Mon Algérie, par Arnaud Montebourg : « Mon grand-père s’appelait Khermiche Ould Cadi »
L’ancien ministre de l’Economie de François Hollande raconte à « l’Obs » l’arrestation de son grand-père, qui « jurait en arabe et portait un béret ».
A l’approche du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, une semaine après la remise du rapport Stora, « l’Obs » publie une trentaine de témoignages de personnalités dont l’histoire s’entremêle avec celle du pays. L’album complet « Nos mémoires d’Algérie », en kiosques le 28 janvier, est à consulter ici. Lisez les souvenirs de Faïza Guène, Alice Zeniter, Magyd Cherfi. Ou d’Arnaud Montebourg, qui raconte l’arrivée de parachutistes dans la ferme de son grand-père, où des armes avaient été cachées par le Front de libération nationale.
« L’Algérie est le pays de ma mère Leïla, née à Oran en 1939, et de mon grand-père maternel qui a vu le jour en 1907 à Dombasle, non loin de Mascara. Il s’appelait Khermiche Ould Cadi. Il s’est éteint en 1994 à l’âge de 87 ans. Algérien, arabe, il s’était enrôlé dans l’armée française. Il avait été sous-officier d’active, sergent-major dans un régiment, fait prisonnier pendant la débâcle de 1940, à Chaource. Il avait épousé une Française qui s’appelait Jeanne, une blonde de Normandie.
Mon grand-père venait d’une grande famille de bachaghas [hauts dignitaires sous les Ottomans, NDLR]. La caïda Halima était sa tante par alliance, l’agha de Frenda, Ahmed Ould Cadi, son arrière-grand-père. Les traités d’instruction militaire sur la colonisation française en Algérie évoquent les Ould Cadi comme de valeureux guerriers dont les ancêtres avaient soutenu au XIXe siècle la colonisation. Grand et bel homme sec, à la peau mate, il jurait en arabe et portait un béret. Il aimait passionnément à la fois l’Algérie et la France. Cet homme a ébloui mon enfance.
Lorsque éclata la guerre d’Algérie, en 1954, la famille Ould Cadi s’enrôla dans l’Armée de Libération nationale (ALN). L’histoire familiale raconte l’arrivée des parachutistes dans la ferme de mon grand-père, où des armes avaient été cachées par le FLN, puis son arrestation. Il ne dut sa liberté qu’à son statut d’ancien militaire, au prestige de la famille Ould Cadi, à la Légion d’honneur portée haut par ses oncles bachaghas venus le faire délivrer, et à son épouse postière du village, normande, ma grand-mère. Ma famille s’est engagée dans les combats de la décolonisation.
On peut faire dialoguer les mémoires
Je suis toujours resté attaché à mes racines lointaines. Et fidèle à ma famille algérienne, que composent les cousins de mon grand-père. Aujourd’hui, j’ai accepté la charge de présider l’Association France-Algérie, créée et présidée par Edmond Michelet, ancien ministre du général de Gaulle, puis par Bernard Stasi, Pierre Joxe et juste avant moi Jean-Pierre Chevènement, tous liés à l’Algérie eux aussi. Cette association avait été inspirée par la grande ethnologue Germaine Tillion dans le but de réconcilier et unir les deux peuples français et algérien qui ont 132 années d’histoire commune.
Malheureusement, les espoirs nés de la fin de la guerre d’Algérie se sont effacés des deux côtés de la Méditerranée, provoquant beaucoup de rancœurs. Côté français, les accords d’Evian étaient fondés sur le maintien des populations européennes et sur une coopération entre les deux pays. La réalité politique en a décidé autrement. En Algérie, la confiance enthousiaste dans la naissance d’une nouvelle nation libre, démocratique, au développement exemplaire, est retombée. Dans nos deux pays, des minorités agissantes exploitent ces rancœurs : l’extrême droite et les nostalgiques de l’Algérie française ici ; les islamistes sur l’autre rive qui souhaitent creuser le fossé avec la France. On ne sortira de cette situation qu’en dessinant un horizon d’avenir : celui de deux pays liés par une histoire tragique, mais capables de travailler ensemble.
Réconcilier les mémoires est une ambition immense. Il faut passer de la mémoire à l’histoire. C’est la tâche des historiens d’établir les faits, d’explorer les archives, sans rien cacher des crimes commis quels qu’en soient les auteurs. Benjamin Stora y a consacré une vie de recherche. S’agissant du colonialisme, l’histoire a rendu un verdict implacable. Les mémoires, elles, demeureront multiples : celle des colonisateurs et celle des colonisés. Et comme la guerre d’Algérie fut aussi une guerre civile, les mémoires nationales resteront divisées : moudjahids, harkis, pieds-noirs, Français ayant combattu pour l’indépendance algérienne. On peut faire dialoguer ces mémoires. L’engagement des Français en faveur de la liberté du peuple algérien doit être mieux connu. Songeons au général de Bollardière qui refusa la torture, aux intellectuels, à François Mauriac, Raymond Aron, Jean Daniel, Jean Lacouture, Gisèle Halimi qui nous a quittés récemment, Mgr Teissier. Leur courage doit nous inspirer. Ces mémoires multiples, on ne pourra pas les faire coexister par la perpétuelle exaltation mémorielle. On réussira en menant à bien des projets en commun, dans le domaine économique, culturel, social. La confiance se noue dans le travail en commun. »
Arnaud Montebourg, né en 1962 dans la Nièvre, a été député socialiste pendant quinze ans et ministre de l’Economie sous François Hollande. Il s’est lancé depuis 2018 dans la production de miel et d’amandes avec la marque Bleu Blanc Ruche.1827 Exaspéré que Paris ne règle pas une dette de près de trente ans pour une livraison de blé, le dey d’Alger donne un coup de chasse-mouches au consul de France. Le roi Charles X utilise le prétexte pour engager un bras de fer avec « la régence d’Alger », dépendant de l’Empire ottoman depuis le XVIe siècle, et ordonner le blocus des côtes d’Algérie.
1830 Débarquement de 30 000 soldats français sur la presqu’île de Sidi-Ferruch et prise d’Alger.
1844 Les troupes françaises, placées sous les ordres des généraux Cavaignac puis Bugeaud, commencent à pratiquer les « enfumades », consistant à allumer des feux à l’entrée de grottes pour asphyxier les tribus rebelles qui y sont réfugiées.
1847 Reddition de l’émir Abd el-Kader, le chef militaire et religieux qui avait lancé la résistance contre les occupants français.
1848 La partie nord du territoire algérien est divisée en trois départements français, d’Alger, d’Oran et de Constantine.
1863 Deux sénatus-consultes de Napoléon III prévoient la protection de la propriété des tribus (1863) puis la naturalisation des indigènes musulmans et juifs (1865). Le barrage des colons face aux deux mesures, le peu d’enthousiasme des indigènes pour la seconde les rendent inappliqués.
1870 Adolphe Crémieux, ministre de la Justice du gouvernement de défense nationale français, signe un décret octroyant automatiquement la nationalité française à tous les juifs d’Algérie.
1871 Révolte de Kabylie, la plus grande insurrection avant la guerre d’indépendance. Plus de 250 tribus, menées par le cheikh El Mokrani, se soulèvent contre les Français. Elle est écrasée par une répression féroce et se conclut par une confiscation de terres massive.
1881 Adoption du « code de l’indigénat », qui soumet les musulmans à un régime pénal d’exception.
1889 Loi de naturalisation massive de tous les colons d’origine européenne (majoritairement espagnols, italiens et maltais).
1898 Point d’orgue de la haine antisémite des Européens. En mai, les législatives donnent quatre des six sièges de la colonie à des députés « antijuifs » dont Edouard Drumont, auteur de « la France juive » et leader antidreyfusard. En juin, émeutes sanglantes contre les juifs à Alger (après celles de 1896 dans la même ville, et celles d’Oran en 1897). En novembre, élection à la mairie de l’agitateur antisémite Max Régis (révoqué deux mois plus tard en raison de sa violence).
1902 Création des Territoires du Sud, administrant l’immense partie du Sahara conquise par la France.
1914-1918 La Première Guerre mondiale fait 23 000 morts parmi les 150 000 Français d’Algérie mobilisés et 25 000 parmi les 173 000 indigènes musulmans.
1926 Fondation de l’Etoile nord-africaine. D’abord liée aux communistes, l’organisation va devenir, sous la direction de Messali Hadj, un des premiers partis prônant l’indépendance de l’Algérie.
1936 Le projet Blum-Viollette (du nom d’un ancien gouverneur d’Algérie), porté par le Front populaire, prévoit d’étendre la nationalité française à environ 20 000 musulmans. Il est violemment rejeté par les Européens.
1940 L’Algérie se range du côté de Pétain en juin. Révocation du décret Crémieux de naturalisation des juifs, en octobre.
1942 Les Alliés anglo-américains débarquent en Afrique du Nord. Alger devient en 1943 la capitale de la France libre.
1943 Ferhat Abbas publie le « Manifeste du peuple algérien » qui demande un nouveau statut pour la « nation algérienne », et réclame l’égalité pour les musulmans. Il est assigné à résidence par le général de Gaulle.
1945 Une manifestation indépendantiste à Sétif dégénère le 8 mai. Une centaine d’Européens sont tués. Les autorités françaises déclenchent une répression qui, à Sétif et Guelma, fait des milliers de victimes musulmanes.
1954 Le FLN, nouvellement créé, déclenche une série d’attentats sur le territoire algérien dans la nuit du 1er novembre. La « Toussaint rouge » marque le début de la guerre d’Algérie.
1956 Le gouvernement du président du Conseil socialiste Guy Mollet fait voter les « pouvoirs spéciaux » pour le « rétablissement de l’ordre » en Algérie.
1957 La « bataille d’Alger » est marquée par les attentats du FLN et l’utilisation massive de la torture par l’armée française.
1958 Retour au pouvoir du général de Gaulle en mai. Depuis le balcon du gouvernement général, à Alger, il lance son célèbre « je vous ai compris » en juin.
1959 De Gaulle propose l’autodétermination aux populations d’Algérie.
1960 Les partisans de l’Algérie française organisent à Alger la « semaine des barricades ».
1961 Putsch avorté des généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller.
1962 Signature des accords d’Evian et du cessez-le-feu les 18 et 19 mars. L’Algérie est officiellement indépendante le 5 juillet. A Oran, des enlèvements et massacres de colons déclenchent, durant tout l’été, l’exode massif des pieds-noirs.
1967 Conformément aux accords d’Evian, l’armée française évacue les diverses bases du Sahara (In Ecker, Reggane) dans lesquelles elle procédait à des essais nucléaires.
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