Reinette l’Oranaise ne s’écoute pas comme n’importe quelle artiste. Sa voix mélodieuse se déguste sans modération et s’écoute avec recueillement. Son timbre de diva donnerait des frissons à un glaçon ! Avec Lili Boniche et Lyne Monty, elle fait partie de ces grands trésors du patrimoine judéo-arabe disparus de la mémoire collective.
Les tubes de Reinette transpirent une intemporalité avérée puisqu’elle y parle de sujets universels tels que l’amour et les incantations religieuses. À noter que le grand classique nhebek, wa n’mout a3lik (je t’aime à mourir), lequel totalise près d’un million de vues sur YouTube, a été repris par Naima Dziria avec la même puissance vocale que la version originale ! À signaler cependant que les paroles ont été quelque peu « hallalisées ». Par exemple, le vers original « lila t’seker m3aya » (cette nuit, tu te grisera avec moi) a été remplacé par « lila t’ebkaw m’3aya » (cette nuit, vous resterez avec moi).
Biographie (*)
Reinette l’Oranaise est une chanteuse, joueuse de oud et compositrice judéo-arabe, d’expression arabe et française, née le 25 avril 1915 à Tiaret. Elle est morte le 17 novembre 1998 à Eaubonne (Val-d’Oise, en île de France).
Elle fut pendant plus d’un demi-siècle une représentante de la tradition hawzi.
Enfance
Atteinte de cécité à l’âge de deux ans, à la suite d’une variole mal guérie, elle fréquente l’école des aveugles d’Alger où elle apprend le braille et le cannage des chaises.
Son père s’adresse alors à Saoud l’Oranais pour qu’il initie sa fille à la musique arabo-andalouse. Elle est accueillie chez lui et prend le surnom Reinette l’Oranaise.
Initiation
Reinette enregistre son premier 78 tours — dont elle dira plus tard peiner à l’écouter « à cause des fautes de diction » — en même temps qu’elle intègre l’orchestre de Saoud Médioni (qui émigrera à Paris pour y pour monter un café musical et sera, quelques années après, victime de la barbarie nazie, mort en déportation).
L’apprentissage instrumental passe de la darbouka et la mandole à l’oud qui accompagne désormais son chant. Elle s’inscrit ainsi dans la tradition de la musique oranaise, y puisant son inspiration pour écrire et composer.
À 26 ans, le succès est au rendez-vous. Elle joue deux fois par semaine à Radio-Alger, à l’antenne des artistes les plus connus du chaâbi algérois et du répertoire andalou.
Consécration
Elle est accompagnée de musiciens tels que le virtuose Mustapha Skandrani au piano, Alilou à la darbouka, Abdelghani Belkaïd au violon. Elle interprète, à l’instar des plus grandes voix de la chanson populaire et de la musique savante du Maghreb : Fadela Dziria, Meriem Fekkaï, Alice Fitoussi, Zohra al-Fassia, Abdelkrim Dali, Dahmane Ben Achour. Reinette l’Oranaise accompagne aussi le maître du chaâbi, Hadj El Anka.
Elle continue à exercer son art musical à l’occasion de fêtes juives et musulmanes, mariages, circoncisions, anniversaires. Comme juive séfarade, elle est même autorisée à chanter dans un orchestre d’hommes. Son nouveau maître de chant, le cheikh Abderrahmane Belhocine, lui donne des cours d’arabe classique et lui fait travailler la diction.
Oubli avant une reconnaissance tardive
Comme la plupart des Juifs d’Algérie (plus de cent mille), Reinette quitte l’Algérie en 1962. Commence alors pour elle une longue période de repli, quasiment d’oubli et de grande solitude. En 1985, Reinette, à l’approche de ses 70 ans, ne songe plus qu’à cultiver ses souvenirs. Il faudra toute la ténacité de Hoummous, alors journaliste musical à Libération, grand fan de Reinette, et l’appui d’une génération de mélomanes français pour la convaincre de remonter sur scène.
En 1987, elle tourne un court film musical : « Amours éternelles », avec le grand pianiste algérien Mustafa Skandrani (sélection au Festival de Cannes).
En 1991, Jacqueline Gozland lui consacre un long métrage documentaire : « Le port des amours » coproduit et édité par la chaîne de télévision ARTE. Une amitié se noue entre elles.
En 1995, Reinette l’Oranaise vit en banlieue parisienne, aux côtés de son époux, Georges Layani, un percussionniste. Elle est alors couronnée par l’Académie Charles-Cros et est reconnue par les Algériens de la tradition du style hawzi.
Devenue une légende de la chanson judéo-arabe, sa voix s’éteint à Paris, le 17 novembre 1998 à l’âge de 83 ans.
Le 15 décembre de chaque année, les gens de lettres arabes commémorent l’assassinat de Belqis, la femme du grand poète arabe Nizar Qabbani, en 1981. Après ce triste événement, il cessa d’écrire sur l’amour. Et le monde arabe ne fut plus jamais le même.
« Dispersés » est définitivement l’adjectif qui revient sans cesse lorsque ma famille parle de l’Irak, car il décrit la première conséquence, pour nous, de la chute de Bagdad en 2003 après l’invasion américaine : nous avons plié bagage et quitté notre terre natale. Nous nous sommes dispersés en emportant avec nous nos souvenirs, bons et mauvais. D’ailleurs, tous ceux qui sont revenus à Bagdad en ont gardé la même impression : une ville sans ses âmes ne fait plus le même effet.
Comme beaucoup de familles irakiennes, ma famille a été contrainte de vendre la maison dans laquelle nous vivions depuis trois générations. La situation du pays est telle que beaucoup de familles issues de la classe moyenne irakienne ont vendu leur propriété pour immigrer à l’étranger. Le retour espéré vers la terre natale a été reporté, voire oublié pour beaucoup.
Bagdad a subi un changement démographique assez conséquent, et les grandes familles bagdadiennes qui ont fait la grandeur de cette ville ont laissé derrière elles tout un tas de souvenirs de bons voisinages, d’histoires d’amour, d’amitiés et un folklore orphelin des gens qui l’incarnaient.
Nous avons donc emporté des souvenirs de famille que nos parents tentent de nous transmettre afin que nous n’oubliions pas notre histoire. C’est le seul trésor que l’on peut offrir aux nouvelles générations quand tout a été perdu, ou presque.
Suite au décès de Belqis, Nizar Qabbani est inconsolable. Il n’écrira plus jamais sur l’amour, tout son talent sera dorénavant investi à dévoiler la lâcheté des dirigeants arabes
Parmi ces souvenirs, il y en a un qui m’a marqué plus que d’autres. Je ne l’ai pas vécu personnellement car je n’étais pas né à ce moment-là, mais c’est un événement que nous commémorons tous les ans. Chaque 15 décembre, nous écrivons des articles à son propos ou publions, ère digitale oblige, des messages sur les réseaux sociaux.
L’événement se déroule en plein hiver à Beyrouth, alors en pleine guerre civile. Le 15 décembre 1981, à midi, une voiture s’arrête devant l’ambassade irakienne de la capitale libanaise. L’Irak est alors en guerre depuis plusieurs mois avec l’Iran. Belqis al-Rawi, femme du grand poète syrien Nizar Qabbani, travaille depuis quelques temps au service presse de l’ambassade irakienne au Liban auprès du frère de mon grand-père, Harith Taqa, à la tête du service depuis un an.
Belqis et Harith ont des bureaux adjacents. L’amitié entre leurs familles respectives date d’une dizaine d’années, lorsque Nizar Qabbani venait à Bagdad pour les festivals de poésie auxquels participait également mon grand-père, Shathel Taqa.
La voiture est remplie d’explosifs. Elle passe le portail de l’ambassade et se gare dans le sous-sol. Quelques instants plus tard, tout le bâtiment de trois étages s’écroule. L’État irakien vient d’être frappé en plein cœur de Beyrouth. On dénombre plusieurs blessés et une dizaine de morts, parmi eux Harith Taqa et Belqis al-Rawi, la dulcinée de Nizar Qabbani, celle à qui il va dédier l’un des poèmes les plus douloureux de la poésie arabe moderne.
Connaissez-vous ma bien aimée Belqis ? Elle est le plus beau texte des œuvres de l’Amour, Elle fut un doux mélange De velours et de beau marbre.
Dans ses yeux, on voyait la violette S’assoupir sans dormir. Belqis, parfum dans mon souvenir ! Ô tombe voyageant dans les nues !
Ils t’ont tuée à Beyrouth Comme n’importe quelle autre biche, Après avoir tué le verbe.
Belqis, ce n’est pas une élégie que je compose, Mais je fais mes adieux aux Arabes,
Belqis, tu nous manques… tu nous manques... Tu nous manques...
« Un poème pour Belqis » (1982)
Selon sa sœur Nibal, Belqis devait quitter l’ambassade un peu plus tôt cette matinée, elle souhaitait acheter des cassettes vidéo pour ces deux enfants mais elle n’avait pas pu à cause de la masse de travail qu’elle devait terminer.
Harith Taqa avait-il deviné le drame ? Ses amis racontent qu’avant son départ pour Beyrouth, alors qu’il venait de terminer sa mission à Rome, il avait prononcé une phrase qui avait interloqué ses amis. Après les avoir invités à se réunir autour de lui, il leur avait dit : « Venez prendre votre dernière photo avec moi ».
Encore aujourd’hui, on se rappelle de cette phrase prémonitoire avec un certain frisson. Tout est écrit et Harith l’avait senti.
Suite au décès de Belqis, Nizar Qabbani est inconsolable. Il n’écrira plus jamais sur l’amour, tout son talent sera dorénavant investi à dévoiler la lâcheté des dirigeants arabes. Pourtant, l’histoire de Belqis et Nizar avait si bien commencé, plus de dix ans auparavant à Bagdad.
Bagdad, le nid des amoureux
En cette année 1969, le 9e Festival de la poésie arabe se déroulait à Bagdad. Ces festivals, qui se déroulaient chaque année dans une ville arabe différente, n’avaient pas seulement une portée littéraire, ils étaient également une occasion pour les poètes arabes de clamer leur soutien aux causes panarabes.
Nizar Qabbani se distinguait par un trait particulier : il s’adressait directement aux femmes arabes, il leur chantait ses louanges, leur faisait la cour, leur adressait ses plus beaux vers. Bref, il remettait les femmes arabes sur un piédestal
Deux ans auparavant, le monde arabe s’était réveillé sous le choc après la débâcle de 1967 face à Israël. Le moral de la rue arabe était au plus bas ; il était alors urgent pour les intellectuels et poètes arabes de remobiliser les peuples du monde arabe devant les défis qui se profilaient devant eux.
Nizar Qabbani était à cette époque l’un des grands noms de la scène littéraire arabe ; il se distinguait par un trait particulier : il s’adressait directement aux femmes arabes, il leur chantait ses louanges, leur faisait la cour, leur adressait ses plus beaux vers. Bref, Nizar Qabbani remettait les femmes arabes sur un piédestal.
Ses poèmes étaient repris par de grands chanteurs de la scène arabe, d’Oum Kalthoum à Mohammed Abdel Wahab en passant par Abdel Halim Hafez. Le natif de Damas n’hésitait pas à écrire sur tous les thèmes importants de l’époque, avec une certaine liberté, quitte à irriter certains.
Votre amour m’a appris à être triste,
Et moi, depuis des siècles, j’avais besoin d’une femme qui me rende triste,
Une femme dans les bras de laquelle je pleurerais comme un oiseau,
Une femme qui rassemblerait mes parties comme les morceaux d’un vase brisé.
Votre amour, chère dame, m’a appris les pires manières.
Il m’a appris à regarder ma tasse mille fois en une nuit,
À tenter les remèdes des guérisseurs et frapper aux portes des voyantes,
Il m’a appris à sortir de chez moi pour brosser les trottoirs des ruelles
Et poursuivre votre visage sous la pluie et entre les feux des automobiles,
À collecter de vos yeux des millions d’étoiles.
Ô femme, qui a assommé le monde, ô ma douleur, ô douleur des nays [flûte de roseau]
« L’école de l’amour » (1970)
En 1969, Nizar Qabbani était donc à Bagdad pour le festival de la poésie, mais ce n’était pas la seule raison de sa venue. Il était de nouveau amoureux et, cette fois-ci, son cœur battait pour une jeune Irakienne. Fille d’un officier irakien, Belqis al-Rawi était enseignante à Bagdad.
Comme beaucoup de femmes irakiennes de son époque, elle bénéficiait d’un environnement social qui encourageait la liberté et l’éducation des femmes. Engagée, comme nombreuses femmes arabes de son époque, Belqis était portée par le panarabisme ambiant et faisait partie d’un comité d’Irakiennes en soutien à la cause palestinienne.
Les déboires amoureux de Nizar arrivèrent à l’oreille du président irakien de l’époque, Ahmad Hassan al-Bakr, qui s’en émut et n’hésita pas à appeler personnellement le père de Belqis
C’est au cours d’un récital de poésie que Nizar Qabbani rencontra Belqis al-Rawi. Depuis cette rencontre, il ne put la quitter. À la fin du festival, Nizar Qabbani dédia un de ses vers à sa bien-aimée : « Quel est ce beau visage que je vois à Adamiya [quartier de Bagdad]… si le Ciel le voyait, il en serait jaloux ».
Le poète syrien décida de franchir le pas et se présenta devant le père de Belqis pour demander sa main. Ce dernier ne crut pas au sérieux de la demande et refusa plusieurs fois Nizar Qabbani.
Les déboires amoureux de Nizar arrivèrent à l’oreille du président irakien de l’époque, Ahmad Hassan al-Bakr, qui s’en émut et n’hésita pas à appeler personnellement le père de Belqis. Le président socialiste ne s’arrêta pas à là ; il envoya deux de ses ministres, également poètes et amis de Nizar : Shathel Taqa, mon grand-père, secrétaire général du ministère de l’Information et futur ministre des Affaires étrangères, et Shafik al-Kamali, futur ministre de la jeunesse. Le père de Belqis devait céder.
Trop jeune, à 11 ans, pour se rappeler les détails de l’événement, mon père se souvient toutefois que la visite de Nizar et Belqis à la maison familiale l’avait interpelé. Il espérait alors être parmi les personnes présentes dans la salle des invités, mais c’était peine perdue : il n’eut que le droit d’entrer et de dire bonjour aux invités en compagnie de ses sœurs.
Mon père apprit plus tard que cet événement fut l’occasion pour les deux amants d’annoncer leur union. Plusieurs amis de Nizar Qabbani étaient présents ce jour-là, dont l’écrivain et psychiatre palestinien Ali Kamel, les célèbres médecins irakiens Dr. Ghazi Jamil et Dr. Saniha Amin Zaki, et d’autres invités dont mon père ne parvient à se rappeler les noms.
À l’époque, les journées du festival de la poésie moderne semblaient interminables, ma grand-mère se plaignait de ne plus voir son mari. Nizar Qabbani, Shathel Taqa et les autres poètes tenaient des salons de poésie informels même après la fin des sessions du festival.
La fin d’une époque
Nizar et Belqis déménagèrent à Beyrouth, l’une des villes arabes où se retrouvaient nombre d’intellectuels et de femmes et hommes de lettres du monde arabe à l’époque. L’adage était bien connu dans la région : « L’Égypte écrit, le Liban imprime, l’Irak lit ».
Dans une lettre que Nizar Qabbani envoya à mon grand-père en 1974 pour le féliciter de sa nomination en tant que ministre des Affaires étrangères, le poète de Damas l’encouragea à ne pas se laisser aspirer par le travail politique au détriment de la poésie.
L’époque était aux engagements patriotiques, c’était une manière pour elle de s’engager pour son pays au nom des valeurs panarabes qu’elle chérissait
Nizar décrivait également dans cette lettre comment l’atmosphère de sa maison était, depuis son mariage avec Belqis, imprégnée de culture irakienne ; le poète citait l’odeur de la fameuse bamya (sauce de gombo avec de la viande) que les Irakiens mangent avec du riz, entre autres spécialités irakiennes.
Ma grand-mère raconte une visite qu’elle rendit aux Qabbani la même année ; elle fut reçue à l’aéroport de Beyrouth par Belqis, accompagnée de l’écrivaine irakienne Daisy al-Amir. Elle resta quelques jours auprès de ses amis avant de revenir à Bagdad. Lorsque, quelques mois plus tard, mon grand-père décéda alors qu’il participait, en tant que ministre des Affaires étrangères, à un sommet ministériel à Rabat, Nizar Qabbani envoya un câble à ma grand-mère formulé en ces termes : « Il était ton bien-aimé, notre bien-aimé, il était le meilleur des hommes ».
À la fin des années 70, la vie est compliquée pour le couple Qabbani tant les déplacements étaient devenus difficiles dans une Beyrouth où régnait l’insécurité. La vie sociale se résumait à quelques rencontres avec une poignée d’amis qui habitaient non loin de leur domicile.
Malgré les risques, Belqis n’avait toutefois pas hésité à rejoindre l’ambassade irakienne à Beyrouth. L’époque était aux engagements patriotiques, c’était une manière pour elle de s’engager pour son pays au nom des valeurs panarabes qu’elle chérissait.
La mort de Belqis eut quelque chose de symbolique puisque le monde arabe sembla quitter une ère d’espoir, de convivialité et d’amour pour entrer dans une autre tournée vers la guerre, l’extrémisme et la haine
Il fallut plusieurs jours aux forces de la protection civile pour retrouver les corps de Belqis, Harith et des autres martyrs. Toute la presse arabe se fit l’écho de ce crime odieux qui coûta la vie à une dizaine d’innocents encore dans la force de l’âge.
Mon père raconte la scène du poète Hashim al-Taan, venu, inquiet, s’enquérir de ses amis dans notre maison familiale. Lorsque ma grand-mère lui apprit que Harith était encore sous les débris et qu’elle n’avait aucune nouvelle de lui, il posa sa main sur son cœur pour témoigner de son effondrement et quitta notre maison avec peine. Des passants le retrouvèrent effondré par terre, inconscient, à quelques pas de chez nous. Il décéda quelques minutes plus tard.
Nizar Qabbani ne fut plus le même après cet événement. Il quitta Beyrouth et partit se réfugier à Londres. L’amour quitta définitivement le poète syrien, qui n’écrivit plus que des poèmes corrosifs contre le pouvoir politique dans le monde arabe.
La mort de Belqis eut quelque chose de symbolique puisque le monde arabe sembla quitter une ère d’espoir, de convivialité et d’amour pour entrer dans une autre tournée vers la guerre, l’extrémisme et la haine.
Cette période paraît aujourd’hui presque inconcevable pour les générations contemporaines qui n’ont que les photographies comme témoignages d’une époque où le monde arabe pouvait concevoir ce que pouvait signifier le bonheur. La fin tragique du couple de Belqis et Nizar marqua la fin d’une belle époque.
- Shathil Nawaf Taqa, Français d’origine irakienne (né à Bagdad), est doctorant en droit à la Sorbonne et travaille comme juriste à Doha. En 2017, il a été élu Meilleur juriste de l’année au Qatar par LexisNexis (éditeur mondial dans le domaine du droit). Il écrit régulièrement dans les rubriques littéraires des revues Le Comptoir et Philitt. Il a également rédigé des articles juridiques pour LexisNexis.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Illustration principale : portraits de Belqis al-Rawi et Nizar Qabbani par le dessinateur Daas pour Middle East Eye.
Middle East Eye delivers independent and unrivalled coverage and analysis of the Middle East, North Africa and beyond. To learn more about republishing this content and the associated fees, please fill out this form. More about MEE can be found here.
Nizar Qabbani est l’un des grands noms de la scène littéraire arabe durant la seconde moitié du XXe siècle. Il se distingue par un trait particulier : il s’adresse directement aux femmes arabes, il leur chante ses louanges, leur fait la cour, leur adresse ses plus beaux vers. Beaucoup d’Arabes reconnaissent à Nizar Qabbani le mérite d’avoir remis les femmes arabes sur un piédestal. Le natif de Damas écrit avec désinvolture, quitte à en irriter certains.
Amour, poésie et panarabisme : le rêve brisé de Belqis et Nizar
Lire
Ses poèmes seront repris par de grands chanteurs de la scène arabe, d’Oum Kalthoum à Mohammed Abdel Wahab en passant par Abdel Halim Hafez et celui qu’on surnomme le César de la chanson arabe, l’Irakien Kadhem al-Saher, dont les chansons baignent dans l’amour courtois arabe.
Son amour pour l’Irakienne Belqis al-Rawi est l’un des grands moments de sa vie. Alors que le père de la belle Bagdadienne refuse à plusieurs reprises de lui accorder sa main, c’est grâce à l’entremise du président irakien Ahmad Hassan al-Bakr et des poètes Shafik al-Kamali et Shathel Taqa que Nizar Qabbani peut enfin épouser sa dulcinée.
Mais la mort tragique de Belqis dans un attentat contre l’ambassade irakienne dans laquelle elle travaille, le 15 décembre 1981, brise le poète. Inconsolable, Nizar Qabbani laisse le monde arabe derrière lui et part se réfugier à Londres. L’amour quitte définitivement le répertoire du poète syrien, qui n’écrit plus que des poèmes corrosifs contre la lâcheté du pouvoir politique dans le monde arabe.
Cet extrait de son poème « L’école de l’amour » a été repris par le chanteur Kadhem al-Saher, dont la chanson du même titre est devenue culte dans les années 90.
L’école de l’amour
Votre amour m’a appris à être triste, Et moi, depuis des siècles, j’avais besoin d’une femme qui me rende triste,
Une femme dans les bras de laquelle je pleurerais comme un oiseau, Une femme qui rassemblerait mes parties comme les morceaux d’un vase brisé.
Votre amour, chère dame, m’a appris les pires manières. Il m’a appris à regarder ma tasse mille fois en une nuit, À tenter les remèdes des guérisseurs et frapper aux portes des voyantes,
Il m’a appris à sortir de chez moi pour brosser les trottoirs des ruelles Et poursuivre votre visage sous la pluie et entre les feux des automobiles, À collecter de vos yeux des millions d’étoiles.
Ô femme, qui a assommé le monde, ô ma douleur, ô douleur des nays [flûte en roseau].
Traduit de l’arabe par le site De plume en plume, « L’école de l’amour », 1970.
Vous pourrez dès lors Sur la tombe de la martyre Porter votre funèbre toast. Assassinée ma poésie ! Est-il un peuple au monde, -Excepté nous- Qui assassine le poème ?
O ma verdoyante Ninive ! O ma blonde bohémienne ! O vagues du Tigre printanier ! O toi qui portes aux chevilles Les plus beaux des anneaux !
Ils t'ont tuée, Balkis ! Quel peuple arabe Celui-là qui assassine Le chant des rossignols !
Balkis, la plus belle des reines Dans l'histoire de Babel ! Balkis, le plus haut des palmiers Sur le sol d'Irak !
Quand elle marchait Elle était entourée de paons, Suivie de faons.
Balkis, ô ma douleur ! O douleur du poème à peine frôlé du doigt ! Est-il possible qu'après ta chevelure Les épis s'élèveront encore vers le ciel ?
Où est donc passé Al Samaw'al ? Où est donc parti Al Muhalhil ? Les anciens preux, où sont-ils ?
Il n'y a plus que des tribus tuant des tribus, Des renards tuant des renards, Et des araignées tuant d'autres araignées. Je te jure par tes yeux Où viennent se réfugier des millions d'étoiles Que, sur les Arabes, ma lune, Je raconterai d'incroyables choses L'héroïsme n'est-il qu'un leurre arabe ? Ou bien, comme nous, l'Histoire est-elle mensongère ? Balkis, ne t'éloigne pas de moi Car, après toi, le soleil Ne brille plus sur les rivages.
Au cours de l'instruction je dirai : Le voleur s'est déguisé en combattant, Au cours de l'instruction je dirai : Le guide bien doué n'est qu'un vilain courtier.
Je dirai que cette histoire de rayonnement (arabe) N'est une plaisanterie, la plus mesquine, Voilà donc toute l'Histoire, ô Balkis !
Comment saura-t-on distinguer Entre les parterres fleuris Et les monceaux d'immondices ?
Blakis, toi la martyre, toi le poème, Toi la toute-pure, toit la toute-sainte. Le peuple de Saba, Balkis, cherche sa reine des yeux, Rends donc au peuple son salut !
Toi la plus noble des reines, Femme qui symbolise toutes les gloires des époques sumériennes ! Balkis, toi mon oiseau le plus doux, Toi mon icône la plus précieuse, Toi larme répandue sur la joue de la Madeleine !
Ai-je été injuste à ton égard En t'éloignant des rives d'Al A'damya ? Beyrouth tue chaque jour l'un de nous, Beyrouth chaque jour court après sa victime.
La mort rôde autour de la tasse de notre café, La mort rôde dans la clé de notre appartement, Elle rôde autour des fleurs de notre balcon, Sur le papier de notre journal, Et sur les lettres de l'alphabet.
Balkis ! sommes-nous une fois encore Retournés à l'époque de la jahilia ? Voilà que nous entrons dans l'ère de la sauvagerie, De la décadence, de la laideur, Voilà que nous entrons une nouvelle fois Dans l'ère de la barbarie, Ere où l'écriture est un passage Entre deux éclats d'obus, Ere où l'assassinat d'un frelon dans un champ Est devenu la grande affaire.
Connaissez-vous ma bien aimée Balkis ? Elle est le plus beau texte des œuvres de l'Amour, Elle fut un doux mélange De velours et de beau marbre.
Dans ses yeux on voyait la violette S'assoupir sans dormir. Balkis, parfum dans mon souvenir ! O tombe voyageant dans les nues !
Ils t'ont tuée à Beyrouth Comme n'importe quelle autre biche, Après avoir tué le verbe.
Balkis, ce n'est pas une élégie que je compose, Mais je fais mes adieux aux Arabes,
Balkis, tu nous manques… tu nous manques… Tu nous manques…
La maisonnée recherche sa princesse Au doux parfum qu'elle traîne derrière elle. Nous écoutons les nouvelles, Nouvelles vagues, sans commentaires.
Balkis, nous sommes écorchés jusqu'à l'os. Les enfants ne savent pas ce qui se passe, Et moi, je ne sais pas quoi dire…
Frapperas-tu à la porte dans un instant ? Te libéreras-tu de ton manteau d'hiver ? Viendras-tu si souriante et si fraîche Et aussi étincelante Que les fleurs des champs ?
Balkis, tes épis verts Continuent à pleurer sur les murs, Et ton visage continue à se promener Entre les miroirs et les tentures.
Même la cigarette que tu viens d'allumer Ne fut pas éteinte, Et sa fumée persistante continue à refuser De s'en aller. Balkis, nous sommes poignardés Poignardés jusqu'à los Et nos yeux sont hantés par l'épouvante.
Balkis, comment vas-tu pu prendre mes jours et mes rêves ? Et as-tu supprimé les saisons et les jardins ?
Mon épouse, ma bien aimée, Mon poème et la lumière de mes yeux, Tu étais mon bel oiseau, Comment donc as-tu pu t'enfuir ? Balkis, c'est l'heure du thé irakien parfumé Comme un bon vieux vin, Qui donc distribuera les tasses, ô girafe ? Qui a transporté à notre maison L'Euphrate, les roses du Tigre et de ruçafa?
Balkis, la tristesse me transperce. Beyrouth qui t'a tuée ignore son forfait, Beyrouth qui t'a aimée Ignore qu'elle a tué sa bien aimée Et qu'elle a éteint la lune. Balkis ! Balkis ! Balkis ! Tous les nuages te pleurent, Quidonc pleurera sur moi ?
Balkis, comment vas-tu pu disparaître en silence Sans avoir posé tes mains sur mes mains ?
Balkis, comment as-tu pu nous abandonner Ballottés comme feuilles mortes par le vent ballottées, Comment nous as-tu abandonnés nous trois Perdus comme une plume dans la pluie ?
As-tu pensé à moi Moi qui ai tant besoin de ton amour, Comme Zeinab, comme Omar ? Balkis, ô trésor de légende ! O lance irakienne ! O forêt de bambous ! Toi dont la taille a défié les étoiles, D'où as-tu apporté toute cette fraîcheur juvénile ?
Balkis, toi l'amie, toi la compagne, Toi la délicate comme une fleur de camomille.
Beyrouth nous étouffe, la mer nous étouffe, Le lieu nous étouffe. Balkis, ce n'est pas toi qu'on fait deux fois, Il n'y aura pas de deuxième Balkis. Balkis ! les détails de nos liens m'écorchent vif, Les minutes et les secondes me flagellent de leurs coups, Chaque petite épingle a son histoire, Chacun de tes colliers en a plus d'une, Même tes accroche-cœur d'or Comme à l'accoutumée m'envahissent de tendresse.
La belle voix irakienne s'installe sur les tentures, Sur les fauteuils et les riches vaisselles. Tu jaillis des miroirs Tu jaillis de tes bagues, Tu jallis du poème, Des cierges, des tasses Et du vin de rubis.
Balkis, si tu pouvais seulement Imaginer la douleur de nos lieux ! A chaque coin, tu volettes comme un oiseau, Et parfumes le lieu comme une forêt de sureau.
Là, tu fumais ta cigarette, Ici, tu lisais, Là-bas tu te peignais telle un palmier, Et, comme une épée yéménite effilée, A tes hôtes tu apparaissais.
Balkis, où est donc le flacon de Guerlain ? Où est le briquet bleu ? Où est la cigarette Kent ? Qui ne quittait pas tes lèvres ? Où est le hachémite chantant Son nostalgique chant ?
Les peignes se souviennent de leur passé Et leurs larmes se figent ; Les peignes souffrent-ils aussi de leur chagrin d'amour ?
Balkis, il m'est dur d'émigrer de mon sang Alors que je suis assiégé entre les flammes du feu Et les flammes des cendres.
Balkis, princesse ! Voilà que tu brûles dans la guerre des tribus. Qu'écrirais-je sur le voyage de ma reine, Car le verbe est devenu mon vrai drame ? Voilà que nous recherchons dans les entassements des victimes Une étoile tombée du ciel, Un corps brisé en morceaux comme un miroir brisé. Nous voilà nous demander, ô ma bien aiméme, Si cette tombe est la tienne Ou bien celle en vérité de l'arabisme ?
Balkis, ô sainte qui as étendu tes tresses sur moi ! O girafe de fière allure !
Balkis, notre justice arabe Veut que nos propres assassins Soient des Arabes, Que notre chair soit mangée par des Arabes, Que notre ventre soit éventré par des Arabes, Comment donc échapper à ce destin ? Le poignard arabe ne fait pas de différence Entre les gorges des hommes Et les gorges des femmes.
Balkis, s'ils t'ont fait sauter en éclats, Sache que chez nous Toutes les funérailles commencent à Karbala Et finissent à Karbala Je ne lirai plus l'Histoire dorénavant, Mes doigts sont brûlés Et mes habits sont entachés de sang.
Voilà que nous abordons notre âge de pierre, Chaque jour, nous reculons mille ans en arrière ! A Beyrouth la mer A démissionné Après le départ de tes yeux, La poésie s'interroge sur son poème Dont les mots ne s'agencent plus, Et personne ne répond plus à la question, Le chagrin, Balkis, presse mes yeux comme une orange. Las ! je sais maintenant que les mots n'ont pas d'issue, Et je connais le gouffre de la langue impossible ; Moi qui ai inventé le style épistolaire Je ne sais par quoi commencer une lettre, Le poignard pénètre mon flanc Et le flanc du verbe.
Balkis, tu résumes toute civilisation, La femme n'est-elle pas civilisation ?
Balkis, tu es ma bonne grande nouvelle. Qui donc m'en a dépouillé ? Tu es l'écriture avant toute écriture, Tu es l'île et le sémaphore,
Balkis, ô lune qu'ils ont enfouie Parmi les pierres ! Maintenant le rideau se lève, Le rideau se lève.
Je dirai au cours de l'instruction Que je connais les noms, les choses, les prisonniers, Les martyrs, les pauvres, les démunis.
Je dirai que je connais le bourreau qui a tué ma femme Je reconnais les figures de tous les traîtres.
Je dirai que votre vertu n'est que prostitution Que votre piété n'est que souillure, Je dirai que notre combat est pur mensonge Et que n'existe aucune différence Entre politique et prostitution. Je dirai au cours de l'instruction Que je connais les assassins, Je dirai que notre siècle arabe Est spécialisé dans l'égorgement du jasmin, Dans l'assassinat de tous les prophètes, Dans l'assassinat de tous les messagers.
Même les yeux verts Les Arabes les dévorent, Même les tresses, mêmes les bagues, Même les bracelets, les miroirs, les jouets, Même les étoiles ont peur de ma patrie. Et je ne sais pourquoi, Même les oiseaux fuient ma patrie.
Et je ne sais pourquoi, Même les étoiles, les vaisseaux et les nuages, Même les cahiers et les livres, Et toutes choses belles Sont contre les Arabes.
Hélas, lorsque ton corps de lumière a éclaté Comme une perle précieuse Je me suis demandé Si l'assassinat des femmes N'est pas un dada arabe, Ou bien si à l'origine L'assassinat n'est pas notre vrai métier ?
Balkis, ô ma belle jument Je rougis de toute mon Histoire. Ici c'est un pays où l'on tue les chevaux, Ici c'est un pays où l'on tue les chevaux.
Balkis, depuis qu'ils t'ont égorgée O la plus douce des patries L'homme ne sais comment vivre dans cette patrie, L'homme ne sait comment vivre dans cette patrie.
Je continue à verser de mon sang Le plus grand prix Pour rendre heureux le monde, Mais le ciel a voulu que je reste seul Comme les feuilles de l'hiver.
Les poètes naissent-ils de la matrice du malheur ? Le poète n'est-il qu'un coup de poignard sans remède porté au cœur ? Ou bien suis-je le seul Dont les yeux résument l'histoire des pleurs ?
Je dirai au cours de l'instruction Comment ma biche fut tuée Par l'épée de Abu Lahab, Tous les bandits, du Golfe à l'Atlantique Détruisent, incendient, volent, Se corrompent, agressent les femmes Comme le veut Abu Lahab,
Tous les chiens sont des agents Ils mangent, se soûlent, Sur le compte de Abu Lahab, Aucun grain sous terre ne pousse Sans l'avis de Abu Lahab Pas un enfant qui naisse chez nous Sans que sa mère un jour N'ait visité la couche de Abu Lahab, Pas une tête n'est décapitée sans ordre de Abu Lahab
La mort de Balkis Est-elle la seule victoire Enregistrée dans toute l'Histoire des Arabes ?
Balkis, ô ma bien aimée, bue jusqu'à la lie !
Les faux prophètes sautillent Et montent sur le dos des peuples, Mais n'ont aucun message !
Si au moins, ils avaient apporté De cette triste Palestine Une étoile, Ou seulement une orange, S'ils nous avaient apporté des rivages de Ghaza Un petit caillou Ou un coquillage, Si depuis ce quart de siècle
Ils avaient libéré une olive Ou restitué une orange, Et effacé de l'Histoire la honte, J'aurais alors rendu grâce à ceux qui t'ont tuée O mon adorée jusqu'à la lie ! Mais ils ont laissé la Palestine à son sort Pour tuer une biche !
Balkis, que doivent dire les poètes de notre siècle ! Que doit dire le poème Au siècle des Arabes et non Arabes, Au temps des païens, Alors que le monde Arabe est écrasé Ecrasé et sous le joug, Et que sa langue est coupée.
Nous sommes le crime dans sa plus parfaite expression ; Alors écartez de nous nos œuvres de culture.
O ma bien aimée, ils t'ont arrachée de mes mains, Ils ont arraché le poème de ma bouche, Ils ont pris l'écriture, la lecture, L'enfance et l'espérance. Balkis, Balkis, ô larmes s'égouttant sur les cils du violon ! Balkis, ô bien aimée jusqu'à la lie ! J'ai appris les secrets de l'amour à ceux qui t'ont tuée, Mais avant la fin de la course, Ils ont tué mon poulain.
Balkis, je te demande pardon ; Peut être que ta vie a servi à racheter la mienne Je sais pertinemment Que ceux qui ont commis ce crime Voulaient en fait attenter à mes mots.
Belle, dors dans la bénédiction divine, Le poème après toi est impossible Et la féminité aussi est impossible.
Des générations d'enfants Continueront à s'interroger sur tes longues tresses, Des générations d'amants Continueront à lire ton histoire O parfaite enseignante ! Les Arabes sauront un jour Qu'ils ont tué une messagère QU'ILS…ONT….TU…E…UNE….MES…SA…GERE.
Le 13 avril 1958 est né d'une nouvelle philosophie de la révolution, un onze à nul autre pareil dans l'histoire du football : la glorieuse équipe du Front de Libération Nationale (FLN), constituée de joueurs qui ont tout abandonné, dont une riche carrière professionnelle et pour certains la Coupe du Monde 1958 en Suède pour porter, sur tous les continents, la lutte de libération nationale.
Malgré l'interdiction de la FIFA de jouer et, surtout, de ne pas reconnaître le statut de cette équipe sur intervention de la France, le «Onze de l'Indépendance», comme on l'appelait à l'époque, obtient très vite un énorme succès politique et diplomatique en Asie, en Europe et en Afrique où les joueurs de l'équipe du FLN obtiennent autant des succès sur les terrains de football qu'un soutien international jamais enregistré jusque-là pour une équipe de football, porte-voix de la lutte de libération d'un peuple.
Ils sont là où les missions sont les plus difficiles, en particulier celle, sur les stades de football du monde, d’être les ambassadeurs de l’Algérie combattante, de la Révolution. L’indépendance acquise, ils ont poursuivi leur mission : celle de doter le football algérien de ses premières lettres de noblesse, ses premiers titres continentaux.
Eux, ce sont ceux qui ont fait partie et porté haut son étendard, celui de l’Algérie combattante, l’équipe de football du FLN/ALN, composée et pensée par un orfèvre nommé Boumezrag, par les plus grands joueurs de football que les clubs de la France métropolitaine comptaient dans leurs rangs. Les Oualiken, Bentifour, Mustapha Zitouni, Mohamed Maouche, Rachid Mekhloufi, Abdelhamid Zouba, Abdelhamid Kermali, Said Amara, Abderrahmane Ibrir et toute l’équipe du FLN qui comptait 33 joueurs professionnels, ont écrit l’histoire de la révolution algérienne.
Une histoire singulière, unique dans les annales des processus de décolonisation dans le monde : pacifiquement, par le sport, le football, un langage commun et simple à tous les peuples de la planète épris de paix, de partage et de prospérité partagée, loin des schémas impérialistes de domination du monde et d'accaparement des richesses, d’assujettissement des peuples.
Ce qu’ont fait les 32 joueurs et les dirigeants de la mythique équipe de football du FLN, à leur tête Mohamed Boumezrag, est unique, historique, autant sur le plan politique, diplomatique que sportif : pareille stratégie de lutte avec un simple de ballon de football sur les terrains du monde n’a jamais été, auparavant utilisée comme arme de combat, comme stratégie de guerre d’indépendance.
L'ÉQUIPE DU FLN A FAIT AVANCER LA RÉVOLUTION DE DIX ANS
«L’équipe FLN a fait avancer la Révolution algérienne de dix ans» avait dit Ferhat Abbas, président du GPRA. Une déclaration qui, mesurée à l’aune du temps et des événements politiques en France métropolitaine au milieu des années 1950, avec la chute de la IVème république et le chaos politique qui s'en est suivi avant la naissance de la Vème république du Général de Gaulle, donne toute l’importance et la profondeur de la stratégie des responsables du FLN et de la révolution algérienne d’utiliser les armes les plus efficaces, y compris la diplomatie du sport, pour bouter la France et son armée de tortionnaires hors d’Algérie.
La mission dévolue à des joueurs, pour la plupart jeunes, qui ont mis entre parenthèses une carrière professionnelle prometteuse, le confort social en France, une vie sans soucis et, pour certains, comme Mustapha Zitouni ou Rachid Mekhloufi de jouer la phase finale de la coupe du monde en Suède (1958), a été remplie lorsque, en juillet 1962 les Algériens sont sortis fêter leur Indépendance.
Mais, pour ces guerriers des stades de football, les ambassadeurs sportifs de la révolution algérienne, commençait, au lendemain de la guerre de libération, une seconde mission, encore plus importante, plus stimulante : former et encadrer les nouvelles générations de footballeurs algériens.
Beaucoup ont, après avoir terminé une riche carrière dans les clubs professionnels européens, regagné le pays et entamé une carrière d’entraîneurs, dont celle de la sélection nationale.
Cela a été en particulier le cas de Rachid Mekhloufi, Abdelhamid Zouba, Abdelhamid Kermali, Mohamed Maouche, Kader Firoud, Said Amara, Abdelaziz Bentifour ou encore Abderrahmane Ibrir et Bekhloufi. En 1975 Mekhloufi remporte la médaille d'or des JM et Kermali la coupe d'Afrique des Nations en 1990 à Alger.
Baroudeurs des stades de football, militants balle aux pieds de la cause nationale, les 32 de l’équipe du FLN ont, eux également, écrit à leur manière, comme des artistes, l’histoire de la révolution. Mohamed Boumezrag en a été l'architecte, ce digne petit-fils de Hadj Ahmed Mohamed El Mokrani, ses amis l'orchestre de la révolution par le football.
Ils ont abandonné la sécurité de prestigieux clubs français, et des carrières professionnelles prometteuses en Europe pour répondre à l’appel de la patrie: ce sont ces 32 joueurs de football Algériens qui, le 13 avril 1958 ont donné naissance, sous la direction d’un chef d’orchestre nommé Mohamed Boumezrag, à la glorieuse équipe de football du FLN, dont les ordres de combat s’appliquaient sur un terrain pour porter haut la voix de l’Algérie combattante.
Parmi ces joueurs, plusieurs étaient en passe de participer, avec l’équipe de France, à la Coupe du monde 1958 en Suède. Ces joueurs Algériens ont choisi de répondre à l’appel de la patrie et rejoindre le FLN. Et tout va se passer le dimanche 13 avril 1958, alors que la guerre de libération entre dans sa quatrième année : ce jour-là se déroule la 30e journée de Division 1 de football en France et plusieurs joueurs Algériens évoluent sur les pelouses des neuf rencontres du jour. Moins de 24 heures plus tard, neuf d’entre eux auront quitté le territoire français pour Tunis, où siège le GPRA afin de rejoindre l’équipe du FLN et la lutte pour l’indépendance algérienne.
Sur les neuf joueurs qui ont rejoint Tunis, quatre jouaient à l’AS Monaco, et trois sont proches de participer à la Coupe du monde 1958 en Suède avec l’équipe de France : les Monégasques Mustapha Zitouni et Abdelaziz Bentifour, ainsi que le meneur de jeu de l’AS Saint-Etienne, Rachid Mekhloufi, alors âgé de 22 ans. “On était considérés comme des déserteurs qui allaient être rapidement recherchés. Il fallait donc qu’on sorte rapidement du territoire français. Mais lorsque Abdelaziz Bentifour est venu me voir, je n’ai pas hésité un seul instant à tout plaquer, car devant la cause nationale, il n’y avait qu’un seul choix à faire”, avait indiqué Makhloufi.
La “fuite” de ces joueurs provoque un choc et un ”trou d’air” politique en France, et la presse française, à l’instar de ”L’Equipe” en fait ses choux gras sur “Les neuf footballeurs Algériens disparus”. La France coloniale réagit comme il était prévisible : elle condamne la bravoure et la position politique de ces joueurs de football et intervient auprès de la FIFA pour ne pas reconnaître l’équipe du FLN, et donc l’interdiction est faite à toutes ses associations-membres de ne pas jouer contre cette équipe, qui, par ailleurs, volait de succès en succès en Europe, en Asie et en Afrique.
1958-1962, quatre ans de “combat” à travers le monde
Car moins d’un mois après avoir rejoint Tunis, l’équipe du FLN participe à son premier tournoi qui réunit la Tunisie, le Maroc et la Libye. Le premier d’une longue série de matches disputés à travers le monde dans les pays acquis à la cause algérienne. Certaines fédérations nationales paient cher le fait de côtoyer cette équipe bannie par l’instance internationale. “On devait représenter l’Algérie sur la scène internationale, mais pas n’importe comment. Il ne fallait pas donner l’image de pauvres malheureux, dont le monde aurait pitié. Il fallait, au contraire que notre équipe impressionne et donne une très bonne image, même en dehors du terrain”, avait affirmé le regretté Abdelhamid Zouba, décédé le 2 février 2022 à l’âge de 86 ans. Pendant leur tournée en Afrique, en Europe et en Asie, les membres de l’équipe du FLN qui ont disputé 83 matchs, soldés par 57 victoires, 14 nuls, et 12 défaites. Après quatre années de “combats” sur les terrains de football du monde, le “onze de l’indépendance” (surnom de l’équipe du FLN) cessa ses activités avec l’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962.
La Fédération française de football lève alors les suspensions des joueurs algériens le 29 juin, ce qui permet à certains de rentrer jouer en France. D’autres ont fini leur carrière dans les différentes équipes du jeune championnat algérien où ils avaient un rôle important à jouer. La plupart d’entre eux ont eu l’occasion d’assurer le rôle de sélectionneur national, à l’image de Rachid Mekhloufi, Abdelhamid Zouba, Abdelhamid Kermali, Mohamed Maouche, Kader Firoud, Saïd Amara, Abdelaziz Bentifour ou encore Abderrahmane Ibrir. Sous la houlette de Mekhloufi, l’équipe nationale avait inauguré son palmarès par une médaille d’or lors des Jeux méditerranéens de 1975 (victoire 3-2 en finale face à la France).
En 1978, il conduit l’EN vers le sacre lors des Jeux africains, en battant le Nigeria en finale (1-0). Douze ans plus tard, Abdelhamid Kermali, décédé le 13 avril 2013, date coïncidant avec le 55e anniversaire de la création de l’équipe du FLN, mènera l’Algérie à remporter sa première Coupe d’Afrique des nations CAN-1990.
L’équipe du FLN en chiffres
L’équipe de football du FLN, créée le 13 avril 1958, était composée de 32 joueurs. L’initiateur et concepteur de l`opération était Mohamed Boumezrag, petit-fils d’Ahmed El Mokrani, initiateur de l’insurrection de 1871 dans les Bibans. Mohamed Boumezrag, natif de Chlef, lui-même joueur qui a mis fin à sa carrière professionnelle en France entre 1943 et 1945, a eu l’idée de créer cette équipe lors du festival mondial de la Jeunesse et des Etudiants de 1957 à Moscou.
Le responsable politique de l’équipe était Mohamed Allam et le Garde-matériel Sellami Zamri. Des 32 joueurs ayant effectué la tournée à travers de nombreux pays d`Europe, d`Afrique, du Moyen-Orient et d`Asie entre 1958 et 1962, trois sont toujours en vie : Dahmane Defnoune (Angers), Mohamed Maouche (Reims) et Rachid Mekhloufi (Saint-Etienne).
L’équipe de football du FLN a disputé 62 matchs officiels entre 1958 en 1962 pour 47 victoires, 11 nuls, 4 défaites, 246 buts marqués et 66 buts encaissés. Les coéquipiers de Amar Rouai ont livré des rencontres face à des sélections nationales en URSS (4 matchs), Yougoslavie (5 matchs), Tchécoslovaquie (4 matchs), Roumanie (4 matchs), Hongrie (4 matchs), Bulgarie (6 matchs), Chine (5 matchs), Vietnam (4 matchs), Maroc (7 matchs), Tunisie (4 matchs), Libye (2 matchs), Irak (6 matchs) et Jordanie (3 matchs).
Principaux résultats
L’équipe FLN était redoutable sur les terrains. Là où elle passait, elle remportait ses matches par des scores larges, notamment devant la Yougoslavie (6-1), la Hongrie (5-2), la Tchécoslovaquie (4 – 1), la Chine (4 – 0), la Tunisie (9 – 0), la Jordanie (11 – 0), l`Irak (11 – 0), Vietnam (11-0). Elle a été battue par la Bulgarie (4-3), la Yougoslavie (2-0), et la sélection de Rostow (URSS, 2-1).
Mohamed Maouche : « L’équipe du FLN est une page glorieuse de la guerre d’Algérie »
La légendaire équipe du FLN célèbre ce jeudi le 65e anniversaire de sa création. Une journée commémorative sera célébrée d’ailleurs au ministère des Moudjahidine en présence du premier responsable du département, Laïd Rebiga.
L’association Mechaâl Echahid et le quotidien national, El Moudjahid ont profité de cette occasion en invitant l’un des membres les plus influents de l’équipe du FLN et néanmoins président de la fondation FLN, Mohamed Maouche, qui s’est longuement étalée, ce mercredi, sur le rôle prépondérant de l’équipe du FLN à faire entendre la voix des révolutionnaires nationaux dans les différentes capitales du monde et la justesse de la cause pour laquelle le peuple algérien a vaillamment lutté contre le colonisateur français.
« L’équipe du FLN qui a constitué une arme supplémentaire efficace à la bataille engagée par l’ALN dans les maquis et les villes du pays, est une page glorieuse de l’histoire de la guerre de libération nationale » estime, en résumé, Mohamed Maouche qui se rappelle, malgré ses 87 ans, des moindres détails des activités et anecdotes de l’équipe du FLN. L’orateur n’a pas manqué, dans la foulée, de rendre hommage à l’Etat algérien qui ne nous a jamais laissés tomber en prenant en charge les revendications sociales de tous les membres de l’équipe du FLN dont trois seulement sont encore en vie. Il s’agit de Rachid Mekhloufi et Abderahmane Defnoun, actuellement en France, et Mohamed Maouche qui vit toujours en Algérie.
L’ancien champion de France avec le Stade de Reims (1958) a fourni, dans son plaidoyer, de précieux renseignements sur l’histoire de l’équipe FLN depuis sa création le 13 avril 1958 par le duo Mohamed Boumezrag et le docteur Tahar Moulay. Avant de clore son intervention, l’invité d’El Moudjahid a tenu des propos émouvants envers l’ambassadeur de la République arabe sahraoui démocratique et son homologue de la Palestine, présents dans la salle des conférences d’El Moudjahid, souhaitant l’indépendance des deux peuples qui luttent pour recouvrer leurs territoires. Comme il a fait un témoignage envers le représentant de l’ambassade de la Libye, également présent dans la salle, rapportant que : « pendant les tournées de l’équipe FLN en Libye, ses membres avaient été magnifiquement traités par le peuple libyen qui nous exprimait son soutien à notre juste et légitime cause ». Pour sa part, le directeur de publication d’El Moudjahid, Mohamed Koursi, a pris la parole où il a mis en valeur l’arme efficiente, voie de combat parallèle à celle des armes, qu’offrait l’équipe du FLN aux combattants algériens du font interne. Il a rappelé les propos historiques du défunt président du gouvernement provisoire (GPRA), Ferhat Abbas, lequel dirigeant avait déclaré que les actions menées par l’équipe du FLN ont fait gagner dix ans de lutte aux combattants algériens.
Les accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie ont plus de soixante ans. En France, ceux qui ont combattu ont peu parlé des « événements » comme on les nommait à l’époque, souvent synonyme de honte. Les lois d’amnistie, la reconnaissance tardive de la guerre n’ont pas contribué à faire émerger la parole. Emmanuel Vigier, réalisateur marseillais, est fils d’appelé. Dans sa ville natale, en Auvergne, il a interrogé son père et ses proches. Un silence toujours pesant.
Pour commencer, il y a le souvenir des rires et des courses. Des enfants partout, aussi nombreux, peut-être plus nombreux, que les adultes. Des cousins, des copains, des amis. Plaisanteries, chamailleries, premiers chagrins d’amour. Certains se voient encore aujourd’hui, d’autres ont pris des chemins différents. Les souvenirs, eux, restent. Revenons à cette belle maison au pied de la montagne et des forêts de pins. Ce n’est pas encore l’heure du repas mais le méchoui qui cuit sous la braise affole toutes les papilles.
C’est l’été, le temps des vacances et du bonheur. Le vrai. Celui qui va avec l’insouciance, la chaleur à l’heure de la sieste et l’omniprésence de la mer. Ce matin, les uns ont dormi après une longue veillée sous les étoiles. Les autres, sont allés nager très tôt à la crique, petite anse aux galets râpeux où un promontoire rocheux invite à des plongeons plus ou moins téméraires dans des eaux où les algues effraient les habitués des bancs de sable de Tipasa ou Zeralda. Attention aux murènes les garçons, ne mettez pas la main dans les trous de rochers…
La table se prépare. Les adultes seront à la fête. Les enfants ne perdent pas de temps et partent à l’assaut. Ne rien rater, ne rien laisser passer, prélever sa dime. Aujourd’hui méchoui d’agneau, demain poisson, merguez et brochettes le surlendemain. Avec un peu de chance, les nageurs du matin auront ramené assez d’oursins. Un coupe-pain pour les trancher en deux, un chouia de citron, une bonne mie chaude et l’affaire est vite réglée.
Un sort aussi rapide est fait aux sardines grillées ou une la méchouïa made in Tunisia. Allégresse méditerranéenne, rigolades algériennes, moments uniques, hors du temps, des problèmes divers et des soucis d’approvisionnement. Les enfants, donc. Happer, manger mais impossible de tirer au flanc. Hé, toi, où tu vas comme ça ? Allez, prends ça, jamais les mains vides. « Jamais les mains vides », expression conservée et transmise aux nouvelles générations élevées loin du soleil éclatant et de l’écume grège.
Les invités sont nombreux. « Invités » ? Le terme ne convient pas. Il est trop formel. Trop guindé. Parlons plutôt de convives. En maillots, en shorts ou robes légères. Les pieds sont souvent nus, les peaux bronzées, encore salée. Ça parle, ça tchatche, ça anecdotise, ça repasse les vieilles histoires du lycée de Ben Aknoun, futur El Mokrani. Les souvenirs de Ténès, l’UST, le basket, « choufni Moh », feinte du regard et panier. Ça parle un peu politique, mais pas trop. C’est une époque où la gangue s’est refermée. On ne sort pas du pays sans autorisation mais on se dit encore que les choses s’amélioreront. Ce n’est pas le moment de s’interroger sur ce que veut vraiment l’austère colonel. On attendra d’être moins nombreux, à l’heure du café et pousse-café d’après la sieste. En attendant, il faut que ce méchoui cuise enfin.
Au centre de tout, il y a celui que les enfants appellent « Tonton Boubou », les adultes « Boubou », ses amis diront aussi Abdelkader voire Si Abdelkader. Cet homme, ancien membre à part entière du cinq entrant de l’UST durant les année Cinquante, a toujours pratiqué la porte ouverte, ou plus exactement, le portail ouvert. Chez lui, on vient d’Alger, de Miliana, de Koléa ou du sud de la France. S’il y a à manger pour vingt, il y en aura pour trente. Zid koursi, encore un tabouret, une table pliante, un plateau. L’hôte est généreux, il n’a que faire des petits calculs. En maillot ou en short, attentif à tout, le torse ruisselant de sueur, il veille avec le fidèle Djillali au bon ordre des choses. Un problème ? Une chaise branlante ? Un banc qui oscille ? Les outils sortent vite de la remise.
Il y a des gens qui personnifient l’hospitalité et d’autre pas. Il est question ici de cette hospitalité telle qu’elle s’entendait dans les pays du Sud. Celle dont la table des lois stipule que l’on peut arriver et repartir à sa guise. Que celui qui vient pour le couvert, et parfois pour le gite, est lui-même un hôte et que l’on serait bien mesquin de ne rien partager avec lui. Impossible de fixer des horaires d’arrivée ou de départ contrairement à ce que certaines méchantes blagues racontent en Algérie à propos des habitants de Blida. Bien sûr, cette générosité conviviale implique nombre de désagréments. Dans le lot des présents, se glissent quelques inévitables pique-assiettes, des gens qui, une fois rentrés chez eux, oublieront tout et ne renverront, s’ils sont sollicités en retour, que quelques miettes dérisoires.
Il y a un plaisir à donner et à accueillir. L’hospitalité procure une joie qui dépasse les déconvenues. Quoi de mieux qu’un hourra des affamés ou qu’une communion autour d’une table. Bien sûr, on est « envahi », on connaît peu la solitude et la tranquillité, du moins à la belle saison. Mais il y a cette satisfaction d’avoir pu offrir de soi et même, ce qui est peut-être normal pour un directeur de collège, de pratiquer l’éducation silencieuse. Une éducation au partage.
L’enfant qu’était alors l’auteur de ces lignes a souvent observé en silence, de loin, cet hôte du Chenoua. Toujours heureux de rendre heureux, et suffisamment fort pour passer outre les déconvenues et les comportements inconvenants. L’intéressé surprenait parfois le regard scrutateur et souriait en retour, demandant s’il manquait quelque chose, si l’on avait bien mangé ou proposant de participer à une pêche aux oursins le lendemain. Il s’en allait ensuite vers celles et ceux qui s’installaient pour un rami aux enchères ou une bonne vieille crapette. Le soir commençait à tomber. En contrebas, la mer affichait ses promesses du lendemain et l’enfant entrevoyait alors une vérité absolue : les maisons ouvertes ne peuvent qu’appeler le bonheur.
Cette chronique est dédiée à la mémoire de Si Abdelkader Bourahla. Nous sommes à Dieu et c’est à Lui que nous revenons.
Colette Grégoire, dîte Anna Greki, est une poétesse algérienne d'expression française née à Menaa le 14 mars 1931, morte à Alger le 6 janvier 1966. De son vrai nom Anna Colette Grégoire, Anna Gréki passe son enfance à Menaâ, dans les Aurès, où son père est instituteur. Elle effectue ses études primaires à Collo, secondaires à Skikda (alors Philippeville), mais interrompt ses études supérieures de lettres à Paris pour participer activement au combat pour l'indépendance de l'Algérie. Institutrice à Annaba (Bône) puis à Alger, militante du Parti communiste algérien, elle est arrêtée en 1957, internée à la prison Barberousse d'Alger, transférée en novembre 1958 au camp de Beni Messous puis expulsée d'Algérie. Elle rejoint alors son mari Jean Malki à Tunis, où est publié son premier recueil, avant de rentrer en Algérie à l'indépendance en 1962. Achevant sa licence en 1965 elle est professeur de français au lycée Abdelkader d'Alger. Elle laisse à sa mort brutale un second recueil et un roman inachevé.
JE NE SAIS PLUS AIMER QU’AVEC LA RAGE AU CŒUR
Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur C’est ma manière d’avoir du cœur à revendre C’est ma manière d’avoir raison des douleurs C’est ma manière de faire flamber des cendres A force de coups de cœur à force de rage La seule façon loyale qui me ménage Une route réfléchie au bord du naufrage Avec son pesant d’or de joie et de détresse Ces lèvres de ta bouche ma double richesse
A fond de cale à fleur de peau à l’abordage Ma science se déroule comme des cordages Judicieux où l’acier brûle ces méduses Secrètes que j’ai draguées au fin fond du large Là où le ciel aigu coupe au rasoir la terre
Là où les hommes nus n’ont plus besoin d’excuses Pour rire déployés sous un ciel tortionnaire Ils m’ont dit des paroles à rentrer sous terre Mais je n’en tairai rien car il y a mieux à faire Que de fermer les yeux quand on ouvre son ventre
Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur Avec la rage au cœur aimer comme on se bat Je suis impitoyable comme un cerveau neuf Qui sait se satisfaire de ses certitudes Dans la main que je prends je ne vois que la main Dont la poignée ne vaut pas plus cher que la mienne C’est bien suffisant pour que j’en aie gratitude De quel droit exiger par exemple du jasmin Qu’il soit plus que parfum étoile plus que fleur De quel droit exiger que le corps qui m’étreint Plante en moi sa douceur à jamais à jamais Et que je te sois chère parce que je t’aimais Plus souvent qu’a mon tour parce que je suis jeune Je jette l’ancre dans ma mémoire et j’ai peur Quand de mes amis l’ombre me descend au cœur Quand de mes amis absents je vois le visage Qui s’ouvre à la place de mes yeux – je suis jeune Ce qui n’est pas une excuse mais un devoir Exigeant un devoir poignant à ne pas croire Qu’il fasse si doux ce soir au bord de la plage Prise au défaut de ton épaule – à ne pas croire…
Dressée comme un roseau dans ma langue les cris De mes amis coupent la quiétude meurtrie Pour toujours – dans ma langue et dans tous les replis De la nuit luisante – je ne sais plus aimer Qu’avec cette plaie au cœur qu’avec cette plaie Dans ma mémoire rassemblée comme un filet
Grenade désamorcée la nuit lourde roule Sous ses lauriers-roses là où la mer fermente Avec des odeurs de goudron chaud dans la houle Je pense aux amis morts sans qu’on les ait aimés Eux que l’on a jugés avant de les entendre Je pense aux amis qui furent assassinés A cause de l’amour qu’ils savaient prodiguer
Je ne sais plus aimer qu’avec la rage au cœur
A la saignée des bras les oiseaux viennent boire
Anna Gréki
MÊME EN HIVER
Même en hiver le jour n’était qu’un verger doux Quand le col du Guerza s’engorgeait sous la neige Les grenades n’étaient alors que des fruits - seule Leur peau de cuir saignait sous les gourmandises On se cachait dans le maquis crépu pour rire Seulement. Les fusils ne fouillaient que gibier. Et si la montagne granitique sautait A la dynamite, c’était l’instituteur Mon père creusant la route à sa Citroën. Aucune des maisons n’avait besoin de portes Puisque les visages s’ouvraient dans les visages. Et les voisins épars, simplement voisinaient. La nuit n’existait pas puisque l’on y dormait.
C’était dans les Aurès A Menaâ Commune mixte Arris Comme on dit dans la presse Mon enfance et les délices
Naquirent là A Menaâ - commune mixte Arris Et mes passions après vingt ans Sont les fruits de leurs prédilections Du temps où les oiseaux tombés des nids Tombaient aussi des mains de Nedjaï Jusqu’au fond de mes yeux chaouias
Frileux comme un iris Mon ami Nedjaï Nu sous sa gandoura bleue Courait dans le soir en camaïeu Glissant sur les scorpions gris De l’Oued El Abdi Derrière les chacals brillants Qui rient le cou ouvert. Et dressé en angle aigu, lisse Au haut de ses échasses Il lançait pour voir clair Jusqu’à la fin de l’espace La lune au tire-boulettes.
Maintenant c’est la guerre aussi dans mon douar Il a replié ses kilomètres de joie Comme les ailes au dessus gris d’un papillon Polymorphe et couve sous des gourbis zingueux Tous les bonheurs en germe qui n’existent plus
Dehors - pas plus que les vergers dont les soieries sucrées rendaient le vent plus mielleux qu’une abeille Pas plus que le bruit des pieds nus de Nedjaï Sur les racines de mon enfance enfouies Sous des sédiments de peur, de haine, de sang Car c’est du sang qui bat dans l’Oued El Abdi Et roule les scorpions gras comme des blessures Qui seules survivraient des corps martyrisés.
C’est la guerre Le ciel mousseux d’hélicoptères Saute à la dynamite La terre chaude jaillit et glisse En coulée de miel Le long des éclats de faïence bleue Du ciel blanc Les bruits d’hélices Ont remplacé les bruits d’abeille
Les Aurès frémissent Sous la caresse Des postes émetteurs clandestins Le souffle de la liberté Se propageant par ondes électriques Vibre comme le pelage orageux d’un fauve Ivre d’un oxygène soudain Et trouve le chemin de toutes les poitrines
Les bruits disparaissent Dans la tiédeur de l’atmosphère et dans le temps C’est la guerre muette Derrière les portes de Batna J’assiste sur l’écran de mon enfance A un combat silencieux Sur des images au ralenti
A la lumière de mon âge je l’avoue Tout ce qui me touche en ce monde jusqu’à l’âme Sort d’un massif peint en rose et blanc sur les cartes Des livres de géographie du cours moyen Et lui ressemble par je ne sais quelle joie liquide Où toute mon enfance aurait déteint. Tout ce que j`aime et ce que je fais à présent A des racines là-bas Au-delà du col du Guerza à Menaâ Où mon premier ami je sais qu’il m’attendra Puisqu’il a grandi dans la chair de mon cœur. Si Le monde qui m’entoure a vieilli de vingt ans Il garde dans sa peau mes amours chaouias.
CHAOUI : ( adjectif) d’une ethnie berbère d’Algérie habitant principalement dans les Aurès.
Anna Gréki
Algérie, capitale Alger
J’habite une ville si candide Qu’on l’appelle Alger la Blanche Ses maisons chaulées sont suspendues En cascade en pain de sucre En coquilles d’œufs brisés En lait de lumière solaire En éblouissante lessive passée au bleu En dentelle en entre-deux En plein milieu De tout le bleu D’une pomme bleue Je tourne sur moi-même Et je bats ce sucre bleu du ciel Et je bats cette neige bleue de mer Bâtie sur des îles battues qui furent mille Ville audacieuse Ville démarrée Ville marine bleu marine saline Ville au large rapide à l’aventure On l’appelle El Djezaïr Comme un navire De la compagnie Charles le Borgne
Combien de fois Israël, confronté comme jamais à une crise intérieure, devra-t-il lancer sa redoutable aviation à l’assaut de la Syrie afin d’endiguer l’influence de Téhéran et de ses milices, alors même que ses raids n’ont aucun effet sur la présence iranienne dans ce pays ?
On assiste depuis le début de l’année à une nette augmentation des raids israéliens. Pour ne citer que quelques exemples : à la mi-février, Damas a été la cible d’une attaque aux missiles israéliens visant le Hezbollah, faisant des morts et des blessés, selon plusieurs sources ; le 7 mars, la veille de la commémoration du coup d’État baasiste de 1963 qui a changé la physionomie de ce pays, une frappe aérienne a visé l’aéroport d’Alep qui a été fermé pendant trois jours ; le 12 mars un dépôt d’armes des forces pro-iraniennes situé entre les provinces de Tartous (sur la Méditerranée) et Hama, une ville du nord-est a été atteint. Deux combattants pro-iraniens y ont trouvé la mort et trois soldats syriens ont été blessés, selon l’Observatoire syrien des droits humains (OSDH).
Les bombardements aériens à répétition sur la Syrie qui durent depuis des années, et plus particulièrement depuis l’implication de l’Iran dans le conflit syrien expriment la frustration d’Israël présente vis-à-vis de son voisin du nord qui le nargue grâce à sa relation privilégiée et multiforme — notamment militaire — avec la République islamique. On serait tenté de dire que le territoire syrien exsangue et morcelé constitue un rare exemple de punching-ball dans les relations internationales, une sorte de défouloir pour Israël qui n’arrive pas à arracher l’épine iranienne plantée chez son voisin.
Frustration également vis-à-vis des Palestiniens et du Liban dont le territoire a été puni par des raids aériens dans un climat de haute tension qui risque, dans ce cas précis de déborder, d’où les appels au calme tous azimuts ces derniers jours.
DES FRAPPES INEFFICACES
La Syrie est parsemée de milices et d’auxiliaires iraniens, notamment les pasdarans, (Gardiens de la révolution) dont on ne connaît pas le nombre exact. Les milices pro-iraniennes, tel le Hezbollah libanais et d’autres y sont aussi présents dans des zones déterminées, mais tous se déplacent au gré des besoins. Or, l’objectif principal d’Israël, dont le régime de Téhéran est la bête noire, est de réduire ou supprimer l’influence de l’Iran en Syrie, deux pays liés par plusieurs traités depuis la révolution islamique de 1979 et qui ont des relations étroites notamment en matière de défense.
La guerre civile en Syrie commencée en 2011 n’a fait que renforcer la présence et l’influence de Téhéran sur son protégé, en même temps que celle de la Russie. Moscou cependant reste silencieux ou laisse faire l’activité israélienne sur le territoire de son allié et protégé tandis que les Nations unies réagissent de manière lénifiante face aux protestations (de pure forme ?) de Damas.
GOLIATH CONTRE SAMSON ?
La question se pose de savoir si cette campagne d’incessants bombardements parviendra un jour à ses fins. Les raids israéliens en territoire syrien ne se comptent plus et semblent tomber dans l’indifférence générale, nonobstant les victimes civiles et militaires (syriennes, iraniennes, libanaises…). Tels des éléphants qui écrasent sans démolir complètement (ou des abeilles qui piquent sans tuer).
Pourtant, quelques centaines de soldats de la révolution iranienne et de leurs alliés du Hezbollah chiite libanais ont trouvé la mort, et des dizaines de dépôts d’armements ont été détruits par ces frappes. À Damas, la capitale syrienne fréquemment bombardée, surtout de nuit, la vie ne semble pas autrement bouleversée par ces actes de « l’ennemi sioniste » dont les chauffeurs de taxi, pour ne citer qu’eux, écoutent le récit avec indifférence après les horreurs des années de la guerre civile. Les sirènes sonnent sans émouvoir ; le très peu utile conseil des ministres, voire les hautes instances du régime, ne se réunit pas toutes affaires cessantes et les prix des denrées de première nécessité ne bondissent pas plus que de coutume. Un boutiquier du vieux souk de Damas interrogé par Orient XXI a répondu par un « Business as usual » narquois. Et les pilotes israéliens retournent tranquillement à leur base, mission accomplie, on est loin de l’atmosphère des guerres de 1967, 1973 ou même 1982.
Si les raids israéliens semblent ne faire que titiller le régime de Damas (« laissons-les se défouler », entend-on rire à Damas), leur intensification de la part du nouveau gouvernement israélien qui n’hésite plus à revendiquer ses attaques, interroge. Israël a fait bombarder le 4 avril Damas et sa banlieue, pourtant peu ou prou habituée à ce genre d’attaques. « Nous sommes intervenus au-delà de nos frontières », proclame fièrement le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. « Nous allons chasser l’Iran et le Hezbollah de Syrie », a renchéri son ministre de la défense, une antienne israélienne plus vite récitée que réalisée. Dans la foulée, Israël a également frappé dans la nuit de samedi 8 avril des positions d’artillerie en territoire syrien à proximité du Golan occupé. Peut-être ce genre de proclamation vise-t-il à faire oublier les difficultés du premier ministre israélien sur son front intérieur avec les manifestations contre la politique de son gouvernement d’extrême droite rejeté par une grande partie de la population, et alors que monte de nouveau la colère palestinienne contre l’occupation.
UNE IMPOSSIBLE ESCALADE
Mais deux éléments empêchent, pour l’instant, l’escalade. D’une part, la présence iranienne n’est pas facilement détectable. Leur matériel militaire est souvent disséminé dans des dépôts ou entrepôts gardés par leur allié, et parfois Iraniens et Syriens font partie de mêmes unités ou collaborent étroitement, comme c’est le cas sous le commandement de Maher Al-Assad, le frère du président, réputé très proche de Téhéran. D’autre part, Israël ne peut se permettre une opération de grande envergure dans le guêpier syrien, ne serait-ce que parce que le régime de Damas est aux yeux d’Israël un « adversaire amical » (malgré l’état de belligérance) depuis des décennies et que la frontière entre les deux pays est aussi calme que les eaux du lac de Tibériade qui les sépare.
Et Israël doit s’accommoder de l’inamovible président syrien Bachar Al-Assad. D’ailleurs, celui-ci effectuait au même moment, le 19 mars, une visite officielle à Abou Dhabi, accompagné par son épouse Asma, scellant ainsi le début d’une normalisation de Damas avec les pays frères arabes en prélude au sommet de la Ligue arabe prévu en mai en Arabie saoudite. Le royaume n’a pas encore donné son feu vert au retour de la Syrie au sein de la fraternité arabe, mais les signaux indiquent que cela ne saurait tarder. Symboliquement, ce retour dans le giron arabe, avec la Russie et la Chine à ses côtés, serait important même si les sanctions de l’Union européenne et des États-Unis dont la population plus que le régime est la première à souffrir, restent en place.
Juin 1936 Naissance de Fatma Zohra à Cherchell, Algérie, de Tahar Imalhayène et de Bahia Sahraoui (de la tribu des Berkani du Dahra)
1937-1946 Enfance à Mouzaïaville dans la Mitidja où le père est instituteur. Elle fréquente l’école française. Les premières années, après l’école française, elle va dans une école coranique privée ; elles sont deux filles au milieu des garçons.
1946-1953 Elle étudie au Collège de Blida, section classique, le latin, le grec et l’anglais. Elle est la seule musulmane dans sa classe. Il y a une vingtaine d’Algériennes qu’on appelle « les indigènes » mais elles sont en section moderne. Toutes sont internes. Fatma Zohra passe le bac à Blida et Alger.
Oct. 1953 Hypokhâgne au Lycée Bugeaud (aujourd’hui Lycée Emir-Abdelkader) à Alger, où Albert Camus a fait ses études. Elle suit l’enseignement du Professeur Lamblin.
Oct. 1954 Son père accepte de la laisser partir en khâgne à Paris, au Lycée Fénelon où elle rencontre Jacqueline Risset. Leur Professeur de Philo est Dina Dreyfus.
1 Nov. 1954 La guerre d’Algérie commence.
Juin 1995 Elle réussit l’entrée à l’ENS de Sèvres qui s’installe Boulevard Jourdan, dans le 14ème arrondissement. La directrice de l’Ecole est Mme Prenant, Professeur de Philo, spécialiste de Spinoza.
A partir d’Octobre 55, en 1ère et 2ème années, elle choisit non pas la Philo mais l’Histoire. Elle aurait aimé étudier l’arabe littéraire mais cet enseignement n’existe pas.
Mai-Juin 1956 Grève des étudiants algériens. Fatma Zohra ne passe pas ses examens en raison des « événements »
Juin 1957 Son premier roman La Soif, qu’elle a écrit en deux mois, est publié chez Julliard. Il est traduit aussitôt aux Etats-Unis où il a du succès et reçoit une importante édition en livre de poche. Fatma Zohra prend le pseudonyme de Assia Djebar à cause de ses parents et à cause de l’administration de l’Ecole.
Mars 1958 Elle continue à faire la grève des examens. La directrice de l’ENS, qui est alors Marie-Jeanne Durry, la contraint de quitter l’école.
Assia épouse un Algérien et quitte la France avec lui pour la Suisse puis Tunis.
Eté 1958 – À Tunis, Assia travaille comme journaliste en collaboration avec Frantz Fanon.
Eté 1959 Elle se rend dans les camps, aux frontières tunisiennes, avec la Croix Rouge et le Croissant Rouge, où elle fait des enquêtes parmi les paysans algériens réfugiés après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef. Son 4ème roman Les Alouettes naives, qu’elle publiera en 1967, retrace cette période.
A Tunis, en 1958, Assia rencontre Kateb Yacine.
Elle prépare, sous la direction de Louis Massignon, un Doctorat d’Histoire sur Aïcha el Manoubia, sainte patronne de Tunis à la fin du XIIème siècle, et étudie le récit des miracles.
Sept. 1959 Assia retrouve au Maroc son Professeur en Sorbonne Charles-André Julien, spécialiste de l’Histoire de l’Algérie, qui est Doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Elle enseigne pendant 3 ans comme Assistante en Histoire.
Été 1960 Assia écrit Les Enfants du nouveau monde. Certains récits lui sont inspirés par sa mère et sa belle-mère qui viennent lui rendre visite à Rabat et qui lui racontent des épisodes de la guerre à Blida vue depuis le patio des femmes. Le roman ne sera publié qu’en 1962 à cause d’un litige entre le Seuil et Julliard.
1962 Le 1er juillet, Assia rentre à Alger, envoyée par Françoise Giroud, directrice de l’Express, pour faire un reportage sur les premiers jours de l’Indépendance.
Enterrement de sa grand-mère maternelle. Son texte Les morts parlent se fait l’écho de ce deuil.
Le 1er septembre, elle est nommée Professeur à l’Université d’Alger où elle est la seule Algérienne à enseigner l’Histoire. Assia choisit de travailler sur le XIXème siècle et l’Etat de l’Emir Abdelkader. Elle enseigne jusqu’en 1965. L’Histoire, comme la Philosophie, doivent alors être arabisées : Assia se met en disponibilité et quitte Alger pour Paris.
Oct. 1966 – Résidente en France, elle fait des séjours réguliers, l’été, chez ses parents au
Janv. 1974 bord de la mer, à Daouda (Alger). Adoption à 13 mois de sa fille Djalila, née en Juin 1965.
1974 – En janvier 1974, retour à Alger. Elle enseigne la littérature française et le
1975 le cinéma au Département de Français de l’Université. Tahar Djaout suit son séminaire de Cinéma. Elle travaille également à l’A.A.R.D.E.S., dirigée par M’Hamed Boukhobza, pour des enquêtes sociologiques sur les structures familiales d’émigrants.
Divorce en Octobre 1975.
Assia dépose à la TV algérienne un projet de film long métrage qui est un documentaire-fiction sur la tribu de sa mère, les Berkani, au nord de Cherchell.
1976 – Le tournage du film La Nouba des femmes du Mont Chenoua a pour lieu
1978 principal Tipasa, avec deux comédiens et des acteurs non-professionnels. En même temps, Assia assure ses cours de littérature à l’Université. Plusieurs chapitres de son roman Vaste est la prison évoquent des épisodes du tournage.
1979 Montage du son à Paris. La réception du film, lors de la première projection à Alger, est houleuse. Sélectionné par le Festival de Carthage, La Nouba est déprogrammé par Alger. Protestation des Critiques étrangers qui demandent une autre projection.
Reçoit le Prix de la Critique internationale à la Biennale de Venise. Accueil enthousiaste du public.
1980 Est invitée avec La Nouba des femmes du Mont Chenoua au premier Festival de femmes. La Télévision algérienne ne donne pas suite : il faut attendre 1995 pour que le film soit diffusé par « Women Make Movies » à New York.
Publication du recueil de nouvelles Femmes d’Alger dans leur appartement aux Editions des femmes.
1981 – Epouse le poète Malek Alloula.
1984 Assia refuse un poste à l’UNESCO. Retirée à l’Hay-les-Roses, elle se consacre à l’écriture.
Elle travaille à un nouveau film de montage à partir des Archives à Paris : La Zerda ou les chants de l’oubli, avec le musicien Hamed Essyad. Le film est financé par la Télévision algérienne. En février 1983, il obtient au Festival de Berlin le Prix du Meilleur Film historique.
1985 Publication de L’amour, la fantasia, premier livre du « Quatuor algérien ». Critique enthousiaste. Prix de l’Amitié franco-arabe. Détachée au Centre Culturel Algérien à Paris jusqu’en 1994, elle y organise entre autre un colloque sur l’œuvre de Mohammed Dib.
Elle est nommée par Pierre Bérégovoy au Conseil d’Administration du Fonds d’Action Sociale (Emigration en France) ; elle y restera six ans.
1987 Publication d’Ombre sultane, deuxième volume du quatuor. Prix Liberatur à Francfort-sur-le-Main (meilleur roman de femme). Assia commence à faire de régulières tournées de lectures. A l’Institut culturel Français de Heidelberg, elle est reçue par Mireille Calle-Gruber.
1991 Publication de Loin de Médine.
Nommée Membre du jury de l’International Literary Neustadt Prize aux Etats-Unis, qui est composé de dix écrivains, Assia y défend Mohammed Dib.
à partir de Série de conférences dans les Universités d’Amérique du Nord. Lors du
1992 Colloque de Queen’s University (Canada) organisé par Mireille Calle-Gruber, elle rencontre Gayatri Spivak.
1993 Carrefour des littératures à Strasbourg.
1993 – Les assassinats en Algérie frappent ses proches : Tahar Djaout est tué le 3 juin
1994 1993 ; Mahfoud Boucebci le 15 juin ; M’Hamed Boukhobza le 27 juin. Abdelkader Alloula, son beau-frère, est assassiné le 11 mars 1993 et meurt à Paris le 15.
1994 Passe trois mois à Strasbourg avec une bourse d’écrivain. Commence Les Nuits de Strasbourg, qui sera interrompu. Participe à la fondation du Parlement international des écrivains Christian Salmon.
1995 Publication de Vaste est la prison, écrit à Paris en 1994. A Berkeley, où elle est Professeur invité, Le Blanc de l’Algérie, hantée par les assassinés d’Algérie. Reçoit le prix Maurice-Maeterlinck à Bruxelles, Doctorat honoris causa à l’Université de Vienne.
Mort du père en octobre. Elle va à Alger.
Puis, à son retour, elle accepte la direction du Centre Francophone de l’Université de Louisiane, à Baton Rouge.
1996 Parution du Blanc de l’Algérie.
1997 Parution de Oran, langue morte. Prix Marguerite Yourcenar (Boston, octobre 1997) Sortie des Nuits de Strasbourg. Prix du Meilleur essai en Allemagne et Prix International de Palmi en Italie (1998). Vaste est la prison, traduit aux Etats-Unis et publié par Seven Stories, reçoit de nombreuses et excellentes critiques.
1999 Elue à l’Académie Royale de Belgique sur le fauteuil de Julien Green.
2000 Monte au Teatro di Roma (juin-octobre) l’opéra écrit l’année précédente : Figlie d’Ismaele nel Vento e nella Tempesta. Repris à Palerme et à Trieste en octobre.
Reçoit le Prix de la Paix à Francfort-sur-le-Main.
2001 Quitte la Louisiane pour New York University.
2002 Doctorat honoris causa de l’Université de Concordia (Montréal).
Nommée Silver Chair Professor à New York University.
Parution de La Femme sans sépulture.
2003 Un colloque international « Assia Djebar, nomade entre les murs… », organisé à la Maison des Ecrivains par Mireille Calle-Gruber, réunit autour d’Assia, outre de nombreux critiques universitaires et ses traducteurs, les écrivains Andrée Chédid, François Bon, Pierre Michon, Albert Memmi, Abdelkebir Khatibi, Jacqueline Risset.
Publie La Disparition de la langue française.
2004 En Italie (Pordenone), le prix littéraire Dedica est consacré tout le mois à l’œuvre d’Assia Djebar.
2005 Reçoit le doctorat honoris causa de l’Université d’Osnabrück, ville-symbole de l’historique Traité de Westphalie et de la concorde entre les peuples et les religions.
16 juin 2005 Assia Djebar est élue à l’Académie Française.
Reçoit le prix Pablo Neruda à Naples, Italie en décembre 2005.
2006 Reçoit le prix Grinzane Cavour à Turin, Italie en janvier 2006.
Réception à l’Académie Française aura lieu le 22 juin 2006.
Photo by Nadji
« 1936 Cherchell, à une centaine de kilomètres à l’ouest d’Alger, l’ancienne capitale de la Maurétanie césarienne et de Juba II dans l’Algérie antique : c’est là que naît le 30 juin 1936 Fatma-Zohra Imalhayène dans une famille de petite bourgeoisie traditionnelle.
Le père fait des études à l’Ecole normale musulmane d’instituteurs de Bouzaréah, où il est condisciple du futur romancier algérien Mouloud Feraoun (1913-1962). Du côté maternel, dans la tribu des Béni Menacer, on trouve un aïeul, Mohammed Ben Aïssa El Berkani, qui était lieutenant (khalifa) de l’Emir Abdelkader à Médéa. L’arrière-grand-père, Malek Sahraoui el Berkani, neveu du khalifa et caïd des Beni Menacer, prend la tête en juillet 1871 d’une rébellion, parallèlement à la révolte dans les Kabylies. Il est tué au combat le 2 août 1871. Fatma-Zohra fréquente l’école coranique et l’école primaire française à Mouzaïaville (Mouzaïa actuellement) dans la Mitidja, où le père était instituteur. »
Jean Déjeux, Assia Djebar, écrivain algérien cinéaste arabe
Mon Enfance
Mon enfance, dans l’Algérie coloniale, s’est passée dans deux lieux. Mon père était instituteur. L’année scolaire se déroulait dans un petit village de colonisation, dans la plaine de la Mitidja, non loin d’Alger. Mon père était le seul instituteur algérien musulman, au milieu de collègues français, la plupart débarqués récemment de la France métropolitaine. Quand arrivaient les vacances scolaires, nous retournions à la ville d’où est originaire toute ma famille maternelle et paternelle ; c’est une des plus vieilles villes d’Algérie, qui s’appelle Cherchell, qui s’appelait, dans l’antiquité, Césarée, près de Tipasa, elle fut la capitale de la Maurétanie Cesarienne pendant cinq siècles.
Dans cette cité, repeuplée au seizième siècle par des familles de réfugiés andalous, toutes mes attaches et les traditions des miens se trouvent là. Alors que, dans le petit village de colonisation, nous étions isolés : la population autochtone étant presque entièrement composée d’ouvriers dépossédés, salariés dépendant de colons français très riches.
Lectures de jeunesse
J’ai quitté cette vie familiale à dix ans pour aller au collège de Blida. Mon père était passionné d’histoire, pendant les longues siestes d’été, je lisais ses collections sur La Révolution française avec les portraits de tous les grands révolutionnaires de 89…
Sur le plan littéraire, mon père aimait Anatole France, et naturellement les classiques du XIX… Moi, ce qui m’a d’abord marquée, vers l’âge de 13 ans, à la pension où j’étais à Blida (j’avais une amie mi-italienne, mi-française et nous lisions énormément), ce fut un livre : La Correspondance d’Alain Fournier et de Jacques Rivière. Deux jeunes étudiants, à 18 ans, au début de ce siècle, découvraient Gide, Claudel, puis Giraudoux… Grâce à ce livre, j’ai commencé, plus jeune que les autres, à lire, à lire vraiment, à faire la différence entre les livres de littérature qui vous forment et, disons, les livres pour enfants, livres d’aventures et de simple évasion…
Le plaisir de lire
A propos de livres d’enfant, je me souviens qu’à sept ans, je crois, en rapportant de l’école un livre d’Hector Malot, je pleurais à gros sanglots dans ma chambre et ma mère accourait affolée: or c’était le plaisir de pleurer à la lecture d’un livre sentimental! Ce fut mon premier souvenir de lecture…
Mais ce qui a dû déterminer ma conscience vive et admirative de ce qu’est vraiment la littérature, ce fut le fait que 3 ans ou 4 ans à l’avance, je lisais des livres un peu complexes et dont la densité (ou la difficulté à les comprendre vraiment) me fascinait…
Peut-être que mon désir d’écrire est né à ce moment là !...
J’ai eu d’ailleurs, un été de cette pré-adolescence, (à 13 ans, je crois) le projet d’écrire un roman pour pouvoir, l’ayant terminé et pensant l’envoyer en cachette à quelque éditeur, en faire simplement la surprise à mon père ! Projet puéril dont j’ai oublié le contenu, sauf que je ne pus terminer cette ébauche…
Dans le recueil de ses Mémoires qui vient de paraître, l’ex-homme fort de l’armée algérienne, Khaled Nezzar, apporte un nouvel éclairage sur quelques épisodes marquants de l’histoire nationale et régionale algérienne.
Sa réputation de général le plus bavard de la Grande Muette ne se dément pas avec le temps. Grande gueule devant l’Éternel, admiré par certains, honni par d’autres, le général-major Khaled Nezzar, 79 ans, n’a pas son pareil dans l’armée algérienne. Ancien ministre de la Défense avant de prendre sa retraite, acteur de premier plan au sein d’un système où la frontière entre le politique et le militaire n’est jamais étanche, Nezzar a longtemps compté parmi les décideurs les plus influents du pays.
Auteur de plusieurs ouvrages dans lesquels il revient sur sa longue carrière militaire, Nezzar cultive néanmoins encore le goût du secret, comme au temps de la révolution ou du parti unique. Dans le premier tome du Recueil des Mémoires du général Khaled Nezzar, sorti récemment à Alger, il raconte petits et grands épisodes qui ont marqué l’histoire de l’Algérie, notamment entre l’indépendance, en 1962, et le début de la guerre civile, en 1991.
De Ben Bella à Chadli, en passant par Boumédiène, Hassan II ou encore Kadhafi, cet ouvrage retrace une époque dont les grands protagonistes ne sont plus de ce monde, mais qui auront marqué, chacun à leur façon, le cours de l’histoire de leurs pays respectifs.
Stationné avec son bataillon de soldats à Bou-Saâda, à 240 km au sud-est d’Alger, Khaled Nezzar reçoit de Boumédiène l’ordre de marcher sur Alger aux côtés de l’armée des frontières. Objectif : porter Ahmed Ben Bella à la tête du jeune État algérien. « Tournez les canons vers le bas, lui dit Boumédiène, je ne veux pas de sang, mais il faut arriver à Alger. »
Et Nezzar de brosser un portrait saisissant de ce colonel aussi ambitieux que taciturne. Un visage « osseux et anguleux avec des pommettes saillantes, un front immense, des yeux petits et presque sans cils, une lippe charnue, immobile, pour cacher une dentition ravagée par le mauvais tabac ». Bien sûr, l’âge, l’exercice du pouvoir, une meilleure hygiène de vie et une heureuse vie de couple après des années de célibat avaient changé Boumédiène. Mais cet homme aux multiples facettes gardera toujours ce regard si particulier.
« IL N’Y A AUCUNE HUMANITÉ DANS LE REGARD DE HOUARI BOUMÉDIÈNE QUAND IL SE POSE SUR CELUI QUI A FAIT NAÎTRE SA VINDICTE »
« Un regard fixe, écrit Nezzar, vibrant d’un flux intensément expressif, venant de ces profondeurs de l’être où naissent des instincts primitifs de certains animaux qui savent que, pour survivre, ils doivent mordre et terrasser. Il n’y a aucune humanité dans le regard de Houari Boumédiène quand il se pose sur celui qui a fait naître sa vindicte. » Ses nombreux opposants morts, exilés, excommuniés ou assassinés en savent quelque chose, à commencer par Ahmed Ben Bella, que Boumédiène a porté au pouvoir avant de l’en déloger.
Ben Bella et les sous-marins égyptiens
Les historiens avancent plusieurs raisons pour expliquer la rupture entre Boumédiène et Ben Bella qui débouchera sur le coup d’État du 19 juin 1965. Khaled Nezzar rapporte un épisode qui marque, selon lui, le divorce officiel entre les deux anciens partenaires. Mai 1965. Ministre de la Défense et vice-président, Boumédiène se rend à Moscou à la tête d’une importante délégation militaire.
Irrité par ce déplacement, Ben Bella ordonne le rapatriement de l’avion qui avait conduit les Algériens en URSS. Sans en avertir Boumédiène. À Moscou, les Soviétiques insistent pour que celui-ci prolonge son séjour afin d’assister à la fête nationale du 9-Mai. Les égards avec lesquels est traité son ministre de la Défense agacent Ben Bella, qui dépêche une autre délégation pour prendre part aux cérémonies commémoratives. La crise qui couvait entre les deux hommes sort du cadre algéro-algérien pour prendre une dimension internationale.
QUE FAISAIT L’OFFICIER ÉGYPTIEN DANS UN HÔTEL DE LA CAPITALE ET POURQUOI DES SOUS-MARINS SE TROUVAIENT-ILS NON LOIN DU PORT D’ALGER ?
Embarrassés par les rivalités qui minent les deux délégations présentes sur leur sol, les Russes multiplient les acrobaties pour faire en sorte que les frères algériens ne se croisent pas. Bien que stoïque et flegmatique, Boumédiène vit l’initiative de Ben Bella comme un affront personnel. C’est un casus belli. « C’est ce jour, peut-être, que Ben Bella a scellé son sort », pense Khaled Nezzar.
Que faisait l’officier égyptien dans un hôtel de la capitale et pourquoi des sous-marins se trouvaient-ils non loin du port d’Alger ? Peut-être que le président égyptien Gamal Abdel Nasser, qui avait pris sous son aile Ahmed Ben Bella, comptait intervenir en Algérie pour sauver la tête de son ami. Ulcérés par le coup d’État qui a renversé leur allié, les Égyptiens réclament à Boumédiène la restitution des cinq avions de chasse MIG-15 qu’ils avaient offerts à l’Algérie en guise de cadeau d’indépendance.
Les regrets du patron de la SM
Alger, décembre 1978. Après une agonie d’un mois et demi, Houari Boumédiène s’éteint à l’âge de 46 ans. Discrète pendant que le défunt se mourait dans une chambre stérile de l’hôpital Mustapha d’Alger, la bataille pour sa succession oppose Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères et dauphin autoproclamé, à Mohamed Salah Yahiaoui, patron du FLN. Mais, contre tous les pronostics, un troisième homme apparaît sur les écrans radars.
Il s’agit du colonel Chadli Bendjedid, chef de la 2e région militaire. Sauf que sa candidature n’agrée pas tous ses collègues de l’armée, notamment Khaled Nezzar et Selim Saadi, chef de la 3e région militaire. Nezzar écrit : « Selim et moi étions convaincus que Chadli était le moins qualifié pour exercer la magistrature suprême. Il a des connaissances politiques limitées et un caractère émotif et influençable. »
MOINS MALLÉABLE ET INFLUENÇABLE QU’IL N’Y PARAÎT, REDOUTABLE TACTICIEN ET FIN STRATÈGE, CHADLI S’EMPLOIERA À « DÉBOUMÉDIÉNISER » LE POUVOIR
Les réserves des deux hommes n’auront pas d’influence sur la suite des événements. Chadli sera désigné comme successeur officiel de Houari Boumédiène grâce au travail en coulisses de Kasdi Merbah, le directeur de la redoutable sécurité militaire (SM), qui détient des dossiers sensibles sur tous les dirigeants algériens.
Pourquoi Merbah a-t-il écarté Bouteflika et Yahiaoui ? Son principal souci, expliquera-t-il plus tard, était de désigner un officier afin de préserver l’unité et la cohésion de l’armée, véritable détentrice du pouvoir et garante de la stabilité du pays. « En réalité, juge Nezzar, le chef des services, dans la perspective de conserver la réalité du pouvoir, avait choisi l’homme dont le profil psychologique lui convenait. » En clair, Chadli serait une marionnette entre les mains de Merbah. Mais ce dernier s’est lourdement trompé.
Moins malléable et influençable qu’il n’y paraît, redoutable tacticien et fin stratège, Chadli s’emploiera à « déboumédiéniser » le pouvoir en écartant progressivement la vieille garde, à commencer par Kasdi Merbah, qui sera assassiné par un groupe terroriste en 1993. Quelques années plus tard, son épouse rencontre Khaled Nezzar au cours d’un voyage. Dans l’avion, elle lui fait cette confidence : « Mon mari répétait souvent, avec un soupir, “j’aurais dû écouter Khaled Nezzar”. »
Chadli et le mur marocain
Peu après l’arrivée au pouvoir de Chadli, en février 1979, Hassan II entame la construction du fameux « mur de défense », de 2 720 km, une ligne de fortification pour se protéger des attaques du Front Polisario. Et tente, parallèlement, de se rapprocher de l’Algérie, avec laquelle les relations diplomatiques sont rompues depuis mars 1976.
Grâce aux bons offices des Saoudiens, Hassan II et Chadli Bendjedid se rencontrent une première fois en février 1983, à la frontière algéro-marocaine. Pour Khaled Nezzar – alors chef de la 2e région militaire, qui longe la frontière entre les deux voisins –, ce rapprochement est une ruse de la part du roi du Maroc, qui fait miroiter une solution politique à la crise entre Alger et Rabat.
« Hassan II a des arrière-pensées, écrit Nezzar. Le roi a tout ce qui manque à Chadli : la connaissance parfaite du dossier, la psychologie des hommes, la capacité à feindre et le manque de scrupules qui facilite les volte-face. Chadli n’a pas mesuré au juste prix ce que coûterait à Hassan II, sur le plan intérieur, un abandon de sa politique agressive au Sahara. »
Avec Mohamed Touati, chef d’état-major de la 3e région militaire, Nezzar adresse un mémo à Chadli « pour attirer son attention sur les raisons de ce brusque accès d’amitié envers l’Algérie » de la part du monarque marocain. Les deux hommes proposent des mesures pour empêcher la construction du mur : ouvrir aux combattants du Polisario un champ d’action pour pénétrer dans le territoire marocain, consolider les forces motorisées de l’armée algérienne et, enfin, déployer les hélicoptères de combat et les MIG pour protéger l’espace aérien de l’Algérie.
Un soldat marocain surveillant le « mur de défen
Lors d’un conclave à Béchar avec le commandement militaire, Chadli approuve le plan, mais refuse de le faire appliquer. Pourquoi ? Explication de Nezzar : « Il se trouve auprès du président des avis opposés, au motif que ce plan pourrait conduire à une guerre généralisée et que le contexte international n’est pas favorable. »
Quand Nezzar plante le roi
Mai 1991. Hassan II est à Oran à l’invitation du président algérien. Au cours du dîner offert en son honneur, le roi échange avec Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense. Ce dernier lui fait part de la vision des généraux algériens des relations entre les deux voisins. « Nous militaires, lui confie-t-il, ne souhaitons qu’une chose : que les problèmes qui existent soient résolus – et résolus d’une façon pacifique. Ensuite nous aimerions nous engager avec l’armée marocaine dans une coopération pour créer les conditions d’une défense commune. L’union du Maghreb sera acquise dès lors que les économies et les forces armées des deux pays en seront les piliers et le moteur. »
Réplique du souverain marocain : « Si c’est comme ça que vous voyez le Maghreb, envoyez, dès demain, une brigade s’installer à Rabat. » Le ministre algérien de la Défense sait que le souverain marocain a une trop grande connaissance de la politique algérienne pour être honnête. « La façon dont est articulée l’Assemblée populaire nationale [APN] n’a pas de secrets pour lui », admet-il.
Le dîner terminé, Chadli demande à Nezzar de faire visiter à son hôte la base navale de Mers el-Kébir, ainsi que ses installations. Pour Nezzar, cette demande est plus qu’embarrassante. Comment le patron de l’armée pourrait-il jouer les guides avec Hassan II alors que les chars algériens sont sur le pied de guerre et que les unités sont sous pression ? Comment dévoiler aux officiers marocains les détails de la principale base navale du pays ? Le risque de démobilisation des troupes de Nezzar n’est pas exclu.
Que faire ? Avaler la couleuvre ou désobéir à l’initiative présidentielle, qu’il juge incongrue ? Khaled Nezzar décide de planter tout le monde et reprend l’avion pour Alger. Le lendemain, le secrétaire général du ministère marocain de la Défense, le commandant de la gendarmerie royale et le directeur des services de sécurité lui rendent visite dans son bureau pour lui transmettre une invitation royale à se rendre à Rabat. Nezzar ne donnera pas suite.
Rabat accepte de livrer le chef du GIA
Si Khaled Nezzar n’est pas allé à Rabat pour honorer cette invitation de Hassan II, il s’y rendra pour une occasion très particulière au printemps 1993. L’Algérie est alors plongée dans une effroyable guerre civile depuis déjà une année quand Abdelhak Layada, fondateur et chef du Groupe islamique armé (GIA), se rend discrètement au Maroc sous une fausse identité pour s’y cacher et tenter de se procurer des armes. Les services de renseignements algériens le localisent dans un hôtel de Oujda, près de la frontière algérienne.
Comment faire pour mettre la main sur Layada ? Organiser une opération à l’intérieur du territoire marocain, au risque de provoquer une crise diplomatique entre les deux capitales, ou informer les Marocains de sa présence sur le sol ? Khaled Nezzar décide d’appeler Driss Basri, ministre de l’Intérieur, pour évoquer la situation sécuritaire sans mentionner le cas d’Abdelhak Layada.
Le général Smaïn Lamari, numéro deux du DRS algérien (les services secrets, dissous en 2016), se rend alors au Maroc pour informer les Marocains de la présence du chef du GIA à Oujda et réclamer sa livraison. Les Marocains n’accèdent pas tout de suite à cette demande. Hassan II souhaite d’abord s’entretenir à Rabat avec Khaled Nezzar. Dans une villa royale, la rencontre entre les deux hommes dure deux heures. Alors qu’ils évoquent les modalités de la remise à l’Algérie du chef terroriste, le souverain marocain se tourne vers son hôte en s’exclamant : « Vous vous rendez compte, nous avons récupéré des stocks d’armes ! »
HASSAN II VA SE SERVIR DE CET ATTENTAT COMME D’UNE MACHINE INFERNALE CONTRE L’ALGÉRIE
Khaled Nezzar est convaincu que les services marocains ont menti à leur roi. Pour lui, l’emplacement des stocks d’armes a été révélé aux Marocains par Smaïn Lamari lors de son séjour au Maroc. Comment ? Ayant infiltré un réseau de soutien au GIA, les services algériens avaient noté les numéros de ces armes pour faciliter leur traçabilité. Le 29 septembre, Abdelhak Layada est officiellement extradé vers l’Algérie, où il sera jugé et condamné à mort. Gracié, il vit aujourd’hui libre, dans une banlieue d’Alger.
Son passage au Maroc provoquera un dommage collatéral, qui pèse encore sur les relations entre les deux capitales. Selon Nezzar, c’est l’une des armes automatiques de ces stocks qui a été utilisée dans l’attentat qui secouera, en août 1994, un hôtel à Marrakech. « La preuve que cet attentat a été monté par les services marocains, écrit Nezzar. Hassan II va se servir de cet attentat comme d’une machine infernale contre l’Algérie. » L’attaque aura comme conséquence la fermeture, jusqu’aujourd’hui, des frontières entre les deux pays.
Kadhafi implore l’aide algérienne
Mars 1987. Les troupes tchadiennes, appuyées par l’aviation française, prennent d’assaut la base libyenne de Ouadi Eddoum, dans la bande d’Aouzou, annexée par le colonel Kadhafi. Craignant que les Tchadiens ne remontent vers le nord pour s’emparer de territoires libyens, le « Guide » sollicite une aide militaire d’urgence auprès de l’Algérie.
Chadli charge Khaled Nezzar, chef d’état-major, d’une mission à Tripoli. Sous une tente dans le palais Al-Aziziya, il rencontre Kadhafi pour connaître la nature de l’aide attendue. De retour à Alger, Nezzar élabore un plan qui prévoit surtout le déploiement de troupes algériennes dans le nord de la Jamahiriya afin de permettre aux armées libyennes de défendre leur territoire au sud.
Le plan validé par Chadli, Nezzar retourne à Tripoli pour le soumettre au colonel. Ce dernier donne son accord, mais pose cette condition : « Les unités algériennes doivent venir sans munitions ! Il leur sera alloué, sur place, des munitions d’instruction à justifier par le reversement des étuis », rapporte Nezzar dans son livre. Les Algériens sont estomaqués par cette requête du colonel. Informé, Chadli reste sans voix. Le plan d’aide tombe à l’eau. « Nous doutons de l’équilibre mental de celui qui ose imaginer une telle aberration », conclut Nezzar.
Les commentaires récents