L’écrivain algérien questionne, dans son dernier livre, les notions de pardon, de destin, d'exil intérieur et de fatalité.
Yasmina Khadra au 35e Festival du livre de Mouans-Sartoux, France, le 8 octobre 2022. (ERIC DERVAUX / HANS LUCAS)
Les vertueux est dans la veine de Ce que le jour doit à la nuit, chef d’œuvre de l’écrivain algérien le plus connu en France. Un grand roman où des histoires personnelles racontent la grande Histoire. Du souffle, Yasmina Khadra en a. Et il en faut pour écrire cette fresque qui décrit avec beaucoup de justesse l’Algérie du début du XXe siècle qui commence à la veille de Première Guerre mondiale. Du souffle et de l’imagination. Yasmina Khadra, Mohammed Moulessehoul pour l’état civil, confirme avec Les vertueux qu’il demeure un formidable conteur. "C’est mon plus beau texte", a confié l’auteur de Morituri à Franceinfo. Un grand roman populaire, dans le sens le plus noble du terme.
Tout commence par un marché de dupes. Yacine, jeune berger très pauvre, se voit proposer un pacte par un caïd : il part en France faire la guerre à la place de son fils en échange d'une ferme pour ses parents. Dans une société féodale, le caïd "était à l’image du bon Dieu. Il pouvait faire d’un vaurien un notable et d’un insolent un gibier de potence, sauf qu’il était plus enclin à sévir qu’à gratifier". Et voilà le jeune Yacine dans les tranchées à place du fils de Hamza. Quatre ans à se battre contre "les Boches" et à essayer de survivre. Son retour, Yacine l’imaginait comme une promesse de jours meilleurs. Mais on attendait de lui, le héros, de disparaître pour que l’usurpateur puisse apparaître en pleine lumière. Il devait mourir pour que Hamza, le fils du caïd, naisse au grand jour, auréolé de médailles de guerre.
Le Pacte
Le marché se transforme en cauchemar, une fuite sans fin. Et c’est là que Yasmina Khadra questionne le destin. Comment l’écrire ? Avec le sang, la vengeance ? En suivant un tout autre chemin ? Ainsi, de retour en Algérie, le jeune Yacine mûrit, côtoie la violence, affronte le dénuement. Au cours de son périple, il renoue avec certains de ses anciens campagnons de guerre, les Turcos, ces tirailleurs algériens qui ont servi dans l'armée française. Il se retrouve embarqué avec l'ombrageux indépendantiste Zorg dans une rébellion désespérée, se lie à nouveau avec Sid l'hédoniste, à la recherche d'une rédemption, qui se noie dans l'alcool ou encore Raho, assagi par les épreuves de la vie et... une forme de bonheur stoïque. Des épreuves, Yacine les accumule, baigne dedans. Les rares moments de répit sont vite rattrapés par de nouveaux malheurs, toujours plus injustes.
Yacine refuse que son identité soit réduite à cette succession de souffrances. "Des choses incroyables vous tombent dessus, détournent le cours de votre existence et le bouleversent de fond en comble. Vous avez beau fuir au bout du monde, vous réfugier là où personne ne risque de vous trouver, elles vous suivent à la trace comme une meute de chiens errants et font de vous quelqu’un qui ne vous ressemble en rien et qui devient la seule histoire que l’on retiendra de vous. Certains appellent ces choses mektoub. D’autres, moins déraisonnables, disent que c’est la vie". Avec une langue généreuse, imagée, Yasmina Khadra nous emmène dans un voyage lumineux qui voit Yacine, et nous avec lui, apprendre à pardonner.
Sur l’auteur : Pourquoi Yasmina Khadra s’appelle Yasmina Khadra ? Mohammed Moulessehoul voulait échapper à la censure en Algérie et choisit les deux prénoms de sa femme comme pseudonyme. Officier de l’armée algérienne pendant 25 ans, il fait valoir ses droits à la retraite en 2000 pour se consacrer entièrement à l'écriture. Les lecteurs le découvrent avec la série du Commissaire Llob. Il est l’auteur de la trilogie Les Hirondelles de Kaboul, L’Attentat et Les Sirènes de Bagdad, ou encore Ce que le jour doit à la nuit. Traduits dans une cinquantaine de pays, plusieurs de ses livres ont été portés à l’écran.
Extrait : "Très jeune, on m’avait certifié que chacun naissait doté d’un chemin dûment établi, avec des gîtes d’étape précis, des raccourcis et un point de chute dont on ne se relèverait pas. Nous étions persuadés, dans notre douar, que lorsqu’on éclot sous la mauvaise étoile, on s’évertue à apprivoiser le pire. Hélas, nous étions loin de la vérité. Le pire ne s’apprivoise pas. Et il n’y a rien de pire que la guerre. Rien n’est tout à fait fini avec la guerre, rien n’est vaincu, rien n’est conjuré ou vengé, rien n’est vraiment sauvé. Lorsque les canons se tairont et que sur les charniers repousseront les prés, la guerre sera toujours là, dans la tête, dans la chair, dans l’air du temps faussement apaisé, collée à la peau, meurtrissant les mémoires, noyautant chacune de nos pensées, entière, pleine, totale, aussi indécrottable qu’une seconde nature".
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