Depuis soixante ans, la France et l’Algérie ont, en principe, séparé leurs destins, tout au moins en ce qui concerne le régime politique qui gérait la colonie et qui avait nécessairement des retombées dans l’hexagone. Chaque pays honore sa temporalité à sa façon. Si l’on parle plus volontiers, en France, de la date des Accords d’Évian, en Algérie, on évoque la date de l’indépendance. Fin février, ARTE proposait le documentaire de Raphaëlle Branche et Rafael Lewandowski, En guerre(s) pour l’Algérie, qui s’appuie, comme l’ouvrage paru le même mois, sur les témoignages de « quinze femmes et hommes (qui) ont accepté de confier leurs souvenirs de jeunesse. Leurs témoignages sont essentiels pou écrire une histoire qui ne soit pas seulement celle des décisions et des grands événements politiques et militaires ».
À la même date sensiblement, on a pu trouver dans les points de presse ou en librairie le N°15-16 de la revue Enjeux de société : Mémoires en jeu. Quelle(s) mémoire(s) pour la guerre d’indépendance algérienne 60 ans après, numéro consistant de 234 p. ; également, Le Point, un hors série, La France et l’Algérie – Deux siècles d’histoire, de 98 p. rejoignant par son option sur la longueur historique le point de vue de Benjamin Stora qui insiste toujours sur la prise en compte des années de colonisation depuis 1830 pour comprendre la guerre d’indépendance. Le documentaire de Georges-Marc Benamou avec Benjamin Stora a été programmé sur France 2 les 14 et 15 mars 2022, « C’était la guerre d’Algérie ».
Il nous a semblé intéressant, en écho à ces plongées, et il y en aura d’autres, de signaler l’importance de la littérature algérienne et des mémoires qu’elle écrit, à partir d’un ouvrage édité en Algérie. Il en parcourt les œuvres de 1962 à 2010, en ménageant, en conclusion, une ouverture sur les romans qui s’écrivent ces toutes dernières années, tant en Algérie qu’en France… car l’histoire n’est pas finie ! Mounira Chatti, Professeure des littératures francophones à l’université Bordeaux Montaigne, a interrogé Christiane Chaulet Achour sur son travail de critique littéraire et sur l’apport de cette littérature à la connaissance de l’Histoire.
Mounira Chatti – Le titre de votre livre, Échos littéraires d’une guerre, met en relief une problématique qui vous est chère, celle de l’entrecroisement entre la fiction et l’Histoire. Vous affirmez par ailleurs que « le texte littéraire offre une gamme de positionnements dans l’Histoire » et que « l’écrivain fait émerger du réel et de l’historique un monde transformé par l’élaboration esthétique ». L’approche critique d’un texte francophone, plus précisément algérien, doit-elle obligatoirement s’articuler autour de la relation entre « fait et fiction » et doit-elle faire émerger la manière dont l’écrivain « pétrit » le matériau historique ?
Christiane Chaulet Achour – Cette approche critique prenant en charge la dimension historique du texte littéraire n’est pas obligatoire mais c’est plutôt celle que je privilégie. Pour la littérature algérienne mais aussi pour n’importe quelle littérature… Il me semble qu’un texte de création, même s’il apparaît déconnecté de son temps, est nécessairement relié à lui et l’étude de sa dimension historique s’avère alors éclairante. De plus, en ce qui concerne cet ouvrage, mon sujet central, circonscrivant le rapport à la guerre de libération nationale, à la résistance au colonialisme français, ne pouvait éviter l’Histoire, bien évidemment. Ce qui m’intéressait avant tout, c’était de montrer combien les histoires que racontent les écrivains, les fictions qu’ils élaborent, sont révélatrices de la complexité des séquences temporelles vécues par les collectivités et les individus. Là où l’historien a une argumentation reposant sur des faits et des preuves – ce qui ne l’empêche pas d’interpréter sous couvert d’une rhétorique de l’objectivité –, l’écrivain interroge, questionne, met en danger le réel et privilégie l’individuel plutôt que le collectif et donc les variations de points de vue.
Dans l’introduction, vous présentez ce livre comme la résultante de « quarante années de lecture et d’appréciation d’œuvres algériennes et de problématiques induites par une guerre de résistance au colonialisme dans une colonie de peuplement » et vous vous démarquez de la tentation qui consiste à croire que « cette période est désormais dépassée et qu’il faut se préoccuper du présent immédiat » : « Nous sommes persuadée, pour notre part, que le présent se construit en grande partie à partir du passé et qu’oublier le passé est une façon d’en enkyster les effets négatifs et d’occulter ce qu’il a représenté de positif et de dynamique » (p. 5). Quel lien envisagez-vous entre l’exigence de transmettre l’Histoire et la création littéraire ? Quelle est la fonction de la littérature dans cette dialectique passé/présent ? La littérature est-elle donc un pilier dans la construction nationale algérienne ?
Oui effectivement, je pense que la durée dans la réflexion sur ces œuvres littéraires est fondamentale. Non pas qu’on ne puisse pas avoir une interprétation pertinente sur un roman ou une pièce de théâtre que l’on vient de lire ; mais lorsqu’il s’agit de comprendre des constantes, des convergences et des divergences, on ne peut s’appuyer sur une seule œuvre mais en embrasser le plus possible. Les écrivains aiment bien être appréciés dans leur singularité. C’est juste, effectivement ! Mais qu’ils le veuillent ou non, ils appartiennent à des moments historiques qu’il faut cerner, à des générations, à une manière de dire et de vivre que leurs textes révèlent.
La résistance au colonialisme et la participation – ou non –- à la guerre est très proche de nous, certains de ses acteurs sont encore vivants, ce qui s’est passé dans cet hier si présent reste souvent enkysté dans le silence des familles et des groupes. Le discours officiel a eu tendance à figer en stéréotypes des données « légitimes » : oui, alors, la littérature, les textes les plus forts, sont là pour rappeler des réalités diversifiées et contradictoires. Les lire permet de comprendre les potentialités d’un pays, ses dérives aussi.
Un lecteur qui n’avait pas regardé de qui était l’illustration de la couverture, m’a demandé si c’était une représentation d’un des vendredis depuis le 22 février 2019 dans le mouvement du Hirak. Et Arezki Metref donne des arguments à ma recherche et une réponse à votre question, dans une de ses dernières chroniques, « Le drapeau de novembre » (Rubrique Ici mieux que là-bas, Le Soir d’Algérie, 26 mai 2019). Il fait état des questions posées à quelques militants dans le cadre d’une enquête pour Le Monde diplomatique sur l’état de la gauche algérienne, durant l’été 2018 : « Le but était (…) de s’interroger sur l’existence d’une transmission de l’expérience et des valeurs de la gauche aux jeunes générations post-décennie noire ». Il se dit surpris de certaines propositions, pour lui alors, « anachroniques ». Mais « relues à la lumière du mouvement du 22 février, ces propositions qui nous paraissaient surprenantes s’avèrent aujourd’hui des plus justes ». [Ces propositions de militants de gauche préconisaient de s’appuyer sur les valeurs de novembre pour reconstruire la nation]. « Le mouvement qui a démarré le 22 février leur a donné complètement raison puisqu’il a puisé dans la nécessité de réhabiliter les symboles et les valeurs de Novembre, à commencer par le drapeau pour le symbole, et pour les valeurs, par la détermination patriotique à reconquérir la possibilité d’agir sur son destin, la réaffirmation de sa dignité et même d’une certaine manière le recouvrement d’une indépendance confisquée. […] La leçon du mouvement du 22 février est là, dans ce besoin de réappropriation de Novembre spolié, dénaturé, perverti. Le sens ne trompe pas : le fait que Djamila Bouhired soit adoptée comme une icône, les retrouvailles avec Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, et les vrais héros qu’on a essayés de gommer, sont autant de traceurs qui montrent cette volonté de retourner à la source, souillée, et de la nettoyer ». Je pense que cet article répond bien à la question, pour l’Algérie actuelle, de l’intrication passé/présent. Modestement, mon travail y contribue.
Échos littéraires d’une guerre. Œuvres algériennes et guerre de libération nationale est un livre généreux, c’est-à-dire un livre qui balise un domaine de recherche et offre une bibliographie quasiment exhaustive, commentée et chiffrée. Cet ouvrage s’adresse-t-il prioritairement aux chercheurs et a-t-il pour vocation de les inciter à se saisir de cet immense corpus pour y explorer la question de la fiction et de l’Histoire ?
L’ouvrage a un double objectif. Bien sûr, j’ai été très attentive à recenser le plus de textes possibles, à donner des références précises, à explorer des pistes de travail et à en indiquer certaines pour que d’autres reprennent les recherches : donc, il s’adresse aux chercheurs car la recherche, c’est avant tout un exercice de relais et non une virtuosité personnelle. Mais je crois aussi – en tout cas, c’est ce que j’avais à l’esprit – avoir fait un effort de clarté dans mes formulations pour que le lecteur, intéressé par l’Histoire de l’Algérie, y trouve matière à une connaissance plus approfondie et dérangeante. L’approximation est néfaste, quel que soit le lecteur. Et je ne pense pas seulement au lecteur algérien : car le travail de nos écrivains est mal connu en dehors de quelques vedettes mises à l’honneur à la faveur de telle ou telle occasion. Je voulais aussi (dé)montrer combien les écrivains algériens, malgré les impasses de leur statut alors, ont été au rendez-vous de l’Histoire.
La division de votre livre en cinq chapitres n’obéit pas à un découpage chronologique. Vous faites le choix d’une autre structure construite autour de 1962, « date symbolique et historique » ou « année à deux visages » (p. 11), ce qui donne lieu à une première recension de ce qu’ont publié des Algériens cette année-là. Quels sont les enseignements de cet état des lieux ? La date de 1962 marque-t-elle la véritable naissance d’un champ littéraire national ?
Nécessairement ! Il fallait l’indépendance pour que puisse se construire un champ littéraire national qui ne pouvait exister sans la nation : il suffit de relire à l’appui de cette affirmation le chapitre IV des Damnés de la terre de Fanon, « Sur la culture nationale ». Le recul d’une cinquantaine d’années me permettait de bien mesurer ce qui pouvait se jouer effectivement au seuil de la libération : combien d’écrivains, ce qu’ils faisaient, où ils étaient, etc. C’est une sorte de bilan avant le grand saut de la construction. Si l’on prend la peine de le lire, c’est aussi un bilan qui montre les failles et les promesses, qui fait entrevoir la difficulté que l’Algérie enfin indépendante doit affronter dans le domaine de la littérature et de la culture. Et encore, je ne me suis intéressée qu’au volet francophone !
Vous dites à la fin du chapitre I : « Étudier ces années de débats, de célébrations et d’ostracismes, c’est entrer dans l’après 1962 » (p. 34). L’Algérie contemporaine a-t-elle enfin liquidé les déchirements et les blessures de ce lourd passé ?
Certainement pas. Mais justement la lecture des écrivains nous aide à regarder en face ce passé. Une aussi longue période de colonisation et une guerre aussi éprouvante ne peuvent se régler en deux temps trois mouvements ! La seule manière d’alléger la lourdeur du passé est de l’affronter dans différents domaines. Et il était normal que le pays, nouvellement advenu dans son indépendance, s’interroge – et souvent de façon musclée ! – sur les « devoirs » du créateur, la langue d’expression etc. Les choses ont avancé mais c’est loin d’être réglé. J’espère avoir montré combien la littérature a à nous dire pour comprendre les débats d’aujourd’hui.
La force de votre ouvrage provient non seulement de la démarche herméneutique qui consiste à penser (et à embrasser) systématiquement un ensemble de phénomènes en confrontant des périodes historiques et littéraires différentes, mais aussi de votre impressionnant effort de recenser et d’analyser les divers genres (témoignage, essai, roman, théâtre, poésie, nouvelle). Quelles sont les formes littéraires de prédilection ? Quels sont les choix esthétiques les plus pertinents pour expliciter le rapport entre littérature et guerre de libération ?
Si l’on prend strictement la période de la guerre, je pense avoir montré que les genres littéraires les plus empruntés sont soit les genres de réflexion comme l’essai, soit les genres courts et émotionnellement forts comme la poésie ou la nouvelle. Mais elle avait été précédée par la génération de ceux qu’on reconnaît aujourd’hui comme les classiques de la littérature algérienne, Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri, Mohammed Dib, Kateb Yacine et quelques autres qui avaient déjà fait entendre les souffrances d’un pays : il suffit de penser à L’Incendie de Dib ou à Nedjma de Kateb.
Il est certain que le souffle poétique soutient les résistants et que les analyses dans différents revues et hebdomadaires aident à y voir plus clair. Mais finalement ce n’est peut-être pas le genre littéraire emprunté qui est le plus important mais la manière de traiter les réalités dans différents registres selon la marque de l’écrivain. Ce qu’on a nommé « la poésie algérienne de combat », bien connue grâce à deux anthologies – éditées en 1963 et 1967, Espoir et parole, et, Diwan algérien –, en est un exemple éloquent.
Dans le chapitre II, vous étudiez les « écritures algériennes de la guerre en langue française » en proposant un état des lieux précis et exhaustif (190 recensées !) des trois périodes : celle de la guerre (1954-1962), puis celle d’après l’indépendance (1962-1992) et, enfin, celle de 1992 à 2010. Quelles sont les caractéristiques de l’écriture et de la représentation de la guerre, des cycles de violence et d’horreur ?
C’est en établissant ce recensement que j’ai eu la conviction qu’il fallait traiter différemment les textes qui s’écrivent dans le brûlant de la lutte de ceux qui s’écrivent après. Et comme j’avais le recul de cinquante ans de production, la coupure en 1992 – après donc octobre 1988 et l’ouverture démocratique éphémère qui a suivi – était une date significative. L’Algérie était à un tournant et il est normal qu’on ne traite plus de la même manière cet événement fondateur. Les trente ans qui marquent le début d’une existence nationale engrangent nombre de récits et autres textes qui reviennent sur la guerre ; les mémoires sont encore là, meurtries. Après 1992, c’est bien un troisième regard.
Le chapitre III occupe le centre du livre avec ce titre : « La Torture, chambre noire de la guerre ». Comment dire/écrire la torture ? Comment inscrire dans le texte les blessures innommables qui avaient été inscrites sur les corps algériens ? Comment construire la mémoire de ces traces indélébiles ?
C’est une question qui m’a habitée longuement et douloureusement. Il est difficile de traiter de ces textes-là. Nous vivons avec des personnes qui ont subi la torture et refusent d’en parler. Mais il n’était pas possible de les contourner ni d’esquiver ce débat à propos de cette pratique où l’inhumanité de l’Homme donne toute sa mesure car il a été un point de bascule en France : il y a eu un autre regard des Français sur le conflit lorsqu’on n’a plus pu nier que la torture était pratiquée quotidiennement. Tout ce qu’on a pu lire et relire autour de Maurice Audin par exemple ces derniers mois rappelle bien l’horreur découverte et l’inadmissible. Mais il fallait montrer aussi, du côté algérien, les témoignages de ce que les êtres ont subi : l’inscription dans les textes… eh bien ! il faut lire les textes car chacun a sa manière de nous imposer d’affronter l’innommable… J’ai été surprise aussi, à travers mes lectures des historiens – qu’ils soient Français ou Algériens –, du peu de cas qu’ils faisaient des écrits de Fanon, le dernier chapitre des Damnés, sur les troubles mentaux engendrés par cette guerre et les projections pour l’avenir après l’indépendance si ne sont pas prises en charge les atteintes profondes et parfois irrémédiables de la torture sur les individus.
Vous privilégiez la dialectique comme méthode de compréhension des phénomènes historiques et littéraires. Aussi, le chapitre IV intitulé : « D’une guerre à l’autre en Algérie 1954/1992 » met-il en relief l’effet de miroir entre les deux guerres. Vous citez Frantz Fanon, un auteur qui vous accompagne depuis le début de votre carrière et auquel vous avez consacré de nombreux textes. Vous proposez alors de lire certaines fictions à la lumière des textes de F. Fanon où il est question de « cet enkystement de la violence », de la torture et de « “réparation” ». Pouvez-vous nous expliquer ces notions et leur déploiement dans les œuvres littéraires ?
Ma réponse ne peut que suivre ma réponse précédente. Prendre quelques exemples de fictions d’après 1992 et confronter le dit de la guerre des années 1990 avec le dit de la guerre de libération montre bien la justesse des analyses du psychiatre, même si aucun des écrivains choisis ne s’appuie sur ses écrits. Quand le rapport à la violence n’est pas affronté et déconstruit, il a une grande propension à la répétition, avec d’autres arguments mais toujours avec le même objectif d’imposer à l’autre un « nouvel » ordre inadmissible. La comparaison entre les deux époques est éclairante mais j’insiste sur le fait que s’il y a des convergences, il y a aussi de profondes différences et qu’on ne peut simplement confondre les deux conflits. Prise dans sa dominante, la guerre de libération nationale/guerre d’Algérie n’a pas été une guerre civile interne à un pays, comme veut l’accréditer, par exemple, Alexis Jenni dans L’Art, français de la guerre, mais une guerre contre un colonisateur. La guerre des années 1990 est elle bien une guerre civile interne. Je voudrais ajouter que j’ai continué à creuser ce sillon si difficile dans un livre élaboré avec mon amie psychanalyste à Alger, Faïka Medjahed, Viols et filiations – Incursions psychanalytiques et littéraires en Algérie, édité en 2020 aux éditions Koukou. L’analyse de textes littéraires et celle des paroles des analysants montrent la prégnance de la guerre aujourd’hui, « les ratées, les dysfonctionnements et les entraves dans le collectif et les parcours individuels » qu’elle a provoqués.
Dans le chapitre V, « Écrits d’Algériennes et guerre d’indépendance. Témoignages et créations », vous proposez « un dossier regroupant des documents à (re)lire de ce que furent les voix/voies féminines algériennes, entre 1954 et 1962 et comment elles ont dû négocier leur place dans la nation émergente, avec stagnations, avancées et régressions comme d’autres groupes de la société algérienne ». Votre approche de l’entrée dans la violence repose sur « la conviction de la nécessité de cette lutte pour l’indépendance puisque le colonialisme refusait de baisser les armes » (p. 97). Pourquoi un tel focus sur l’expérience et la parole des femmes ? Dans l’Algérie contemporaine, ces dernières jouissent-elles d’une place et d’un statut satisfaisants ?
Je ne crois pas avoir privilégié les femmes pour exprimer cette « conviction de la nécessité de la lutte ». Mais il est certain que, dans leur cas, ce n’était pas gagné d’avance étant donné la pesanteur des sociétés : la société coloniale persuadée que « faire tomber le voile » était la victoire assurée des valeurs occidentales et la société autochtone se cabrant dans des positions identitaires de repli, par réflexe de protection contre l’agression culturelle réelle qu’elle subissait. Et les femmes sont alors aux premières loges des enjeux. Lorsque j’ai cité précédemment la chronique d’Arezki Metref, on y voit apparaître le nom de Djamila Bouhired : qu’elle (re)devienne une icône aujourd’hui est un grand espoir d’une vraie prise en considération du rôle des femmes dans une libération socio-politique. Sur la question des femmes, la réalité algérienne est très contradictoire entre textes juridiques conservateurs et souvent régressifs et pratiques d’ouverture et de fermeture. Ici aussi l’expérience de la guerre des femmes est une sacrée dynamique pour les luttes d’aujourd’hui.
En conclusion de votre livre, vous proposez des pistes d’analyse qui font jaillir l’entrecroisement d’œuvres algériennes et françaises et la nécessité d’une lecture conjointe : « En mettant en parallèle ces corpus contrastés, on peut entrer dans la parole de l’autre, de part et d’autre, pour mieux réaliser, à l’échelle humaine, la complexité de la guerre et les traces vivaces qui ressurgissent dans des circonstances attendues ou insolites. Demeurent aujourd’hui encore des mémoires, irréconciliables peut-être pour les générations qui ont vécu la guerre, mais à maîtriser pour tous ceux qui en “héritent” et souhaitent que l’Histoire soit éclairante pour avancer. Adopter cette démarche, c’est engager une plongée dans les récits post-coloniaux, écrits par des “héritiers” du conflit des aînés. Dans les deux pays, ces œuvres invitent à réfléchir aux retombées qui concernent tous les “groupes” en présence et aux fractures identitaires et sociétales provoquées par les traumatismes vécus » (p. 125). À l’idée d’un temps successif, Jorge Luis Borges préfère la mémoire comme un « tas de miroirs cassés ». Des deux rives de la Méditerranée, que fait la littérature de ce « tas de miroirs cassés » ?
Oui, c’est une recherche encore en cours puisque les textes mêmes s’éditent chaque année. Et sur « la guerre d’Algérie », dans le domaine de la littérature, la littérature française a du retard par rapport à la littérature algérienne. Aujourd’hui s’écrivent, de part et d’autre de la Méditerranée, des témoignages et surtout des fictions impensables il y a seulement vingt ans. C’est pour cela que je préfère la notion de successivité, car cette parole littéraire est bien prise dans une continuité historique – il y a des vécus qu’on ne peut dire et écrire que maintenant… quand les canons se sont tus ! –, à la notion de « miroirs cassés » qui fait un constat immobile des dégâts et gomme les aspérités de l’Histoire et les effets de la distance temporelle. Je collabore régulièrement à Diacritik et, à la faveur de ce magnifique roman de Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, j’ai fait une première incursion dans ces corpus parallèles en janvier 2017. L’article est facilement lisible sur le site.
Ce neuvième roman de Laurent Gaudé interroge la guerre, qu’elle soit déclarée ou feutrée, dans le présent d’une Méditerranée bouleversée, submergée par ses identités particulières. Pour en mesurer les dimensions, il creuse l’interrogation dans une profondeur historique qui lui permet de sonder la « défaite » au sein même d’une victoire. Cette notion de « défaite » est particulièrement intéressante car porteuse de significations pour les guerres d’aujourd’hui dans la mouvance de la décolonisation et des fictions postcoloniales, algériennes et françaises. Ce désir d’une recherche en complémentarité m’est venu à la lecture des récits de Michel Serfati, Finir la guerre et de Joseph Andras De nos frères blessés.
Christiane Chaulet Achour, Échos littéraires d’une guerre. Œuvres algériennes et guerre de libération nationale, Boudouaou-Boumerdès-Alger, Dar Khettab, 2019, 151 p.
Pour terminer cette approche, nous concluons en présentant l’illustration de couverture qui a été reprise aussi dans l’ouvrage collectif édité chez Karthala, élaboré avec Pierre-Louis Fort, La France et l’Algérie en 1962, l’exemple de Jean Degueurce étant emblématique. Il est né le 13 décembre 1912 à Alger. Très tôt passionné par l’art, il suit les cours de l’École des Beaux-arts d’Alger et participe à une première exposition collective en 1931 au 14e Salon, « Nos essais », à Alger : Victor Barrucand lui consacre quelques lignes dans L’Algérie et les peintres orientalistes (1934). Jean Degueurce fréquente des peintres atypiques comme Sauveur Galliéro (1914-1963), Louis Benisti (1903-1995) et Jean de Maisonseul (1912-1999).
Il épouse en 1935 Antoinette Léonardon (1915-1998), pharmacienne travaillant à Alger après l’indépendance jusqu’à sa retraite. Membre du PCA et du Théâtre du travail animé par Albert Camus, il est en désaccord avec la programmation culturelle de ce dernier. Anti-fasciste, il participe en tant que volontaire au débarquement en Provence en août 1944 et est blessé au bras. Après la guerre, il reprend son art tout en exerçant le métier de représentant de commerce. Il a fait partie du Cercle « Lélian », fondé en juin 1946 par Jean Sénac. Il est expulsé par les autorités françaises en 1956 et vit en France jusqu’en 1961. A cette date, il rentre en Algérie et participe à l’exposition collective à Orléansville pour l’inauguration du Centre Culturel Albert Camus. Il doit de nouveau quitter l’Algérie au début 1962 pour échapper à l’OAS. Il est de retour dès juillet 1962 pour les fêtes de l’indépendance qui lui inspirent deux toiles de liesse. Il participe au 1er Salon de l’indépendance (13 au 21 juillet 1962) avec trois tableaux. Dès septembre 1962, il opte pour la nationalité algérienne dans le cadre des accords d’Évian, vivant dans la villa de son père au boulevard du Telemly à Alger. Il décède d’un accident de la route à Relizane le 19 novembre 1962.
Les prévenus étaient également poursuivis pour le blanchiment spécifique du produit issu d'un trafic de stupéfiants. beatrice prève / stock.adobe.com
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Des peines allant jusqu'à neuf ans de prison ferme ont été prononcées mardi 12 juillet par le tribunal correctionnel de Marseille contre les organisateurs d'un réseau international de blanchiment d'importantes sommes d'argent entre la France, l'Italie, l'Algérie et Dubaï. Les prévenus étaient également poursuivis pour le blanchiment spécifique du produit issu d'un trafic de stupéfiants. Mais ils ont été relaxés sur cet aspect de l'affaire, le dossier manquant de preuves sur l'origine des fonds.
Un seul prévenu relaxé
23 prévenus au total étaient jugés depuis le 4 juillet pour leur participation à ce réseau mêlant tout à la fois l'hawala -un système de compensation financière occulte datant du Moyen-Age- et le blanchiment plus classique, via la conversion en Italie des sommes en liquide en or, ensuite acheminé en Algérie ou à Dubaï. Les enquêteurs avaient retrouvé la trace de transports d'argent partant de Marseille vers l'Italie pour des montants avoisinant 600.000 à 900.000 euros. Parmi les 23 prévenus, seul un a été relaxé de toutes charges.
Le tribunal a condamné deux Italiens à sept ans de prison et 400.000 euros d'amende. L'accusation les désignait comme ceux qui récupéraient l'argent convoyé depuis la France dans les caches aménagées dans des véhicules, pour ensuite le transformer en or à raison de 30.000 à 40.000 euros le kilo de métal précieux. Placés par l'accusation à la tête de cette «vaste organisation internationale», deux Algériens, en fuite, ont été condamnés à neuf ans de prison et 500.000 euros d'amende. Un mandat d'arrêt a été décerné contre eux.
Onze «sarafs»
Vivant à cheval entre l'Algérie et Marseille, où ils occupaient la chambre d'un foyer pour travailleurs dans le centre-ville, trois frères algériens, dépeints comme les organisateurs des opérations de collecte, de transport et de conversion, ont écopé respectivement de sept ans, six ans et 42 mois de prison, avec des amendes allant de 50.000 à 300.000 euros. Le tribunal n'a par contre pas suivi le parquet de Marseille qui estimait que des liens existaient entre ces «collecteurs» et les réseaux de revente de drogues des cités marseillaises. L'accusation mettait pourtant en avant l'analyse de billets saisis, établissant une contamination très élevée par le cannabis et la cocaïne.
Onze «sarafs», des agents de change informels pratiquant la compensation entre la France et l'Algérie, ont eux écopé de peines allant de 18 mois à six ans de prison et d'amendes de 5000 à 100.000 euros. Les prévenus soutenaient qu'ils opéraient des transferts d'argent sur le mode de l'hawala, au profit de commerçants, de retraités et d'investisseurs. L'hawala faisant échapper ces flux à toute régulation bancaire, tous ont aussi été condamnés pour exercice illégal de la profession de banquier.
Les Chroniques reviennent exceptionnellement de vacances pour une petite brève...
Des gazetiers fort impertinents avaient osé mener enquête sur les agissements du Roy du temps où il était Chambellan dans le gouvernement de Françoué Deux dit le Scoutère. Il était apparu que Notre Poudreux Concussionneur avait eu, de par sa charge, moult et moult entregent avec la maison Ubeure, laquelle entendait alors régenter la fonction de cocher de fiacre. On voulait en finir avec cette corporation pour lui substituer des valets corvéables à merci, peu ou point formés au métier, mal rétribués et surtout dont on pouvait se débarrasser à tout instant.
Non seulement le protégé de Françoué avait œuvré au bénéfice de la maison Ubeurre, mais il l'avait fait sans en référer à son Suzerain. Françoué avoua benoîtement n'avoir eu vent de ce qui s'était tramé dans son dos.
Sa Grande Turpitude nargua la meute des gazetiers venus tout exprès lui tendre le crachoir alors qu'Elle prenait un de ces bains de foule tant prisés. "Ça m'en touche une sans bouger l'autre". Ce fut en ces termes fort triviaux, quoique que très présomptueux, et qui plus est empruntés au roi Pétaud, que Notre Farineux Pipoteur se défendit, serrant les poings tel un petit hercule de foire.
Sa Morgueuse Bonimenterie se félicita Elle-Même de ses propres agissements. Les Nupésiens étaient de vils imbéciles qui n'avaient rien compris. Grâce à Son glorieux et fort viril entregent, la jeunesse des quartiers mal famés avait trouvé à se louer comme aux temps bénis d'autrefois, avant que ces maudits révolutionnaires ne réclamassent des droits.
On apprit aussi que la maison Ubeurre avait su se montrer fort généreuse avec Notre Petit Commissionnaire en remerciements des services rendus. Son accession au Trône s'en était trouvée grandement facilitée.
La Révolution algérienne a, grandement, inspiré le défunt leader sud-africain, Nelson Mandela dans son combat pour la liberté, ont affirmé mercredi à Alger les participants au "Forum de la mémoire" sur "Nelson Mandela et la Guerre de libération nationale".
Organisé par l'Association "Mechaal Echahid" et le quotidien El-Moudjahid dans le cadre des festivités du 60e anniversaire du recouvrement de la souveraineté nationale et à l'occasion de la Journée internationale "Nelson Mandela", célébrée le 18 juillet de chaque année, le Forum a été animé par le moudjahid et diplomate Noureddine Djoudi, ancien ambassadeur en Afrique du Sud ayant côtoyé le leader sud-africain durant la guerre de libération.
Ont assisté au Forum, des diplomates algériens et africains en tête desquels le chargé d'affaires de l'ambassade de la république d'Afrique du Sud à Alger, Sello Patrick Rankhumise, outre des moudjahidine et des représentants des ministères des Affaires étrangères, des Moudjahidine et de la Défense nationale.
Les conférenciers ont unanimement affirmé que le défunt leader, Connu également sous le nom de "Madiba" (1918-2013) s'est inspiré de la Révolution algérienne dans son combat pour la liberté, mettant en exergue le rôle de l'Algérie en termes de soutien aux mouvements de libérations et sa prise de position en faveur des peuples opprimés, notamment les causes sahraouie et palestinienne.
Intervenant à l'occasion, l'ancien ambassadeur et moudjahid, Noureddine Djoudi a raconté l'appui apporté par la Révolution algérienne au leader africain qui "a reçu une instruction militaire en Algérie", retraçant, par la même, les étapes phares de son séjour en Algérie.
Après avoir achevé sa formation militaire, feu Mandela a repris la lutte anti-apartheid avant qu'il ne soit arrêté en 1964 et condamné à la perpétuité, raconte M. Djoudi.
Et d'ajouter que "Mandela a été impressionné par la Révolution algérienne et était venu en Algérie pour s'en imprégner", eu égard aux similarités entre les deux pays, telles que la discrimination raciale dont souffraient les Sud-africains et les Algériens".
Pour Mandela, l'Algérie était une source d'inspiration tant sur le plan militaire que diplomatique. Il s'en était imprégné dans sa lutte anti-apartheid.
Par ailleurs, le diplomate algérien a évoqué la question sahraouie, dernière colonie en Afrique, déplorant le fait que le peuple sahraoui demeure toujours sous l'occupation d'un pays africain.
"Quelles que soient les circonstances, la liberté et l'indépendance seront le sort des Sahraouis", et l'Algérie ne cessera jamais de soutenir le peuple sahraoui dans son combat pour exercer son droit à l'autodétermination, a-t-il poursuivi, rappelant que le soutien aux mouvements de libération était un des principes constants de la guerre et de la diplomatie algériennes.
Le génie de la révolution algérienne mis en avant à travers Nelson Mandela
Dans un autre contexte, l'histoire Lahcène Zeghidi a indiqué, dans une déclaration à l'APS, qu'à travers le défunt Nelson Mandela, "l'universalité et le génie de la révolution algérienne ont été mis en valeur, en ce sens que la Guerre de libération constituait une source d'inspiration".
Et de rappeler la déclaration de Nelson Mandela qui disait que "C'est l'Algérie qui a fait de moi un homme".
De son côté, le militant des droits de l'homme, Mahrez Lamari a affirmé que "la Révolution algérienne n'a pas, seulement, libéré notre pays, elle a eu une dimension africaine, en ce sens qu'elle avait tissé des liens distingués avec les mouvements de libération de par le monde", citant le rôle de la guerre d'Algérie dans le parcours militant du dirigeant africain Nelson Mandela.
Il a également mis en avant "la dimension de solidarité de l'Algérie vis-à-vis des causes justes à l'instar de la Palestine et du Sahara occidental", rappelant "la position immuable de l'Algérie envers les mouvements de libération, en fidélité au Message du 1er novembre", et assurant que "le combat pour l'indépendance de l'Afrique ne saurait se réaliser sans la décolonisation du Sahara occidental".
Le 28 juin, l’ancien ministre de l’Énergie a été définitivement condamné à 20 ans de prison, alors qu’il se trouve aux États-Unis. Retour sur une affaire hors norme aux ramifications internationales.
Il ne pourra plus rentrer en Algérie sans se retrouver en prison. Le sort de l’ami d’enfance et protégé de l’ex-président Abdelaziz Bouteflika, en exil aux États-Unis depuis 2013, est désormais en suspens. La justice a en effet confirmé, en appel fin juin, le verdict de 20 ans de prison ferme ainsi que le mandat d’arrêt international et les 12 500 d’euros d’amende prononcés à son encontre par contumace en février en première instance.
À l’aune de cette sentence, une extradition de l’ancien ministre de l’Énergie (de 1999 à 2010) est-elle possible ? « L’Algérie et les États-Unis ne sont pas liés par un accord d’extradition. Donc cette option semble impensable pour l’instant », explique un juriste joint par Jeune Afrique.
Reste que, dès l’émission du premier mandat d’arrêt par l’Algérie en 2013, la justice américaine avait enquêté sur les biens de l’ex-ministre de l’Énergie sur le sol américain. Une collaboration freinée par le manque d’intérêt de la partie algérienne, jusqu’à 2020. Cette enquête de la SEC (Securities and Exchange Commission, le gendarme de la bourse américaine) visait sept contrats de huit milliards d’euros obtenus par Saipem (filiale d’ENI) auprès du groupe algérien Sonatrach entre 2007 et 2010, période durant laquelle Chakib Khelil dirigeait encore le ministère de l’Énergie.
Sociétés écrans
Pour faciliter l’obtention de ces marchés, il avait alors imposé aux Italiens comme intermédiaire Farid Bedjaoui, un homme d’affaires qu’il présentait, selon le document de la SEC, comme son « assistant personnel » ou encore comme « son propre fils ». En échange de ces services, Saipem a ainsi versé 198 millions d’euros de commissions à Farid Bedjaoui via la société écran de celui-ci, Pearl Partners, domiciliée à Hong-Kong.
Certes, Chakib Khelil n’a pas été nommément cité par le gendarme de la bourse américaine, mais les termes par lesquels il est désigné ne laissent aucun doute sur son intérêt à imposer Farid Bedjaoui comme facilitateur entre Saipem et Sonatrach.
« L’intermédiaire a redirigé au moins une partie de cet argent, par le biais de sociétés écrans à des fonctionnaires algériens ou à leurs délégués, y compris le ministre de l’Énergie de l’époque », écrit le mémorandum de la SEC.
« Une partie de l’argent a été versée aux hauts fonctionnaires algériens ou leurs intermédiaires, via des sociétés écrans, y compris Khelil, confirme un avocat qui suit de près cette affaire. Il est donc toujours soumis à une surveillance étroite de la part des Américains. Tout dépend de la conclusion d’un accord bilatéral d’extradition entre les deux pays. »
Lors du verdict en appel du 28 juin, une peine de 5 ans de prison a été confirmée contre Mohamed Meziane, ancien président directeur général de Sonatrach au moment des faits. Son adjoint et vice-président du groupe pétrolier algérien, Abdelhafid Feghouli, a lui écopé de 6 ans de prison pour conclusion de marché de gré à gré douteux entre 2004 et 2009, pour une valeur de 11 milliards de dinars (74 millions d’euros) et qui portait sur l’équipement en matériel de télésurveillance des sites de Sonatrach.
Ils étaient poursuivis pour l’octroi du marché du gazoduc d’Arzew à la société Saipem, au détriment de l’entreprise émiratie Pétrofac, sur instruction de Chakib Khelil. Même si elle disposait d’une base logistique à Hassi Messaoud, dans le sud de l’Algérie, Saipem n’a créé sa filiale dans le pays qu’en 2005. Ce qui ne l’a pas empêchée de remporter de nombreux appels d’offres, y compris face aux géants Halliburton, Anardarco et Schlumberger, dont l’ancrage en Algérie était pourtant plus ancien.
Enquête
Lancée en janvier 2010 par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS), l’affaire Sonatrach 1 concerne entre autres le marché d’équipements de tous les complexes gaziers du pays remporté par le groupe algéro-allemand Contel Funkwerk et la rénovation du siège de Sonatrach d’Alger. Des soupçons de corruption pèsent sur le contrat, mais le nom de Chakib Khelil, déjà en poste depuis 10 ans à la tête du ministère de l’Énergie, n’est pas une seule fois cité. Il s’en tire avec son départ du gouvernement, en mai 2010, à la suite des accusations de malversations contre les hauts cadres de l’entreprise nationale de pétrole.
Et ce en dépit d’une enquête en amont diligentée par le département du renseignement et de la sécurité, qui l’implique directement dans le réseau de corruption autour du mastodonte pétrolier national. Alors qu’aucune poursuite n’était encore engagée contre Chakib Khelil, Mohamed Meziane soutient que rien ne pouvait être entrepris sans l’aval écrit ou verbal de Chakib Khelil. Mais à l’époque, déférer un ministre devant un juge était impensable.
Concernant l’attribution du projet gazoduc d’Arzew à Saipem, l’ancien PDG de Sonatrach Mohamed Meziane reconnaît à la barre : « au début, il y avait plusieurs offres mais à la fin, il n’en restait que deux et celle de Saipem était 60 % plus cher ». « Il y avait une différence de 6 milliards de dinars, poursuit-il. Fallait-il revoir l’appel d’offres ou continuer ? J’ai demandé un abattement d’au moins 25 %. Le ministre n’était pas d’accord. Il a proposé par écrit 12,5 %. Tullio Orsi, le patron de Saipem, a soutenu qu’il ne pouvait pas aller au delà de 12 %. Il a menacé en cas de refus de se retirer. Il était sûr de lui. » Le projet revêtant un caractère d’urgence, la partie algérienne a cédé.
Première fuite
En février 2013, la justice italienne ouvre une enquête judiciaire sur les 198 millions d’euros de commissions liés aux 7 contrats de 8 milliards d’euros obtenus par Saipem en Algérie. Acculé, le président Bouteflika ordonne à la justice algérienne de mener à son tour des investigations sur la gestion de Sonatrach. Alerté de l’imminence de son arrestation, Chakib Khelil prend la fuite. Direction Paris, puis à Washington.
En août 2013, le procureur général d’Alger, Belkacem Zeghmati, annonce l’ouverture d’une information judiciaire lors d’une conférence de presse et l’émission de mandats d’arrêts internationaux contre Chakib Khelil, son épouse et ses fils dans le cadre de ce qui est désormais connu sous le nom de « affaire Sonatrach 2 ». Ulcéré par les poursuites dont fait l’objet son ami d’enfance, Abdelaziz Bouteflika, qui vient de rentrer d’une longue hospitalisation à Paris, charge son frère Saïd d’obtenir le blanchissement de Chakib Khelil.
En septembre, le ministre de la Justice, Mohamed Charfi est limogé et remplacé par Tayeb Louh, un magistrat proche du cercle présidentiel. Le nouveau garde des sceaux est chargé de liquider le dossier avec les instructions de Saïd Bouteflika. La cellule du DRS chargée d’enquêter sur les affaires de corruption est démantelée. Le mandat d’arrêt international sera annulé en 2015 pour vice de procédure.
Assuré de son impunité, l’ex-ministre de l’Énergie rentre en Algérie en mars 2016, accueilli à l’aéroport d’Oran par le wali de la ville dans le salon d’honneur, entre les fauteuils en cuir et les bouquets de roses.
Le Hirak de février 2019 met à bas le régime Bouteflika. Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’armée et véritable homme fort du pays après le départ de Bouteflika, relance l’opération « mains propres », dont les nombreux dossiers qui concernent Sonatrach. De nouveau alerté, Chakib Khelil repart aux États-Unis.
Le mandat d’arrêt international contre l’ex-ministre est ainsi réactivé. Son premier procès s’est tenu en son absence en février 2022. Un deuxième, en appel, s’est tenu en juin de la même année.
Devant le même prétoire en mai 2022, Saïd Bouteflika et Tayeb Louh étaient jugés pour interférence dans le travail de la justice. Le premier est acquitté et le second écope de 5 ans d’incarcération. Saïd Bouteflika a reconnu à la barre qu’il était resté constamment en contact avec Chakib Khelil depuis son exil américain via SMS, parce qu’il est « un ami de la famille Bouteflika », précisant que son frère lui avait demandé de « suivre l’affaire et non de donner des ordres » pour liquider les accusations qui pesaient sur l’ex-ministre de l’Énergie.
Abdelaziz Bouteflika, décédé en septembre 2021, n’a jamais été convoqué par la justice pour livrer sa version des faits. Pas plus que l’ancien ministre de la Justice et procureur général d’Alger Belkacem Zeghmati, actuellement ambassadeur en République tchèque.
Amina Lahmar n'a jamais parlé avec son grand-père de l'indépendance algérienne du 5 juillet 1962. Encore moins de la guerre. Pourtant Ahmed Lahmar a eu un rôle dans la résistance pour la libération. L'homme octogénaire a accepté pour la première fois de se confier à sa petite-fille en détail. Témoignage.
« Je ne viendrai jamais en France, à part pour rencontrer mes tortionnaires et leur demander des comptes. » Peu bavard, et réservé, mon grand-père, Ahmed Lahmar dit El Bachir accepte de se confier à moi. C’est un homme dont l’histoire reste entourée de mystères. L’entretien se déroule sur Messenger, au gré du réseau. Pas de Wi-Fi chez lui en Algérie. Il vit aujourd’hui modestement avec sa famille dans son village kabyle qu’il n’a jamais quitté. A 87 ans, il est l’un de ces chibanis qui trouvent toujours une occupation. Bien que peu démonstratif, l’effort est le langage principal de son amour pour les autres.
Ahmed Lahmar dit El Bachir, 87 ans.
J’apprends qu’il naît en 1935 dans une famille très pauvre du village montagneux du Hammam Guergour en petite Kabylie dans l’Est Algérien. Un village traversé par la rivière de l’Oued Bou Selam, située à l’Est de la Vallée de la Soummam, dans l’actuelle wilaya de Sétif. Enfant, il quitte l’école après deux ou trois ans d’apprentissage suite au décès de son père et devient le chef de famille. Dès son jeune âge, il s’occupe de sa mère et de ses trois sœurs en travaillant en tant que maçon pour subvenir à leurs besoins.
El Bachir s’engage à 17 ans au P.P.A, Parti du Peuple Algérien, « comme tout le monde à l’époque ». Quand la guerre avec la France éclate, il entre au FLN, Front de Libération Nationale, à 21 ans. Prêt à donner sa vie sur le front, les responsables FLN lui refusent le combat physique en raison de sa charge familiale. El Bachir intègre les moussabilin (auxiliaires) et s’occupe de la protection des moudjahidin (combattants), des renseignements, mais aussi du ravitaillement, de récolte d’argent ainsi que d’autres missions annexes. « Chaque nuit un groupe assurait la protection des moudjahidin, la transmission et donnait l’alerte si besoin. On se plaçait le plus loin possible. » Mais surtout, c’est dans sa maison faite de presque rien, construite tout en haut d’une montagne que transitent les moudjahidin qui rejoignent le maquis. Ils se réunissent, se nourrissent, et partent au combat.
« Grâce aux moudjahidin, les jours précédents, on a eu l’information que l’indépendance allait arriver », indique El Bachir. Cependant, malgré la liesse populaire, l’Algérien témoigne de la crainte quant à la réaction des Pieds-noirs.
« Le jour J, nous n’avions pas les moyens d’organiser de repas de célébration, mais nous sommes partis du Hammam Guergour (Wilaya de Setif) pour rejoindre Bougâa, (anciennement Lafayette) où se tenait un plus grand rassemblement. Chacun s’est déplacé selon sa situation. Certains partaient sur leur âne, il y avait quelques camions et puis d’autres, comme moi, ont marché 7 kilomètres à pied. Il y avait beaucoup d’hommes et quelques familles. On s’est réunis sur des places, et des lieux que les colons avaient l’habitude de fréquenter. En face des occupants, on criait « Tahia Al Djazaïr », se souvient-il.
Sous la colonisation, nous n’avions pas le droit à la parole, seulement le droit d’obéir.
Né dans la misère, El Bachir n’a eu d’autre choix que de s’activer pour survivre et faire vivre sa famille. « Nous mangions ce que nous plantions, et nous avions une vache qui nous donnait du lait. Il n’y avait ni travail, ni usine, ni quoi que ce soit. Je n’ai jamais travaillé volontairement pour l’occupant. Je sais que d’autres Algériens ont travaillé chez des colons et sans jamais être rémunérés, ou alors par un simple morceau de pain après un dur labeur. » Depuis son plus jeune âge, l’homme rêve d’un monde plus juste. « Sous la colonisation, nous n’avions pas le droit à la parole, seulement le droit d’obéir. Je me suis engagé pour combattre les injustices. J’ai lutté pour la liberté du peuple, de la religion et du pays. »
En plus du dénuement, du manque d’infrastructure et de la faim, les villageois vivent sous la pression permanente, le harcèlement, le pillage des biens et du patrimoine archéologique. Ils se confrontent à différentes formes de violences. « Une fois, pour le Ramadan, j’ai pu acheter un kilo de viande (ndlr: chose rare à l’époque pour nombre de villageois), les militaires français l’ont empoisonné avec du guez (liquide de la lampe à pétrole). »
La carte de Moudjahid (guerrier de la résistance) d’Ahmed Lahmar.
Dans son récit, la mort est omniprésente. Un jour l’aviation coloniale atterrit si près de sa maison que la force des ailes de l’hélicoptère disperse le toit de fortune du foyer. Sous les décombres de la maison, son fils Hadj, âgé d’un an et demi, a perdu la vie. Il cite également son cousin Mahmoud Lahmar, révolutionnaire dénoncé et tué. « Je suis arrivé le premier devant son corps. Les militaires français m’ont dit: tu as deux heures pour l’enterrer sinon quand on revient on t’enterre avec lui. » La disparition des corps et des preuves était une habitude assez répandue de l’armée coloniale.
Quand on lui pose la question de la vie quotidienne, El Bachir répond simplement « nous n’avions pas le droit de vivre ». « Comment célébrer les événements politiques heureux dans un tel cadre de vie ? Soit les mariages étaient organisés en secret, tout comme les rituels mortuaires, soit il fallait une autorisation pour se marier ou se réunir pour le mort. Même pour aller moudre le grain au moulin, il fallait un laissez-passer. Cela leur permettait de contrôler et de compter en même temps », ajoute El Bachir.
Nous étions 85 dans la même cellule. On était si serrés que j’ai dormi en position assise sur les toilettes pendant un mois.
Comme beaucoup d’Algériens, Ahmed Lahmar, utilise un surnom, une pratique très courante. El Bachir signifie le porteur de bonne nouvelle ou le messager en arabe. Drôle de coïncidence pour un moussabil. Quelqu’un le dénonce en rapportant aux militaires français qu’un certain « Bachir », se trouve dans ce village. Le douar est encerclé deux fois par l’armée pour retrouver le fameux Bachir, jusqu’à ce que les militaires du 4ème régiment des dragons découvrent son véritable prénom.
Des images d’archives de la région retrouvées par la famille Lahmar.
« En 1957, je me souviens qu’ils ont débarqué dans la maison pour faire une descente de plus. Mais cette fois, ils ont encerclé notre domicile. On était sous surveillance intensive durant deux mois. Des fois, ils entraient à l’intérieur brutalement en mettant tout sans dessus dessous. La tension était telle qu’un jour ils ont enfermé la famille dans une pièce. Ma mère a dû calmer le veau, car s’il faisait du bruit, ou s’ il y avait une moindre perturbation, cela pouvait être considéré comme une alerte qui se finirait en bain de sang. »
Puis, une journée de 1958, tandis qu’il maçonnait, des soldats français l’embarquent avec d’autres personnes. Sans aucune justification. « Lors de l’interrogatoire, ils m’ont battu. » Puis il y a eu la torture, il cite « l’eau », « la chaise », et « l’electricité ». Sujet délicat, il ne s’attarde pas sur les détails durant notre discussion. El Bachir garde le silence durant la torture, et c’est en sortant de la pièce qu’il comprend qu’il a été trahi une nouvelle fois.
A la suite de l’interrogatoire, il est placé dans une cellule du camp de triage et de transit du PC La Fayette à Bougâa. Dans ce camp, les prisonniers sont renvoyés ailleurs ou restent enfermés pour une durée indéterminée. « On était si serrés que j’ai dormi en position assise sur les toilettes pendant un mois jusqu’à ce qu’une place se libère dans une autre cellule ». Dans cet entassement de corps, les conditions sont très difficiles, d’autant plus qu’il leur est interdit d’utiliser les toilettes. Les responsables trient les prisonniers en les envoyant ailleurs, ou en exploitant leur compétence par le travail forcé.
Seule ma mère s’occupait des enfants. Il était rare qu’elle reçoive de l’aide car tout le monde était dans la même situation.
Au moment de son incarcération, c’est le colonel De Sevelinge qui dirige les 4ème régiment de dragons. Il est connu dans la région pour sa responsabilité des évènements tragiques de mars 1958 à Bougâa. Une semaine de raid, de massacre et de viol sur la population indigène. De nombreux tortionnaires se sont succédés dans cette région. El Bachir ne connaît que des surnoms : un certain colonel Bousibsib, en référence à une sorte de cigare qu’il fumait très souvent et le capitaine Ak’hal (noir), en raison de sa peau foncée, qui maîtrisait un peu le dialecte algérien.
Toute la journée, de nombreux prisonniers algériens se voient exploités par les forces coloniales.
Dans le camp, les détenus sont voués au travail forcé selon leurs compétences. Ainsi El Bachir construit des « chalets » du matin au soir. Il est régulièrement violenté. « Le plus clément des Français me lançait des bouteilles d’alcool pendant ma pause pour me blesser, mais j’étais vif en ce temps-là, il ne m’a jamais touché. » La nuit il dort avec d’autres prisonniers dans une sorte de baraquement précaire avec une tôle en zinc, un enfer durant l’été et une véritable épreuve lors des hivers rigoureux algériens. La main-d’œuvre exploitée sans limite coûte peu cher à l’administration. « Les militaires cuisinaient et faisaient cuire des pommes de terre. On buvait cette eau aussi blanche que le lait avec un peu de sel, et on mangeait un quart d’un pain chacun. »
Aucune permission de sortie n’est possible. Aucune date de sortie n’est donnée. Sa famille lui envoie du tabac à chiquer quelques fois. « Seule ma mère s’occupait des enfants. Il était rare qu’elle reçoive de l’aide car tout le monde était dans la même situation. » Personne ne saura comment elle et ses filles auront réellement vécu en son absence.
Relâché comme il a été emprisonné : sans raisons
En 1959, et après 18 mois d’incarcération il est relâché sans explication. Il réintègre son groupe révolutionnaire. Le FLN distribue également aux familles des denrées alimentaires. Une partie des rations est cuisinée par les habitants à destination des combattants. Son épouse Aïchouche, décédée, et d’autres femmes de son village et d’Algérie ont elles aussi participé à la lutte indépendantiste aussi de cette manière.
Durant le cessez-le-feu de 1962, les agents et responsables du FLN visitent la population. El Bachir a la mission d’accompagner le célèbre commandant Si H’mimi depuis Ouled Ayad jusqu’au Hammam Guergour. L’armée coloniale a eu vent de son arrivée. El Bachir qui monte la garde devant la porte témoigne : « malgré le cessez-le-feu les militaires français, armés, ont cerné la maison où se trouvait Si H’mimi, puis le village et les moudjahidin, armés, les ont encerclés. On s’est retrouvé dans cette tension pendant trois heures. Puis les Français sont partis en disant soit-disant qu’ils étaient simplement venus voir. » Puis peu de temps après, le cinq juillet arrive, et enfin la paix pour quelques temps.
« Le jour de l’indépendance, on a fêté ça. Il y avait de la joie. » C’est la seule fois que le mot joie fera surface durant cette discussion inédite avec mon grand-père Ahmed Lahmar. Soixante ans après la fin de la guerre d’Algérie, El Bachir a enfin pu mettre des mots sur les images qu’il avait en tête, et moi une raison sur les silence
Tipaza est une ville côtière située à quelques 70 kilomètres à l’ouest d’Alger. De nombreux vestiges Romains, Chrétiens, Puniques et Africains témoignent de la richesse de l’histoire de cette colonie de l’Empire Romain.
Les Phéniciens y ont fondé un comptoir vers le Ve siècle av. J.-C. : c’est de là que la ville tirerait son nom qui signifie « lieu de passage » ou « escale ».
Mais on dit aussi que Tipaza est la déformation du mot berbère « Tafsa » qui signifie grès ou pierre calcaire, roches toujours en usage dans beaucoup de régions du Maghreb.
La ville connaît son essor sous le règne du roi numide Juba II (notez qu’il ne faut jamais parler sèchement à un numide…) et devient avec Caesaria (actuelle Cherchell) l’un des foyers de la culture gréco-romaine en Afrique du Nord (voir le billet sur la tombe de la Chrétienne). Tipaza était alors une ville punique, dans l’aire d’influence de Carthage. À la fin de la troisième punique et le siège de Carthage en 146 av. J.-C., Rome annexe la Maurétanie, le Maghreb d’aujourd’hui.
En l’an 39 une muraille longue de plus de deux kilomètres est construite pour protéger la ville ce qui n’a pas empêché les Vandales menés par Genséric de la détruire en l’an 430 (les vandales !). Hadrien éleva par la suite Tipaza au rang de colonie honoraire. À la fin du IIe siècle, la ville connaît son apogée avec une population qui s’élève, selon les estimations à 20 000 habitants.
Le site archéologique de Tipaza contient divers vestiges, dont les restes d’une basilique, d’un cimetière, de thermes et d’un amphithéâtre. Le site archéologique est assez éclaté et les ruines difficilement lisibles car tout n’a pas été dégagé et une bonne partie de la ville, explorée en 1891 par l’archéologue Stéphane Gsell, est encore sous les sédiments.
La cité engloutie
Et c’est tout l’intérêt du site. Ici tout semble encore à découvrir… Albert Camus ne s’y était pas trompé qui visitait régulièrement les lieux. Je suis un fouineur et, à ma grande surprise, je me suis retrouvé à marcher sur des mosaïques polychromes à peine recouvertes de poussière de grès, sans autre protection ! N’étant pas un pirate, je me suis abstenu de grattouiller les décombres d’où émergent quantité de dolia et autres vestiges…
Le site plonge directement dans la mer et s’y prolonge manifestement. Oui, la mer à monté ici de plusieurs mètres depuis l’ère romaine ! C’est bien connu, les romains avaient une activité industrielle démentielle, propre à augmenter le réchauffement climatique…
Toujours est-il qu’on voit très bien les ruines continuer sous l’eau. Pour diverses raisons je n’ai pas pu plonger mais j’ai recueilli des témoignages de première main de ceux qui l’ont fait. Controversés les témoignages…
Certains plongeurs disent ne rien y avoir vu alors que d’autres parlent de salles englouties, de dallages, d’amphores… Au lieu dit « les bains », certains chasseurs auraient remonté de la précieuse verrerie bleue phénicienne, des lampes à huile, des statues et autres merveilles. C’est sûr, un trésor fabuleux git ici sous l’écume… On peut rêver, tout au moins en 3D…
Tipaza est une ville côtière située à quelques 70 kilomètres à l’ouest d’Alger. De nombreux vestiges Romains, Chrétiens, Puniques et Africains témoignent de la richesse de l’histoire de cette colonie de l’Empire Romain.
Les Phéniciens y ont fondé un comptoir vers le Ve siècle av. J.-C. : c’est de là que la ville tirerait son nom qui signifie « lieu de passage » ou « escale ».
Mais on dit aussi que Tipaza est la déformation du mot berbère « Tafsa » qui signifie grès ou pierre calcaire, roches toujours en usage dans beaucoup de régions du Maghreb.
La ville connaît son essor sous le règne du roi numide Juba II (notez qu’il ne faut jamais parler sèchement à un numide…) et devient avec Caesaria (actuelle Cherchell) l’un des foyers de la culture gréco-romaine en Afrique du Nord (voir le billet sur la tombe de la Chrétienne). Tipaza était alors une ville punique, dans l’aire d’influence de Carthage. À la fin de la troisième punique et le siège de Carthage en 146 av. J.-C., Rome annexe la Maurétanie, le Maghreb d’aujourd’hui.
En l’an 39 une muraille longue de plus de deux kilomètres est construite pour protéger la ville ce qui n’a pas empêché les Vandales menés par Genséric de la détruire en l’an 430 (les vandales !). Hadrien éleva par la suite Tipaza au rang de colonie honoraire. À la fin du IIe siècle, la ville connaît son apogée avec une population qui s’élève, selon les estimations à 20 000 habitants.
Le site archéologique de Tipaza contient divers vestiges, dont les restes d’une basilique, d’un cimetière, de thermes et d’un amphithéâtre. Le site archéologique est assez éclaté et les ruines difficilement lisibles car tout n’a pas été dégagé et une bonne partie de la ville, explorée en 1891 par l’archéologue Stéphane Gsell, est encore sous les sédiments.
La cité engloutie
Et c’est tout l’intérêt du site. Ici tout semble encore à découvrir… Albert Camus ne s’y était pas trompé qui visitait régulièrement les lieux. Je suis un fouineur et, à ma grande surprise, je me suis retrouvé à marcher sur des mosaïques polychromes à peine recouvertes de poussière de grès, sans autre protection ! N’étant pas un pirate, je me suis abstenu de grattouiller les décombres d’où émergent quantité de dolia et autres vestiges…
Le site plonge directement dans la mer et s’y prolonge manifestement. Oui, la mer à monté ici de plusieurs mètres depuis l’ère romaine ! C’est bien connu, les romains avaient une activité industrielle démentielle, propre à augmenter le réchauffement climatique…
Toujours est-il qu’on voit très bien les ruines continuer sous l’eau. Pour diverses raisons je n’ai pas pu plonger mais j’ai recueilli des témoignages de première main de ceux qui l’ont fait. Controversés les témoignages…
Certains plongeurs disent ne rien y avoir vu alors que d’autres parlent de salles englouties, de dallages, d’amphores… Au lieu dit « les bains », certains chasseurs auraient remonté de la précieuse verrerie bleue phénicienne, des lampes à huile, des statues et autres merveilles. C’est sûr, un trésor fabuleux git ici sous l’écume… On peut rêver, tout au moins en 3D…
« Nous avons suffisamment fait d’efforts pour sauver le journal. Mais là, on n’en peut plus. » La voix calme et résignée, un journaliste d’El Watan préférant témoigner à Middle East Eye sous couvert d’anonymat, ne cache pas son désarroi.
Voilà plus de quatre mois, qu’avec ses confrères et collègues de l’entreprise, ils ne sont plus payés. Mardi 12 juillet, ils ont décidé de mener une grève de deux jours pour interpeller la direction du plus grand quotidien francophone d’Algérie.
« Une immense perte pour le pluralisme médiatique » : onde de choc en Algérie après la fermeture annoncée du quotidien Liberté
Après plus de vingt ans passés au sein de la rédaction, il se dit « déçu » et « surpris » par « le comportement des responsables » qui « n’ont même pas daigné nous remercier d’avoir travaillé sans être payés ».
Depuis le mois de février, la direction d’El Watan, dont le journal n’est plus tiré désormais qu’à 50 000 exemplaires contre 200 000 il y a une dizaine d’années, se dit dans l’incapacité de verser les salaires de ses 150 employés.
Selon le directeur de la publication, Mohamed Tahar Messaoudi, contacté par MEE, cette situation est liée au gel des comptes de l’entreprise par la banque principale, à savoir le Crédit populaire d’Algérie (CPA, étatique) et les services des impôts.
Ces derniers réclament au journal le paiement des arriérés de la dette fiscale remontant à la période du covid, lorsque les autorités avaient autorisé les entreprises à différer le paiement de leurs impôts.
Mais une fois la crise sanitaire passée, la société éditrice du journal francophone le plus influent d’Algérie a été sommée de s’acquitter d’un montant global de 32 millions de dinars (plus de 210 000 euros) « sans délai », insiste le directeur de la publication.
Comptes bloqués
« La direction des impôts a refusé de nous accorder un échéancier de paiement comme le prévoit la loi », regrette-t-il en précisant qu’un employé du fisc qui avait décidé de donner une chance au journal en lui accordant un délai de remboursement plus long, avait été « muté » et « remplacé ». L’information a été confirmée à MEE par une source de la direction des impôts à Alger.
Le remboursement de cette dette fiscale est venu se greffer à un autre problème.
La direction, qui répète depuis plusieurs années être « à court d’argent » en raison du tarissement des ressources publicitaires privées et de la suspension « unilatérale » d’un accord signé avec l’Agence nationale d’édition et de publicité (ANEP, organisme public ayant le monopole de la publicité étatique), a dû recourir à un prêt bancaire pour payer les salaires des employés.
« Certains journalistes n’ont même pas de quoi payer un bus ou un plein d’essence pour venir travailler »
- Un syndicaliste
Mais une baisse de l’activité en janvier a poussé la banque à réduire le montant de cette avance financière, explique Mohamed Tahar Messaoudi, qui estime que « cela ne suffit plus pour payer les salaires et les autres charges de l’entreprise ».
Cette décision de la banque est « injustifiée », dénonce-t-il, puisqu’El Watan « est solvable » : le journal dispose de « revenus liés à ses ventes » et « à des actifs » qui lui permettent de rembourser ses dettes en cas de problèmes de trésorerie. La direction a bien tenté de vendre un terrain pour renflouer les caisses, mais les comptes étant bloqués, aucune opération n’est plus possible.
Ce diagnostic est connu des employés qui refusent « de faire plus de sacrifices ». Après plusieurs mois d’attente, ils ont décidé de recourir à la grève.
« C’est le seul moyen de défendre nos intérêts. Cela fait quatre mois que nous travaillons sans aucune perspective », explique à MEE un syndicaliste qui décrit une situation sociale catastrophique. « Certains journalistes n’ont même pas de quoi payer un bus ou un plein d’essence pour venir travailler. »
Et s’il dit « comprendre » la situation de l’entreprise, comme beaucoup de ses collègues, il estime que les autorités ne sont pas les seules à incriminer dans le blocage des comptes d’El Watan.
Selon lui, même les actionnaires – d’anciens journalistes issus de la presse étatique – « ont une part de responsabilité », accuse-t-il. Il reproche notamment aux propriétaires de « s’être accordé des salaires indus, sans contrepartie de travail, alors que l’entreprise agonisait ».
Puis, les journalistes ont adressé, en juin, une lettre aux actionnaires, consultée par MEE, pour « lancer un appel à la solidarité », pour « les amener à faire un geste envers les employés ». Mais « aucune réponse n’a été donnée », accuse le syndicaliste.
Les actionnaires, eux, ne comprennent pas ces accusations. « Les salariés pensent que les actionnaires sont riches. Ce n’est pas vrai. Et puis, même si nous voulions faire un geste, les comptes bancaires sont bloqués, il n’y a donc aucun moyen d’acheminer les fonds », répond Mohamed Tahar Messaoudi.
Dans un communiqué rendu public mardi 12 juillet, les employés d’El Watan déclarent avoir « accepté de céder sur leur droit le plus élémentaire, celui de la rémunération, afin de donner le temps à la direction de trouver une issue aux problèmes financiers que traverse l’entreprise ». Mais, ils regrettent « qu’en plus de son incapacité à trouver une issue à la crise, la direction ne propose aucun dialogue sérieux au partenaire social ».
Un siège que le journal n’occupera jamais
Pourtant, il y a encore quelques années, personne ne pouvait imaginer que ce fleuron de la presse algérienne, créé en 1990, allait connaître un sort aussi tragique.
Dès son lancement, ses reportages pendant la décennie noire font sa renommée et ses révélations sur la corruption au sein du pouvoir civil et militaire lui valent suspensions de publication, harcèlement judiciaire et sanctions administratives qui n'ont jamais cessé au fil des ans.
Sous le règne d’Abdelaziz Bouteflika, El Watan s’affirme comme un journal d’opposition dont la virulence est un cas d’école dans le monde arabe. Mais la manne financière liée à la très bonne santé économique du pays au début des années 2000 lui permet d’acquérir les moyens de cultiver son indépendance : d’abord une imprimerie, qu’il partagera avec le journal arabophone El Khabar, pour s’affranchir des rotatives étatiques. En 2010, le journal entamera ensuite à Alger la construction d’une tour de bureaux, symbole de son essor financier.
Mais pour ne pas avoir respecté des normes de construction, ce qui devait être le futur siège, un imposant bâtiment en verre surplombant la baie d’Alger, n’a jamais été occupé.
Les propriétaires du journal crient au « coup politique », estimant que les autorités veulent « les punir pour leur indépendance éditoriale » tandis que l’administration évoque une simple infraction aux règles d’urbanisme.
Dans les faits, depuis 2014, El Watan paye la campagne menée contre le quatrième mandat du président Bouteflika. Les opérateurs privés subissent des pressions pour ne plus donner de publicité au journal pendant que la publicité étatique se tarit.
Avec la démission de Bouteflika sous la pression des manifestations populaires et de l’armée, au printemps 2019, la publicité publique revient. Mais la parenthèse sera de courte durée. Un article évoquant des affaires de corruption présumée impliquant les enfants de l’ancien chef de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, finira de régler le sort du journal.
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Lorsque l’expérience d’El Watan week-end, la version plus magazine du journal, se termina en 2016 après sept ans de parution, ses anciens rédacteurs en chef, aussi créateurs du concept, Adlene Meddi et Mélanie Matarese, avaient publié une lettre pour s’interroger sur la « désintégration des rédactions ».
Sans exonérer le pouvoir, ils s’interrogeaient sur « les raisons qui poussent depuis toujours les dirigeants de ces médias à prendre position dans des luttes de clans sans pour autant maîtriser les tenants et les aboutissants d’enjeux qui les dépassent, devenant ainsi les instruments de ces clans aussi bien à l’intérieur du pouvoir politique que dans la sphère économique ».
Ils questionnaient aussi cette « rente symbolique que les patrons de presse cultivent en tant qu’‘’opposants’’, notamment sur certains plateaux de médias étrangers, accumulée à une rente financière tabouisée, totalement éludée lorsque la question de la situation socioprofessionnelle des journalistes ou de la viabilité financière des médias est posée ».
« S’aligner sur le discours officiel »
En mai, le ministre de la Communication, Mohamed Bouslimani, a rendu visite à la rédaction d’El Watan. Il a promis de « faire un geste » pour débloquer la situation de l’entreprise, un « geste » toutefois « conditionné » à la nécessité de « faire la promotion de ce qui est positif dans le pays », aurait prévenu le ministre, selon des témoins.
Les responsables du journaln’ont pas changé leur ligne éditoriale et la promesse du ministre n’a pas connu de suite.
Au-delà de l’histoire du journal, cette crise est symptomatique des difficultés auxquelles sont confrontés de nombreux médias en Algérie. En avril, c’est un autre grand journal francophone, Liberté, qui a cessé de paraître.
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Pour Chérif Driss, professeur en sciences de l’information à l’École supérieure de journalisme d’Alger, contacté par MEE, ce qui arrive à El Watan est une conséquence de « la crise mondiale que vit la presse papier face à la presse digitale », de la « contraction » de la publicité des entreprises privées depuis la récession économique du pays en 2014, et « des rapports de plus en plus tendus entre le pouvoir politique et la presse depuis 2019 ».
« Les médias sont obligés de se montrer moins critiques à l’égard du pouvoir politique, pour ne pas dire qu’ils sont obligés de s’aligner sur le discours officiel », poursuit-il. « Ces pressions obligent les journalistes à se transformer en simples communicants » et des journaux à s’autocensurer « pour espérer obtenir un peu de publicité institutionnelle ».
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