« L'ignorance mène à la peur, la peur mène à la haine et la haine conduit à la violence. Voilà l'équation ». Ibn Rochd
Après avoir été « la Mecque des mouvements de libération », l'Algérie, animée par le souffle de l'indépendance, est toujours le pays phare qui défend les causes justes, l'intérêt de l'humanité et la légalité internationale. Son histoire et son engagement sont le fruit d'une doctrine géopolitique sage, celle de tout faire pour contribuer à la paix et à la sécurité mondiale, par la prévention et le règlement pacifique des conflits. Le lourd tribut payé pour le recouvrement de sa souveraineté en fait une citadelle lucide au sujet des enjeux du vivre ensemble.
A l'heure de la tragédie du peuple palestinien martyre, parler de « vivre ensemble » paraît paradoxal, pourtant il s'agit de s'attaquer aux causes des problèmes. L'ignorance conduit à la haine et cette dernière aboutit à la violence, comme l'énonce Ibn Rochd. Il faut éduquer au respect du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, apprendre à vivre ensemble.
Le monde se dirige vers une mauvaise direction
Le système des relations internationales est déréglé. L'humanité est malmenée. Cependant, à juste titre, les peuples gardent espoir et refusent les logiques de confrontation violente, de colonisation et d'alignement. Cela et le non-alignement constitue une opportunité irremplaçable pour rechercher ensemble une nouvelle mondialisation qui ne soit ni domination ni uniformisation.
Aucun monde n'a le droit d'imposer aux autres ses règles, ses mœurs et ses perceptions. L'ambition d'hégémonie, comme stratégie funeste du système dominant, le désordre et des réactions irrationnelles mènent l'humanité vers une mauvaise direction. La désescalade est une urgence.
Le vivre ensemble mondial est agressé par la loi du plus fort des uns et la démission des autres. Sur le plan géopolitique, les peuples sont inquiets, mais conscients que les causes justes ne peuvent que triompher. Les pays du Sud global critiquent les atteintes flagrantes au droit international et au droit humanitaire, la politique inique du double standard, la perte de l'éthique, les droits humains instrumentalisés et sélectifs, le développement inégal et les politiques de division et d'ingérence.
Le monde dominant monopolise les centres de décisions, impose ses intérêts, ses mœurs controversées. Les deux poids et deux mesures et l'ambition d'hégémonie ruinent la crédibilité des puissants qui prétendent défendre les libertés.
Des opinions du Nord s'inquiètent de leur côté des pratiques archaïques de groupuscules ou régimes au Sud, ou dans les quartiers ghettos, défavorisés et discriminés. L'humanité traverse une crise du vivre ensemble et les relations internationales ne sont pas démocratiques.
Heureusement, la majorité reste attachée au vivre ensemble. Des opinions minoritaires se laissent perturbés par la propagande du « choc des civilisations », des amalgames et du populisme. Pourtant les civilisations sont sœurs et interdépendantes. Il n'y a pas de hiérarchie entre elles, ni d'alternative heureuse au vivre ensemble. Il n'y a pas d'antagonisme entre les civilisations. Toute civilisation se développe sur la base de l'échange.
Dans un monde marqué par l'incertitude, l'insécurité, le recul du droit international et les réseaux sociaux ambivalents, il s'agit de réconcilier l'Orient et l'Occident, le Nord et le Sud. Ces mondes sont mis à l'épreuve des injustices, des ignorances et de la désinformation.
Les conséquences sont désastreuses pour tous. Les dysfonctionnements du système mondial sont structurels. Les dérèglements psychiques, les souffrances, les violences, sont probants, de par les nouvelles sauvageries. Malgré des prodigieux progrès technoscientifiques, le monde est désorienté. Marqué par des divergences, des conflits, la dictature du marché et l'extrémisme idéologique. Il est temps de penser à fonder un nouvel ordre international juste.
Dans un contexte complexe, il s'agit de lutter contre toute forme d'exclusion et de domination de modèles extrêmes, qui déshumanisent. La diplomatie pertinente est celle qui créé du lien et des intérêts partagés, augmente le nombre d'amis et réduit celui des pays hostiles.
La nécessité du vivre ensemble
Les relations internationales contemporaines connaissent une des plus graves crises de leur histoire. Le monde est dans une impasse. Il faut en sortir. La guerre génocidaire, vouée à l'échec, contre le peuple palestinien est le symbole de la folie meurtrière, de l'absurdité monstrueuse et de l'injustice innommable. Les mobilisations et les protestations honorables de la jeunesse, en particulier les étudiants, à travers le monde, notamment aux USA, et le vote positif à l'Assemblée générale de l'ONU par 143 pays le 10 mai 2024, pour admettre la Palestine comme membre à part entière, sont des signes forts que les peuples ne sont pas dupes.
Il ne s'agit pas seulement de compassion. Ils savent que à Gaza se joue l'avenir de toute l'humanité. Le vivre ensemble en paix est l'enjeu. Le sauver est une nécessité. Personne ne peut vivre isolé, ou coupé du monde. La défense de valeurs patriotiques, le compter sur soi et la vigilance n'excluent pas la coopération, la solidarité, le partage et les accommodements.
Vivre ensemble, par-delà la diversité des cultures, la pluralité des origines et des convictions, est possible. L'histoire le prouve. La civilisation musulmane a fondé le sens du vivre ensemble, par des principes clairs et le bel agir. La diversité y est reconnue, pas de contrainte en religion, et la vie humaine est sacrée. La civilisation musulmane et d'autres cultures et sagesses nous apprennent que l'interconnaissance est la condition de la coexistence.
Changer les rapports de force passe par le développement interne, des citoyens responsables et l'unité des rangs des pays attachés à leur souveraineté. Il nous faut éduquer au vivre ensemble, car les divisions et l'exclusion font le jeu des extrémistes. L'intolérance et le sectarisme, toujours néfastes, relèvent de la responsabilité des individus et des sociétés qui se ferment.
Pour rappeler l'importance du « vivre ensemble », l'Algérie, pays pivot, carrefour des civilisations, fidèle à ses principes politiques et diplomatiques et son sens du bien commun, a initié la « Journée internationale du vivre ensemble », adoptée à l'unanimité par l'ONU, résolution 72/130 du 8/12/2017, et commémorée tous les 16 mai. Un acte qui montre l'attachement du pays de l'Appel de Novembre et de l'émir Abdelkader à la culture de la Paix.
Sachant que l'Orient et l'Occident, le Nord et le Sud, liés en ce XXIe siècle par une communauté de destin, doivent, plus que jamais, dialoguer et privilégier le respect mutuel et la coopération, afin d'offrir au monde le meilleur d'eux-mêmes. Il y a lieu de changer le regard que chacun porte sur autrui, pour apprendre à comprendre l'autre.
La supériorité technique et scientifique des uns et des autres, selon les époques, n'implique pas la supériorité de la culture. Les prétentions politiciennes et irrationnelles qui hiérarchisent les cultures contredisent les valeurs humaines et la possibilité de la coexistence.
La vision belliciste qui se mondialise marginalise les valeurs de l'esprit d'ouverture et de l'éthique, au profit de logiques de domination et d'uniformisation. Dans le cadre de la lutte contre toutes les formes d'extrémismes, par une coopération mondiale, il y a lieu de s'attaquer aux vraies causes et non point chercher un bouc émissaire.
L'état du monde oblige à se demander ce qu'il faut faire pour bâtir le bien commun et assurer une sécurité indivisible pour tous, en dépit des différences et des divergences. Réponse : la paix triomphe lorsque l'égalité, l'équité et la justice sont garanties. Tous les racismes, tous les fanatismes et toutes les discriminations sont condamnables.
Personne n'a le monopole de la vérité. Les règles de droit et le dialogue sont les signes de la culture civilisée. Dialoguer et comprendre les aspirations des peuples est une méthode raisonnable pour enraciner le vivre ensemble. Consolider le multilatéralisme et la souveraineté des nations contribuera à fonder un nouvel ordre juste. Ni l'Occident ni l'Orient ne sont monolithiques. La diversité est une richesse.
Le respect de la Charte des Nations unies, une nouvelle architecture des relations internationales inclusive, un nouveau paradigme éducatif et un nouveau système économique mondial attendent d'être inventés et discutés, afin que l'idéal du vivre ensemble en paix devienne une réalité universelle.
L'Algérie, animée par la culture de la dignité, soucieuse de prospérité partagée et symbole de la bravoure, continue, à travers le monde, à inspirer les générations éprises de liberté responsable, de justice et d'amitié. Le Sud et le Nord, imbriqués, sont tenus par un destin commun. Aucun d'eux ne peut faire face tout seul aux défis de l'heure. Ensemble tout sera possible.
par Mustapha Cherif*MC
Professeur émérite des Universités en relations internationales, auteur notamment de « L'Alliance des civilisations » éditions Casbah, Alger 2019
Jeudi 16 mai 2024
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