Pas de discours de « repentance », ni d’excuses officielles. Mais des gestes symboliques, une commission « Mémoire et vérité » chargée d’orchestrer les actes de réconciliation (qui sera présidée par l’historien et auteur du rapport Benjamin Stora, selon l’Elysée) et un traité d’amitié « plus que jamais d’actualité » entre la France et l’Algérie. Commandé en juillet 2020 par l’Elysée, maintes fois reporté et très attendu des deux côtés de la Méditerranée, le rapport sur « les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie » est rendu mercredi 20 janvier à 17 heures à Emmanuel Macron. En voici les principales préconisations.
1. Reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel
Ali Boumendjel, avocat pacifiste et militant du FLN (Front de libération nationale), était un ami de René Capitant, résistant, ministre notamment dans le gouvernement provisoire et un compagnon du général de Gaulle. Il a été tué en mars 1957, pendant la bataille d’Alger, au centre de détention et de torture d’El-Biar, sur ordre du général Aussaresses. Ce dernier l’a avoué dans son livre « Services spéciaux, Algérie 1955-1957 », paru en 2001. La thèse officielle a longtemps été qu’il s’était suicidé pendant sa détention. Le rapport préconise que l’Etat français reconnaisse sa responsabilité dans cette mort, comme cela a été fait en septembre 2018 pour le mathématicien et militant communiste Maurice Audin. Cela « marquerait un pas supplémentaire dans le fait de regarder en face ce passé colonial », précise le rapport.
2. Plus grande circulation des archives
Le rapport suggère de réactiver le groupe de travail conjoint entre la France et l’Algérie sur la question épineuse des archives : constitué en 2013, il ne s’est pas réuni depuis quatre ans. L’objectif est de faire le point sur l’inventaire des archives de « souveraineté » (armée, présidence de la République…), emportées par la France au moment de l’indépendance, et celles de « gestion » (hôpitaux, écoles, Etat civil…), laissées en Algérie. Des restitutions à l’Algérie pourraient être étudiées, au cas par cas, par fonds, par séries et sous-séries. Un fonds commun d’archives, librement consultable par les chercheurs des deux rives, pourrait être mis en place. Enfin, il faudrait étendre, indique le rapport, « le procédé de déclassification “au carton” [d’archives, NDLR] à toute la période de la guerre d’Algérie (1954-1962) » et « revenir dans les plus brefs délais à la pratique consistant en une déclassification des documents “secrets” déjà archivés antérieurs à 1970 ».
3. Davantage de place accordée à la période coloniale dans les programmes scolaires
« Il reste encore beaucoup à faire […] au niveau de l’éducation nationale. » Même si les programmes scolaires ont commencé ce travail et qu’ils ne traitent plus de la guerre sans parler de la colonisation, il faut renforcer les connaissances et former davantage de professeurs d’histoire sur cette période. Le nombre de postes d’enseignants à l’université devrait également être augmenté : « Il n’est pas normal qu’une poignée seulement d’universitaires enseignent l’histoire du Maghreb contemporain, alors qu’une grande partie des enfants de l’immigration en sont originaires. »
4. Gisèle Halimi au Panthéon
Gisèle Halimi, avocate et « grande figure féminine d’opposition à la guerre d’Algérie », décédée en juillet 2020, a sa place au Panthéon, estime le rapport. Pendant la guerre, elle a défendu des militants du Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, ainsi que Djamila Boupacha, militante du FLN accusée d’avoir déposé une bombe dans un bar d’Alger qui avait été torturée et violée par des soldats français pendant sa détention. Selon l’Elysée, Emmanuel Macron est « en phase de réflexion sur ce sujet ». Il a été d’ores et déjà « acté » avec la famille de Gisèle Halimi la tenue au printemps d’une cérémonie d’hommage aux Invalides.
5. Restitution du canon Baba Merzoug
Saisi par les soldats du roi Charles X dès les premiers jours de la chute d’Alger en juillet 1830, au début de la conquête, le canon Baba Merzoug, appelé aussi « la Consulaire », a été expédié comme trophée de guerre à Brest, pour y être installé dans l’arsenal militaire. « Une commission franco-algérienne d’historiens » pourrait se charger d’en établir l’historique et « formuler des propositions partagées […], respectueuses de la charge mémorielle qu’il porte des deux côtés de la Méditerranée ».
6. Accélération des commémorations
De nouvelles dates de commémoration, comme celle du 19 mars 1962 (jour de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, au lendemain des accords d’Evian), pourraient être mises en place : le 25 septembre, journée d’hommage aux harkis et aux autres membres de formations supplétives dans la guerre d’Algérie ; le 17 octobre, pour célébrer la mémoire des Algériens morts pendant la manifestation de 1961, à l’appel du FLN, qui protestaient contre l’instauration d’un couvre-feu réservé aux seuls immigrés d’Algérie. L’Elysée a donné son feu vert à ces deux dates. Emmanuel Macron assistera cette année à la cérémonie de leur commémoration, ainsi qu’à celle du 19 mars 1962, accord de cessez-le-feu.
7. Transformation des camps d’internement en lieux de mémoire
A partir de 1957, des milliers d’Algériens ont été emprisonnés dans quatre camps d’internement en métropole : au Larzac dans l’Aveyron − le plus important −, à Saint-Maurice-l’Ardoise dans le Gard, à Thol dans l’Ain et à Vadenay dans la Marne. Il s’agirait de les transformer en lieux de mémoire. « Celui de Saint-Maurice-l’Ardoise a la particularité d’avoir vu s’y succéder pendant la guerre des suspects algériens […] puis des harkis rapatriés et leurs familles. Des plaques, apposées à proximité de chacun de ces camps, pourraient rappeler leur histoire. »
8. Facilitation des déplacements des harkis entre les deux rives
Le rapport propose que les harkis et leurs enfants (80 000 familles se sont installées en métropole au lendemain de l’indépendance) puissent circuler librement entre la France et l’Algérie, ce qui suppose un feu vert des autorités algériennes.
9. Une stèle pour l’émir Abd el-Kader
L’émir Abd el-Kader, père du nationalisme algérien, héros de la résistance à la conquête coloniale, a été emprisonné au château d’Amboise après sa reddition, entre 1848 et 1852. Une stèle gravée de son portrait pourrait être « l’occasion d’expliquer son action, après sa captivité, en faveur des chrétiens d’Orient réfugiés à Damas en 1860 ». Les corps des membres de sa famille, enterrés au château d’Amboise, pourraient également être rapatriés en Algérie.
10. Un « guide des disparus »
La guerre d’indépendance a fait des milliers de « disparus » algériens (3 000 au cours de la seule bataille d’Alger en 1957, selon Paul Teitgen, alors secrétaire général de la police de la ville) et des centaines d’Européens au moment de l’indépendance à Oran. Un groupe de travail, créé après la visite de François Hollande à Alger en 2012 pour permettre la localisation des sépultures des disparus, pourrait publier un « guide des disparus » français et algériens.
11. Liste des emplacements des déchets des essais nucléaires
La France a réalisé 17 essais nucléaires au Sahara entre 1960 et 1966. Comme prévu dans les accords d’Evian, les sites ont été rendus aux autorités algériennes en 1967, après le démontage des installations techniques et l’obturation des galeries. Plusieurs associations demandent à la France de remettre à l’Algérie la liste des emplacements où sont enfouis les déchets contaminés et de faciliter le nettoyage des sites. Un travail conjoint entre les deux rives a déjà commencé. Le rapport suggère que le groupe se penche aussi sur les lieux des essais nucléaires, ainsi que sur les emplacements des mines posées aux frontières tunisienne et marocaine pendant la guerre d’indépendance et responsables de milliers de morts et de blessés parmi les Algériens.
12. Eclaircissements sur les assassinats d’Européens à Oran
Le rapport suggère la mise en place d’une commission mixte d’historiens français et algériens pour faire la lumière sur les enlèvements et assassinats d’Européens à Oran le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance, et « pour entendre la parole des témoins de cette tragédie ».
13. Entretien des cimetières européens et juifs
Un arrêté du Quai d’Orsay de décembre 2004 listait les cimetières dégradés et suggérait de regrouper les sépultures dans des sites désignés. Il n’a jamais été appliqué. Les cimetières européens et juifs en Algérie doivent être préservés (travaux, entretien, réhabilitation des tombes). Il faudrait aussi financer l’entretien des tombes des soldats algériens musulmans « morts pour la France » entre 1954 et 1962 et enterrés en Algérie. « Ces tombes ne reçoivent aucun soin spécifique de la part de l’Etat français, puisqu’elles n’ont pas été regroupées au cimetière du Petit-Lac avec celles des autres militaires français. Avec l’accord des familles, un recensement de ces tombes et une aide pour leur entretien pourraient être proposés. »
14. Amélioration de la coopération universitaire
La coopération universitaire pourrait être améliorée avec la création d’un visa de chercheur multientrées de neuf mois, la mise en place d’aides matérielle (chambre universitaire) et financière (octroi de la même bourse d’études que pour les étudiants français inscrits en thèse). La France proposerait ainsi « de donner chaque année à dix chercheurs, inscrits en thèse sur l’histoire de l’Algérie coloniale et la guerre d’indépendance dans un établissement universitaire algérien, d’effectuer des recherches dans les fonds d’archives en France ». Parallèlement, « des étudiants français, dans un nombre qui reste à discuter avec les autorités algériennes, devraient pouvoir bénéficier d’un visa à entrées multiples et d’un accès facilité aux archives algériennes concernant la même période ».
15. Etude des restes humains des combattants algériens
Il conviendrait de poursuivre les travaux du comité d’experts scientifiques algériens et français chargé d’étudier les restes humains de combattants algériens du XIXe siècle conservés au Muséum national d’Histoire naturelle.
16. Identification des sépultures des condamnés à morts exécutés
Il faudrait identifier les emplacements où ont été inhumés les corps des condamnés à mort exécutés pendant la guerre d’indépendance. « A la fin des années 1960, dans un mouvement symétrique à celui qu’effectuait alors l’Etat français, l’Etat algérien a demandé à récupérer les corps des Algériens morts en France pendant la guerre. Or, les démarches entreprises sont inabouties. »
17. Lancement d’une collection éditoriale « franco-algérienne »
Une collection « franco-algérienne » pourrait être créée dans une grande maison d’édition pour favoriser la diffusion des travaux des historiens, « afin de poser des bases communes aux mémoires particulières, de définir un cadre acceptable par tous, des deux côtés de la Méditerranée ». Un fonds permettant la traduction, du français vers l’arabe et de l’arabe vers le français (ainsi que du berbère), d’œuvres littéraires et à caractère historique pourrait également être envisagé.
18. Mise en place d’un « Office franco-algérien de la Jeunesse »
Un « Office franco-algérien de la Jeunesse » pourrait être créé afin d’impulser des œuvres de jeunes créateurs (œuvres d’animation, courts-métrages de fiction, création de plate-forme numérique pour le son et l’image…).
19. Réactivation du projet de Musée de l’histoire de la France et de l’Algérie
Le projet de Musée de l’Histoire de la France et de l’Algérie, prévu à Montpellier et abandonné en 2014, devrait être à nouveau étudié.
20. Grands événements
Une série de grands événements pourrait être lancée en 2021, à l’approche des 60 ans de l’indépendance de l’Algérie : un colloque international dédié au refus de la guerre d’Algérie par des personnalités comme François Mauriac, Raymond Aron, Jean-Paul Sartre, André Mandouze, Paul Ricœur. Ainsi qu’une exposition au Musée national de l’Histoire de l’Immigration sur les indépendances africaines.
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