En décembre 2021, le gouvernement canadien a signé "le plus important accord d'indemnisation dans l'Histoire du Canada", mettant fin à une saga judiciaire de près de 15 ans. Il devra payer 40 milliards de dollars pour avoir imposé un système discriminatoire et raciste de services à l'enfance depuis les années 1990. Une somme colossale destinée à des réparations financières et une réforme du système. Dans les communautés autochtones, l'accord est accueilli avec prudence, tant la confiance en Ottawa est faible.
Emmanuel Macron se rendra « prochainement » en Algérie à l’invitation de son homologue Abdelmadjid Tebboune, a dit le président français dans un message de félicitations à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, rendu public jeudi par la présidence algérienne.
« Monsieur le Président et mon cher ami, j’ai l’immense plaisir, en ce 5 juillet 2022 où l’Algérie commémore son 60e anniversaire de l’indépendance, de vous adresser, au nom de la France et en mon nom propre, à vous, l’Algérie et son peuple, un message d’amitié et de solidarité, accompagné des félicitations les plus sincères à votre pays », lit-on dans la lettre.
« Nouvel agenda »
Dans ce document qui augure la fin de la brouille qui a pourrit les relations entre les deux capitales il y a quelques mois, Emmanuel Macron évoque une prochaine visite en Algérie sans donner de dates.
« En réponse à votre invitation, je serai heureux de venir en Algérie prochainement pour lancer ensemble ce nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel de nos souverainetés. Je souhaite que nous puissions y travailler dès maintenant pour appuyer cette ambition sur des fondations solides et l’inscrire dans un calendrier partagé », a-t-il ajouté.
Le président français a ajouté souhaiter que « nous puissions y travailler dès maintenant pour appuyer cette ambition sur des fondations solides et l’inscrire dans un calendrier partagé ».
En dépit du passage de six décennies après l’indépendance, les relations entre les deux pays sont régulièrement ponctuées de pics de tension. La question de la guerre d’indépendance et la mémoire qui en découle reste très vive. La crispation sur ce passé commun n’est pas sans gros coup de froid.
Le dernier remonte à octobre 2021 lorsque Emmanuel Macron a affirmé que l’Algérie s’était construite après son indépendance sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire », suscitant l’ire d’Alger. Il est vrai que le régime instrumentalise la question de la mémoire à outrance.
Mais les relations se sont progressivement réchauffées ces derniers mois et le président français et son homologue algérien ont exprimé leur volonté de les « approfondir » lors d’un entretien téléphonique le 18 juin.
Lundi, la présidence française a annoncé l’envoi d’une lettre par M. Macron à M. Tebboune à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance, où le président français appelait, selon l’Elysée, au « renforcement des liens déjà forts » entre les deux pays.
Fin avril, M. Tebboune avait félicité M. Macron lors de sa réélection et l’avait invité à se rendre en Algérie. Emmanuel Macron a effectué une seule visite en Algérie, au début de son premier mandat présidentiel en décembre 2017.
Avec «In fine mundi», Andrès Serrano nous transporte à Oran, au temps de l’exode des Français d’Algérie, sur les traces d’enfants traqués par un tueur.
A Oran, un inspecteur mène l'enquête pour sauver trois enfants ciblés par un tueur. (-/AFP)
Juillet 1962. Oran. «11 heures du matin, le soleil grillait déjà la ville». Andrès Serrano a connu l’exode cette année-là, et il nous plonge, tête la première, dans tout ce que les hommes savent commettre de pire. Leurs turpitudes, leurs exactions, leurs saloperies. Son histoire tourne et retourne autour de trois garçons pris pour cible par un tueur. Ils ont quasiment l’âge d’Andrès à l’époque, et se livrent à des jeux qui ne sont pas de leur âge. «Sur ces bâtisses sans ardoises et sans tuiles, les vastes terrasses brûlantes offraient de magnifiques terrains de jeux aux enfants pauvres», écrit l’auteur. Qui précise, un peu plus tard : «ce qu’il y avait découvert désavouait la peinture qu’en avait faite l’auteur de La Peste : les arbres et le parfum de rose des jardins publics ou des cours d’école égayaient ces faubourgs».
«Les gens méprisent ceux qui les traitent bien»
L’inspecteur Abel Helme, pourtant sur le point de regagner la France, comme beaucoup d’autres, va vite se retrouver «hanté par sa mission» de sauver l’un des enfants que le tueur n’a pas atteints. Le policier est confronté «aux perdants de l’OAS», aux rapports «ambigus de l’Eglise avec les deux camps», et surtout «à la vie du petit peuple des quartiers de la cité des Lions». On y entend les oiseaux élevés dans des cages, on y sent l’odeur des plats préparés pour midi, on y voit les gens qui peuplent les immeubles. «A lire les noms sur les boîtes à lettres désarticulées, il pensa à ces grands remuements de peuples qui parcourent la Terre pour exorciser la misère ou conquérir leurs libertés sur des terres nouvelles. Ici, les patronymes résonnaient surtout sur des musiques andalouses : les Baena, Para, Reig ou Garcia.»
Au-delà d’une description très fine de la société d’alors, Andrès Serrano, musicien de profession devenu historien, détaille les «relations humaines» qui président à l’époque. «Pour ce qui concerne la direction d’un pays, les gens méprisent ceux qui les traitent bien et respectent ceux qui ne leur font aucune concession. C’est vrai chez nous, dans les pays occidentaux où pourtant les règles démocratiques devraient tempérer l’esprit de domination. Mais alors dans les pays arabo-musulmans cette loi s’applique avec une telle férocité qu’on est amenés à plaindre les gouvernés… Croyez-moi, l’Algérie sera gouvernée d’une main de fer !»
Pour mener à bien son enquête, Helme est assisté d’un «civil» croisé dans une cage d’escalier qui connaît le quartier comme sa poche et le guidera tel un frère. Ensemble, ils croiseront la route de Léon Mignoni, entrepreneur prospère, doublé d’un authentique salaud. Mignoni avait su «tirer profit de l’accroissement formidable de la production viticole en Algérie, laquelle était indispensable dans le processus de bonification des vins languedociens trop faibles en alcool». Mignoni s’était battu pour que l’Algérie «demeurât dans le giron français», et avait même été «un des exécuteurs les plus zélés de la cause nationaliste, allant jusqu’à […] devenir le plus cruel des assassins».
«Le monde des gosses qui vivaient dans les rues»
L’histoire de ces enfants, c’est la sienne, explique Serrano à Libération. «Tous ces gamins, ces jeux auxquels ils participent, j’y ai participé. L’assassinat du vieil homme, une manière de décrire les quartiers populaires, et le monde des gosses qui vivaient dans les rues, jusqu’à Mignoni, qui a vraiment existé…» Cette culture espagnole dans laquelle il baignait lui interdisait d’approcher les fillettes. C’était un tabou. «Notre initiation se passait entre garçons. On a été influencés par la guerre. Dans ces quartiers périphériques, nous, gosses de pauvres, on collait les tracts de l’OAS, et, en même temps, on cachait des armes pour le FLN.»
Guitariste, chanteur… Andrès Serrano a longtemps vécu de la musique. Il a passé son bac à 30 ans puis il est devenu professeur d’histoire. Les personnages qu’il décrit sont plus vrais que nature. Comme ce curé qui va «taper» l’argent d’un riche voleur de banques acquis à l’OAS afin de le reverser aux familles qui prennent le bateau pour la France. Il a assisté au massacre d’Oran, épisode rarement documenté, et il insiste : «les choses ne sont pas blanches ou noires. En écrivant, j’ai ressenti des souvenirs enfouis à l’époque où j’étais enfant, comment les gens devenaient des loups féroces…» Féroce, c’est un bon mot pour résumer ce roman noir.
Dans l'effervescence de la manifestation, Libération s'est entretenu vendredi au téléphone avec des Algériens impliqués dans le mouvement contre un cinquième mandat Bouteflika. Ils racontent pourquoi ils se mobilisent, l'humiliation ressentie face à la décision du président absent de se représenter, et pourquoi – alors qu'ils ont en mémoire de la décennie noire et des transitions avortées des printemps arabes – le mouvement se veut absolument pacifiste.
Sidali Kouidri Filali, 40 ans : «Les Algériens ont conscience que ça peut déraper»
Pressé de rejoindre la manifestation, ce membre fondateur du Barakat («ça suffit») – un mouvement déjà actif contre un quatrième mandat de Bouteflika en 2014 – raconte l'espoir qu'il place dans les manifestations actuelles, auxquelles il participe en «simple citoyen». Pour lui c'est le «ras-le-bol» de la population face à une «dictature qui a réussi à faire des Algériens un peuple de désespérés» qui pousse ses concitoyens dans la rue : «Il y a des millions d'Algériens qui ont quitté l'Algérie avec le règne de Bouteflika. On n'avait jamais vu ça, même durant la décennie noire et les années de sang [la guerre civile algérienne qui, durant les années 90 opposa le gouvernement algérien à divers groupes islamistes et fut à l'origine de dizaines de milliers de morts, ndlr]. Aujourd'hui, des Algériens se jettent dans la mer, sont des harragas[terme utilisé pour désigner les migrants algériens qui "brûlent leurs papiers" avant de tenter de rejoindre l'Europe par la mer ndlr] parce qu'ils ne se reconnaissent pas dans ce pays, qu'il n'y a plus d'espoir. Parce que la seule chose que Bouteflika a réussi à démocratiser c'est la corruption et le népotisme.»
Le mouvement, qu'il décrit comme populaire et spontané, a d'ailleurs pour mot d'ordre le «départ de Bouteflika, et de tout le système qu'il représente». Il explique, inquiet, que «c'est une dictature forte, qui a les médias et l'opinion en main et qui a l'habitude de manipuler les mouvements», mais se dit confiant dans l'expérience des Algériens. Contrairement aux pays des printemps arabes, les Algériens ont déjà connu le terrorisme et l'islamisme politique, et «ont conscience que ça peut déraper». Ils seront donc sur leurs gardes pour ne pas répondre aux provocations du pouvoir. Le mot d'ordre d'aujourd'hui, d'ailleurs, est «pacifisme».
Habib Brahmia, 33 ans : «Les jeunes sont complètement désespérés»
Cadre dirigeant du parti Jil Jadid (Nouvelle Génération) qui fait partie du mouvement de gauche Mouwatana («citoyenneté»), l’homme répond d’une voix posée. Il milite depuis plusieurs années contre le système Bouteflika et s’était lui aussi opposé au quatrième mandat en 2014. Sans grand succès à l’époque mais aujourd’hui, les choses sont différentes :
«Depuis l’annonce par le Président de sa participation à la présidentielle, il y a eu un déclic populaire et les gens se sont mobilisés sur les réseaux sociaux pour engager une contestation sur la rue… Les Algériens ont pris cette affaire comme une question de dignité : ils considèrent que ce n’est pas normal que quelqu’un qui n’est pas capable de diriger le pays soit imposé comme ça par la force.»
Il analyse : «L'impotence est un problème politique : il y a des gens qui ne sont pas élus, pas identifiés, qui gèrent les affaires du pays. Quelqu'un qui n'est même pas capable de parler, qui n'a pas fait de discours à la nation depuis le 8 mai 2012 – soit depuis sept ans – ne peut pas prendre les rênes d'un pays.»
A cela s'ajoutent des conditions économiques de plus en plus dures qui poussent les jeunes à migrer. Et aujourd'hui à sortir dans la rue. «Depuis longtemps, la situation était difficile. Au début, il y avait beaucoup d'argent, donc le système l'a utilisé pour louer la paix sociale, en redistribuant la rente. Depuis qu'il n'y en a plus, l'émigration a redoublé : des harragas sur des bateaux de fortunes, mais aussi la fuite des cerveaux avec des médecins qui vont en France ou au Canada. Tout le monde a envie de partir : les jeunes sont complètement désespérés et ne voient aucun avenir pour eux.»
Il exalte un mouvement «populaire» et «pacifique» : «Les gens ont une conscience collective tournée vers la démocratie, les libertés et le pacifisme. Les Algériens ont montré beaucoup d'intelligence politique et leurs revendications sont claires : ils veulent un Etat de droit, et c'est dans celui-ci qu'on pourra choisir des représentants selon leurs idéologies et leurs projets de société.»
Nazim Baya, 35 ans : «Ces gens ne se rendent même pas compte à quel point ils sont ridicules»
Pharmacien de profession, l'homme est surtout connu pour être le fondateur d'El Manchar, un site satirique, sorte de Gorafi algérien, qui ne perd pas une occasion d'égratigner le pouvoir et son chef invisible. Il raconte que son journal n'a pas joué un rôle moteur et a juste «accompagné le mouvement pendant les dernières années». Dans ses colonnes, la satire a permis à la fois d'éviter la censure et d'insister sur l'absurdité du pouvoir d'Alger… Depuis une semaine, l'image du cadre vide – celui du portrait de Bouteflika – régulièrement brandie par les manifestants et reprise sur internet est du même registre : «Le cadre, c'est un pied de nez au pouvoir. Ce sont les autorités qui l'ont utilisé comme portrait de Bouteflika pour le mettre dans des meetings et des célébrations officielles. Les jeunes ont repris ça à leur compte pour se moquer de ces gens qui ne se rendent même pas compte à quel point ils sont ridicules.»
L'homme rappelle aussi que 70% de la population algérienne a moins de 30 ans. Les jeunes qui n'ont connu que Bouteflika au pouvoir, «veulent s'impliquer dans le jeu politique, affirmer qu'ils sont là, qu'ils veulent un Etat de droit et une démocratie». Lui aussi l'affirme : l'expérience de la décennie noire et du conflit syrien permettra au peuple algérien de rester pacifique et d'éviter les pièges de l'affrontement.
CELINE DION sings Robert Charlebois ORDINAIRE (translated in English).
Court métrage dans lequel l’auteur-compositeur Félix Leclerc raconte, dans une langue savoureuse, l’aventure fantastique que vivent chaque année les draveurs de la vallée de l'Outaouais. Perche ou bâton de dynamite au bout des bras, ils font franchir aux billots, des centaines de kilomètres de rivières, de chutes et de lacs. Un métier dur, impitoyable, rempli de poésie. Réalisé par Raymond Garceau - 1957 | 20 min
Quand les hommes vivront d'amour (Félix Leclerc Gilles Vigneault Robert Charlebois 1974) - Paroles
Quand les hommes vivront d’amour, Il n’y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours Mais nous nous serons morts, mon frère
Quand les hommes vivront d’amour, Ce sera la paix sur la terre Les soldats seront troubadours, Mais nous nous serons morts, mon frère
Dans la grande chaîne de la vie, Où il fallait que nous passions, Où il fallait que nous soyons, Nous aurons eu la mauvaise partie
Quand les hommes vivront d’amour, Il n’y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours, Mais nous nous serons morts, mon frère
Mais quand les hommes vivront d’amour, Qu’il n’y aura plus de misère Peut-être songeront-ils un jour À nous qui serons morts, mon frère
Nous qui aurons aux mauvais jours, Dans la haine et puis dans la guerre Cherché la paix, cherché l’amour, Qu’ils connaîtront alors mon frère
Dans la grande chaîne de la vie, Pour qu’il y ait un meilleur temps Il faut toujours quelques perdants, De la sagesse ici-bas c’est le prix
Quand les hommes vivront d’amour, Il n’y aura plus de misère Et commenceront les beaux jours, Mais nous serons morts, mon frère.
Paroles et musique: Raymond Lévesque
L’histoire derrière la chanson
Écrite à Paris en 1956 durant la guerre d’Algérie, Quand les hommes vivront d’amour, est un véritable message pour la paix. Lévesque s’établit en France en 1954 pour lancer sa carrière musicale. Il est profondément marqué par ce conflit et les divisions qu’elle provoque.
Lévesque qui vit la bohême dans les rues parisiennes, ira chanter sa nouvelle composition à la porte de la loge d’Eddie Constantine pour que ce dernier accepte de l’endisquer. Devenue un succès mondial, Quand les hommes vivront d’amour sera reprise avec les années par Pauline Julien, Offenbach, Philip Glass et Céline Dion, entre autres.
C’est sans contredit son interprétation lors de la Superfrancofête de 1974 à Québec par Félix Leclerc, Gilles Vigneault et Robert Charlebois qui marquera le Québec. Quelques années après les événements d’octobre 1970 et deux ans avant l’arrivée au pouvoir du Parti Québécois, 120 000 personnes chantent à l’unisson cet hymne à la paix et au rassemblement.
Nom : Benmoufouk, prénom : Abdelmadjid. Droit dans ses bottes, décidé à titiller le monde, l’enfant débarque en France en septembre 1954 après avoir cassé la tirelire que lui gardait jalousement le Dr Amrane de Seddouk, à Béjaïa.
L'enfant décroche une bourse d'études de 25 000 francs par mois au collège Colbert à Toulouse, mais son cousin Larbi décide autrement et donne une tout autre direction à la trajectoire de Abdelmadjid. Il l'emmène à Tourcoing, à Lille, au nord de la France « Et puis, que vas-tu faire à l'école, pense plutôt à travailler pour aider tes parents». Il travaille comme apprenti dans une usine de textiles. Ainsi, le destin du jeune Abdelmadjid est scellé. Il avait 15 ans. La guerre éclate et de file en aiguille, il est intié à la cause nationale en se frottant aux militants. «C'était un café appartenant à mon cousin Larbi Benmouffok qui s'est réfugié en France fuyant le MNA». Le jeune Abdelmadjid assiste à une attaque, dans ce même café. Un groupe de messalistes tire deux coups de revolver et assassine Hocine, le patron du café. Le lendemain de l'attentat «la femme de mon cousin est venue me prendre à Paris, j'avais 16 ans». La greffe du militantisme a déjà pris. Une fois à Paris, il prend contact avec des militants, amis de son cousin Larbi. «Je distribuais des lettres, je transportais le courrier, je remettais des tracts dans les boîttes aux lettres des Européens. «C'était le début de mon action de militantisme et parallèlement je rentre dans une école professionnelle pour apprendre un métier». «J'étais avec Ali Belloucif devenu plus tard commissaire de police à Alger au 8ème arrondissement». Doté d'une mémoire phénoménale, Da L'madjid se rappelle encore de ce que ses premiers responsables avaient pour noms de guerre. Actif et aguerri, il passe vite de chef de groupe à responsable de section , celle du 13eme arrondissement, rue de Tolbiac, 10 rue Toussaint-Ferrand, avant d'être promu responsable de district militant en 1959. Il sillonne la France et l'activité militante est à son apogée. En 1957, il échappe à un guet-apens monté par trois messalistes. À la sortie de mon hôtel où je venais de terminer les rapports financiers du FLN, trois individus du MNA m'attaquent au couteau, il en garde encore les cicatrices au cou. «J'avais sur moi un revolver». «Avez-vous titré?»...vous devinez la suite.. «Non, réplique-t-il, il fallait préserver les documents». En 1959 il a été envoyé à Chamonix, en Haute Savoie, pour sensibiliser et intégrer les Algériens qui résidaient dans cette région de France.
Mon travail était de convaincre les militants à mener des attaques contre des cibles françaises militaires, policières ou économiques et par la suite d'entraimer ces mêmes personnes La prison est une étape incontournable dans la vie militante. Le premier contact de Da L'Madjid avec les geôles françaises a été en 1959. Il a été remis en liberté après 8 jours de détention pour manque de preuves. Sa deuxième arrestation, vendu par des harkis, est intervenue le 7 décembre 1960 à 3 heures du matin. «La police est venue me chercher à l'hôtel, rue des Tanneries, c'était mon père qu'elle a retrouvé. Il est sorti en courant pieds nus dans le Tout-Paris pour venir m'alerter. Trop tard, la police m'avait arrêté». Interne d'abord à la prions de Saint-Maurice en France, dans des pavillons de 50 à 60 personnes, il a été ensuite transféré à Alger, enchaîné dans la cale d'un bateau à bétail. D'Alger il a été conduit à Beni Messous, un mois de torture comme formalité, car le plus dur n'a pas commencé. Dans ses bagages, il avait des document ultrasecrêts du FLN. À la fouille des parachutistes. L'oeil vif, doigt sur la gâchette...ils ouvrent la valise et miracle.. ils n'ont rien vu! Les document ont-ils disparu? « Non: c'est la baraka de Sidi El Moufak», confie Da L'Madjid avec la foi innombrable d'un marabout convaincu.. « Oui, Sidi El Mofak leur a fermé les yeux!), appuie-t-il encore. De Beni Messous, direction Paul-Cazelles (l'actuelle Aïn Ouessara). Il rejoint 1500 prisonniers. «Je me rappelle de beaucoup de monde: le comédiens Kaci Tizi Ouzou, les frères Jojo...». Il ne manque pas de rendre hommage aux anciens responables du FLN: Meziani Mokrane, responable du groupe de choc, Boudraïa H'mimi, Boudraïa M'hend, Bourouba Boudjemaâ, Malek Boughriou, Arezki Tigrine, Slimane Airouche, Si Lakhdar dit Sputnik, Si Abderrahmane ancien maire d'Ouzellaguen.
Et vint la libération: une dauphine d'un Algérois est venue nous chercher pour nous déposer au quartier de Leveilley...c'était la fête, la joie, mais aussi l'OAS qui plastiquait tout. Je repars au bled et reprends la vie civile. Infirmier à l'hôpital Mustapha? on commençait à oublier les affres de la guerre et voilà qu'en 1967, on est venu nous chercher pour aller en Syrie. C''était la première guerre arabo-israélienne. Pendant un mois, parqués dans un lycée aménagé en hôpital à Damas où l'on soignait les blessées. Fin de la guerre de 1967, on reprend la vie et voilà que pointe 1973 et re-guerre israélo- arabe. On les rappelle une seconde fois pour la guerre, une troisième de son parcours. Un homme, des combats et une fierté. Telle a été l'histoire fabuleuse de ce maquisard de la Fédération du FLN en France. Ils étaient une véritable armée de l'ombre, des soldats au front sans uniformes. Des hommes chez qui le respect de la parole donnée et le sens de l'honneur n'étaient pas que du folklore. Des hommes de cette trempe ne font jamais les choses à moitié.
La collection d’entretiens patrimoniaux « En guerre(s) pour l’Algérie » rassemble 66 témoignages d’hommes et de femmes qui ont vécu la guerre d’Algérie (1954-1962).
Ces récits individuels ont été recueillis en France et en Algérie de 2019 à 2021 par une équipe d’historiens, de journalistes et de documentaristes, sous la direction du réalisateur Rafael Lewandowski et de l’historienne Raphaëlle Branche. Ils constituent un corpus représentatif de la diversité des expériences vécues pendant cette guerre : appelés du contingent, engagés et militaires de carrière français, militants indépendantistes (du Front de libération nationale et du Mouvement national algérien) en métropole et en Algérie, combattants de l’Armée de libération nationale, civils algériens, Français d’Algérie, intellectuels et étudiants, réfractaires, personnels de l’administration française en Algérie, membres de l’OAS, supplétifs de l’armée française, porteurs de valise…
Cette collecte de témoignages est inédite. Pour beaucoup, il s’agissait pour la première fois de raconter leur histoire, leur perception des événements et leurs émotions. En les écoutant, on est instantanément immergé dans une dimension profondément humaine de ces expériences de guerre.
En préambule de cette série de témoignages, un entretien avec les auteurs, d’une durée de 17 minutes, est proposé pour permettre de bien cerner le projet, la méthode et l’intention.
Ce mercredi 5 juillet, l’Algérie fête le 55e anniversaire de son indépendance. Une indépendance communément admise comme inéluctable, alors que les archives montrent combien le contexte dans lequel l’État algérien a vu le jour était chaotique.
ans ses mémoires صورة الفتى بالآحمر (Portrait du jeune homme en rouge), le militant communiste libanais Fawwaz Trabulsi raconte « son » indépendance de l’Algérie. En 1962, il vivait, étudiait et militait en Angleterre. La révolution algérienne avait été au cœur de son activité, à tel point qu’on le prenait parfois pour un Algérien, raconte-t-il.
D’ailleurs, depuis le lycée, il était amoureux de Djamila Bouhired, la célèbre moudjahida (combattante). À l’indépendance, il avait reçu une délégation de militants irakiens. Ensemble, ils s’étaient congratulés et avait célébré la naissance de ce pays comme leur propre victoire.
Bien d’autres que lui dans le monde, tiers-mondistes, anticolonialistes, anti-impérialistes, socialistes, panafricanistes, en Amérique, en Asie, partout en Afrique et même en Europe, considéraient le 5 juillet 1962 et la fin de 132 ans de colonisation française comme une victoire.
Cinquante-cinq ans plus tard, cette indépendance a la force de l’évidence. Au cœur de la grande vague de décolonisation qui balayait alors le monde, de l’Égypte aux Philippines et de l’Inde à l’Angola, l’Algérie a servi de modèle, et a soutenu matériellement d’autres combats libérateurs.
Longtemps il m’a semblé que ceux qui minimisaient le caractère inéluctable de cette indépendance pratiquaient une forme de négationnisme : ils niaient que les colonies doivent accéder à l’indépendance quels que soient les aléas du chemin pour y parvenir.
Une plongée récente dans les archives de l’année 1962 m’a fait voir la question sous un angle différent. Car la mécanique chronologique de l’année de l’indépendance était toute particulière. Elle tourne autour de deux dates : la signature d’un accord de cessez-le-feu à Évian et appliqué en Algérie le 19 mars 1962 ; et le référendum d’autodétermination prévu par les accords d’Évian, qui aboutit à l’indépendance effective début juillet 1962.
Lors du référendum du 1er juillet, les habitants de l’Algérie devaient répondre par un oui massif à la question : « Voulez-vous que l’Algérie devienne un État indépendant coopérant avec la France dans les conditions définies par les déclaration du 19 mars 1962 ? »
Entre ces deux dates, une période transitoire était prévue pour organiser le transfert d’autorité. Ce dispositif créait la fiction que l’on pouvait faire dérailler le processus menant à l’indépendance ; il ouvrait la voie à l’Organisation armée secrète (OAS), pour développer un terrorisme européen nourri du désespoir de ceux qui voyaient leur monde s’écrouler.
Par ailleurs, les accords d’Évian retardaient l’entrée sur le territoire des autorités algériennes, du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) et de l’Armée de libération nationale (ALN) jusqu’à l’indépendance effective.
Un processus de paix qui peut échouer à tout moment
Ils prévoyaient une autorité nouvelle à l’intérieur, l’Exécutif provisoire. Dotée de sa propre police, elle s’ajoutait aux maquisards survivants — certes peu nombreux — qui redescendaient des maquis où ils avaient combattu la guerre durant, et à l’armée française toujours présente.
Bref, on ouvrait la voie au terrorisme de l’OAS, tout en multipliant les sources d’autorité. La recette semble, avec le recul, catastrophique.
Et les archives que j’ai pu consulter — archives consulaires étrangères, archives des ONG ou des fonds algériens d’archives privées, à défaut d’avoir accès aux archives publiques — véhiculent toutes le sentiment d’un imminent désastre.
Les consuls étrangers s’étonnent tous les jours que les Algériens ne cèdent pas au désir de vengeance
Les consuls étrangers observent les événements qu’ils analysent non comme une avancée vers l’inéluctable indépendance, mais comme un processus de paix qui peut échouer à tout moment.
Ils sont sidérés lorsqu’ils décrivent attentat après attentat de l’OAS, comme l’explosion d’une voiture piégée le 2 mai sur le port d’Alger, après laquelle les snipers de l’OAS cachés dans les immeubles voisins abattent les blessés et les sauveteurs.
Tous les jours, ils s’étonnent que les Algériens ne cèdent pas au désir de vengeance, et notent régulièrement l’autodiscipline de la population. Ils indiquent aussi qu’il n’y a pas que la violence de l’OAS : des colons sont attaqués, des Européens sont kidnappés, et puis le conflit entre le FLN et les partisans de Messali Hadj (père du nationalisme algérien) redouble pendant cette période.
Mais la violence de l’OAS est de loin la plus meurtrière. Le FLN doit évacuer les blessés algériens des hôpitaux français, car les commandos OAS viennent les y achever.
À Oran, les observateurs étrangers décrivent des « quartiers musulmans » désormais entourés de snipers de l’OAS, régulièrement arrosés de tirs de mortier, et dont les habitants ne peuvent se ravitailler, ni soigner les blessés, ni enterrer les morts. Parmi ceux qui parviennent à rentrer dans ces quartiers pour visiter les cliniques, l’expression revient à plusieurs reprises : c’est un ghetto.
C’est d’ailleurs à Oran que la violence tant crainte se déchaîne effectivement, lors des festivités de l’indépendance, le 5 juillet.
Un long rapport rédigé en 1963 par le Comité international de la Croix- Rouge raconte l’atmosphère électrique de la foule qui se presse le 5 juillet, et la rumeur — fausse mais tellement crédible au vu des semaines précédente — qui aurait mis le feu au poudre : « Vers 11 h on a vu des femmes musulmanes rentrer en courant chez elles en criant : ‘’L'OAS ! L'OAS veut vous tuer !’’, etc. Affolement général parmi elles. On apprit ensuite que le bruit avait été répandu que l'OAS avait tué 200 femmes musulmanes dans des autobus. »
Alors la foule se déchaîne. Les chefs locaux cherchant peut-être à se construire une réputation de dernière minute selon une mécanique courante des sorties de guerre, des personnes sont assassinées par la foule, certaines disparaissent et ne seront jamais retrouvées.
On s’affronte entre Algériens jusqu’à Alger
Quand on connaît bien la guerre d’indépendance, torture, viols, napalm, massacres et déplacements forcés, on se demande bien comment l’année 1962 pouvait être plus violente encore que les précédentes.
Même après le mois de juillet, personne n’est entièrement rassuré. D’abord parce que l’arrivée de l’Armée des frontières dans le pays ne se fait pas sans violence, les maquisard des wilayas n’étant pas prêts partout à laisser entrer ces soldats venus du dehors : on s’affronte entre Algériens jusqu’à Alger au mois de septembre.
Ensuite parce l’entrée en Algérie du GPRA et de l’ALN inaugure une lutte interne pour le pouvoir, cette « crise de l’été 1962 » qui permet à l’armée de Houari Boumediene et à son champion, Ahmed Ben Bella, de prendre le pouvoir.
Le spectre qui hante bien des sources algériennes de l’époque, c’est celui de la guerre civile qui pourrait faire s’effondrer l’État avant même sa naissance.
Environ un quart de la population algérienne a été déplacée, la majorité vivant dans des camps
Enfin, et c’est sans doute ce qui est le plus mal connu, l’inquiétude est causée par le risque d’une crise humanitaire majeure.
Avec une industrie désorganisée par le départ massif des Européens, le chômage explose. Dans les entreprises agricoles souvent privées de leurs propriétaires et de leurs cadres, l’activité doit à tout prix reprendre pour conjurer une famine d’ampleur nationale.
Par ailleurs, environ un quart de la population algérienne a été déplacée, la majorité vivant dans des camps. En mars, ce sont peut-être 200 à 300 000 personnes qui ont le statut de réfugiés en Tunisie et au Maroc et veulent rentrer.
Nous sommes passés si près de l’anéantissement
1962 voit donc un peuple se mettre en marche, parfois pour revenir vers des villages rendus inhabitables par les destructions, des champs rendus inexploitables par les quelques douze millions de mines antipersonnel posées par l’armée française durant le conflit.
Les ONG internationales travaillaient déjà en Algérie durant le conflit. Mais 1962 voit des interventions spectaculaires : le Haut-Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR) s’associe à la Ligue des Sociétés de la Croix-Rouge pour rapatrier les réfugiés de l’extérieur, dans « l’opération de rapatriement la plus importante entreprise avec l’aide d’une organisation internationale depuis le temps de Nansen [le haut-commissaire aux réfugiés de 1920 à 1930], exception faite du retour dans leur pays des personnes déplacées de la Seconde Guerre mondiale », selon l’expression alambiquée du HCR.
Un film de Stanley Wright, « Comme la pierre est à la pierre » (1962) fait la promotion de cette intervention pour sensibiliser les donateurs du monde entier afin d’éviter une famine nationale.
Ce qui évite la famine et empêche l’effondrement du pays, c’est à la fois une extraordinaire solidarité internationale et la spectaculaire mobilisation interne qui permet d’organiser dans le chaos une rentrée scolaire en septembre 1962, et la reprise des opérations agricoles pour éviter une saison perdue.
Cette mobilisation ne s’appuie pas seulement sur l’énergie du temps de la guerre, mais sur les années de mobilisations culturelles, sportives, partisanes qui l’ont précédée : une partie de cette discipline et de cette organisation a par exemple été acquise dans le mouvement scout, ou dans les partis politiques qui existaient avant le déclenchement de l’insurrection en 1954.
Si près de la fin de la guerre, tout pouvait encore être perdu
S’y ajoute l’expérience de la guerre pour qu’en 1962 se mettent en place des cliniques clandestines et des systèmes de distribution de nourriture dans les lieux isolés pour assurer la survie. Dans les campagnes, des groupes scouts font des tournées pour noter les destructions, le nombre des morts, et aider à rechercher les disparus.
Dans les enterrements, ce sont parfois ces jeunes scouts en tenue qui font office de seule présence officielle, là où il n’existe pas encore d’administration algérienne.
Cinquante-cinq ans après, c’est ce qui me frappe lorsque je regarde l’indépendance : l’idée que si près de la fin de la guerre, tout pouvait encore être perdu.
L’indépendance aurait pu ne pas être, l’État algérien aurait pu ne pas naître, et nous sommes passés si près de l’anéantissement. C’est en ce sens que l’indépendance est, je crois, un miracle.
- Malika Rahal est historienne, elle travaille à l’Institut d’histoire du temps présent (Paris). Elle a beaucoup écrit sur l’histoire contemporaine de l’Algérie, avant et après son indépendance.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Photo : Les leaders du Front de libération nationale (FLN) Mohammed Boudiaf (deuxième à gauche derrière le soldat au garde-à-vous), Rabah Bitat (troisième à gauche), Ahmed Ben Bella (quatrième à gauche) et le commandant de l'armée des frontières, le colonel Houari Boumediene (sixième à gauche, au 1er rang, avec des moustaches) participent à un défilé d'unités de l'Armée de libération nationale (ALN) et se recueillent devant le drapeau de la willaya V, à Oujda, au Maroc, le 23 mars 1962, quelques jours après la signature des accords d'Évian sur l'indépendance de l'Algérie après plus de sept ans de combats entre l'armée française et les nationalistes algériens (AFP).
Avec 1962 : une histoire populaire, l’historienne Malika Rahal livre un panorama inédit de l’année de naissance de la République algérienne.
De jeunes Algériens accrochent un drapeau national sur un mur de la Casbah d’Alger, le 6 juillet 1962, au lendemain de la proclamation de l’indépendance (AFP)
L’année 1962, au cours de laquelle l’Algérie a obtenu son indépendance de la France, dont on fête ce mardi 5 juillet le 60e anniversaire, est un événement à part entière, constitué de plusieurs séquences.
Dans son ouvrage Algérie 1962 : une histoire populaire (La Découverte), l’historienne Malika Rahal explore, selon une approche originale, cette année-là et la naissance de l’État algérien.
En s’appuyant sur de nombreuses sources, l’historienne invite le lecteur à « déplier 1962 ». Car le calendrier de cette année-là est marqué par les accords d’Évian le 19 mars, les festivités de la fête d’indépendance du 5 juillet, mais aussi d’autres événements comme le massacre d’Oran ou la crise politique de l’été, qui marquent une accélération du temps et un enchaînement d’épisodes.
Et derrière l’histoire politique, se cachent des expériences vécues, que restitue l’auteure au fil d’une enquête mobilisant témoignages, autobiographies, photographies, mais aussi films, chansons et poèmes.
Ce livre décrit des expériences collectives fondatrices pour le pays qui naît à l’indépendance : la démobilisation et la reconversion de l’Armée de libération nationale (ALN), la recherche des morts et disparus par leurs proches, l’occupation des logements et terres laissés par ceux qui ont fui le pays.
Middle East Eye : Le 5 juillet, l’Algérie célèbre le soixantenaire de son indépendance. Une journée historique mal connue, de fête, mais aussi un événement très politique jusque dans son déroulement et l’itinéraire emprunté dans les rues d’Alger. Que raconte la dramaturgie du 5 juillet 1962 ?
Malika Rahal : C’est impressionnant de voir, sur les films et photographies, des personnes faire foule, s’approprier l’espace public, avec à la fois une certaine mise en scène et de l’improvisation populaire.
La date du 5 juillet a été choisie pour faire référence à la capitulation du dey [gouverneur ottoman] d’Alger en 1830. Elle intervient après le référendum d’autodétermination, le 1er, et après le transfert de souveraineté entre autorités françaises et algériennes, le 3.
Le Gouvernement provisoire de la République algérienne [GPRA], présidé par Benyoucef Benkhedda, peut alors arriver à Alger en provenance de Tunisie, accueilli par une foule immense qui se presse tout le long du chemin séparant l’aéroport de la ville. Le 5 juillet, Benkhedda proclame l’indépendance.
Pour le 5 juillet, à Alger, le choix est fait d’un défilé regroupant les hommes de l’Armée de libération nationale [ALN] – notamment ceux de la zone autonome d’Alger – qui emprunterait les grands boulevards de la capitale puis continuerait jusqu’à Sidi-Fredj, lieu du débarquement des troupes françaises, le 14 juin 1830.
En chemin, au lieu d’aller tout droit, les habitants exigent des combattants qu’ils passent par Bab El Oued, le grand quartier européen d’Alger. Le cortège traverse donc le quartier en chantant « Bab el-Oued eddah el-oued » (Bab El Oued a été emporté par l’oued).
Mais le 5 juillet n’est qu’un des moments d’une série plus longue d’événements, qui relie le cessez-le-feu du 19 mars à la création de la République algérienne démocratique et populaire, le 25 septembre. C’est une année aux multiples significations : elle est à la fois la fin de la guerre, la fin de la colonisation et la naissance de l’État algérien moderne.
Toutefois, beaucoup de détails vécus durant cette année sont peu racontés, surtout dans l’espace public, comme s’ils avaient été rapidement éludés par la nécessité – au sortir de la guerre – de refermer une page douloureuse, de passer à autre chose, et de se remettre au travail.
Par ailleurs, pour beaucoup d’Algériens, les événements de l’année sont recouverts par les évocations d’un événement politique unique : la crise politique que connaît le Front de libération nationale [FLN], qui, durant l’été 1962, divise les Algériens et les conduit à des combats entre eux.
Cette crise est, jusqu’à aujourd’hui, utilisée à tort ou à raison pour expliquer toutes les frustrations politiques du présent. Mais elle tend aussi à gommer tous les autres moments pourtant essentiels de cette année.
MEE : Comment avez-vous abordé et hiérarchisé les données foisonnantes (archives, témoignages, discussions) sur cette période finalement méconnue ?
MR : Je suis partie de plusieurs questions, nées de la comparaison avec d’autres sorties de guerre (la Seconde Guerre mondiale en Europe, la guerre de Sécession aux États-Unis) ou d’autres fins de colonisation (les indépendances du Mozambique ou de l’Angola, ou l’Inde, avec la partition).
À partir de là, je pouvais m’interroger : y avait-il eu des réfugiés durant la guerre d’indépendance et un retour des réfugiés ? Comment avait-on recherché les corps des personnes tuées pendant la guerre ? Comment les combattants avaient-ils vécu leur démobilisation ?
À partir de bonnes questions, je pouvais utiliser des sources très disparates pour apporter autant d’éléments de réponses que possible en reconstituant des histoires.
Par exemple, j’ai utilisé les mémoires des moudjahidine [anciens combattants] pour saisir comment chacun avait vécu la fin de la guerre. Certains racontent l’émotion qui les saisit au moment de l’annonce du cessez-le-feu : pour les uns, c’est une joie intense, mais pour d’autres, c’est tout à coup le chagrin de pouvoir enfin pleurer tous leurs camarades morts.
Certains racontent l’émotion qui les saisit au moment de l’annonce du cessez-le-feu : pour les uns, c’est une joie intense, mais pour d’autres, c’est tout à coup le chagrin de pouvoir enfin pleurer tous leurs camarades morts
MEE : À la question de savoir ce que 1962 fait au temps, avez-vous trouvé une réponse ?
MR : J’étais frappée par le fait que, tout au long de l’année, les événements sont nombreux. Or, à chaque nouvelle, les habitants ne cessent de réimaginer leur avenir. Lorsqu’ils sont dans des camps de concentration (dits « de regroupement »), vont-ils rester dans le camp ou retourner dans leur village d’origine pour tenter de le reconstruire ? Ou bien migrer vers la grande ville ?
De la même façon, au fur et à mesure de l’année, les autorités algériennes, françaises ou les différents courants politiques ne cessent d’adapter leurs projections d’avenir aux nouvelles qui arrivent. C’est le cas par exemple lorsqu’on réalise que ce sont finalement la majorité des Français d’Algérie qui quittent le pays en une seule année.
Tout à coup, il faut imaginer comment compenser l’absence des cadres ou des enseignants français pour organiser l’administration ou le système éducatif.
Mais la projection vers l’avenir est aussi liée au sentiment que l’indépendance réalise un rêve espéré par beaucoup de longue date et à la force de l’utopie. Autrement dit, 1962 rejette la guerre et la colonisation dans le passé, opère une coupure du temps, et projette bien des habitants de l’Algérie dans le futur.
MEE : Diriez-vous que l’Algérie et les Algériens d’aujourd’hui sont toujours dans ce futur ?
MR : C’est en effet remarquable, la puissance de cette rupture du temps. Avant même que la guerre ne soit complètement terminée, et alors que l’armée française n’a pas encore quitté le pays.
Face aux urgences de l’époque, la nécessité d’organiser la rentrée scolaire, d’organiser la sécurité, de créer les institutions de l’État, de remettre en route l’économie et d’éviter le risque de la famine, le passé ne peut avoir une grande place.
Or, jusqu’à aujourd’hui par exemple, pour les historiens notamment, le pays après 1962 n’appartient pas vraiment à l’histoire. Tout se passe comme si nous étions dans un présent permanent, et cela tient à la nature et à la puissance de 1962.
MEE : Dans l’introduction de votre ouvrage, vous appelez à « déplier 1962 » et donc à inscrire cette année charnière dans une temporalité plus longue, à la fois du passé et du futur. Est-ce que 1962 est un précipité historique ?
MR : Oui, c’est un précipité historique car c’est un moment de très grande concentration des événements. Le risque de mon approche était de faire croire que tout se passe en 1962, que la nation se forge à ce moment-là, ce qui serait inexact car ce qui s’y passe a des racines lointaines.
Par exemple, les quartiers algériens s’algérianisent face à la violence de l’OAS [Organisation de l’armée secrète, qui a combattu clandestinement entre 1961 et 1963 pour le maintien de l’Algérie française], au sens où leurs habitants dépendent de moins en moins des autorités françaises et s’auto-organisent pour leur sécurité, les soins ou le ravitaillement. Mais ce phénomène ne naît pas en 1962, comme le montrent par exemple les efforts – même limités – du FLN pour célébrer des mariages afin de créer un état civil.
Peut-on écrire l’histoire de l’Algérie contemporaine ?
À l’inverse, de nombreux phénomènes de 1962 continuent à avoir des conséquences pour les décennies suivantes. C’est le cas de l’appropriation des terres ou des logements par les Algériens, dont on voit encore les conséquences sur la propriété privée jusqu’à aujourd’hui.
MEE : Votre livre décortique 1962 à travers le prisme de l’histoire populaire. Dans quelle mesure cette approche populaire porte-t-elle un enjeu historique mais aussi politique dans une époque où la confusion entre histoire, mémoire, ceux qui l’écrivent ou la racontent, est une réalité ?
MR : Cette histoire est celle des couches populaires, des plus modestes de la société, de ceux qui sont sans voix. Parmi ces segments, la classe ouvrière, paysanne, les femmes souvent aussi sont ceux qui laissent le moins de traces.
Dans le contexte colonial, l’histoire populaire est aussi celle de la population colonisée, qui laisse toujours moins de traces que la population coloniale. L’histoire populaire consiste en cet effort visant à redonner voix à la population colonisée pour étudier la façon dont elle a vécu les événements.
L’histoire populaire consiste en cet effort visant à redonner voix à la population colonisée pour étudier la façon dont elle a vécu les événements
Étrangement, au moment même où les Algériens accèdent à l’indépendance, ils continuent à ne pas apparaître ou à apparaître de façon marginale, dans leur propre histoire.
Le but était de raconter la façon dont un peuple accède à son indépendance, dont un peuple gagne sa liberté et la façon dont cela se traduit dans les corps, dans l’espace et dans le temps.
MEE : 1962, dites-vous, est un temps durant lequel se forgent des histoires…
MR : Je prends un exemple avec les personnes mortes pendant la guerre. Certaines familles avaient pu l’apprendre, d’autres non. 1962 est le moment où les camarades de maquis, les camarades de prison peuvent rendre visite aux familles souvent pour annoncer la mort et présenter leurs condoléances, en donnant des détails parfois destinés davantage à réconforter qu’à informer.
D’autres choisissent de ne pas dire la mort et de garder le silence, au risque de condamner les familles à un deuil impossible. À partir de ces informations, vraies ou fausses, les familles commencent à se construire des récits concernant leurs morts.
Par ailleurs, comme lors de toutes sorties de guerre, c’est souvent en 1962 que des acteurs parviennent à faire valoir ce qu’ils ont fait durant la guerre, en mettant en valeur des récits héroïques, ou au contraire, n’y parviennent pas.
Certains collaborateurs de l’armée française parviennent à faire oublier leurs actions passées, d’autres au contraire sont accusés à tort d’avoir collaboré.
En matière de récit, 1962 est aussi un temps des possibles. Et jusqu’à aujourd’hui, c’est source de débats infinis que de savoir si ce qu’on sait sur l’engagement dans la guerre d’untel ou d’untel est vrai ou faux.
MEE : Vous vous attardez sur la notion de « rumeur ». Vous décrivez 1962 comme un monde de « fausses nouvelles », « de rumeurs souvent terrifiantes, parfois pleines d’espoirs ». Dans quelle mesure cette « rumeur » empêche-t-elle d’aborder cette histoire avec recul et sérénité, des deux côtés d’ailleurs… ?
MR : Ce qui est spectaculaire en 1962, ce sont les grandes vagues de rumeurs. On est dans un temps intense où les événements sont très rapides. On entend beaucoup de choses et l’avenir qui se profile est rêvé pour les uns, attendu avec impatience pour ceux qui souhaitent l’indépendance. Il est terrifiant pour ceux qui n’en veulent pas. On a donc des rumeurs qui se répandent. Elles continuent, d’ailleurs, à nous intoxiquer jusque dans le présent.
C’est le cas des rumeurs du « sang volé » qui se propagent parmi les Français d’Algérie en 1962 et selon lesquelles les Algériens enlèveraient des Européens pour les vider de leur sang afin de soigner les blessés de l’OAS. Les rumeurs sont fausses, mais elles sont terrifiantes au point de précipiter la décision de partir de certaines familles françaises.
MEE : Parmi les rumeurs, l’exemple des « harkis », ces musulmans algériens restés fidèles à la France pendant la lutte pour l’indépendance, qui auraient été utilisés pour déminer les zones frontalières…
MR : Oui, ces harkis auraient été utilisés pour déminer les champs de mine. Il s’agit d’une affaire dramatique depuis 1962, avec 11 à 12 millions de mines antipersonnel posées et un déminage qui a duré jusqu’en 2017.
En 1962, on dit que des harkis ont été utilisés pour marcher sur ces champs de mine afin de les déminer. C’est quelque chose qui a été fait dans la France de 1945 par des prisonniers de guerre.
Or, la source utilisée toujours citée comme preuve est un rapport du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) concernant un lieu précis. Ils affirment eux-même quelques jours plus tard avoir été intoxiqués par une fausse rumeur.
MEE : Votre livre propose un éclairage inédit sur le fameux « massacre d’Oran », le 5 juillet, événement majeur de 1962. À cette époque, Oran est une ville cadenassée par l’OAS, le consul américain William J. Porter la compare au ghetto de Varsovie pour les populations autochtones. Pourquoi est-ce important de raccrocher ce massacre, durant lequel des Européens mais aussi des Algériens ont été tués, à un continuum colonial et non à un épisode de la violence de la guerre de libération ?
MR : C’est pratiquement l’événement le plus connu de 1962. En France, quand on évoque cette année, c’est l’une des deux choses qui viennent immédiatement à l’esprit avec le départ des harkis et des pieds-noirs.
Le massacre du 5 juillet 1962 est en apparence incompréhensible et donc il permet de dire n’importe quoi sur le fait que le FLN aurait voulu un pays sans Européens, et aurait orchestré le massacre pour les faire fuir. C’est faux.
Le massacre du 5 juillet 1962 est en apparence incompréhensible et donc il permet de dire n’importe quoi sur le fait que le FLN aurait voulu un pays sans Européens, et aurait orchestré le massacre pour les faire fuir. C’est faux
En réalité, l’événement est mal défini pour deux raisons. D’abord, ce n’est pas un massacre d’Européens uniquement. C’est un massacre plus large dans lequel des Européens sont visés et tués en même temps que des Algériens. Il semble donc que l’on ait affaire plus largement à une violence vengeresse.
Ensuite, ce qui se passe à Oran ne commence pas le 5 juillet 1962. Cela commence au moins en février 1962, lorsque l’on se rend compte que la violence de l’OAS est intraitable et plus meurtrière à Oran qu’ailleurs dans le pays. Elle est symbolisée par l’attentat à la voiture piégée de Mdina Jdida le 28 février 1962.
De plus, contrairement à Alger, cette violence dure plus longtemps, presque jusqu’au référendum d’autodétermination du 1er juillet. Dans la ville, la tension est forte, les quartiers algériens sont assiégés, des snipers abattent ceux qui sortent des quartiers mais font aussi « des cartons » au cœur même des quartiers depuis les immeubles voisins en tirant dans l’enfilade des rues. Les habitants ne sortent plus, ne vont plus travailler, ne vont plus à l’école.
Il n’y a pas de temps de pause entre la tension extrême et la ferveur du 5 juillet. Durant les festivités, les rumeurs se répandent selon lesquelles l’OAS tire. Plus facilement à Oran qu’ailleurs, l’effervescence festive se transforme en effervescence violente.
MEE : Est-ce que cet été-là, marqué par les festivités de l’indépendance mais aussi par les violences, va préfigurer ce jeune État, l’Algérie post-62, et donc le présent ?
MR : L’expérience algérienne de 1962 est bien sûr également marquée, douloureusement, par les conflits entre Algériens et notamment entre les hommes du GPRA et le groupe dit « de Tlemcen », formé par Ahmed Ben Bella [chef du gouvernement de 1962 à 1963] et Houari Boumédiène, chef de l’armée.
Cette violence est de faible intensité au regard de la guerre contre la France, mais elle provoque un grand désarroi. Elle est souvent décrite comme l’arrivée d’une armée des frontières presque étrangère, qui se confronte aux combattants survivants et peu nombreux de l’intérieur pour prendre le pouvoir.
L’une des questions posées par ce conflit est un conflit classique de sortie de guerre : celui de la démobilisation et du désarmement des soldats. Pour l’Algérie, la question est celle de la reconversion de l’armée révolutionnaire, l’Armée de libération nationale, en une armée de métier nationale, l’Armée nationale populaire (ANP).
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Ainsi, les négociations entre les arrivants de l’extérieur et les combattants de l’intérieur portent – on l’oublie – sur le devenir des combattants : pourront-ils adhérer à l’ANP ? Si oui, avec quel grade, quel solde ? Comment reconnaître les années de maquis ? Et s’ils ne veulent pas se réengager, comment pourront-il se réinsérer dans la vie civile ?
Par ailleurs, la question des conflits politiques et celle de la naissance de la politique dans l’Algérie des premières années de l’indépendance doivent être réétudiées en profondeur pour sortir d’une déploration trop facile.
Ce travail commence à être mené avec des historiens comme Amar Mohand-Amer ou Yassine Temlali, qui restituent les débats des premiers mois de l’indépendance.
Ils montrent ainsi que sur les questions de pluralité, de démobilisation, de langue, de place de l’armée, les postures sont bien plus nuancées et complexes qu’on ne l’imagine aujourd’hui.
MEE : L’Algérie serait restée coincée dans une espèce de « long 1962 » dont le hirak, vaste mouvement populaire ayant conduit à la démission d’Abdelaziz Bouteflika en 2019, serait un bégaiement. Qu’en pensez-vous ?
MR : L’idée d’être collectivement bloqués en 1962 – parfois exprimée pour critiquer le présent – n’est pas une idée d’historien. C’est au contraire la négation de toute l’histoire du pays, comme s’il n’y avait pas eu d’industrialisation, d’instruction massive, de développement culturel. Comme si le pays n’avait pas vécu le socialisme, la sortie du socialisme, la décennie noire [guerre entre l’armée au pouvoir et les islamistes armés] et n’avait pas été capable de s’en remettre.
L’idée d’être collectivement bloqués en 1962 – parfois exprimée pour critiquer le présent – n’est pas une idée d’historien. C’est au contraire la négation de toute l’histoire du pays
Bien sûr, les premières marches du hirak ont fait référence aux festivités de 1962, et certains ont chanté ensuite « Indépendance, Indépendance » ou « 1962 Indépendance de l’État, 2019 Indépendance du peuple ». D’autres n’ont pas apprécié ce slogan, qui minimisait la réalité de l’indépendance de 1962.
Mais les références historiques dans le hirak n’étaient pas seulement à la guerre et à la lutte pour l’indépendance.
Au contraire, les événements depuis le hirak du 22 février 2019 ont réveillé les souvenirs de toute l’épaisseur de l’histoire algérienne, et de décennies de discussions politiques. Même si c’est parfois difficile à accepter depuis la France, l’Algérie a une histoire qui ne se résume pas à la colonisation et au présent.
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