d’autre dans sa vie, hormis son fils et son mari Eric, qui semble si épris.
(…)
[Fin 2012] les David ont quitté Vernon sans crier gare, du jour au lendemain, comme si le Conseil national de l’ordre [des chirurgiens-dentistes] allait les jeter en prison. Comme si des hordes de patients pouvaient encercler leur maison, comme si des créanciers s’apprêtaient à leur réclamer de rembourser leurs emprunts sur-le-champ, comme si un danger les menaçait, derrière les collines de Vernonnet. « Ils n’ont pas même pris un camion de déménagement, tout s’est fait en voiture », dit la voisine de la rue Paul-Doumer. Leur maison est mise en vente 300 000 euros, quasiment son prix d’achat.
Le charmant cabinet médical est aussi proposé aux agences immobilières de Vernon. Un ostéopathe parisien soucieux de se mettre au vert se montre vivement intéressé. Il doit patienter un moment : Eric et Nasrine David guettent en effet le feu vert de leurs créanciers, car, comme pour l’autre maison, ils sont liés à leurs emprunts. Trois ans après leur départ précipité, le bien est finalement négocié à trois quarts de son prix initial dans une étude notariale versaillaise où le chef de famille se rend seul, muni de la procuration de sa femme.
« Tout était resté en l’état dans le cabinet, me raconte l’ostéopathe de Vernon en sirotant un whisky glaçons dans l’ancienne salle d’attente devenue un coquet salon. Un départ à la cloche de bois, comme si on leur avait dit : “Vous avez trois heures”. » La fuite de Vernon. A l’étage, des ballons et des jeux d’enfants. Au rez-de-chaussée, abandonnés, le fauteuil de dentiste, « le matériel médical, la poudre pour les pansements dentaires », détaille depuis son canapé moelleux le « repreneur » de Vernon. « Elle avait même laissé deux cents mâchoires sur les étagères ! »
C’est sur cette évocation d’une forêt d’incisives et de molaires que je me décide à quitter la compagnie de mon hôte. Je ne veux pas rater le dernier train pour Paris-Saint-Lazare. J’avale le fond de mon verre et lève les yeux vers une lithographie d’un tableau de Monet – La Tamise à Charing-Cross. L’ostéopathe suit mon regard tout à coup fixé sur un drôle d’œilleton blanc dans un coin du plafond. Il devance ma question :
« Mme Feraoun a aussi laissé des caméras de surveillance. Du “Verisure”. Trois dedans, une dehors. »
(…)
[Le 15 mars 1962, six professeurs sont assassinés au centre social de Château-Royal, près d’Alger, par l’Organisation de l’armée secrète (OAS) en début de matinée. La victime la plus connue s’appelle Mouloud Feraoun, écrivain et futur grand-père des sœurs jumelles.]
J’ai pris rendez-vous dans un café avec Jean-Philippe Ould Aoudia. Ce médecin a passé trente ans à essayer de faire la lumière sur le massacre du 15 mars 1962 – la mort de son père, celle de [Mouloud] Feraoun, de quatre autres inspecteurs de l’éducation nationale –, et c’est honteuse que je dois avouer à ce monsieur de 82 ans venu me rejoindre à l’autre bout de Paris que je suis moins là pour lui parler de Château-Royal que du drame de Montreux. J’entends ma voix mal assurée se perdre dans des tas de circonvolutions. « Je vous explique ce qui m’amène, ce que je cherche exactement, les questions que je me pose, comment vous pourriez m’aider… » Jean-Philippe Ould Aoudia n’a pas la réputation d’un homme facile (…). Il a la critique rosse et aime la précision. Je me lance et décide d’aller au but. « Vous avez le droit de vous lever et de quitter la table si vous trouvez mes questions et mon intention indécentes. » Et j’évoque le « suicide collectif » du 24 mars 2022.
Un long silence s’installe à la table du bistrot. Je guette chaque tressaillement de son visage un brin sévère. Et puis, tout à coup, il lâche cette phrase, onze mots qui tissent un fil invisible entre lui, le valeureux fils de Salah, l’innocent fusillé, et elles, les deux jumelles du balcon de Montreux, les petites-filles de Mouloud Feraoun : « Le 15 mars 1962 a fait six victimes et vingt orphelins. »
(…)
« C’est une drôle d’entreprise dans laquelle vous vous lancez là, me dit Jean-Philippe Ould Aoudia en évoquant mon enquête sur Montreux. Je connais la solitude et les abîmes de la recherche. Moi-même je m’y suis frotté : le massacre de Château-Royal, j’étais seul face à une énigme. » Quelques investigations ont été lancées après le meurtre collectif du 15 mars 1962. Mais dans les archives déposées à Pierrefitte, l’enquête se limite à quelques dépositions, juste quelques pages volantes. Rien de plus. Personne n’a été inculpé pour avoir assassiné Marchand, Aoudia, Feraoun, Eymard, Basset et Hammoutène. Le chef du commando, Roger Degueldre, a été condamné à mort par la cour militaire de justice le 20 juin 1962 et exécuté au Fort d’Ivry, pour onze chefs d’accusation. Mais le crime de Château-Royal n’y figure pas, alors que la police connaissait son implication.
(…)
Dans ce récit, je bute sans cesse sur de petits cailloux blancs, des « coïncidences exagérées », pour reprendre le titre d’un roman. A moins d’être malhonnête, le journaliste ne peut pas en faire grand-chose : ces correspondances, ces dates, ces numéros de rue ne signifient rien. J’ignore si les petites-filles de Mouloud Feraoun savaient que leur trottoir avait été foulé par d’anciennes figures de la Résistance algérienne. Peut-être même auraient-elles détesté cet entrechoquement des mémoires, elles qui ne parlaient jamais, ou si rarement, du pays où étaient nés leurs parents.
(…)
J’ai lu quantité d’articles et de revues scientifiques sur ce trouble psychiatrique si particulier qu’est la paranoïa, faite de « méfiance excessive et irrationnelle envers les autres » et d’« idées délirantes de persécution ou de complot », entraînant un « comportement étrange ou inhabituel » et obligeant ceux qui en souffrent « à interpréter les actions ou les intentions des autres comme étant délibérément menaçantes ou malveillantes », provoquant parfois des colères, isolant un peu plus les malades du reste de la société. J’ai besoin de savoir comment cette maladie peut puiser loin, très loin, dans une généalogie.
« Vous avez entendu parler des TSPT, les troubles du stress post-traumatiques ? me répond le docteur Amine Benyamina [psychiatre à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif]. Par exemple, les gens qui ont vécu les attentats du Bataclan en 2015 sont sensibles à la moindre explosion, au moindre événement. Mouloud Feraoun a vécu la peur de manière réelle, objective. Mais cette angoisse a pu faire écho chez les générations suivantes. Il a pu creuser malgré lui le lit d’une décompensation pour une partie de sa descendance. » J’interromps son exposé. « Vous voulez dire que le danger au milieu duquel Mouloud Feraoun a vécu, ces menaces de sang et de mort dans lesquelles il évoluait, ont pu irriguer et créer, deux générations plus tard, un état traumatique ? »
(…)
Je suis assise face au commissaire Jean-Christophe Sauterel, à Lausanne, et j’ai l’impression étrange d’entendre l’exposé d’un biographe. « On ne sait pas tout. On ne saura pas tout. On ne pourra pas tout savoir. Il y a une partie de cette histoire et de cette journée pour laquelle on n’aura pas de réponse. Il faut juste admettre que dans ce genre de situations, il y a des secrets qu’on ne connaît jamais. L’être humain n’aime pas ne pas savoir, mais voilà. Il y a des choses qui appartiennent à cette famille. »
Quoi qu’elle en dise, la police vaudoise a été d’une discrétion étonnante dans cette affaire, cadenassant le dossier de toute part. (…) Le porte-parole de la police vaudoise ne veut pas plonger dans cette histoire franco-algérienne. Je le devine agacé quoiqu’il contrôle son humeur. « En Suisse, nous ne déroulons pas le pedigree des victimes et nous n’entrons pas dans la vie privée. Nous sommes là pour faire du pénal : nous devions la vérité sur la mort de ces quatre personnes à leur famille. Y a-t-il eu infraction ? Nous avons montré que personne n’avait pu entrer dans l’appartement et pousser ses occupants. Est-ce que l’histoire familiale de ces gens apporte des éléments objectifs à la recherche d’une responsabilité devant la loi ? Non. Le reste ne nous regarde plus. Nous ne sommes pas là pour faire de la psychologie ou de la sociologie. A chacun son métier. Pour nous, l’enquête s’arrête là. »
Une collègue des jumelles avait évoqué devant moi le goût de l’écriture de Nasrine Feraoun. J’ai voulu me promener dans ce monde méconnu de l’auto-édition. Je n’ai pas eu à naviguer très longtemps pour trouver la trace d’une dentiste française qui s’évadait dans les livres et publiait de longue date des romans de science-fiction à deux voix et à la première personne.
« Ne réveille pas les enfants », d’Ariane Chemin (Editions du sous-sol, 128 pages, 18,50 euros).
Les plaies des essais nucléaires menés par la France coloniale dans le Sahara algérien ne se referment pas, et ne se refermeront jamais si on continue encore à feindre l'ignorance du crime et de ses effets qui s'inscrivent dans la longue durée. Cacher les preuves en fermant les archives et ne pas reconnaître le crime ne sert à rien quand les séquelles se perpétuent dans le temps. Les essais nucléaires français au Sahara algérien resteront à jamais des crimes imprescriptibles engageant une «responsabilité juridique», a indiqué le Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) à travers un communiqué, publié à l'occasion de la Journée internationale contre les essais nucléaires, coïncidant au 29 août.
Le CNDH soutient que «toutes les circonstances ayant entouré ces explosions nucléaires et l'ampleur des effets des radiations qui en ont résultés sur la population de la région ne font aucun doute sur le caractère intentionnel et prémédité de ce crime».
La France, qui a fermé les archives liées aux essais nucléaires dans le Sahara algérien après une brève ouverture à la fin des années 90, tente-t-elle de dissocier ce dossier des actions visant la réconciliation mémorielle ? Ce n'est pas innocent qu'on garde la chape de plomb sur ces événements dans des moments où on parle de réconciliation des mémoires et d'assouplissement de l'accès aux archives devant les chercheurs.
La France a décidé d'ouvrir les archives dans les «affaires relatives à des faits commis en relation avec la guerre d'Algérie entre le 1er novembre 1954 et le 31 décembre 1966», et les essais nucléaires dans le Sahara algérien ne font pas partie de ces faits. Un secret militaire qu'on ne veut pas livrer à l'opinion publique ? Toute la période coloniale, gérée par les militaires, en collaboration avec des civiles pour faire tourner la machine administrative, est empreinte de pleins de secrets militaires, qui n'ont pas résisté à l'éclatement de la vérité, à l'enseigne de la torture qu'on ne voulait pas reconnaître, mais on a fini par passer aux aveux.
Seuls ces essais nucléaires ne veulent pas livrer leur secret. Enfin, pas si secret que cela en a l'air, puisque des témoignages d'Algériens et de soldats français qui ont vécu cette époque, et qui en souffrent dans leur chair de nos jours, ont tout dit, tout ce qu'il y a lieu de savoir sur ces horreurs. Mais là où le bât blesse encore plus, c'est que la France persiste encore dans son crime en refusant de collaborer avec l'Algérie dans le cadre de la décontamination nécessaire des sites où ont eu lieu les essais nucléaires. Le minimum de son devoir. L'Algérie ne cherche pas «les indemnisations adéquates, mais seulement l'application des méthodes scientifiques pour trouver des solutions adaptées aux problèmes environnementaux qui exigent une décontamination totale», comme l'a relevé le communiqué du CNDH.
Il reste seulement à se demander s'il n'est pas plus entreprenant de se tourner vers d'autres parties pour effectuer cette décontamination. Et, tant qu'on y est, saisir les instances internationales pour la reconnaissance de ce crime contre l'Humanité. On ne doit plus rien attendre après soixante ans de silence.
Avec sa décision d’interdire l’abaya dans les établissements scolaires, le ministre de l’éducation nationale Gabriel Attal poursuit l’encadrement politique du religieux. Cette « nouvelle laïcité » promue par Emmanuel Macron entraine une stigmatisation toujours plus poussée des musulman·es et assigne le corps éducatif au rôle de police des intentions.
Saint-Denis de la Réunion, le 17 août 2023. Le ministre français de l’éducation et de la jeunesse Gabriel Attal assiste à la rentrée des classes au collège Bourbon
Richard Bouhet/AF
Comment expliquer la récurrence des polémiques autour des « signes religieux » dans les écoles publiques, alors que le principal problème de ces établissements est la pénurie sans précédent de professeurs et de personnel éducatif ? L’argument de la diversion échoue à rendre compte de l’ampleur de l’offensive réactionnaire. Celle-ci a érigé depuis trois décennies la défense d’une « laïcité assiégée » érigée en cause nationale, mobilisable à tout moment. Y compris en temps de crise ou d’agitation sociale. La catégorie des « atteintes à la laïcité » permet désormais de donner corps à une panique morale1, tout en appelant une réponse des pouvoirs publics pour endiguer un phénomène jugé inquiétant, au besoin par l’adoption de nouvelles mesures restrictives telles l’interdiction des abayas annoncée à la veille de la rentrée scolaire par le ministre de l’éducation nationale Gabriel Attal.
Pour démêler l’écheveau autour de la laïcité à l’école, devenue une laïcité essentiellement négative, il convient de distinguer deux aspects. Le premier a trait à la loi de 2004 elle-même, son texte et son esprit, au renversement de sens qu’elle opère et à ses conséquences pratiques depuis son entrée en vigueur il y a vingt ans. Le second renvoie à la question plus ancienne du sécularisme français et à l’encadrement politique du « religieux ».
L’INTERDICTION COMME PRINCIPE, L’AUTORISATION COMME EXCEPTION
Année du bicentenaire de la Révolution française, 1989 marque la première « affaire du foulard » à l’école. À Creil, en région parisienne, le principal du collège Gabriel-Havez exclut temporairement trois élèves (Fatima, Leïla et Samira) qui refusent d’enlever leur foulard en classe. Le tapage médiatique et politique autour de cette affaire conduit le ministre de l’éducation nationale de l’époque, Lionel Jospin, à saisir pour avis le Conseil d’État pour savoir si « le port de signes d’appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité », et à quelles conditions ce port pourrait être admis.
Dans son avis du 27 novembre 1989, le Conseil d’État pose une autorisation de principe des signes religieux à l’école :
Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses.
La haute juridiction administrative entoure toutefois cette autorisation de principe de réserves. Le port de signes d’appartenance religieuse par les élèves ne doit pas constituer un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, et ne doit pas porter atteinte à la dignité ou à la liberté de l’élève ou d’autres membres de la communauté éducative, ni compromettre leur santé ou leur sécurité, ni perturber le déroulement des cours et le rôle éducatif des enseignants, ni enfin troubler le fonctionnement normal du service public.
Sur le fondement de cet avis, la jurisprudence administrative a donc autorisé le port de signes religieux sous les réserves émises par le Conseil d’État. La plupart des décisions étaient rendues en faveur des élèves (le plus souvent musulmanes) et venaient infirmer les exclusions prononcées contre elles. La loi du 15 mars 2004 va opérer un renversement complet de la logique à l’œuvre. L’interdiction devient de principe, tandis que l’autorisation demeure l’exception.
LE COUP DE FORCE DE LA LOI DE 2004
Le contexte politique du début de millénaire, marqué par les attentats du 11 septembre 2001 et une polarisation du débat public en France autour des thèmes de l’islam et de la laïcité, sur fond de discours sur le « choc des civilisations », a permis le coup de force opéré en 2004 par le législateur : assurer la neutralité du service public en matière religieuse en faisant peser l’obligation de neutralité non plus seulement sur les agents, mais sur ses usagers.
À la suite des travaux de la « Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité » installée par Jacques Chirac à l’été 2003, plus connue sous le nom de « Commission Stasi », la loi sur les signes religieux à l’école est adoptée le 15 mars 2004. Elle ajoute un article L. 141-5-1 du Code de l’éducation, qui interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».
Quelques semaines plus tard, la circulaire 2004-084 du 18 mai 2004, qui précise les modalités d’application de la loi, est venue étendre le champ de l’interdiction. Ce texte passé presque inaperçu à l’époque distingue en effet deux types de signes ou vêtements religieux. D’un côté, ceux « dont le port conduit à se faire immédiatement reconnaître par son appartenance religieuse comme le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kippa ou une croix de dimension manifestement excessive ». De l’autre, les tenues a priori anodines auxquelles l’élève attache un « caractère religieux », qui peuvent être assimilées à une tentative de contourner la loi. Si l’expression « signes religieux par destination » n’est pas employée dans la circulaire, on la retrouve toutefois dans des articles de doctrine2.
SONDER « L’INTENTION RELIGIEUSE »
En mettant en garde sur la possible apparition de « nouveaux signes », la circulaire Fillon, du nom du ministre de l’éducation nationale d’alors, va plus loin que l’interdiction posée par la loi. À côté de l’élément objectif (la manifestation ostensible d’une appartenance religieuse), elle ajoute un élément subjectif : le comportement ou les intentions de l’élève.
Placé au cœur du dispositif, cet élément intentionnel plonge les chefs d’établissement dans une casuistique délicate qui prend souvent la forme de mesures de profilage racial3. Certains conseillers principaux d’éducation (CPE) demandent par exemple aux surveillants d’établir des listes d’élèves qui portent le voile en dehors de l’école, pour pouvoir ensuite déterminer si leurs tenues portées dans l’établissement sont « religieuses ». En droite ligne de la circulaire, l’ancien ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, indiquait dans les colonnes d’un quotidien du soir la marche à suivre :
Est-ce que la jeune fille qui porte telle ou telle robe la met régulièrement ? Est-ce qu’elle refuse de changer de tenue, est-ce que cela s’accompagne d’autres signaux ? Voilà des éléments qui peuvent laisser à penser qu’il s’agit bien d’un signe religieux amenant à du prosélytisme4.
Il appartient alors aux directeurs et directrices d’établissement de qualifier une tenue de « religieuse » sur la base de ce qu’elles ou ils connaissent ou croient connaitre des religions en question, en particulier de l’islam. Le personnel éducatif doit se faire expert en religion, au nom même de la garantie de neutralité du service public de l’enseignement, pour déterminer si la tenue litigieuse est bien un signe de la religion de l’élève.
DES SIGNALEMENTS POUR « ATTEINTE À LA LAÏCITÉ »
Pour aider le personnel éducatif à déchiffrer l’intention « religieuse » des élèves, les autorités ont mis en place un certain nombre d’outils et de ressources pédagogiques, parmi lesquels un formulaire en ligne « atteinte à la laïcité », réservé à tous les personnels de l’éducation nationale. Ces derniers sont invités à l’utiliser s’ils « pressentent que le principe de laïcité est remis en cause ». Les signalements collectés sont ensuite classés par type d’atteinte et rendus publics, sur le modèle des « chiffres de la délinquance ».
En dépit de l’autorité dont on tente de la parer, la catégorie des « atteintes à la laïcité » n’a rien d’objectif. Fonctionnant sur une base déclarative, elle mesure les signalements effectués de manière unilatérale et non contradictoire par le personnel éducatif, en fonction de ses opinions sur les questions de laïcité et d’islam, qui concerne la quasi-totalité des signalements. Autrement dit, c’est un décompte des dénonciations, qui peut tout au plus servir de baromètre de l’opinion au sein du personnel éducatif.
Mais cette catégorie remplit d’autres objectifs. Elle donne corps aux paniques morales autour de la visibilité du fait musulman et appelle une réponse des autorités face à un phénomène que l’on peut désormais mesurer, dénoncer, et par suite, juguler. Un article de L’Opinion titrait en juin 2022 : « L’Éducation nationale confrontée à une "épidémie" de tenues islamiques ».« Quand il y a des épidémies, il faut qu’il y ait des symptômes, et on mesure », réagissait dans la foulée le président de la République, assurant qu’il comptait bien avec son ministre « regarder, mesurer et répondre avec la plus grande clarté à toutes les situations qui ne respectent pas les lois de la République ».
UNE VISION AUTORITAIRE DE LA LAÏCITÉ
La reconfiguration du paysage intellectuel autour de la promotion d’une « nouvelle laïcité »5, les politiques menées par les majorités successives et la « mise en ordre » médiatique du sens commun sur l’islam ont permis, nourri et intensifié cette extension du domaine de la neutralité religieuse. L’interdiction de toute expression religieuse ostensible en divers espaces conduit, non pas à un reflux du « religieux », mais à sa politisation permanente. « La République est testée », déclare ainsi Gabriel Attal le lundi 28 août 2023 à propos du port d’abayas à l’école. Il ne s’agit donc pas d’une entorse au principe de laïcité, mais de la promotion d’une vision autoritaire de celui-ci, qui veut que l’État encadre strictement les religions.
Nous avons tendance à oublier que la loi du 9 décembre 1905 sur la laïcité hérite de toute la tradition concordataire mise en place par Napoléon Bonaparte, notamment l’institution, le financement et le contrôle des cultes sous la forme d’instances verticales et représentatives. Si elle interdit formellement le financement des cultes, cette loi reprend néanmoins dans son titre V les dispositions sur la « police des cultes » (articles 25 à 36).
Entre le principe de séparation et de stricte neutralité de l’État, celui de liberté religieuse, ou enfin celui de surveillance et de contrôle des cultes par les pouvoirs publics, une bataille à la fois politique et intellectuelle a lieu sur la manière de comprendre et d’articuler ces visions concurrentes. L’œuvre pionnière de Talal Asad sur le sécularisme6, montre que la laïcité ne se définit pas seulement par le principe de séparation du politique et du religieux, mais comme un processus de redéfinition de ce qu’est censée être la religion.
Dans ce processus, le « laïque » est défini par opposition à son envers, le « religieux ». Cette production permanente de la séparation est au cœur du procès de sécularisation. D’autant que l’islam est considéré comme le lieu même de la confusion entre politique et religieux, ce qui explique par exemple que des tenues décrites comme islamiques soient assimilées à des actes de prosélytisme, comme l’a exprimé Pap Ndiaye.
SORTIR DU TROU NOIR
Invisible et extrêmement compact, le trou noir est un phénomène astrophysique atypique, dont le champ gravitationnel est si intense que rien ne peut en sortir. Pas même la lumière. C’est ce qui fit dire à Edgar Morin en 1989 au moment de la première « affaire du foulard », qu’on ne savait plus exactement ce que signifiait la laïcité, et qu’un « trou noir » s’était creusé sous ce terme7. Comment retrouver un sens de la notion qui puisse permettre de renouer avec ses objectifs initiaux de neutralité et de liberté de croyance ?
La première chose à faire est de sortir de l’impasse que constitue l’argument de la diversion. Dans son analyse de l’antisémitisme, Hannah Arendt avertit d’emblée son lectorat contre la tentation de faire de l’idéologie raciste nazie un simple « moyen de gagner les masses » ou un « artifice démagogique »8 Dans le sillage d’Arendt, nous devons, mutatis mutandis, comprendre que le racisme systémique ne s’est pas cristallisé de manière accidentelle sur les personnes musulmanes, et prendre au sérieux ce que les racistes eux-mêmes proclament. Sans cela, le risque est grand de laisser un boulevard à la réaction, qui ne se prive pas depuis des décennies de profiter des atermoiements des forces de gauche sur le sujet.
Il convient ensuite d’abandonner la polarisation du débat autour de la qualification de tenue « religieuse ». Le philosophe Jean-Fabien Spitz fait remarquer, dans la lignée des arguments développés en son temps par Aristide Briand, que « l’idée même d’un vêtement "religieux " est une absurdité. Dans une république laïque, aucun vêtement n’est musulman, ni juif, ni chrétien »9. La loi de 2004 prohibe « les signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». C’est bien ce texte et son interprétation stricte par le Conseil d’État qui constitue le nœud du problème, en demandant au personnel éducatif de déchiffrer en permanence l’appartenance religieuse des élèves.
Donner un cadre d’expression au personnel éducatif qui refuse le rôle policier qu’on lui assigne est tout aussi important. Les élèves musulmanes viennent à l’école pour apprendre, non pour discuter de la longueur ou de l’amplitude de leurs robes. La prise en compte de l’érosion de l’autorité du corps professoral et de ses conditions de travail et de rémunération est essentielle pour saisir les raisons pour lesquelles une partie de ce personnel rallie « à sa façon l’idéologie sécuritaire, où se combinent le sentiment d’impuissance, l’appel à l’autorité étatique et la peur des transformations du monde contemporain ».10
Il convient enfin de contester les usages de la laïcité dans un sens toujours plus attentatoire aux libertés d’expression et de conviction. Que la notion soit « passée à droite » — et souvent à l’extrême droite — est un phénomène déroutant, mais pas exceptionnel : songeons à l’instrumentalisation tout aussi intéressée du féminisme ou de la cause LGBT à des fins racistes. Signifiant flottant par excellence, au même titre que la démocratie, la laïcité est l’enjeu de conflits et d’âpres débats. Ne pas laisser l’idée laïque à celles et ceux qui veulent en faire une arme de ségrégation massive est une question de première importance.
Une religion quelconque ne se brode pas sur une machine à coudre ni se limite à une couverture qui abrite un corps. Si l'habit ne fait pas le moine, pourquoi le même habit ferait-il forcément un (e) imam (a) ?
Cette laïcité, à défendre avec toute la légitimité nécessaire et qui est certes le fondement de la république, reste, pour le devoir d'y adhérer, à se faire vêtir d'abord dans une tête. Ensuite, elle est censée aller se nourrir dans l'action et le verbe que ce soit dans l'école ou dans la rue ou partout ailleurs. La laïcité, cette séparation noble et adéquate entre une foi personnelle et une institution publique se construit comme un contrat social. Elle est générale, abstraite et impérative, comme une règle de droit. Car si dieu ou l'un de ses prophètes peut circuler dans les boulevards, s'attabler aux cafés, valider son navigo pourquoi est-il expulsable que de l'école ?
Apres tant de trucs, voilà une trouvaille pré-électorale à dénicher dans la garde-robe politique, pour décintrer et retirer un effet vestimentaire polémique. L'abbaya. C'est quoi au juste ? Il faudrait recourir à l'expertise d'un tisserand, d'un imminent couturier pour faire rejaillir une définition exacte de ce vêtement, son histoire, son utilité et éventuellement son empreinte théologique, le cas échéant.
La religion n'a pas besoin d'exhiber ses théorèmes par la confection et le tissage des effets de mode ou de la perpétuation d'autres. La plus redoutable de sa transmission reste la conviction. S'il fallait prendre la laïcité comme « religion » à pratiquer dans un vivre ensemble, ce n'est pas l'interdiction, sans pédagogie d'une tenue hybride, non exclusive, affectée d'une mauvaise identification qu'elle serait sauvée ou sauvegardée.
Allez-vous empêcher l'accès au lycée à une jeune fille qui se présente en robe longue colorée faite de denim, de toile ou en tissu wax ou jeans effilé ? Est-ce votre maudite abbaya est uniquement noire, soyeuse et satinée comme celles que l'on porte dans les monarchies du Golfe, tant pour la frime que pour un rajout de sensualité féminine? L'autre abbaya, celle des démunies, des femmes d'en bas de ces régions rurales ou autres n'est historiquement, qu'un habit traditionnel propre à leurs us et coutumes de climat et de relief, à priori sans nul symbole religieux et que c'est l'Occident frileux à la mouvance extrémiste qui s'apprête à le répertorier ainsi. C'est tout récemment qu'elle est devenue une pièce d'identité religieuse aux dépends de la barbe oubliée, voire banalisée des « barbus » honnis.
Une tenue ne se différencie d'une autre que par une géographie, une aisance de port, un métier, une obligation, un besoin, etc. Elle n'a jamais créé une religion, elles se portaient pourtant bien, ces tenues avant même l'apparition de toutes les croyances y compris le satané wahabisme.
L'abbaya n'est pas génétiquement islamique. Elle est d'essence moyen-orientale, comme la gandoura, la djebba, la mlaya, la melhfa , le haïk qui tirent leur origine du Maghreb ou la robe africaine, le boubou, le sari indien et tutu quanti.
Je crois que la France est dans le devoir, en sa totale souveraineté de récupérer sa sève matricielle de liberté et d'égalité et d'agir dans la maîtrise de cette transhumance humaine qui la dérange et semble lui causer énormément de problèmes d'insertion. L'abbaya n'en n'est intrinsèquement pas la cause. Voir ailleurs, peut-être une tenue scolaire unique réglementaire.
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