Le nouveau stade de Baraki, situé dans la banlieue ouest d’Alger, portera le nom de Nelson Mandela. Les autorités algériennes ont décidé de le baptiser du nom de l’ex-leader de l’ANC et ancien président de l’Afrique du Sud en raison de ses relations particulières avec l’Algérie.
D’une capacité de 40 000 places, construit par l’entreprise chinoise China Railway Construction Engineering Group pour un montant avoisinant 200 millions d’euros, ce stade fait partie des six enceintes retenues dans le cadre du dossier de candidature déposé par la Fédération algérienne de football (FAF) pour l’organisation de la CAN 2025.
FLN, ANC, même combat
Les liens entre Nelson Mandela et l’Algérie remontent à l’époque qui a précédé la proclamation du cessez-le-feu de mars 1962. Dans ses Mémoires, Conversations avec moi-même, parus en 2010 et préfacés par Barack Obama, l’ancien président sud-africain s’est épanché sur cet épisode qui l’avait amené à côtoyer les dirigeants de la révolution algérienne. Il y racontait aussi l’impact que celle-ci avait eue sur la lutte armée contre le régime de l’apartheid. « La situation en Algérie était pour nous le modèle le plus proche du nôtre parce que les rebelles affrontaient une importante communauté de colons blancs qui régnait sur la majorité indigène », écrit-il dans ses Mémoires.
Après un voyage en Tunisie, où il rencontre le président Habib Bourguiba, Nelson Mandela arrive à Rabat le 18 mars 1962 avec un faux passeport éthiopien au nom de David Modsarmayi. Les représentants du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et du gouvernement français signent à Évian les accords qui aboutiront à la proclamation le lendemain du cessez-le-feu en Algérie.
Sur invitation d’Ahmed Ben Bella, un des dirigeants du FLN, Nelson Mandela prend ce jour-là le train à Rabat en direction d’Oujda en compagnie de Robert Resha, ancien journaliste et membre de l’ANC, pour visiter le QG de l’état-major de l’Armée de libération nationale (ALN).
À son arrivée à Oujda, Nelson Mandela est accueilli par Noureddine Djoudi, chef de section politique à l’ALN et futur ambassadeur d’Algérie en Afrique du Sud, qui lui servira d’interprète et de guide au cours de ce bref séjour parmi les combattants et dirigeants algériens.
Au QG d’Oujda, Nelson Mandela aura de longues discussions avec le docteur Chawki Mostefaï, chef de la mission diplomatique du GPRA auprès de l’État marocain. Il rencontre également un dirigeant de l’ALN, Cherif Belkacem, qui deviendra plus tard ministre et un des amis intimes du président Houari Boumédiène.
Théorie de la guérilla
Mandela raconte la teneur de ces échanges : « Le Dr. Mustafa nous a raconté comment le FLN avait commencé la lutte avec quelques attentats en 1954, ayant été encouragé par la défaite des Français à Diên Biên Phu, au Vietnam. Au début, le FLN croyait pouvoir vaincre les Français militairement, puis il s’est rendu compte qu’une victoire purement militaire était impossible. Les responsables du FLN ont donc eu recours à la guerre de guérilla. Il nous a expliqué que ce genre de guerre n’avait pas comme objectif de remporter une victoire militaire mais de libérer les forces économiques et politiques qui feraient tomber l’ennemi. Le Dr. Mustafa nous a conseillé de ne pas négliger le côté politique de la guerre tout en organisant les forces militaires. »
Hébergé dans une ferme d’orangers appartenant à un Algérien, Nelson Mandela visite ensuite le centre d’entraînement de l’ALN, à Zeghanghane, dans la province de Nador. Ici, le chef de l’ANC, habillé en tenue safari, reçoit une brève initiation au maniement des armes et des mines. Il y rencontre un officier du nom de Mohamed Lamari, qui sera, des années plus tard, chef d’état-major de l’armée et l’un des généraux les plus puissants des années 1990.
C’EST L’ARMÉE ALGÉRIENNE QUI A FAIT DE MOI UN HOMME
Flanqué de son interprète et de Cherif Belkacem, Nelson Mandela visite ensuite le musée d’armements de l’ALN, ainsi que le centre de transmissions. À la fin du diner organisé en son honneur, il assiste à des représentations théâtrales qui glorifient la lutte pour l’indépendance. Le lendemain, ses hôtes lui organisent une virée dans un camp de l’ALN, à quelques encablures des troupes françaises stationnées aux frontières avec le Maroc. Dans ses Mémoires, Nelson Mandela se souvient de ce moment si particulier : « Nous avons visité une unité sur le front ; à un moment, j’ai pris une paire de jumelles et j’ai vu des soldats français de l’autre côté de la frontière. J’avoue que j’ai pensé voir les uniformes des forces de défense sud-africaines. »
Deux ans après l’établissement de relations diplomatiques avec Israël, le Maroc peine à faire accepter à sa population le rapprochement avec cet État. Pour tenter de surmonter l’obstacle, le royaume fait appel à l’histoire commune entre les deux peuples.
C’est l’une des rares photos des Lions de l’Atlas que les autorités marocaines n’auront pas mise en valeur. Après la victoire contre l’Espagne en huitième de finale de la Coupe du monde de football au Qatar, l’équipe nationale marocaine pose fièrement sur le terrain du City Stadium. Entre les mains du défenseur Jawad El Yamiq, un drapeau de la Palestine, brandi fièrement. Depuis le début du tournoi disputé pour la première fois sur une terre arabe, les références à la Palestine sont nombreuses, notamment chez les supporteurs. Mais la symbolique est encore plus forte lorsque la cause est brandie par les joueurs du premier pays arabe à atteindre les quarts de finale de la plus grande compétition de football et dont le gouvernement est l’un des principaux moteurs de la normalisation avec Israël.
Le royaume du Maroc est en effet l’un des six pays arabo-musulmans à avoir officiellement noué des relations diplomatiques avec Israël (avec la Jordanie, le Bahreïn, l’Égypte, le Soudan et les Émirats arabes unis) au terme d’un accord tripartite signé avec les États-Unis, qui ont de leur côté reconnu la marocanité du Sahara occidental. À la suite de cet accord, de nombreuses promesses de coopération sont signées dans des domaines divers et variés.
COOPÉRATION MILITAIRE ET JUDICIAIRE
Sur le plan militaire, les dispositions de l’accord de défense qui lie Rabat à Tel Aviv prévoient entre autres le transfert et la vente d’armes entre les deux alliés. À la mi-juillet 2022, les deux pays ont consolidé leur alliance stratégique et militaire à l’occasion du déplacement au Maroc du chef d’état-major de l’armée israélienne, Aviv Kochavi. Depuis quelques mois, la presse israélienne a relayé plusieurs informations sur la signature de contrats de transfert d’armement israélien au profit de l’armée marocaine, portant notamment sur le système de défense aérienne et antimissile Barak MX ou le système de défense anti-drone Skylock Dome.
Si aucune de ces ventes n’a été confirmée par des sources officielles, le constructeur israélien Bluebird AeroSystems Ltd, filiale du groupe Israel Aerospace Industries, a annoncé en septembre avoir livré 150 drones WanderB et ThunderB à l’armée marocaine, pour des missions dites « Istar » — intelligence, surveillance, target acquisition, reconnaissance — de surveillance des frontières et de soutien de l’artillerie. Point d’orgue de ce travail d’équipe, une partie de ces drones sera construite sur le sol marocain, selon le site d’information marocain Le Desk (le 20 septembre). « On est dans une course à l’armement, explique le professeur Aboubakr Jamai de l’Institut américain universitaire d’Aix-en-Provence (France) ; d’une part le Maroc est officiellement en guerre depuis la rupture du cessez-le-feu avec le Polisario en décembre 2020, d’autre part l’Algérie a une capacité d’armement supérieure au Maroc et ce dernier veut se mettre à niveau ».
D’un point de vue judiciaire, la coopération a été scellée par la signature d’un protocole d’accord entre le ministre de la justice israélien Gideon Saar et son homologue marocain, Abdellatif Ouahbi. Elle vise un « partage d’expertise » et « une modernisation des systèmes judiciaires grâce à la numérisation », selon un communiqué conjoint. Les deux parties prévoient aussi de lutter de concert contre le crime organisé, le terrorisme et la traite humaine. « Ces liens juridiques ont toujours existé, commente Jamal Amiar, l’auteur de Le Maroc, Israël et les juifs marocains, (Bibliomonde, novembre 2022). Les affaires civiles des juifs marocains sont jugées par la loi juive, les tribunaux marocains sont basés sur la charia et le code Napoléon, alors pour se marier, divorcer, hériter… les juifs passent par la Torah. C’est quelque chose qui est intégré depuis des centaines d’années ».
Enfin, le pouvoir entend développer la filière touristique entre les deux pays. Depuis la normalisation, quatre vols hebdomadaires font l’aller-retour entre Israël et Marrakech. Selon le porte-parole du Conseil touristique régional de Marrakech, cité par Média24 (18 novembre 2022), ce marché constitue une « manne extraordinaire » pouvant atteindre « le million de visiteurs dans les cinq ans à venir ». De quoi relancer, espèrent certains, une économie largement basée sur le tourisme, en berne depuis la crise du Covid et les confinements successifs Au-delà de la normalisation, « il y a un approfondissement des relations entre les deux pays », analyse Aboubakr Jamai.
La présence persistante de la Palestine
Pour autant, malgré ces accords et pour tenir compte de la sensibilité populaire, le palais marocain prétend toujours porter la cause palestinienne, chère au cœur de sa population. Le 29 novembre 2022, à l’occasion de la journée internationale de la solidarité avec le peuple palestinien, le souverain Mohamed VI adressait un message de « soutien constant et clair à la juste cause palestinienne et aux droits légitimes du peuple palestinien ». Dans son texte adressé à Cheikh Niang, président du Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, le souverain rappelle son attachement au « droit à l’établissement de son État indépendant ayant Jérusalem-Est pour capitale, et vivant côte à côte avec l’État d’Israël, dans la paix et la sécurité ».
Mais ces quelques déclarations ne suffisent pas à combler la différence de points de vue entre le pouvoir et la population. Seuls 31 % des Marocains interrogés par l’institut de sondage Arab Barometer se disent favorables au rapprochement avec Israël. « Accords d’Abraham ou pas, il y a une solidarité arabe sur la Palestine, analyse la chercheuse Khadija Mohsen-Finan, et un fossé entre les actions des classes dirigeantes et la réaction du public ».
Ce fossé, les autorités marocaines en sont parfaitement conscientes. Lors de la visite d’une grande délégation israélienne en juillet, le ministre israélien de la coopération régionale Issawi Frej rencontrait le ministre marocain de la jeunesse et de la culture Mehdi Bensaïd pour élaborer un programme d’échanges culturels entre jeunes Marocains et Israéliens. « Avec le ministre Bensaïd, nous allons œuvrer pour rapprocher les citoyens et les deux sociétés », déclarait-il. Quelques mois plus tard, du 5 au 7 décembre, le think tank américain Atlantic Council organisait à Rabat la N7 Initiative, un forum regroupant les pays arabes ayant normalisé leurs relations avec Israël ces dernières années. L’objectif ? Parler éducation et coexistence. Selon William Wechsler, directeur de la branche Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’Atlantic Council, il s’agit de « trouver des idées ensemble pour convaincre les populations des bienfaits des relations avec Israël ».
Au Maroc, le défi n’est pas mince. Pour convaincre, le royaume doit montrer la spécificité de sa relation avec Israël et le rapport historique entre les juifs et le Maroc. Contrairement aux autres pays arabes, les juifs venus du Maroc n’ont pas coupé les liens avec la terre de leurs ancêtres. Il existe 800 000 juifs d’origine marocaine très attachés à leur culture d’origine.
Si cette frange de l’histoire n’a jamais été oubliée au Maroc, elle est de plus en plus mise en valeur depuis la signature des accords en décembre 2020. Les 30 novembre et 1er décembre 2022, la compagnie Habima du Théâtre national d’Israël a joué pour la première fois dans un pays arabe, au théâtre Mohamed V à Rabat. Deux semaines plus tard à Marrakech, l’association des Disciples d’Escoffier (une association de chefs cuisiniers qui promeut la gastronomie à travers le monde) organisait un repas de chabbat avec des chefs marocains, israéliens et français, en hommage à la gastronomie judéo-marocaine. « Il y a beaucoup de choses qui nous séparent, mais autour d’une table on se rend compte de tout ce qui nous rassemble », confie Lahcen Hafid, chef des cuisines de l’hôtel Ritz à Paris, et président des disciples d’Escoffier Maroc. La gastronomie judéo-marocaine incarne les liens culturels et familiaux qui nous unissent ».
Ces liens familiaux sont utilisés par les autorités marocaines. Toujours à Marrakech, le festival de l’Automnale a choisi de mettre en lumière le temps d’une soirée le parcours des émigrés marocains partis en Israël peu après sa création. Pour cela, les organisateurs ont projeté le documentaire Tinghir-Jérusalem de Kamel Akchar dans le théâtre de la très chic M Avenue. « Le film parle d’exil, d’arrachement à la terre, mais surtout d’une époque où juifs et musulmans jouaient aux cartes ensemble sans que personne ne se pose la moindre question », explique le réalisateur. Vues par 4 millions de Marocains lors d’une diffusion télévisuelle en 2013, les histoires racontées par Kamel Akchar lui ont valu des moments difficiles au Maroc. « Une frange islamiste et panarabiste de la société m’a accusé de faire le jeu d’Israël, se défend-t-il, alors que je suis pour la solution à deux États, mais surtout que je n’ai fait que parler des miens. Ce qu’il fallait que les gens comprennent, c’est que notre culture commune nous unit au-delà des questions politiques. Je veux qu’on normalise avec notre histoire et une part des nôtres ».
Autre manière de mettre en valeur les liens forts entre les deux États, le concert lors de ce même festival de l’Automnale de Marrakech de la chanteuse israélienne Neta El Khayem. Cette artiste issue de la vague d’émigration marocaine en Israël du milieu du XXe siècle a renoué avec ses racines via sa musique et chante en darija. « Le dialecte marocain m’est très cher : c’était la langue de mes grands-parents ; aujourd’hui en Israël quand on entend l’arabe on a peur, et moi je ne veux pas avoir peur de mes origines », explique-t-elle. « Le pouvoir cherche à montrer que la normalisation s’inscrit dans une continuité historique, explique Khadija Mohsen-Finan. Et qu’elle ne signifie pas que le Maroc est du côté de l’ennemi historique. »
Mais cette mise en avant des liens culturels pourrait entraîner des conséquences inattendues. Dans cette partie du monde, avoir de bonnes relations avec Israël permet d’acquérir une crédibilité aux yeux des Occidentaux, et notamment des États-Unis. « On achète une tranquillité en quelque sorte », souligne Aboubakr Jamaï. Mais faire porter à la dimension hébraïque, qui est réelle, la responsabilité du rapprochement avec Israël, c’est faire porter au judaïsme les crimes du sionisme ». Le danger serait de voir la population marocaine confondre judaïsme et sionisme et donc de glisser de l’antisionisme à l’antisémitisme.
C’est aussi la question du timing qui interroge. Alors que la culture judéo-marocaine est millénaire, la mettre en avant à un moment où la droite radicale est de retour au pouvoir à Tel Aviv risque de mettre en porte à faux les autorités marocaines. « La culture commune est utilisée comme paravent pour justifier les manœuvres diplomatiques, je pense que c’est très dangereux » conclut-il.
La guerre en Ukraine a quelque peu écrasé les infos sur la Palestine où la lutte et les opérations des commandos palestiniens plongent Israël dans le tourbillon des incertitudes qui lézardent son paysage politique et obscurcissent son horizon. Et ce ne sont pas les blocs des murs qui feront barrage aux tempêtes qui surgissent dans tout pays dont le peuple se lève pour sa dignité et sa liberté. En plus du combat des Palestiniens, l’Etat d’Israël ne finit pas de patauger dans des crises gouvernementales répétitives.
Après cinq élections en trois ans, les dernières élections ont accouché d’une coalition gouvernementale de partis religieux et d’extrême droite. La novlangue qui est devenue langue courante de l’Occident (1) recouvre de son voile de la honte le caractère fasciste de ces partis. On a même remarqué «l’inquiétude» des Etats-Unis à leur arrivée au pouvoir. C’est dire la nature et la gravité de la maladie qui ronge cet Etat ! Les balivernes d’un Etat «démocratique» au milieu d’une région livrée à la «barbarie» ne font plus recette. La notion d’apartheid en Israël circule dans des documents de l’ONU, laquelle vient de décréter et d’instituer une journée de la commémoration de la Nakba (la catastrophe), le jour de la date de la création de l’Etat d’Israël.
Mais ce qui angoisse le plus l’armée d’Israël et de ses services de sécurité, ce sont les perspectives d’une guerre civile potentielle dont ils font état publiquement dans leurs discours. Car faire face à une guerre civile et ayant un peuple (palestinien) sur son dos et être entouré de pays avec lesquels on est en guerre, ce n’est évidemment pas simple quand sa propre population est divisée et déchirée. Ainsi, la cascade d’élections dans un laps de temps si court n’est pas le produit de petites crises économiques et institutionnelles que l’on rencontre dans des pays reposant sur une légitimité produite par une construction historique qui ne souffre aucune contestation. Israël, lui, est face à une crise qui lui prouve qu’on ne badine pas avec l’histoire.
Ça rappelle les Etats-Unis, produit d’une guerre de conquête qui a carrément décimé les autochtones et les survivants parqués dans des réserves. Des siècles plus tard, en janvier 2020, le Congrès américain, symbole des symboles du rêve américain, fut occupé et le pays fut à un doigt d’une guerre civile (2). Mais Israël n’a pas les atouts des Etats-Unis qu’ils ont emmagasinés depuis des siècles et dont personne aujourd’hui ne remet en cause leur présence dans le continent américain. Ce qui n’est pas le cas d’Israël. Parce qu’Israël est confronté à un peuple présent sur sa propre terre, certes, dominé par la force mais qui a des ressources et une conscience aigüe de ses droits. Ensuite, les territoires palestiniens occupés depuis 1967 ne sont reconnus par aucun Etat. Enfin, les dernières élections ont fait éclater le consensus dans la société israélienne mais aussi à l’intérieur de l’appareil de l’Etat. Des personnalités de la diaspora, notamment américaines, ont exprimé dans la presse israélienne leurs francs désaccords avec le nouveau paysage politique qui crée une rupture avec l’idée qu’ils se font d’être juif et sioniste.
Ces désaccords sont des fissures qui s’ajoutent à d’autres paramètres qui vont ébranler cette entreprise coloniale. Et c’est l’anthropologie qui remonte à la surface de la société israélienne qui va alimenter le nouveau cours de l’histoire d’un Etat qui s’est voulu semblable à tous les Etats de la planète. Erreur et illusion car, même les problèmes économiques, sociaux et militaires sont évidemment liés au caractère colonial de cet Etat.
Evidemment, les spécialistes qui analysent l’économie et le corps social de cet Etat ne font aucun lien avec la colonisation. Pourtant, il suffit de prendre l’exemple de Tel-Aviv où le prix du foncier pour la moindre construction est le plus élevé du monde. Le cercle de ceux qui peuvent y vivre se rétrécit. Il ne reste à la plupart des gens qui veulent vivre dans cette métropole qu’à aller ailleurs. Où, dans les territoires occupés par les colons que le gouvernement aide avec de généreuses subventions pour constituer des faits accomplis de territoire qu’il n’abandonnera jamais, selon eux, en cas de «négociation» avec les Palestiniens. Je fais grâce aux lecteurs des vols de maisons palestiniennes à Jérusalem et aux refus de permis de construire aux Palestiniens pour des raisons soi-disant sécuritaires mais, en réalité, carrément racistes pour favoriser l’entre-soi (entre juifs). Si on ajoute l’absence de relations économiques avec l’environnement immédiat, on conclut facilement de la difficulté pour ne pas dire l’impossibilité pour toute économie de se développer.
C’est pourquoi Israël court derrière les marchés du Golfe gorgés de dollars à dépenser dans les achats de gadgets où il faut le reconnaître les industriels israéliens sont champions (les logiciels de flicage de Pegasus sont de renommée mondiale). Ici, j’ouvre une parenthèse sur l’exemple de l’Algérie où une communauté saint-simonienne s’est installée en 1841 avec un projet différent du soldat «laboureur» appelé Bugeaud de triste mémoire. Ces saints-simoniens véhiculaient des idées qui se voulaient généreuses pour faire accéder les «indigènes» aux progrès. En définitive, ce mouvement échoua car il avait nié le caractère colonial d’une entreprise de destruction d’une société. Leurs idées furent ensevelies sous les bottes des soldats-laboureurs de Bugeaud, soldats «laboureurs» que l’on retrouve 130 ans plus tard sous les ordres du général Salan qui fournirent le gros des troupes de l’OAS.
Etrange similitude avec ce qui se passe en Israël ! Israël pensé et construit par des mouvements qui se voulaient des libéraux bénéficiaires de l’émergence des idées socialistes du XIXe siècle et voulant fuir le racisme et les préjugés de l’Occident. Je referme la parenthèse pour revenir à la nature d’Israël. Ses habitants pensent échapper à l’histoire et l’anthropologie des sociétés en se déclarant appartenir au monde occidental. Hélas, pour eux, l’anthropologie et l’Histoire de la Palestine et de la région ne s’effacent pas d’un trait de plume. Le mouvement sioniste en se camouflant derrière le déni de l’histoire ne peut faire oublier la vérité cristalline de l’Histoire. Que d’armées, de César à Napoléon ont vadrouillé dans cette région et ont fini par retourner dans leurs casernes !
L’Etat d’Israël a donc été créé et dirigé par les Juifs ashkénazes (Europe de l’Est). Mais entre 1948 et 2022, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et dans les lits des fleuves dans le monde. L’arrivée de juifs de pays arabes et d’Ethiopie (Falasha) a engendré des problèmes qui ont eu des incidences sur le paysage politique et électoral. Quant aux Palestiniens, ils n’ont pas abandonné leur pays et, le 1er janvier 1965, ont décidé de concrétiser leur rêve en déclenchant la lutte armée. Voilà donc l’entreprise sioniste dont le but fut de créer un Etat sur un territoire que les sionistes avaient décrété être un désert, selon leur slogan «Une terre sans peuple pour un peuple sans terre». Sauf que l’ignorance ou leur aveuglement leur a fait oublier que cette terre a été le cœur battant de civilisations et de guerres.
Cependant, pour être complet, citons des personnalités juives et parmi elles, le père du sionisme Théodore Herzl, avaient noté la difficulté de créer l’Etat d’Israël en Palestine (3). Ben Gourion, premier président d’Israël, a, lui aussi, connu des doutes qu’il a exprimés dans ses mémoires à propos des injustices et douleurs vécues par les Palestiniens. Quant aux historiens israéliens, l’un d’eux, Shlomo Sand, a carrément intitulé son essai Comment le peuple juif fut inventé et a ainsi explosé le mythe sioniste en remettant en cause l’idée que les juifs seraient les descendants du royaume de David (4).
Pourquoi le prochain gouvernement de Netanyahou ouvre-t-il les portes de la guerre civile tant redoutée par des responsables politiques et militaires d’Israël ? Parce qu’un gouvernement composé d’un tiers de ministres professant des idées ouvertement racistes et prônant l’exécution de «terroristes», sans sommation dans les rues, y compris des blessés gisant à terre, sont des propos, hélas, banals éructés par des bouches haineuses. La banalisation du racisme pour un Israël «démocratique» est ressenti comme un grand danger pour la survie de cet Etat, d’où des voix dans la diaspora qui s’élèvent même parmi les amitiés de Netanyahou. Quelque 70 ans après sa création, l’Etat israélien court derrière la définition du mot juif. Jusqu’ici, Israël donnait ou faisait semblant de lui donner le même sens admis par tous les juifs. C’était sans compter avec la dynamique de la vie, de l’histoire, de la politique qui va faire éclater un consensus sans colonne vertébrale et défiant l’histoire et en tournant le dos à la complexité du monde d’aujourd’hui.
Ainsi, pour colmater les fissures internes et autres injustices politiques, le gouvernement de Netanyahou s’est permis de définir Israël comme Etat de la nation juive. Il barra politiquement et symboliquement 20% de la population palestinienne, officiellement citoyen d’Israël, tout en présentant Israël comme modèle de démocratie et de réussite. La réussite de Netanyahou ouvrit plutôt une brèche dans la carte politique en construisant un boulevard aux partis religieux qui, jusqu’ici, se satisfaisaient de subventions pour faire tranquillement leurs études talmudiques sans travailler, ni faire le service militaire (5).
Autres futurs bouleversements, la cohabitation à l’intérieur de l’appareil d’Etat entre Ashkénazes et juifs orientaux au nom de l’identité Israël nation juive, ne va pas résister aux réalités du terrain. Ces réalités s’appellent problèmes sociaux et raciaux (juifs falashas), chômage qui touche les populations pauvres souvent originaires de pays arabes. Quant aux Palestiniens «israéliens», outre les problèmes politiques dans leurs rapports à l’Etat, ils se sentent palestiniens et partie prenante de la lutte des Palestiniens sous occupation.
Voici donc les problèmes que rencontre Israël, problèmes passés sous silence dans la presse. Que la guerre en Ukraine cesse ou qu’elle «prenne» son temps avant de s’arrêter, Israël sera confronté à des problèmes qui existent déjà mais qui vont s’amplifier. Les conséquences de la confrontation OTAN-Russie en Ukraine vont changer les données des problèmes. La Russie ne va pas oublier le jeu d’Israël en Ukraine, le renforcement des liens de l’Iran et la Russie, le voyage du président chinois, Xi Ping, en Arabie Saoudite, la guerre du gaz et du pétrole, le dollar menacé dans son statut de monnaie internationale, tous ces éléments de la scène internationale ont créé d’ores et déjà une situation irréversible.
Il est évident que les cris d’orfraie qui saturent le discours de l’Occident à propos de la violation du droit international en Ukraine sont et resteront inaudibles car ledit international est piétiné chaque jour dans tant de pays. La voix de l’Occident recouvrira de la crédibilité quand Israël commencera à appliquer ce droit tant chéri par cet Occident, quand le Sahara Occidental ne sera pas vendu à une monarchie féodale qui pousse son cynisme jusqu’à éclabousser le «saint» Parlement européen en «légitimant» l’occupation d’un territoire et en martyrisant femmes et enfants sahraouis. Et enfin, le Yémen, dont le nom est associé à la beauté de sa reine, et les richesses de l’Arabie heureuse des temps lointains. Oui, ce Yémen soumis à l’embargo et livré aux bombardements d’avions payés en dollars sentant bon le pétrole.
A côté de cette guerre de feu et d’acier, il y a la guerre de la désinformation qui a élu la conscience du monde qui résiderait dans cet Occident car les trois quarts de l’humanité ne trouvent pas de place dans ses délires. Car ses délires ne sont en vérité qu’une construction de sa machine de la désinformation chargée de produire du «plaisir» par le mensonge et offrir ainsi aux va-t-en-guerre le moyen de camoufler leur impuissance en regardant l’autre monde qui reste sourd à leurs jérémiades d’enfants gâtés qui ne veulent pas perdre leurs petits privilèges. Ne pas oublier et ne pas faire l’erreur de confondre l’Occident qui est devenu une notion idéologique alors qu’il recouvre une notion géographique. Car, à l’intérieur de cette géographie vivent des peuples et des gens qui n’ont pas les projets politiques des va-t-en-guerre qui squattent les médias.
A. A.
1- La novlangue, mot inventé par G. Orwell romancier anglais, une invention qui permet de désigner non pas les choses et la complexité de la réalité, mais d’enrober ladite réalité d’un vernis idéologique pour assécher l’intelligence de la vie et de l’histoire. On en voit la démonstration dans la guerre de l’Ukraine où un pays qui perd 20% de son territoire et dont la population vit dans le noir et grelotte de froid mais dont le président disserte chaque jour sur des victoires imaginaires reprises goulûment par une presse servile.
2- Ne pas oublier que les Etats-Unis ont connu la guerre civile qui opposa le Sud et le Nord, entre autres, à propos de l’esclavage, esclavage qui est le haut degré de l’œuvre de la «civilisation» coloniale.
3- Le mouvement sioniste a pensé créer l’Etat d’Israël en Ouganda mais ce pays n’avait pas l’attrait biblique de la Palestine, terre de la prophétie des trois religions du Livre.
4- L’historien Shlomo Sand ironisait en taquinant ses compatriotes israéliens en leur disant que les vrais juifs sont les paysans palestiniens qui n’ont bougé de la terre de Palestine. En grand historien, il savait que l’histoire du monde est une histoire d’émigration. Lucie, la première femme née en Afrique et, depuis, ses enfants, ont essaimé dans le monde entier.
5- Le pouvoir des religieux sur la vie quotidienne est exorbitant, par exemple sur le mariage, sur la circulation des bus durant le shabbat. Ce pouvoir est contesté et des partis exigent que les religieux fassent le service militaire.
6- L’arrivée des juifs religieux au pouvoir risque de bouleverser la notion même de peuple et nation juifs. Jusqu’à présent, il suffit pour un juif de prouver sa parenté avec une femme ou un homme juif pour bénéficier de la nationalité israélienne. Si les religieux arrivent à imposer la loi, «est juif celui dont la mère est juive», selon la règle talmudique, alors bonjour les dégâts pour le sionisme politique orphelin de sa branche religieuse. Ce n’est plus une guerre civile entre modernes et conservateurs mais une guerre de la préhistoire.
L’écrivain algérien questionne, dans son dernier livre, les notions de pardon, de destin, d'exil intérieur et de fatalité.
Yasmina Khadra au 35e Festival du livre de Mouans-Sartoux, France, le 8 octobre 2022. (ERIC DERVAUX / HANS LUCAS)
Les vertueux est dans la veine deCe que le jour doit à la nuit, chef d’œuvre de l’écrivain algérien le plus connu en France. Un grand roman où des histoires personnelles racontent la grande Histoire. Du souffle, Yasmina Khadra en a. Et il en faut pour écrire cette fresque qui décrit avec beaucoup de justesse l’Algérie du début du XXe siècle qui commence à la veille de Première Guerre mondiale. Du souffle et de l’imagination. Yasmina Khadra, Mohammed Moulessehoul pour l’état civil, confirme avec Les vertueux qu’il demeure un formidable conteur. "C’est mon plus beau texte", a confié l’auteur de Morituri à Franceinfo. Un grand roman populaire, dans le sens le plus noble du terme.
Tout commence par un marché de dupes. Yacine, jeune berger très pauvre, se voit proposer un pacte par un caïd : il part en France faire la guerre à la place de son fils en échange d'une ferme pour ses parents. Dans une société féodale, le caïd "était à l’image du bon Dieu. Il pouvait faire d’un vaurien un notable et d’un insolent un gibier de potence, sauf qu’il était plus enclin à sévir qu’à gratifier". Et voilà le jeune Yacine dans les tranchées à place du fils de Hamza. Quatre ans à se battre contre "les Boches" et à essayer de survivre. Son retour, Yacine l’imaginait comme une promesse de jours meilleurs. Mais on attendait de lui, le héros, de disparaître pour que l’usurpateur puisse apparaître en pleine lumière. Il devait mourir pour que Hamza, le fils du caïd, naisse au grand jour, auréolé de médailles de guerre.
Le Pacte
Le marché se transforme en cauchemar, une fuite sans fin. Et c’est là que Yasmina Khadra questionne le destin. Comment l’écrire ? Avec le sang, la vengeance ? En suivant un tout autre chemin ? Ainsi, de retour en Algérie, le jeune Yacine mûrit, côtoie la violence, affronte le dénuement. Au cours de son périple, il renoue avec certains de ses anciens campagnons de guerre, les Turcos, ces tirailleurs algériens qui ont servi dans l'armée française. Il se retrouve embarqué avec l'ombrageux indépendantiste Zorg dans une rébellion désespérée, se lie à nouveau avec Sid l'hédoniste, à la recherche d'une rédemption, qui se noie dans l'alcool ou encore Raho, assagi par les épreuves de la vie et... une forme de bonheur stoïque. Des épreuves, Yacine les accumule, baigne dedans. Les rares moments de répit sont vite rattrapés par de nouveaux malheurs, toujours plus injustes.
Yacine refuse que son identité soit réduite à cette succession de souffrances. "Des choses incroyables vous tombent dessus, détournent le cours de votre existence et le bouleversent de fond en comble. Vous avez beau fuir au bout du monde, vous réfugier là où personne ne risque de vous trouver, elles vous suivent à la trace comme une meute de chiens errants et font de vous quelqu’un qui ne vous ressemble en rien et qui devient la seule histoire que l’on retiendra de vous. Certains appellent ces choses mektoub. D’autres, moins déraisonnables, disent que c’est la vie". Avec une langue généreuse, imagée, Yasmina Khadra nous emmène dans un voyage lumineux qui voit Yacine, et nous avec lui, apprendre à pardonner.
Sur l’auteur : Pourquoi Yasmina Khadra s’appelle Yasmina Khadra ? Mohammed Moulessehoul voulait échapper à la censure en Algérie et choisit les deux prénoms de sa femme comme pseudonyme. Officier de l’armée algérienne pendant 25 ans, il fait valoir ses droits à la retraite en 2000 pour se consacrer entièrement à l'écriture. Les lecteurs le découvrent avec la série du Commissaire Llob. Il est l’auteur de la trilogie Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat et Les Sirènes de Bagdad, ou encore Ce que le jour doit à la nuit. Traduits dans une cinquantaine de pays, plusieurs de ses livres ont été portés à l’écran.
Extrait : "Très jeune, on m’avait certifié que chacun naissait doté d’un chemin dûment établi, avec des gîtes d’étape précis, des raccourcis et un point de chute dont on ne se relèverait pas. Nous étions persuadés, dans notre douar, que lorsqu’on éclot sous la mauvaise étoile, on s’évertue à apprivoiser le pire. Hélas, nous étions loin de la vérité. Le pire ne s’apprivoise pas. Et il n’y a rien de pire que la guerre. Rien n’est tout à fait fini avec la guerre, rien n’est vaincu, rien n’est conjuré ou vengé, rien n’est vraiment sauvé. Lorsque les canons se tairont et que sur les charniers repousseront les prés, la guerre sera toujours là, dans la tête, dans la chair, dans l’air du temps faussement apaisé, collée à la peau, meurtrissant les mémoires, noyautant chacune de nos pensées, entière, pleine, totale, aussi indécrottable qu’une seconde nature".
Le développement des évènements semble donner raison à ces érudits qui, dans leurs prêches sur les chaînes TV notamment, ne cessent de provoquer le doute et la polémique en dénonçant l'origine non halal' de certains produits alimentaires importés de l'étranger et qu'on retrouve dans les rayons des centres commerciaux et dans nos assiettes. Le ministère du Commerce vient, dans ce sens, de donner mandat à l'Institut islamique de la Grande Mosquée de Paris, en matière de certification «Halal», l'habilitant à apposer ce label de manière exclusive sur tous les produits de consommation exportés par la France vers l'Algérie. Avant d'élargir cette mesure aux produits provenant de tout le continent européen, puis du reste des pays de par le monde. Plus aucun doute à formuler quant à la conformité à la Chariâ islamique des produits importés de l'étranger ? Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems Eddine Hafiz, qui a reçu la décision d'habilitation de la part du ministre du Commerce et de la Promotion des exportations, Kamel Rezig, en marge de la Foire de la production nationale au Palais des Expositions au Pins maritimes (Alger), a affirmé que «la Mosquée de Paris sera digne de la confiance que l'Etat algérien a placée en elle». En d'autres termes, les Algériens peuvent, désormais, avoir la conscience tranquille quand ils consommeront des produits alimentaires provenant de France, et qui porteront le label «halal» apposé par l'Institut islamique de la Grande mosquée de Paris. En France, le marché «halal», qui recouvre tous les aliments autorisés aux musulmans, essentiellement d'origine animale, dont la viande, est sous le contrôle des organismes de certification «halal» habilités par la Grande Mosquée de Paris, la Mosquée d'Évry et la Grande Mosquée de Lyon. Pour dire que la Grande Mosquée de Paris est déjà bien installée dans ce circuit, qu'elle va seulement élargir au marché algérien.
Au cours des tout prochains jours, l'opération d'importation concernant les denrées alimentaires certifiées «Halal», sera réglementée, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, qui a signé, lundi dernier, le cahier des charges relatif au label «Halal» pour certifier les différents produits de consommation exportés par la France vers l'Algérie, confirme bien que le marché algérien n'était pas assez prémuni contre les produits illicites, ou les interdits coraniques concernant l'alimentation, comme la viande de porc ou la viande d'un animal qui n'a pas subi le rituel d'abattage islamique, des boissons alcoolisées ajoutées dans la composition de certains produits (chocolat) et autres ingrédients ou des additifs dans des produits transformés. Tant il est vrai que le marché «halal», qui pèse des milliards d'euros, affûte les rapacités.
L'enfance tunisienne est, semble-t-il, en danger. Ce n'est pas une affirmation d'une ONG internationale, mais c'est la ministre de la Famille du pays qui jette dans le pavé les résultats d'une enquête en insistant sur une situation alarmante menaçant la Tunisie. En soi, derrière les mauvais chiffres étalés sur une population enfantine noircie, on entrevoit l'importante grisaille qui plane sur la tête d'une société tunisienne avec une relève générationnelle sérieusement handicapée. La situation prête à croire que l'on est loin de la fierté que prodiguaient l'éducation et la prise en charge de l'enfance en Tunisie dans le passé et le compte rendu de l'état actuel laisse présager un sombre avenir.
Les causes à effets sont nombreuses. Les immenses difficultés que vivent les Tunisiens aujourd'hui ne sont cependant pas de leur seul apanage tant il est certain que les interminables tentacules de la malvie et de la misère ont, à l'heure actuelle, une dimension planétaire. Il n'est pas anodin que la situation économique et sociale de la Tunisie ait des ressemblances avec celle du Liban actuel, tous deux affublés hier encore d'un statut comparable à celui de la Suisse.
Les graves échancrures, provoquées par les crises successives et les pandémies répétées au cœur de la société tunisienne et partout ailleurs, ne sont que les effets et le témoignage de l'incapacité des peuples à se prendre en charge. Les croisées de fer des politiques et des politiciens ne sont plus que de puériles et inefficaces acrobaties soumises à la pression du temporel. De fait, les résultats des dernières élections législatives tunisiennes ne peuvent provoquer que la stérilité du verbe. Démocrates ou extrémistes, colorés ou incolores, n'auront aucune perspective d'un sauvetage du pays d'un naufrage qu'annoncent des perspectives pénibles. Dans un monde totalement déglingué, il s'agit d'un miracle à créer pour se frayer un sentier. Pour l'instant, avec l'extinction assurée de ses ressources, le pari semble impossible à affronter.
Les totems de Y'Oudaïène. Récit (Romancé ?) historique de Aziz Mouats, El Qobia Editions, Alger 2022, 339 pages, 1200 dinars
Durant plus ou près de 5 années (souvent entrecoupées de relâchement), l'auteur, universitaire mais aussi journaliste de terrain - éternel «mordu» de l'Histoire de la guerre de libération nationale et, grâce à lui, les «enfumades» coloniales du Dahra sont mieux connues du grand public... ainsi que les massacres du 20 août 55 à Skikda - a mené son enquête (par l'intermédiaire de son pseudo, Alim) afin de présenter, à travers le résistance armée dans la région de Cherchell, le parcours d'une héroïne -hélas jusqu'ici peu connue par le reste du pays-qui a pourtant fait l'objet de plusieurs ouvrages (Voir plus bas) : Zoulikha Oudaï... Lalla Zoulikha !
Une femme étonnante, native de Hadjout - comme Annie Steiner l'autre moudjahida- fille de propriétaires terriens, épouse d'un maquignon aisé, connue dans la ville (de Cherchell) pour sa classe et ses tenues élégantes, qui fut nommée, par le Fln, responsable de réseau dans la région. L'unique femme responsable politico-militaire durant la guerre ! Un poste imposant très exposé. Après la mort, au combat, de son mari, Larbi Oudaï, et le démantèlement de l'un de ses réseaux, elle fut conduite à prendre à son tour le maquis.
Capturée par l'armée française en octobre 1957, elle est exposée, attachée à un véhicule blindé et elle se serait adressée à la foule... Elle aurait été exécutée le 25 octobre à 15 h à Sidi Semiane sans que la date soit certaine... et son corps manque... Ses restes (?) «ont beaucoup voyagé» : D'abord un coin perdu du Dahra oriental, son corps en lambeaux et sans vie alors éjecté sans aucun égard, et enterrée par des habitants dans une fosse commune. Puis, au cimetière des Martyrs de la région de Boukerdane et, enfin, en juin 1984, au cimetière de Menaceur. «Une femme sans sépulture» (si l'on emprunte au titre de l'ouvrage de Assia Djebar, publié en 2002). Mais, une femme encore bien vivante dans l'imaginaire populaire de la région et sur les totems nationaux de la résistance populaire. A noter que si Lalla Zoulikha est le personnage central du récit, d'autres personnages, héros de la lutte de libération nationale sont présentés, certains (rares) encore en vie, et ils enrichiront le récit grâce à leurs témoignages (comme Ahmed Ghebalou, comme les propres enfants de Zoulikha...) et bien d'autres (dont le fils aîné de Zoulika, mort au combat).
L'Auteur : Aziz Mouats, né en 1950 à Skikda, est de formation agronome. Installé à Mostaganem, après ses études à l'Ita (dont il fut aussi le directeur), il a été, fort longtemps, journaliste (dont El Watan) et enseignant universitaire (il est docteur en physiologie animale) et... surtout, un infatigable militant de la mémoire (A cinq ans, il a été témoin de l'insurrection du 20 août 55 et à la destruction de la mechta de sa famille, à Beni Melek : 23 hommes de sa famille sont enlevés par l'armée coloniale et assassinés). Déjà auteur de plusieurs ouvrages... dont, en 2021, «Les galets de Sidi Ahmed» (Editions El Qobia).
Table des matières : Remerciements/ Préface de Malika Rahal/ 34 chapitres
Extraits : «Comme elle le fait depuis le début de la guerre de conquête, l'armée française n'allait pas faire dans le détail.Le principe est très simple ; pour chaque soldat français tué, on éliminait entre cinq et dix indigènes» (p 101), «Chez les Oudaï, les U'lhandi, les Mokaddem, les Imalhaïene, on naît rebelle, on ne le devient pas» (p 167), «Le Mouloudia de Cherchell est sans doute le club de football qui compte le plus de martyrs de l'Algérie» (p 186).
Avis : Des infos'. Beaucoup d'infos'. Un style (assez journalistique relevant du reportage et de l'enquête de terrain), une méthode (qui relève tant de la science que de l'expérience), un engagement (qui apporte plus d'éclairages sur le déroulement de la guerre). Roman historique ? De l'Histoire romancée ? Se lit d'un seul trait. Attention, quelques coquilles (dont celle p 234, en italiques)
Citations : «Ce pays (l'Algérie) possède une histoire, et l'Histoire possède ce pays qui a peut-être plié mais jamais rompu devant les Phéniciens, les Romains, les Turcs et les Français, qui sont tous repartis pitoyables, l'illusion sous le bras et le rêve en berne» (Hosni Kitouni, 2017. Cité p 133), «Un bon témoignage est un témoignage sans témoins. Combien de fois, la présence d'une tierce personne a été à l'origine d'une complète déconfiture de l'interviewé» (p 170), «Le problème n'est pas le rêve en soi, mais son explication» (p245)
Lalla Zouleikha Oudaï, la mère des résistants. Ouvrage historique et documentaire de Kamel Bouchama (Préface de Amar Belkhodja et une note aux lecteurs de Farouk Zahi). Juba Editions, Alger 2016, 295 pages, 950 dinars (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel.Extraits).
Elle s'appelait Yamina Echaib, épouse Oudaï, mais toutes et tous l'appelaient Lalla Zouleikha. Lalla ? Un substantif qui nous vient -tradition citadine- du grand respect, voire de vénération vouée aux aînées. Lalla ? Parce qu'elle était une femme de caractère, «radjel ou nass». Lalla ? Parce qu'elle était une nationaliste très tôt engagée, suivant ainsi l'exemple de son père, aux côtés de son époux et des combattants pour la libération du pays du joug colonial.
Lalla ? Parce cela n'était guère facile dans une ville comme Cherchell (ville de l'époux), où se trouvait installée une Ecole militaire bien gardée et gardant toutes les Portes de la ville et ville dominée par des colons. Pourquoi ? Une Cherchelloise bien née, taillée dans le roc des Berbéro-Hadjoutis, cette tribu Hadjoute, éternelle rebelle.
Née à Marengo (Hadjout aujourd'hui) en 1911, elle fut une des rares «indigènes» à décrocher son Certificat d'études (en 1924, à l'âge de treize ans), prenant en même temps conscience de son statut de colonisé... Son fils aîné, Lahbib, ayant «fait l'Indochine», de retour au bercail,prend le maquis.
Il tombera au champ d'honneur en janvier 1957 à Sidi El Kebir, dans la région de Chréa, deux mois après l'exécution de l'époux, El Hadj Larbi.
Organisatrice hors pair de la résistance, responsable du «nidham» à Cherchell, elle animera les réseaux de soutien (deux cellules, l'une composée de femmes, et l'autre d'hommes) au sein et en dehors de la ville, parfois au nez et à la barbe des services de sécurité
A la suite d'une dénonciation, le 21 mars 1957, elle rejoint définitivement le maquis... et pourtant, la lutte continue. Hélas, elle est arrêtée le 15 octobre de la même année... et torturée ( Le nom de son bourreau est connu : le Lieutenant-colonel Le Cointe, devenu par la suite général de corps d'armée), puis assassinée, exécutée le 25 octobre à 15 heures. Son corps ne sera retrouvé que plus tard, en mai 1982... Elle est enterrée aujourd'hui au cimetière des chouhada de Menaceur (...)
L'Auteur : Homme politique (Fln 100%... avant), ancien ministre (... un des plus jeunes du gouvernement de l'époque... à la Jeunesse et les Sports), ambassadeur, conférencier... et homme de culture, amoureux fou de sa région natale, Cherchell (et de l'Algérie), auteur d'un grand nombre d'ouvrages
Avis : Un style qui n'a pas changé. Littérature, prose, commentaire, multiples digressions, rappels historiques remontant à loin, très loin, références vérifiées... et engagé... le style Bouchama ! On s'y perd un peu, mais à la fin, on aime... car on apprend.
Citations : «Même si on doit me brûler comme Jeanne d'Arc, je ne parlerai pas !» (Lalla Zouleikha Oudaï, p 20), «Malheureusement, les Algériennes sont souvent les grandes oubliées de l'histoire de leur pays» (Mildred Mortimer, professeur, Usa,p 280)
Yamina Oudaï, l'héroïne oubliée. Enquête historique de M'hamed Houaoura (Préface de Louiza Ighilahriz), Anep Editions 2017, 350 dinars, 103 pages (Fiche de lecture déjà publiée. Pour rappel. Extraits).
Elle a été l'unique femme algérienne responsable politico-miltaire durant la guerre de libération nationale. «Certes, il y avait de grandes moudjahidate mais, à ma connaissance, et je le dis pour l'Histoire, Yamina Oudaï, connue sous le pseudonyme de Ella Zoulikha est l'unique femme algérienne qui avait été désignée à la tête d'une organisation politico-militare» souligne un moudjahid de la région, Ghebalou H'mimed. Elle avait, aussi, organisé un réseau de soutien composé uniquement de femmes
Une situation, fruit d'une certaine histoire familiale, faite d'engagements politiques, de combats et de martyrs (dont l'époux, Hadj Ahmed Oudaï et un fils, Lahbib).
Belle, intelligente, cultivée, généreuse, sociable, mère de famille exemplaire (deux filles et trois garçons), née à Hadjout et installée à son mariage à Cherchell, elle a réussi, avec l'accord et le soutien de l'époux, à activer pour la cause nationale dans la plus stricte clandestinité.
Mais, toujours sur ses gardes, car surveillée, harcelée par la police, les gendarmes et les militaires... la maison familiale se trouvant à quelques mètres de l'académie militaire de Cherchell.
Après sa capture au maquis (le 15 octobre 1957), torturée, toujours résistante (elle avait craché au visage du capitaine français, en public, alors qu'elle était traînée par un half-track), elle fut froidement abattue le 25 octobre 1957 et son cadavre abandonné dans la forêt... Sans sépulture (certes, il existe un témoignage mais il reste bien incertain), son histoire a été évoqué par Assia Djebar dans un de ses romans («La femme sans sépulture») et son nom reste toujours vivant dans la mémoire populaire.
L'Auteur : Né en Novembre 1954 à Cherchell (Wilaya de Tipasa), diplômé de l'IC de Ben Aknoun (Alger), journaliste (El Watan)
Avis : Fruit de multiples enquêtes et de reportages sur la guerre de libération nationale dans la région de Tipasa, de Cherchell...
Citation : «Ella Zoulikha, l'héroïne algérienne n'a même pas de sépulture, comme tant d'autres héros de la guerre de libération nationale» (p 50)
Le secrétaire général des Nations unies António Guterres estime que le monde doit condamner fermement l’antisémitisme et l’islamophobie.
Le secrétaire général de l’ONU António Guterres s’exprime lors de la conférence de presse de fin d’année au siège de l’ONU à New York, le 19 décembre 2020 (AFP)
Le secrétaire général de l’ONU António Guterres prévient que l’extrême droite et les suprémacistes blancs en Occident sont la « plus grande menace terroriste », après l’arrestation de 25 personnes en Allemagne suspectées de vouloir renverser le gouvernement.
Le chef de l’ONU s’exprimait devant la presse lundi à l’occasion de la conférence de presse de fin d’année à New York, au cours de laquelle il a déclaré que cette affaire en Allemagne n’était qu’un exemple de la menace des organisations d’extrême droite pour les sociétés démocratiques à travers le monde.
« Il a été démontré que la plus grande menace terroriste aujourd’hui dans les pays occidentaux vient de l’extrême droite, des néonazis et des suprémacistes blancs », a insisté António Guterres.
Au début du mois, la police allemande a arrêté 25 suspects à travers le pays, des adhérents du mouvement des citoyens du Reich (Reichsbürger).
La France sous la menace du terrorisme d’extrême droite
Le ministère public les accuse « d’avoir réalisé des préparatifs concrets pour s’imposer au Parlement allemand avec un petit groupe armé ».
Les adhérents du mouvement citoyens du Reich rejettent la Constitution allemande d’après-guerre et appellent à renverser le gouvernement.
Guterres a ajouté que le monde devait faire attention à l’islamophobie et à l’antisémitisme, la première ayant énormément augmenté après la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis.
Un récent rapport de l’organisation australienne Islamic Council of Victoria (ICV) a découvert que près de 86 % des publications hostiles aux musulmans publiées en anglais sur les réseaux sociaux venaient des États-Unis, du Royaume-Uni et d’Inde.
Sur deux ans, entre le 28 août 2019 et le 27 août 2021, c’est en Inde qu’on trouve le chiffre le plus élevé avec 871 379 tweets islamophobes, suivi par les États-Unis avec 289 248 tweets et le Royaume-Uni avec 196 376 tweets.
« Je pense que nous devons condamner très clairement et très fermement toute forme de néonazisme, de suprémacisme blanc, toute forme d’antisémitisme et de haine contre les musulmans », a déclaré Guterres.
Les Américains inquiets
Après les attentats du 11 septembre 2001, les États-Unis se sont lancés dans une grande campagne visant à arrêter les groupes d’extrême droite à la fois au niveau national et à travers le monde, avec une grande attention portée aux communautés musulmanes.
Pendant cette période, la menace intérieure posée par l’extrême droite a souvent été minimisée, selon les experts.
Cependant, selon un rapport de New America, un think tank de Washington, les organisations ou individus américains d’extrême droite avec des idéologies de droite ont tué davantage sur le sol américain que toute autre organisation depuis les attentats du 11 septembre.
Et l’année dernière, un sondage de The Associated Press et du NORC Center for Public Affairs Research a conclu que les Américains étaient plus inquiets de la violence des groupes et individus d’extrême droite ayant des idéologies de droite sur le sol national que des menaces provenant de l’étranger.
D’après ce sondage, 65 % des répondants américains étaient soit extrêmement inquiets soit très inquiets à propos des organisations basées aux États-Unis, tandis que 50 % disaient de même à propos des organisations militantes basées à l’étranger.
Ce sondage a été réalisé après les émeutes du 6 janvier 2021, lorsque des partisans du président sortant Donald Trump ont fait irruption au Capitole américain pendant une session du Congrès.
À l’affiche de Nos Frangins, le dernier film de Rachid Bouchareb, la comédienne franco-algérienne Lyna Khoudri sera aussi au casting du très attendu Les Trois Mousquetaires en 2023. Rencontre avec une star montante du cinéma français.
Lyna Khoudri au 75e festival de Cannes, le 24 mai 2022, lors de la présentation de Nos Frangins (AFP/Patricia de Melo Moreira)
Elle s’est distinguée en 2017 par le rôle de Feriel dans le long métrage Les Bienheureux de Sofia Djama et a décroché pour cette interprétation le prix de la meilleure actrice, dans la section Orizzonti, à la Mostra de Venise, en Italie.
En 2019, elle est une nouvelle fois remarquée dans le rôle de Nedjma, une étudiante, dans le long métrage Papicha de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour.
Pour cette interprétation, elle a décroché le César du meilleur espoir féminin en 2020, succédant ainsi à une autre Franco-Algérienne, Kenza Fortas, primée pour son rôle de Shéhérazade dans le film éponyme français de Jean-Bernard Marlin, sorti en 2018.
Lyna Khoudri partage la vedette avec Reda Kateb et Samir Guesmi dans le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, Nos Frangins, sorti en France et en Algérie début décembre 2022.
Le film a été projeté en avant-première algérienne au 11e Festival international du cinéma d’Alger (FICA), dédié au film engagé.
Nos Frangins porte pour la première fois au grand écran l’affaire Malik Oussekine, étudiant franco-algérien battu à mort par trois policiers français, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à Paris.
À l’époque, les étudiants manifestaient contre le projet du ministre Alain Devaquet sur la réforme des universités françaises, qui prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités. Le film de Rachid Bouchareb met aussi en lumière une affaire, encore peu connue en France, celle de la mort, la même nuit que Malik Oussekine, d’Abdel Benyahia, jeune Franco-Algérien tué par un policier ivre qui n’était pas en service.
Rachid Bouchareb : « Le racisme s’est banalisé alors que l’immigration est devenue un fonds de commerce »
Fille du journaliste de télévision algérienne Rabah Khoudri, qui s’est installé avec sa famille à Paris au début des années 1990, Lyna Khoudri est diplômée en arts du spectacle après l’obtention d’un bac théâtre.
La comédienne est apparue pour la première fois au petit écran, en 2014, dans l’un des épisodes de la saison 8 de la série Joséphine, ange gardien, réalisée par Philippe Proteau. Elle a joué ensuite dans plusieurs courts métrages, dont Rageuses de Kahina Asnoun et Avaler des couleuvres de Jan Sitta.
Après une quinzaine de longs métrages, elle sera en avril 2023 à l’affiche du dernier film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires, d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas, dans lequel elle incarne Constance Bonacieux.
Middle East Eye : Dans Nos Frangins, vous interprétez le rôle de Sarah Oussekine, sœur de Malik Oussekine. Comment avez-vous abordé ce rôle ?
Lyna Khoudri : Il fallait d’abord se documenter pour camper ce personnage. Rachid Bouchareb a partagé avec nous tout le travail de recherche qu’il avait fait en amont avant la réalisation du film.
Cela m’a permis de plonger complètement dans cette histoire que je ne connaissais pas auparavant. Le cinéaste a rencontré Sarah Oussekine et m’a raconté les échanges qu’ils ont eus.
À partir de cela, il fallait trouver le bon angle pour être juste. Il est tout de même délicat de raconter l’histoire d’une famille qui existe réellement.
MEE : Pensez-vous que les affaires Malik Oussekine et Abdel Benyahia aient été effacées des mémoires en France ? L’affaire Abdel Benyahia est toujours inconnue…
LK : Étant née en 1992, je ne connaissais pas l’affaire Malik Oussekine. Ce n’est pas ma génération. Abdel et Malik sont morts la même nuit. Je sais qu’à l’époque, l’affaire fut très médiatisée et il y a un vrai problème sur le traitement médiatique de l’affaire Abdel Benyahia, une affaire complètement étouffée.
Il y a d’autres histoires similaires qui n’ont jamais été mises au-devant de la scène et dont on n’entendra jamais parler. C’est pour cette raison que Rachid Bouchareb a décidé de porter à l’écran l’affaire Abdel Benyahia en mettant en miroir les deux histoires.
Ces deux affaires sont liées à des violences policières. Une question largement débattue ces deux dernières années en France avec le traitement réservé aux manifestations des Gilets jaunes. C’est donc un film lié à une actualité.
Plusieurs milliers de personnes manifestent silencieusement à Paris, le 6 décembre 1986, de la place de la Sorbonne à l’hôpital Cochin où repose le corps de Malik Oussekine, le jeune étudiant décédé le matin même après avoir été violemment frappé par des policiers en marge d’une manifestation étudiante contre le projet de réforme universitaire du ministre Alain Devaquet (AFP/Michel Gange)
C’est pour cette raison que j’ai trouvé important de participer à ce projet. Rachid Bouchareb nous a raconté comment il avait vécu les manifestations de décembre 1986. Je me suis souvenue de ce que j’ai vécu en 2005 lorsque j’étais collégienne dans la banlieue parisienne.
À l’époque, il y avait eu de grosses émeutes après la mort de deux garçons, Zyed Benna et Bouna Traoré [morts électrocutés le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, après avoir été poursuivis par des policiers].
C’est avec cela que j’ai grandi. Aujourd’hui, il y a Black Lives Matter, l’affaire Adama Traoré [décédé à la gendarmerie après son interpellation alors qu’il tentait de fuir un contrôle de police concernant son frère], l’affaire Théo [blessé lors d’une violente interpellation]. Des affaires médiatisées. Cela m’a fait prendre conscience de la nécessité d’en parler aujourd’hui.
MEE : Selon Rachid Bouchareb, rien n’a changé, entre 1986 et 2022, pour les migrants d’origine étrangère vivant en France. Partagez-vous cet avis ? Avez-vous le sentiment d’être toujours étrangère en France ?
LK : Rachid Bouchareb m’a parlé de la difficulté qu’il avait à monter en 2006 le filmIndigènes avec un casting constitué essentiellement de comédiens arabes.
J’essaie de passer au-dessus de cela, de ne pas me soucier du regard des autres. Cela dit, à plusieurs reprises, je ne me suis pas sentie à l’aise dans ma vie, dans des endroits qui n’étaient socialement pas accessibles pour moi. Des endroits très parisiens, un peu bourgeois, où vous n’avez pas les bons codes, où vous n’êtes pas habillé comme il le faut et où on vous regarde de haut.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier
MEE : Les choses ont-elles changé ?
LK : Oui. Pour le métier que je fais, du moins, il y a davantage d’accès parce qu’il y a plus de rôles et plus d’histoires.
En tant que migrants, nous nous sommes appropriés les choses, battus pour faire nos films, avoir nos boîtes de production, écrire nos histoires. Donc, il faut continuer dans ce sens-là.
MEE : En France, des politiques de droite et d’extrême droite critiquent en permanence l’arrivée de migrants en France, certains parlent de « grand remplacement ». Comment réagissez-vous à ce genre de déclarations qui provoquent la peur ?
LK : Ce genre de déclarations n’est pas représentatif de la France. C’est minoritaire. Mais j’ai grandi avec des Le Pen pas très loin ! J’ai l’impression que les choses stagnent. À certains endroits, c’est pire, c’est mieux dans d’autres. Je ne m’y connais pas assez en politique pour m’avancer plus. Je suis différente de mon père à ce niveau-là.
MEE : Justement, être fille d’un journaliste de télévision, qui a donc un rapport avec l’image, vous a-t-il aidée dans votre carrière professionnelle ?
LK : Oui. Cela m’a surtout donné l’amour de l’image. J’ai mis du temps à le comprendre. En faisant le métier de comédienne, je pensais m’éloigner de mon père, mais en fait, ce n’était pas le cas.
Mon père m’a appris à aimer l’image, à regarder un écran, à analyser un plan, à manipuler une caméra, à faire la différence entre les techniques...
J’ai appris très tôt. Petite, je regardais des films avec mon père. Il m’expliquait à chaque fois les plans, la mise en place des caméras, le travelling, les plans-séquences... En grandissant, j’avais tous ces termes techniques en tête.
En fait, je ne me suis même pas rendu compte que c’était un plus. Et, en débutant dans le cinéma, j’avais l’impression de tout savoir, de comprendre tous les codes. Il y avait des mots qui me paraissaient familiers. Parfois, dans les tournages, j’expliquais à mes collègues qui débutaient les techniques, les plans. J’avais donc un petit avantage grâce à mon père.
Cela dit, mon père ne m’a pas pistonnée. J’ai tout fait en France, lui a tout fait en Algérie. Mon père ne connaît ni Rachid Bouchareb ni Mounia Meddour mais il m’a donné l’amour du cinéma. Et l’amour de l’Algérie aussi. Mais j’ai fait ce que je voulais : je n’ai pas étudié les sciences politiques à l’université comme lui. J’ai fait autre chose en apprenant de lui.
MEE : Qu’est-ce qui vous a amenée au cinéma ?
LK : Au début, j’ai fait du théâtre au lycée pour m’amuser avec mes amis. Après le bac, je n’ai pas continué et j’ai senti comme un manque.
Un jour, j’ai rencontré la réalisatrice Nora Hamdi, qui est d’origine algérienne et qui a réalisé en Algérie le film La Maquisarde, en 2020. Elle m’a demandé si j’étais intéressée par une carrière d’actrice. Je lui ai répondu que j’aimais bien le cinéma sans penser à être actrice.
Je voulais rester dans la culture sans savoir quoi faire, peut-être travailler dans les musées, faire l’école du Louvre, faire du cinéma... je n’avais pas tranché.
Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres
Donc, je me suis inscrite au cinéma à la fac et me suis rendu compte que je n’aimais pas ça ! Après, j’ai fait des études de théâtre, et là, j’ai senti que j’étais bien à ma place, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je me suis dit, quitte à prendre du plaisir, autant en faire son métier.
J’écris beaucoup sur les personnages que je joue. Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres. Cela dit, il n’y a pas un avant ou un après le César. Je suis restée la même et je continue de faire mon travail normalement.
MEE : Voulez-vous reprendre le théâtre ?
LK : Oui, j’ai envie de continuer à faire du théâtre. Cela fait bien partie du métier de comédien. Ce qui se passe au cinéma est différent de ce qui se passe sur scène. J’ai beaucoup appris au théâtre. J’ai l’impression que quand on fait du théâtre, on peut tout faire après.
Il y a l’obligation d’être là et de créer sur l’instant, quoi qu’il arrive, même si vous oubliez votre texte ou si vous êtes fatigué ou malade. Il faut inventer au moment présent. Pour moi, le théâtre est la meilleure école pour le comédien. Au théâtre, on a plus de temps pour préparer le rôle. Les répétitions peuvent durer six mois. Ce temps n’existe pas au cinéma. Cela fait cinq ans que je tourne dans des films et en 2023, je vais revenir au théâtre.
MEE : C’est la deuxième fois que vous jouez avec Reda Kateb au cinéma. Comment se fait le travail avec lui sur le plateau de tournage. Dans Nos Frangins, vous partagez des rôles principaux ?
LK : C’est très simple entre nous. Reda est bienveillant. Il y a beaucoup d’entraide et de partage. On est très à l’écoute l’un de l’autre. Reda Kateb est mon grand frère. On se comprend. Nous avons les mêmes codes. Nous avons la même origine, la même culture et la même éducation.
Avec Rachid Bouchareb, le tournage se fait dans une ambiance de famille. Je trouve que les fins de tournage sont toujours tristes. On passe deux à trois mois ensemble avec la même équipe, et puis on se retrouve seule dans sa chambre un soir.
Après, il faut bien reprendre sa vie, sortir, faire des courses, mais j’ai l’impression que les personnages ou les éclats de personnages restent, continuent d’exister en nous...
MEE : Vous n’avez pas connu l’Algérie des années 1990 contrairement à votre père Rabah Khoudri. Des journalistes et des techniciens de la télévision algérienne, ex-RTA, avaient été ciblés par les islamistes radicaux armés. Tourner Papicha avec la réalisatrice Mounia Meddour, un film qui aborde aussi la question de l’extrémisme, était peut-être pour vous une manière de plonger dans les années 1990…
LK : Ma chance est que mes parents ne m’ont rien caché, m’ont toujours tout raconté.
J’ai vu le film Le Repenti de Merzak Allouache, c’est tout. Je n’ai pas beaucoup de matière par rapport à cette période. Parler de l’Algérie des années 1990 est toujours douloureux, cela ravive à chaque fois de mauvais souvenirs.
Mes parents m’ont parlé de leur installation en France. C’était un déchirement pour eux. J’ai toujours su d’où on venait, pourquoi on était là et comment on était arrivés.
Le 22 mars, les Algériens aussi se souviennent de leurs morts
Quand j’ai tourné dans Papicha, en mai 2018 à Alger, je savais que je rendais hommage à mes parents. Se replonger dans les années 1990 était émouvant. Tous les membres de l’équipe de tournage étaient concernés par les années 1990, avaient un rapport de près ou de loin avec cette guerre.
Nous avons tous un membre de la famille, un voisin ou un ami victime des violences. Tout le monde dans la rue en Algérie a une histoire avec la décennie noire, moi, je préfère parler de « guerre civile ».
MEE : Pourquoi ?
LK : Parce qu’il faut mettre des mots clairs sur ce qui s’est passé en Algérie durant cette période.
Lors du tournage de Papicha, il y avait une certaine énergie puisque tout le monde était concerné. Tout le monde avait son mot à dire. J’ai appris lors de ce tournage qu’à l’époque, en Algérie, les gens ne disaient pas « au revoir » mais « smah binatna » (je te pardonne ; sous-entendu, si jamais on ne se revoit plus parce que l’un de nous est tué, on fait table rase du passé).
Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
Ces détails étaient importants pour la consistance et la véracité du film. Donc oui, c’était une forme de plongeon collectif dans cette période. Nous avons tourné à Tipaza [sur le littoral septentrional] dans des bâtiments complètement désaffectés alors qu’ils étaient, avant la guerre, destinés aux activités touristiques. Revenir dans ces murs, tourner dans la Casbah d’Alger, se réimprégner de tout cela, c’était fort émouvant.
MEE : Les films Papicha et Houria évoquent aussi la question de la femme. Le cinéma est-il le meilleur moyen d’aborder la thématique de la femme, de ses droits et de son émancipation ?
LK : C’est un bon moyen, comme le sont aussi la littérature et la musique. L’art reste un bon moyen pour s’emparer de problématiques sociétales et humaines. Il est important que le cinéma soit féminin.
MEE : Le film Papicha n’a toujours pas été projeté en Algérie, presque trois ans après sa sortie. Une réaction ?
LK : Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
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