Une colonne de l’armée française se prépare à entrer dans le maquis de la région de Tlemcen, en avril 1956.

Le dossier fait partie des secrets encore bien gardés de la guerre d’Algérie. De 1956 à 1961, l’armée française a utilisé à grande échelle des gaz toxiques contre des combattants nationalistes algériens dissimulés dans des grottes, un aspect du conflit sous-documenté en raison d’un accès verrouillé aux archives.

Dans une enquête publiée dans la revue trimestrielle XXI (tome 58 paru le 1er avril), la journaliste Claire Billet publie des témoignages inédits d’anciens militaires français racontant leur rôle dans les « sections des grottes » mobilisées contre les abris souterrains de l’Armée de libération nationale (ALN). Parmi les « armes spéciales » – euphémisme alors en vigueur – figurent des grenades, chandelles et roquettes chargées de gaz de combat, notamment le CN2D, contenant de la DM (diphénylaminechlorarsine). Produit chimique toxique, cette dernière provoque l’irritation des yeux, des poumons et des muqueuses, ainsi que des maux de tête, des nausées et des vomissements.

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Ces gaz sont des incapacitants non létaux dont la finalité était de déloger les combattants algériens de leurs caches, mais ils peuvent devenir mortels en milieu clos, un cas de figure qui s’est révélé être courant après le dynamitage des entrées de grottes.

Evoquant une opération en 1959 à Tolga, à 150 kilomètres au sud-ouest de Batna (massif de l’Aurès), un ancien militaire, Jean Vidalenc, 85 ans, interrogé par Claire Billet dans son village du Cantal raconte ainsi avoir allumé un « pot de gaz » dans un réduit où il affrontait une unité de l’ALN. Le lendemain, « dix cadavres » ont été découverts. « On a gazé les Algériens », précise-t-il. La méthode évoque les « enfumades » de 1844-1845 pratiquées par le corps expéditionnaire français durant la conquête de l’Algérie contre les résistants fidèles à l’émir Abdelkader.

« L’un des derniers grands tabous »

L’épilogue meurtrier de l’opération ponctuelle mentionnée par Jean Vidalenc laisse entrevoir le bilan global de cette « guerre des grottes » qui demeure toutefois inconnu en raison de l’inaccessibilité des archives militaires françaises sur cet aspect du conflit. L’échelle de ces offensives se devine aussi au témoignage d’un autre militaire (présenté sous son seul prénom d’« Yves »), 86 ans, qui avoue avoir participé à 95 opérations à titre personnel.