VSD. Alors ? Vous êtes un jeune marié puisque vous venez de renouveler vos vœux avec votre épouse Jany Le Pen.
Jean-Marie Le Pen. Nous sommes mariés civilement depuis le 31 mai 1991 et, après presque trente ans, nous avons décidé de faire une petite cérémonie très discrète de mariage religieux.
Pourquoi après tant d’années ?
Pour mettre nos âmes en règle avec le Très Haut, mais c’est aussi un symbole d’amour. Tout ça marche ensemble, cela semblait compléter notre union. Je l’aime toujours aussi fort.
Comment va votre santé ? J’ai ouï dire que vous aviez attrapé la Covid ?
Oui, mais je m’en suis à peine rendu compte. C’était au tout début de la pandémie. J’avais ressenti un peu de fatigue, rien d’alarmant. Ça n’est qu’à l’occasion d’une prise de sang que j’ai pu constater que j’avais des anticorps. Mais on ne sait pas quelles sont leurs qualités réelles (rire).
Vous ne portez pas de masque ?
Vous non plus ! Je le porte honnêtement le moins possible car ça me paraît « vicier » la vie sociale, il n’y a plus de contact humain. Autrefois on portait ça le Mardi gras, là on avait le droit de se masquer mais le reste du temps c’était interdit. Je le mets le moins possible, sauf quand c’est obligatoire bien sûr, mais je trouve cela extrêmement pénible.
Au-delà de la crise sanitaire, que pensez-vous plus généralement de la situation politique ?
Je ne peux que constater le déclin de notre pays et, plus généralement, de la civilisation occidentale, ce que j’appelle l’arc boréal qui va de Vladivostok à Gibraltar. On pourrait aussi y ajouter les États-Unis, mais enfin il faut s’en tenir à l’arc boréal et je pense qu’il faudrait que toutes ces nations s’organisent en confédération des États boréaux. Je pense sincèrement que leur situation est spécifique et qu’elle est menacée par un déséquilibre démographique croissant. En ce sens il faut bien considérer qu’en seulement cinquante ans, la population mondiale est passée de 2 milliards à 8 milliards. Cette expansion s’est produite presque essentiellement ailleurs sur le globe puisque, si nous n’avons pas régressé, nous n’avons pas progressé non plus. Cet arc boréal est un espace géographique immense à défendre puisqu’il comprend le plus grand pays du monde qu’est la Russie, entourée de pays frontaliers si j’ose dire qui eux pullulent : on ne sait pas à cent millions près combien ils sont ! Des pays comme l’Inde ou la Chine. La fin des empires occidentaux s’est traduite par une régression de leur influence à leurs territoires métropolitains en quelque sorte.
Voudriez-vous dire que le monde est trop métissé ?
Ce phénomène démographique est, je crois, unique dans l’histoire de l’humanité. C’est la première fois que conséquemment à nos découvertes médicales, la population mondiale a, en quelque sorte, explosé. Autrefois, dans nos campagnes, il y avait souvent des familles de quinze enfants mais seulement quelques-uns survivaient. Aujourd’hui c’est l’inverse. Les Africains, les pays arabes, les Indes, l’Asie, tous ces pays-là ont une forte démographie. Alors qu’il est évident que les ressources mondiales n’ont pas augmenté dans la proportion de la population, le petit gâteau que conservaient certains doit être maintenant partagé à plusieurs. D’où une source naturelle de conflits internes ou externes, de mouvements migratoires considérables dont nous ne sommes pas à l’abri et contre lesquels, semble-t-il, nos gouvernants ne souhaitent pas agir fermement pour défendre notre intégrité.
Comment va votre grande -famille ?
Je suis un grand-père de neuf petits-enfants qui ont tous entre 20 et 30 ans. Ils sont tous accouplés mais autrefois, l’accouplement donnait des enfants ce qui n’est pas le cas aujourd’hui (rire). Heureusement, j’ai une arrière-petite-fille, Olympe, la fille de Marion, qui a tout juste 6 ans.
Elle vous ressemble ?
C’est la synthèse de tous les Le Pen ! C’est pour ça qu’elle m’aime. Elle a une dimension affective incroyable. Elle est étonnante et très attachante. À mon avis, objectivement, elle est assez exceptionnelle.
Et Marine ?
Je ne vois pas souvent Marine mais il n’y a pas de guerre, c’est ma fille. Cependant je ne partage pas toujours ses options et l’autre jour je lui ai fait une remarque technique. Je l’ai trouvée trop souriante par exemple dans son débat face à Darmanin. Dans la mesure où elle est candidate à la présidentielle, elle doit être plus grave. Elle a déjà, en France, le handicap d’être une femme et elle doit donc présenter un visage plus « marmoréen ». J’ai trouvé que ce n’était pas un débat de candidate à la présidence de la République. On dit tellement de mal de la rigueur excessive de la droite nationale que Marine veut sans doute apparaître comme plus cool. Mais le temps de l’avenir n’est pas au « cool » ! Elle pourrait par exemple s’enrichir du rejet de notre président actuel et de sa politique. Marine est un personnage, sa victoire à la présidentielle n’est pas probable mais elle est tout à fait possible.
Les sondages lui sont plutôt -favorables…
Oui, il ne sera pas facile de lui disputer, au moins, la place au second tour, même si les candidats ne sont pas encore tous connus. L’acquisition de la notoriété en politique est peut-être ce qu’il y a de plus difficile. Et heureusement, Marine a une notoriété nationale. Je le répète, elle a de grandes chances d’être au second tour.
Cela fait près de cinquante ans que vous faites de la politique et... (il interrompt)
Un peu plus ! J’ai été élu député en 1956 mais en réalité ma vie publique a commencé bien avant : j’étais président de l’Unef qui était un syndicat unitaire. Les congrès duraient huit jours et se tenaient jour et nuit si j’ose dire, aux alentours de 1949, 1950. Cela fait plus de soixante-dix ans du coup (rire).
L’Algérie était encore française ?
Tout à fait oui, et tout le monde en était partisan à cette époque, M. Mitterrand, M. Mendès France, tout le monde sauf les communistes qui étaient indépendantistes.
Votre parcours politique est -indissociable de la guerre -d’Algérie… (il interrompt)
J’étais pour l’Algérie française car je pensais que c’était un atout considérable pour la France que d’être implantée sur deux continents différents. Cela lui donnait une position stratégique considérable sur la Méditerranée, sur l’Afrique, sur le monde... (il réfléchit) Il y a une rencontre qui m’a marqué. Des années après la fin de la guerre, Krim Belkacem avait demandé à me voir. J’ai accepté et nous nous sommes alors retrouvés dans la même voiture à Paris, peu de temps avant son assassinat. Comme il ne disait rien, je lui ai demandé ce qu’il voulait me dire. Il m’a répondu avec un petit sourire en coin : « Je voulais juste te rencontrer. » Je suis tombé des nues mais ça m’a touché.
Vous savez, j’ai toujours eu de la considération dans le monde musulman. Je pense que ça tient à mon attitude générale mais aussi à une anecdote qui s’est déroulée pendant la campagne de Suez. Suite à une opération militaire, j’ai reçu la consigne d’enterrer les morts dans des fosses communes. Comme ils étaient musulmans, j’ai fait en sorte qu’ils soient déchaussés et inhumés face à La Mecque selon le rite islamique.
J’ai été assez proche de Saddam Hussein, j’ai été très affecté par sa mort et son exécution. Mon épouse Jany était aussi la présidente de l’association SOS Enfants d’Irak, elle s’y rendait souvent ! J’avais globalement une relation très cordiale avec Hassan II. Je connais moins son fils.
C’est étonnant d’être aussi -apprécié à l’étranger quand on est le dirigeant d’un parti -considéré comme raciste.
Le FN n’est pas du tout raciste ! Il y a toutes sortes de religions et d’ethnies au sein du parti. Il n’y a pas de racisme au Front national. C’est sans doute dû à la fraternité d’armes : il est évident qu’il y a une affinité des combattants entre eux qui fait disparaître les éléments de différence.
Mais alors pourquoi le FN traîne cette réputation de « facho » ?
C’est la réputation que m’ont créée mes adversaires.
Lesquels ?
La gauche et les gaullistes. La politique est un combat permanent...
Que pourriez-vous nous dire du général de Gaulle ?
Il m’a serré la main à trois reprises (rire) ! Pendant la Seconde Guerre, j’étais interne dans un collège mais pour le peu que j’écoutais la radio pendant les vacances, il me semblait que Radio Londres attaquait davantage Vichy que Berlin. Moi, je mesurais les difficultés considérables que pouvait rencontrer le gouvernement français d’une France occupée qui étaient sans commune mesure avec le fait d’être à Londres, l’hôte de Churchill et de l’Angleterre. C’était moins difficile à gérer quand même !
Je rappelle que nous avions trois millions de prisonniers de guerre et quarante millions de Français à nourrir, sans parler des bombardements et autres dommages collatéraux. Je n’étais pas un gaulliste pendant la guerre – il y en avait d’ailleurs très peu – et je ne me suis pas senti de rallier le RPF tel que l’avait fondé le général de Gaulle. Ses thèmes ne me paraissaient pas être des thèmes de rassemblement populaire.
C’est-à-dire ?
Le général avait dirigé un gouvernement avec des communistes qui étaient mes adversaires depuis toujours. J’étais un pauvre orphelin de guerre et déjà je m’opposais aux communistes à l’union internationale des étudiants. Il y avait des affrontements très sérieux entre communistes et anticommunistes.
Cela étant, ce qui était imprévisible, c’était que les huit millions d’Algériens seraient cinquante ans plus tard quarante millions. Je pensais qu’il était possible d’intégrer huit millions d’Algériens en France, mais pas quarante millions. Et ça, personne ne l’avait prévu. Charles de Gaulle a donné l’indépendance à l’Algérie sans que cette notion d’expansion démographique n’apparaisse. Il ne faut pas oublier que de Gaulle était un général métropolitain, pas un colonial ; lorsqu’il a démarré sa carrière, l’ennemi était à l’est, l’Allemagne. Il n’avait eu que peu de relations avec l’Afrique du Nord et encore, elles étaient conflictuelles. C’était vraiment un autre monde…
C’est un homme d’État qui a eu une conception des relations constitutionnelles qui me semblent assez justes. Elle a d’ailleurs donné la constitution de la Ve République. C’était un très un bon philosophe de la politique.
Et les autres présidents ? Que pensez-vous de Georges Pompidou ?
Pompidou, un brave homme me semble-t-il, sans prétention et sans génie, il pouvait être « pompur » (rire). Il avait une autorité naturelle, une présence physique très forte.
Valéry Giscard d’Estaing ?
Nous avons fait parti du même « bureau d’âge » en 1956 : ce sont les huit plus jeunes députés, il était l’aîné de ce groupe et j’en étais le benjamin. J’ai entretenu des relations relativement cordiales avec VGE, même si nous n’avions que peu de points communs. C’était un Chinois d’Occident, il avait les yeux presque bridés (rire).
François Mitterrand ?
Mitterrand était un homme de talent et de culture. Il ne manquait pas d’humour. En 1955, j’avais été désigné comme orateur national pour lui porter la contradiction lors de la campagne des législatives de 1956. Il était en haut d’une tribune et quand je suis arrivé avec une foule de paysans et de poujadistes, il s’est évanoui. Alors j’en ai profité et j’ai parlé à sa place. C’est mon premier contact avec Mitterrand (rire) !
Jacques Chirac ?
Chirac, je l’appelais Cachir. Nous n’avions pas d’atomes crochus mais le jour de sa mort j’ai tout de même posté un message sur Twitter : « Même mort, un ennemi mérite le respect. » C’est mon tweet le plus retweeté de tous ! Jacques Chirac demeure le seul homme qui m’a inspiré un vrai rejet politique. Je le trouve déloyal, cynique. Il m’a fait beaucoup de sales coups, le pire lors de l’élection présidentielle de 1981. Cent maires chiraquiens qui en avaient probablement reçu la consigne ne m’ont pas accordé leur signature promise et se sont désistés seulement trois semaines avant le premier tour. C’est à cause de ça que je n’ai pas pu être candidat.
Nicolas Sarkozy ?
Je n’avais pas d’antipathie pour Sarko, au contraire. J’ai même une anecdote très drôle qui l’a rendu très sympathique à mes yeux lorsque je lui ai un jour rendu visite à l’Élysée en tant que chef de parti. À la sortie, il y avait le conseil des ministres sur le palier. Il m’attrape par le bras et il dit : « Je pense que vous connaissez M. Fillon. »« Oui bien sûr, je connais », lui ai-je répondu. Il fallait voir la tête de Fillon ! C’est un coup typique de Sarko, ça ! Il a un côté chaleureux, cordial, populaire, avec une vraie force de conviction. Je pense que comme président, c’est celui dont j’ai sûrement le meilleur souvenir. Vous savez, j’ai connu tous ceux de la Ve République et même Auriol et Coty, qui étaient là avant.
Un petit mot sur François -Hollande ?
Hollande, qui est-il ? Je cherche Hollande ! Les Hollandais l’ont pris ! Merci à Nafissatou, la faiseuse de roi (gros fou rire). Je ne comprends pas comment ce type a pu être président, c’est extraordinaire !
Que pensez-vous d’Emmanuel Macron ?
Je ne comprends pas qu’il suscite autant d’hostilités. J’ai du mal à m’imaginer qu’on puisse haïr – je ne connais pas moi-même la haine comme sentiment – mais de penser que Macron puisse être détesté par autant de gens, c’est étonnant. Je le trouve trop volubile, il parle trop et trop souvent, il est trop médiatisé ! Pour moi, le chef de l’État est quelqu’un qui doit parler rarement, avoir un discours plus bref, avec des formules percutantes. Et dans ce domaine, je ne peux que reconnaître que Charles de Gaulle était un maître.
La spécialité de Macron chez les Rothschild était les fusions-acquisitions. C’est ce qu’il a précisément fait avec LaREM en attrapant des gens de partout et en les fusionnant selon les hauts degrés du capitalisme. C’est surtout un haut fonctionnaire de la finance. Je le trouve cependant très humain et courtois.
Lorsque ma femme s’est fait agresser et voler son sac à main, en mai 2019, M. Macron, qui était pourtant en Égypte, a rapidement pris de ses nouvelles et s’est inquiété de son état via son directeur de cabinet, Patrick Strzoda, qui a téléphoné à mon cabinet. C’est un beau geste que je me dois de mentionner d’autant que, lorsque mon appartement a été soufflé dans une explosion en présence de mes trois filles en bas âge, en 1976, je n’ai reçu aucun coup de téléphone de l’exécutif de l’époque...
Votre devise ?
Sic transit gloria mundi, ainsi passe la gloire du monde.
Des projets ?
L’Institut Jean-Marie Le Pen ! Ce sera bientôt, la mise en ligne progressive, à travers un portail numérique, de toutes les archives politiques nationales du Jean-Marie Le Pen. L’Institut JMLP veut construire l’avenir par le passé ! C’est la seule manière d’être éternel quand on n’est pas académicien de l’Académie française !
Publié le
Recueilli par Nabila Laïb
https://vsd.fr/actualite/25699-jean-marie-le-pen
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