À l’affiche de Nos Frangins, le dernier film de Rachid Bouchareb, la comédienne franco-algérienne Lyna Khoudri sera aussi au casting du très attendu Les Trois Mousquetaires en 2023. Rencontre avec une star montante du cinéma français.
Lyna Khoudri au 75e festival de Cannes, le 24 mai 2022, lors de la présentation de Nos Frangins (AFP/Patricia de Melo Moreira)
La comédienne franco-algérienne Lyna Khoudri, 30 ans, est une star montante du cinéma français.
Elle s’est distinguée en 2017 par le rôle de Feriel dans le long métrage Les Bienheureux de Sofia Djama et a décroché pour cette interprétation le prix de la meilleure actrice, dans la section Orizzonti, à la Mostra de Venise, en Italie.
En 2019, elle est une nouvelle fois remarquée dans le rôle de Nedjma, une étudiante, dans le long métrage Papicha de la réalisatrice franco-algérienne Mounia Meddour.
Pour cette interprétation, elle a décroché le César du meilleur espoir féminin en 2020, succédant ainsi à une autre Franco-Algérienne, Kenza Fortas, primée pour son rôle de Shéhérazade dans le film éponyme français de Jean-Bernard Marlin, sorti en 2018.
Lyna Khoudri partage la vedette avec Reda Kateb et Samir Guesmi dans le nouveau long métrage de Rachid Bouchareb, Nos Frangins, sorti en France et en Algérie début décembre 2022.
Le film a été projeté en avant-première algérienne au 11e Festival international du cinéma d’Alger (FICA), dédié au film engagé.
Nos Frangins porte pour la première fois au grand écran l’affaire Malik Oussekine, étudiant franco-algérien battu à mort par trois policiers français, dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, à Paris.
À l’époque, les étudiants manifestaient contre le projet du ministre Alain Devaquet sur la réforme des universités françaises, qui prévoyait notamment de sélectionner les étudiants à l’entrée des universités. Le film de Rachid Bouchareb met aussi en lumière une affaire, encore peu connue en France, celle de la mort, la même nuit que Malik Oussekine, d’Abdel Benyahia, jeune Franco-Algérien tué par un policier ivre qui n’était pas en service.
Fille du journaliste de télévision algérienne Rabah Khoudri, qui s’est installé avec sa famille à Paris au début des années 1990, Lyna Khoudri est diplômée en arts du spectacle après l’obtention d’un bac théâtre.
La comédienne est apparue pour la première fois au petit écran, en 2014, dans l’un des épisodes de la saison 8 de la série Joséphine, ange gardien, réalisée par Philippe Proteau. Elle a joué ensuite dans plusieurs courts métrages, dont Rageuses de Kahina Asnoun et Avaler des couleuvres de Jan Sitta.
Après une quinzaine de longs métrages, elle sera en avril 2023 à l’affiche du dernier film de Martin Bourboulon, Les Trois Mousquetaires, d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas, dans lequel elle incarne Constance Bonacieux.
Middle East Eye : Dans Nos Frangins, vous interprétez le rôle de Sarah Oussekine, sœur de Malik Oussekine. Comment avez-vous abordé ce rôle ?
Lyna Khoudri : Il fallait d’abord se documenter pour camper ce personnage. Rachid Bouchareb a partagé avec nous tout le travail de recherche qu’il avait fait en amont avant la réalisation du film.
Cela m’a permis de plonger complètement dans cette histoire que je ne connaissais pas auparavant. Le cinéaste a rencontré Sarah Oussekine et m’a raconté les échanges qu’ils ont eus.
À partir de cela, il fallait trouver le bon angle pour être juste. Il est tout de même délicat de raconter l’histoire d’une famille qui existe réellement.
MEE : Pensez-vous que les affaires Malik Oussekine et Abdel Benyahia aient été effacées des mémoires en France ? L’affaire Abdel Benyahia est toujours inconnue…
LK : Étant née en 1992, je ne connaissais pas l’affaire Malik Oussekine. Ce n’est pas ma génération. Abdel et Malik sont morts la même nuit. Je sais qu’à l’époque, l’affaire fut très médiatisée et il y a un vrai problème sur le traitement médiatique de l’affaire Abdel Benyahia, une affaire complètement étouffée.
Il y a d’autres histoires similaires qui n’ont jamais été mises au-devant de la scène et dont on n’entendra jamais parler. C’est pour cette raison que Rachid Bouchareb a décidé de porter à l’écran l’affaire Abdel Benyahia en mettant en miroir les deux histoires.
Ces deux affaires sont liées à des violences policières. Une question largement débattue ces deux dernières années en France avec le traitement réservé aux manifestations des Gilets jaunes. C’est donc un film lié à une actualité.
Plusieurs milliers de personnes manifestent silencieusement à Paris, le 6 décembre 1986, de la place de la Sorbonne à l’hôpital Cochin où repose le corps de Malik Oussekine, le jeune étudiant décédé le matin même après avoir été violemment frappé par des policiers en marge d’une manifestation étudiante contre le projet de réforme universitaire du ministre Alain Devaquet (AFP/Michel Gange)
C’est pour cette raison que j’ai trouvé important de participer à ce projet. Rachid Bouchareb nous a raconté comment il avait vécu les manifestations de décembre 1986. Je me suis souvenue de ce que j’ai vécu en 2005 lorsque j’étais collégienne dans la banlieue parisienne.
À l’époque, il y avait eu de grosses émeutes après la mort de deux garçons, Zyed Benna et Bouna Traoré [morts électrocutés le 27 octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, après avoir été poursuivis par des policiers].
C’est avec cela que j’ai grandi. Aujourd’hui, il y a Black Lives Matter, l’affaire Adama Traoré [décédé à la gendarmerie après son interpellation alors qu’il tentait de fuir un contrôle de police concernant son frère], l’affaire Théo [blessé lors d’une violente interpellation]. Des affaires médiatisées. Cela m’a fait prendre conscience de la nécessité d’en parler aujourd’hui.
MEE : Selon Rachid Bouchareb, rien n’a changé, entre 1986 et 2022, pour les migrants d’origine étrangère vivant en France. Partagez-vous cet avis ? Avez-vous le sentiment d’être toujours étrangère en France ?
LK : Rachid Bouchareb m’a parlé de la difficulté qu’il avait à monter en 2006 le film Indigènes avec un casting constitué essentiellement de comédiens arabes.
J’essaie de passer au-dessus de cela, de ne pas me soucier du regard des autres. Cela dit, à plusieurs reprises, je ne me suis pas sentie à l’aise dans ma vie, dans des endroits qui n’étaient socialement pas accessibles pour moi. Des endroits très parisiens, un peu bourgeois, où vous n’avez pas les bons codes, où vous n’êtes pas habillé comme il le faut et où on vous regarde de haut.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier.
J’ai connu le contrôle au faciès avec les gens avec qui j’ai grandi. À la sortie d’un train, j’ai subi ce genre de contrôle. Il s’agit de choses qui existent, qui arrivent, qu’on ne peut pas nier
MEE : Les choses ont-elles changé ?
LK : Oui. Pour le métier que je fais, du moins, il y a davantage d’accès parce qu’il y a plus de rôles et plus d’histoires.
En tant que migrants, nous nous sommes appropriés les choses, battus pour faire nos films, avoir nos boîtes de production, écrire nos histoires. Donc, il faut continuer dans ce sens-là.
MEE : En France, des politiques de droite et d’extrême droite critiquent en permanence l’arrivée de migrants en France, certains parlent de « grand remplacement ». Comment réagissez-vous à ce genre de déclarations qui provoquent la peur ?
LK : Ce genre de déclarations n’est pas représentatif de la France. C’est minoritaire. Mais j’ai grandi avec des Le Pen pas très loin ! J’ai l’impression que les choses stagnent. À certains endroits, c’est pire, c’est mieux dans d’autres. Je ne m’y connais pas assez en politique pour m’avancer plus. Je suis différente de mon père à ce niveau-là.
MEE : Justement, être fille d’un journaliste de télévision, qui a donc un rapport avec l’image, vous a-t-il aidée dans votre carrière professionnelle ?
LK : Oui. Cela m’a surtout donné l’amour de l’image. J’ai mis du temps à le comprendre. En faisant le métier de comédienne, je pensais m’éloigner de mon père, mais en fait, ce n’était pas le cas.
Mon père m’a appris à aimer l’image, à regarder un écran, à analyser un plan, à manipuler une caméra, à faire la différence entre les techniques...
J’ai appris très tôt. Petite, je regardais des films avec mon père. Il m’expliquait à chaque fois les plans, la mise en place des caméras, le travelling, les plans-séquences... En grandissant, j’avais tous ces termes techniques en tête.
En fait, je ne me suis même pas rendu compte que c’était un plus. Et, en débutant dans le cinéma, j’avais l’impression de tout savoir, de comprendre tous les codes. Il y avait des mots qui me paraissaient familiers. Parfois, dans les tournages, j’expliquais à mes collègues qui débutaient les techniques, les plans. J’avais donc un petit avantage grâce à mon père.
Cela dit, mon père ne m’a pas pistonnée. J’ai tout fait en France, lui a tout fait en Algérie. Mon père ne connaît ni Rachid Bouchareb ni Mounia Meddour mais il m’a donné l’amour du cinéma. Et l’amour de l’Algérie aussi. Mais j’ai fait ce que je voulais : je n’ai pas étudié les sciences politiques à l’université comme lui. J’ai fait autre chose en apprenant de lui.
MEE : Qu’est-ce qui vous a amenée au cinéma ?
LK : Au début, j’ai fait du théâtre au lycée pour m’amuser avec mes amis. Après le bac, je n’ai pas continué et j’ai senti comme un manque.
Un jour, j’ai rencontré la réalisatrice Nora Hamdi, qui est d’origine algérienne et qui a réalisé en Algérie le film La Maquisarde, en 2020. Elle m’a demandé si j’étais intéressée par une carrière d’actrice. Je lui ai répondu que j’aimais bien le cinéma sans penser à être actrice.
Je voulais rester dans la culture sans savoir quoi faire, peut-être travailler dans les musées, faire l’école du Louvre, faire du cinéma... je n’avais pas tranché.
Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres
Donc, je me suis inscrite au cinéma à la fac et me suis rendu compte que je n’aimais pas ça ! Après, j’ai fait des études de théâtre, et là, j’ai senti que j’étais bien à ma place, j’ai pris beaucoup de plaisir. Je me suis dit, quitte à prendre du plaisir, autant en faire son métier.
J’écris beaucoup sur les personnages que je joue. Le César a donné plus de visibilité au travail que je fais au cinéma. Il m’a ouvert des portes et m’a permis de faire des rencontres. Cela dit, il n’y a pas un avant ou un après le César. Je suis restée la même et je continue de faire mon travail normalement.
MEE : Voulez-vous reprendre le théâtre ?
LK : Oui, j’ai envie de continuer à faire du théâtre. Cela fait bien partie du métier de comédien. Ce qui se passe au cinéma est différent de ce qui se passe sur scène. J’ai beaucoup appris au théâtre. J’ai l’impression que quand on fait du théâtre, on peut tout faire après.
Il y a l’obligation d’être là et de créer sur l’instant, quoi qu’il arrive, même si vous oubliez votre texte ou si vous êtes fatigué ou malade. Il faut inventer au moment présent. Pour moi, le théâtre est la meilleure école pour le comédien. Au théâtre, on a plus de temps pour préparer le rôle. Les répétitions peuvent durer six mois. Ce temps n’existe pas au cinéma. Cela fait cinq ans que je tourne dans des films et en 2023, je vais revenir au théâtre.
MEE : C’est la deuxième fois que vous jouez avec Reda Kateb au cinéma. Comment se fait le travail avec lui sur le plateau de tournage. Dans Nos Frangins, vous partagez des rôles principaux ?
LK : C’est très simple entre nous. Reda est bienveillant. Il y a beaucoup d’entraide et de partage. On est très à l’écoute l’un de l’autre. Reda Kateb est mon grand frère. On se comprend. Nous avons les mêmes codes. Nous avons la même origine, la même culture et la même éducation.
Avec Rachid Bouchareb, le tournage se fait dans une ambiance de famille. Je trouve que les fins de tournage sont toujours tristes. On passe deux à trois mois ensemble avec la même équipe, et puis on se retrouve seule dans sa chambre un soir.
Après, il faut bien reprendre sa vie, sortir, faire des courses, mais j’ai l’impression que les personnages ou les éclats de personnages restent, continuent d’exister en nous...
MEE : Vous n’avez pas connu l’Algérie des années 1990 contrairement à votre père Rabah Khoudri. Des journalistes et des techniciens de la télévision algérienne, ex-RTA, avaient été ciblés par les islamistes radicaux armés. Tourner Papicha avec la réalisatrice Mounia Meddour, un film qui aborde aussi la question de l’extrémisme, était peut-être pour vous une manière de plonger dans les années 1990…
LK : Ma chance est que mes parents ne m’ont rien caché, m’ont toujours tout raconté.
J’ai vu le film Le Repenti de Merzak Allouache, c’est tout. Je n’ai pas beaucoup de matière par rapport à cette période. Parler de l’Algérie des années 1990 est toujours douloureux, cela ravive à chaque fois de mauvais souvenirs.
Mes parents m’ont parlé de leur installation en France. C’était un déchirement pour eux. J’ai toujours su d’où on venait, pourquoi on était là et comment on était arrivés.
Quand j’ai tourné dans Papicha, en mai 2018 à Alger, je savais que je rendais hommage à mes parents. Se replonger dans les années 1990 était émouvant. Tous les membres de l’équipe de tournage étaient concernés par les années 1990, avaient un rapport de près ou de loin avec cette guerre.
Nous avons tous un membre de la famille, un voisin ou un ami victime des violences. Tout le monde dans la rue en Algérie a une histoire avec la décennie noire, moi, je préfère parler de « guerre civile ».
MEE : Pourquoi ?
LK : Parce qu’il faut mettre des mots clairs sur ce qui s’est passé en Algérie durant cette période.
Lors du tournage de Papicha, il y avait une certaine énergie puisque tout le monde était concerné. Tout le monde avait son mot à dire. J’ai appris lors de ce tournage qu’à l’époque, en Algérie, les gens ne disaient pas « au revoir » mais « smah binatna » (je te pardonne ; sous-entendu, si jamais on ne se revoit plus parce que l’un de nous est tué, on fait table rase du passé).
Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
Ces détails étaient importants pour la consistance et la véracité du film. Donc oui, c’était une forme de plongeon collectif dans cette période. Nous avons tourné à Tipaza [sur le littoral septentrional] dans des bâtiments complètement désaffectés alors qu’ils étaient, avant la guerre, destinés aux activités touristiques. Revenir dans ces murs, tourner dans la Casbah d’Alger, se réimprégner de tout cela, c’était fort émouvant.
MEE : Les films Papicha et Houria évoquent aussi la question de la femme. Le cinéma est-il le meilleur moyen d’aborder la thématique de la femme, de ses droits et de son émancipation ?
LK : C’est un bon moyen, comme le sont aussi la littérature et la musique. L’art reste un bon moyen pour s’emparer de problématiques sociétales et humaines. Il est important que le cinéma soit féminin.
MEE : Le film Papicha n’a toujours pas été projeté en Algérie, presque trois ans après sa sortie. Une réaction ?
LK : Personne n’a encore compris pourquoi Papicha n’a pas été projeté en Algérie. Cela a attiré l’attention et finalement, tout le monde l’a vu d’une manière ou d’une autre. Donc, c’est raté. On nous a bien rendu service en bloquant sa projection en salles
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