Bernard Janicot est arrivé en Algérie en 1969 un peu par hasard. Il ne quittera plus ce pays qu’il adoptera autant qu’il y sera adopté. Il raconte cette vie en Algérie dans son ouvrage récemment paru : Chrétiens en Algérie. Un grand signe de fraternité.
Ordonné prêtre du diocèse d’Oran, il évoque ses amitiés algériennes, son travail dans une bibliothèque au service des étudiants, à Oran, l’islam et le dialogue islamo-chrétien, les événements heureux ou douloureux vécus au cours de ces longues années. Sa vie est nourrie de nombreuses rencontres aux différentes périodes traversées par l’Algérie, de l’après-indépendance marquée par l’arrivée de nombreux coopérants venant participer au démarrage du pays après la guerre d’indépendance à l’Algérie d’aujourd’hui en passant par la décennie noire.
«Cédant à d’amicales pressions», écrit le journal La Croix qui évoque le livre, Bernard Janicot raconte son demi-siècle en Algérie : «Il le fait en évoquant de nombreux visages de cette ‘‘Eglise du signe’’, disait Jean-Paul II. Du cardinal Duval à l’actuel évêque d’Oran, Mgr Jean-Paul Vesco, sans oublier la place centrale de Mgr Henri Teissier, archevêque d’Algérie décédé le 1er décembre dernier, il raconte simplement les liens tissés notamment avec les bienheureux, mais aussi avec les petites sœurs dans le désert ou ses paroissiens.»
Pour ce qui a été marquant, les années noires de la violence terroriste sont les plus douloureuses en même temps qu’un moment spirituel fort. D’abord parce que la présence chrétienne se posait avec acuité.
Mais face à une population algérienne souffrant de la barbarie, comment une poignée de catholiques auraient abandonné le navire en pleine crise abandonnant leurs amis ? Ce fut une décennie terrible : «Il fallait bien continuer à vivre, le plus “normalement” possible. (…) Demeurer pour donner une chance à cette Église de passer l’épreuve m’apparaissait comme une évidence, pas toujours aisée au quotidien».
«La solitude se faisait surtout sentir dans les longues soirées, et d’une façon encore plus palpable les jours où nous apprenions des massacres collectifs ou des morts de proches.»
Pour Bernard Janicot lorsqu’il parle des catholiques assassinés, il considère que «ces martyrs étaient des hommes et des femmes ordinaires plongés bien malgré eux dans une situation extraordinaire de violence, dans laquelle ils ont choisi de rester, en pleine connaissance des risques encourus».
Bernard Janicot, relève La Croix, reste modestement discret sur sa propre fidélité au pays endeuillé en cette période difficile. Il est vrai que «la mort des moines de Tibhirine, des religieuses et religieux, de Mgr Pierre Claverie s’inscrit dans un long cortège de douleur, aux côtés de quelque 200 000 victimes dont 114 imams».
Le fait que ce sacrifice ait abouti à la béatification des 19 martyrs transcende la modeste place de la petite église d’Algérie, vivant dans ce pays une présence d’amitié et de témoignage. L’auteur parle de ses années au milieu d’un peuple musulman : «Pendant ces cinq décennies, j’ai vu et j’ai participé à ma mesure, à la vie de cette église d’Algérie. Une église de la rencontre, qui n’a de sens que si elle est, dans le même mouvement, une église de la prière, de la rencontre avec son Seigneur. Alors, oui, j’ai prié avec cette église. »
Son histoire est pourtant née loin d’Algérie et d’Oran. La Croix résume ce parcours : «En 1969, le jeune séminariste originaire de Garges-lès-Gonesse débarque en Algérie comme coopérant. Accueilli pour enseigner le français dans l’école Saint-Augustin à Aïn-El-Turck, tenue par les Salésiens non loin d’Oran, Bernard Janicot découvre aussi l’église d’Algérie, et naît le désir de rester.»
Il s’en explique lui-même : « Pourquoi ? Pour tenter de vivre dans la durée l’intuition découverte et mûrie durant les trois années à Oran : une relation de confiance, une fraternité, une amitié est possible entre chrétiens et musulmans, en Algérie ».
« J’interroge sans nul doute un peu la foi de l’autre. Ma foi se trouve-elle aussi interrogée par la foi de l’autre. Le Dieu auquel je crois a quelque chose à voir avec le “Dieu unique et tout-puissant” auquel se réfère l’imam de la mosquée voisine, en face de mes fenêtres, quand il appelle à la prière.»
Directeur durant toutes ces années du Centre de documentation économique et sociale (CDES) du diocèse, pour Bernard Janicot, «une chose est sûre : quelque chose se passe là, sous mes yeux, qui est de l’ordre du respect, de l’amitié».
AU PIED DU MUR. Il arrive qu’un mot empêche jusqu’à la possibilité de penser : « repentance » est de ceux-là. Personne ne s’en réclame mais on se plaît partout à la condamner. La main sur le cœur, avec ça. L’extrême droite en a fait sa passion et la droite son passe-temps – et voilà qu’une frange de la gauche rêve d’occuper ses journées avec la droite depuis qu’elle ne sait plus ce qu’est la gauche.
Personne n’appelle au « repentir », sinon Jean-Baptiste dans le désert de Judée. Personne n’appelle à la « contrition », sinon Thomas d’Aquin dans les pages de sa Somme.
Alors si tout le monde parle de ce dont personne ne parle, c’est qu’il doit y avoir quelque intérêt à cela. On ne construit pas en vain un mot comme une menace. Jean Castex, ancien élu UMP et actuel Premier ministre, nous a récemment éclairés à heure de grande écoute : « Nous devrions nous autoflageller, regretter la colonisation, je ne sais quoi encore ! » L’épure n’est pas sans mérites ; elle balaie jusqu’aux dernières ombres : quiconque enjoint à lutter contre la « repentance » appelle donc à promouvoir l’Empire – c’est-à-dire l’accumulation du capital.
Tandis que les pourfendeurs de la « repentance » célèbrent l’exploitation des matières premières et des travailleurs, les dirigeants des États français et algérien mènent, une fois l’an, leur valse diplomatique. Certes, on se marche sur les pieds en public : les uns s’en veulent un peu, mais pas trop, et puis ça dépend des jours ; les autres notent l’effort, léger tout de même, un pas de plus ne serait pas des moindres. Au grand jour, les oligarques en cravate et les oligarques en képi confisquent les mémoires ; en coulisses, la France était, en 2019, le « premier client » de l’Algérie et son « deuxième fournisseur » en termes d’échanges commerciaux.
Les États sont des monstres, on le sait. Les intérêts ne savent pas les regrets – sauf si cela sert de nouveaux intérêts. Macron présentant ses excuses à Tebboune ? Hollande à Bouteflika ? Le grotesque autorise le sourire. Que les États trompent le monde, c’est bien normal : ils ont été conçus pour ça. Que nous leur prêtions l’oreille, c’est là matière à étonnement. La mémoire n’est que celle du peuple, des peuples – et plus encore de la classe, majoritaire, qui n’a pour vivre que ses seuls bras. Si l’on croit que la mémoire se double d’un devoir, c’est celui d’escorter le présent : non comme un fantôme mais une armure. L’État français a écrasé la révolte populaire de 2018 et l’État algérien maté la sienne quelques mois plus tard : on a connu meilleurs arbitres de l’Histoire. Lorsque gilets jaunes et partisans du hirak se croisèrent, on entendit « Même combat ! » dans les rues.
Que l’Empire ait mandaté le marquis de Galliffet pour « pacifier » l’Algérie puis l’ait mobilisé pour « pacifier » la Commune de Paris ne doit rien au hasard. L’Empire est l’enfant sanguinaire des détenteurs du capital ; ne confions pas aux représentants de ce dernier la charge des blessures et des oublis. Le peuple algérien a vaincu le colonialisme : la défaite de l’État français fut la promesse d’une humanité possible. En se libérant, un peuple en libère toujours deux. Cette promesse inachevée dessine une mémoire de part et d’autre de la mer – une mémoire par en bas.
Peut-être faut-il alors s’approcher : au cœur des peuples, les conteurs lui donnent leurs mots. S’approcher pour mieux voir.
La mémoire a mille mains. Les conteurs, les écrivains et les poètes se joignent à celles des cafés, des foyers, des fabriques et des rues qui, toutes, loin des stèles et des défilés, fouillent la matière nationale, taillent, découpent, façonnent, gravent, composent et recomposent les déshonneurs et les hardiesses, les bourbiers et les soleils. Dans le dos des possédants, les peuples se regardent droit dans les yeux.
Et, maintenant, voyez Kateb Yacine.
Il est âgé de seize ans. Nous sommes en 1945, le 8 mai précisément. Sous ses yeux, à proximité de la grande place du marché, les Européens fêtent la victoire contre le nazisme. Les Algériens aimeraient, eux aussi, fêter la victoire contre le colonialisme. Alors les Algériens défient les ordres du sous-préfet et les voilà qui marchent, agitent dans l’air leur drapeau national, criant à qui veut bien le croire que l’Algérie, bientôt, sera libre, indépendante. Les scouts musulmans entonnent le chant patriotique Min Djabilina. Comprendre : de nos montagnes. Kateb Yacine est là, quelque part. Voyez-le emporté par la foule qui enfle. Se souvenant de cet instant, il écrira plus tard, dans Nedjma : « Le peuple était partout, à tel point qu’il devenait invisible, mêlé aux arbres, à la poussière, et son seul mugissement flottait jusqu’à moi ; pour la première fois ; je me rendais compte que le peuple peut faire peur. » La répression commence : « Les automitrailleuses, les automitrailleuses, les automitrailleuses, y en a qui tombent et d’autres qui courent parmi les arbres, y a pas de montagne, pas de stratégie, on aurait pu couper les fils téléphoniques, mais ils ont la radio et des armes américaines toutes neuves. Les gendarmes ont sorti leur side-car, je ne vois plus personne autour de moi ». Puis ce n’est plus la foule mais l’armée qui, cette fois, emporte Kateb Yacine et le fait prisonnier, trois mois durant. Puis, « sorti de prison, écrira-t-il encore, j’étais tout à fait convaincu qu’il fallait faire quelque chose : et pas une petite chose : tout faire ». Cette grande chose n’est autre que la composition lente – le temps d’une vie –, douloureuse et vive à la fois, d’un mausolée littéraire. Les mots s’offrent aux générations futures : le verbe katébien va sculptant la mémoire. Une mémoire formée sur du papier blanc : c’est sa fragilité ; c’est sa force. Du vivant du poète, le pouvoir algérien n’en fera rien. Voyez Kateb Yacine appeler les écrivains à se saisir de l’Histoire : « Si les gens commencent à parler, c’est extraordinaire, ça devient un torrent. Ces expériences nouvelles, il faut les étendre, il faut les maîtriser. Elles nous offrent des moyens énormes ». La mort du poète advenue, le pouvoir algérien essaiera d’en faire quelque chose – ceci en vain.
Et, maintenant, voyez Assia Djebar.
Elle est âgée de vingt ans. Un jour de mai de l’année 1956, l’étudiante décide de se lever et d’entrer en grève à l’appel de l’Union générale des étudiants musulmans algériens. Elle est exclue. Ce temps dont soudain elle dispose est consacré à l’écriture de son premier roman, La Soif. L’intensification de la guerre d’indépendance et le militantisme de son époux vont contraindre Assia Djebar à se rendre en Tunisie, à quelques kilomètres de la frontière algérienne. Là, elle travaille pour le journal du FLN ; là, elle rencontre des femmes, les questionne sur cette expérience d’être une femme dans la guerre. Ces années sont menaçantes, incertaines. Assia Djebar distingue pourtant un horizon : « Dire à mon tour, transmettre ce qui a été dit puis écrit. Propos d’il y a plus d’un siècle comme ceux que nous échangeons aujourd’hui, nous, femmes de la tribu. » Elle songe à adjoindre à l’écriture l’image et le son : La Nouba des femmes du mont Chenoua investiguera la mémoire profonde des femmes et cherchera, plan après plan, à « ressusciter les voix invisibles ». Cette lutte pour que jamais les femmes algériennes ne soient oubliées, que jamais leurs contributions à l’histoire du pays ne soient niées, l’écrivaine n’aura de cesse de l’inscrire dans le domaine d’une mémoire privée à valeur publique et collective. « Écrire, c’est tenter désormais de fixer, de rêver, de maintenir un ciel de mémoire. » Voyez ce labyrinthe littéraire patiemment bâti par ses soins : poussez la porte d’une autre histoire, tissée « comme si toute parole de femme ne pouvait commencer que dans le flux verbal d’une précédente femme ».
Et, maintenant, voyez François Maspero.
Il est âgé de vingt-deux ans. La guerre – toujours elle – éclate mais ne dit pas encore son nom. Son père a disparu à Buchenwald ; sa mère a survécu à Ravensbrück ; son frère est tombé les armes à la main contre l’occupant. Il lui faut, avouera-t-il, « être à la hauteur ». Peut-être le jeune homme affronte-t-il ses morts en donnant la vie : les livres ont la chair plus coriace que l’espèce qui les lit. Ceux des autres, d’abord, puis les siens, un jour. Il devient libraire à Paris, reçoit Césaire et, contre le « silence de mort » qui entoure l’Empire, fonde sa propre maison d’édition : il publie Frantz Fanon préfacé par Jean-Paul Sartre, Le Droit à l’insoumission et Vérités pour du réseau Jeanson ; cosigne le « Manifeste des 121 » (« La cause du peuple algérien […] est la cause de tous les hommes libres ») ; rend compte du massacre du 17 octobre 1961 dans les pages de Ratonnades à Paris ; passe par la Suisse et l’Italie afin de diffuser certains des textes dont il a la charge. Voyez comme on s’abat sur lui : censure gaulliste, assauts fascistes (une dizaine de saisies, plusieurs attaques armées). Celui que la presse décrit alors comme « l’homme le plus plastiqué de France » racontera en 2009 : « [J]’avais besoin, mes lecteurs avaient besoin, de livres qui rendent compte de ce qui se passait dans le monde. À commencer par la guerre que la France menait en Algérie, au prix de centaines de milliers de morts, de zones interdites, de camps de regroupement et de tortures. Alors, ce genre de livres, je les ai publiés. Certains ont été interdits, j’ai été poursuivi, etc. J’avais besoin aussi, nous avions besoin, c’est vrai, de maintenir "l’espoir d’un autre monde". »
Voyez-les tous les trois – et tant d’autres avec eux. Voyez-les refondre les rives au nez et à la barbe des États.
La mémoire a mille mains. Les conteurs, les écrivains et les poètes se joignent à celles des cafés, des foyers, des fabriques et des rues qui, toutes, loin des stèles et des défilés, fouillent la matière nationale, taillent, découpent, façonnent, gravent, composent et recomposent les déshonneurs et les hardiesses, les bourbiers et les soleils. Dans le dos des possédants, les peuples se regardent droit dans les yeux.
"Si la France et l’actuel président de la République (Emmanuel Macron) excluent toute reconnaissance des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis au cours des 130 ans de colonisation de l’Algérie, c’est aussi parce que le rapport rendu par le conseiller-historien Benjamin Stora, tranche en ce sens", a indiqué M. Le Cour Grandmaison dans un entretien accordé mardi à l’APS.
Il réagit à l’attitude de la France officielle qui a exclu toute forme de repentance ou d’excuses suite au rapport sur la colonisation, remis mercredi dernier par Benjamin Stora au président français.
Pour M. Le Cour Grandmaison, "de ce point de vue, la responsabilité de Stora est complète puisqu’il fournit ainsi à Emmanuel Macron, comme à tous ceux qui refusent de s’engager dans cette voie indispensable à la manifestation de la justice, de l’égalité et de la vérité, de nombreux arguments pour justifier une fois encore cette dérobade historiquement et politiquement indigne".
"Elle s’inscrit dans la continuité de la politique française en cette matière et le programme +commémoriel+ élaboré par Benjamin Stora ne change rien à l’affaire", a-t-il ajouté, relevant "quelques modestes avancées bien faites pour tenter d’occulter la persistance de ce refus et donner du grain à moudre au président français qui sera bientôt en campagne électorale".
Il a fait observer que "contrairement à de nombreux pays qui ont reconnu les crimes commis au cours de leur histoire coloniale, comme l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Belgique, notamment, sans oublier les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et le Canada qui ont, eux aussi, reconnu les torts insignes infligés aux populations autochtones, la France se signale donc par cette pusillanimité inacceptable pour les victimes comme pour leurs descendants, qu’ils soient Algériens ou Français".
Et de poursuivre : "Inacceptable, elle l’est également pour toutes celles et tous ceux qui, en France, se mobilisent depuis des décennies parfois pour faire connaître et reconnaître ces crimes longtemps niés", d’où, a-t-il ajouté, "la permanence de nombreuses discriminations mémorielles et commémorielles qui frappent les héritiers de l’immigration coloniale et post-coloniale, dont l’histoire singulière n’est pas ou peu prise en compte".
Pour cet universitaire, titulaire d'une maîtrise d'histoire et d'un DEA en sciences politiques et de philosophie, "cela vaut pour les manuels scolaires, pour l’enseignement comme pour les initiatives publiques nationales. A preuve, enfin, l’absence de musée consacré à l’histoire coloniale de l’Hexagone".
Archives classées secret-défense ou "duplicité" de la France S’agissant du volet relatif aux archives classées secret-défense, le politologue français a estimé que sur "ce point capital, puisqu’il y va de la liberté de la recherche et de droits démocratiques majeurs, le président Macron fait preuve d’une duplicité remarquable".
"D’un côté, il prétend favoriser l’ouverture des archives au plus grand nombre, de l’autre, pour satisfaire la hiérarchie militaire et son électorat le plus conservateur, Macron défend des mesures contraires à la loi du 15 juillet 2008, relative à l’accès aux archives et aux délais permettant leur communication", a encore déploré M. Le Cour Grandmaison.En ce sens, il a estimé que "ces mesures rendent impossible, très difficile en tout cas, la communication de certains documents classés +secret défense+", ce qui explique, a-t-il dit "le recours, devant le Conseil d’Etat, en date du 15 janvier 2021, de plusieurs associations importantes de chercheurs et d’enseignants sans oublier l’Association Josette et Maurice Audin".
Le gouvernement français a voulu lancer en octobre 2019 une offensive contre l’islamisme et les courants radicaux, rapidement relayée par un emballement médiatique qui a échappé à tout contrôle. Or, l’ennemi désigné n’a nullement été identifié selon des termes juridiques, pas plus que ses torts. On lui reproche sa piété rigoureuse, son voile, sa pratique du jeûne de Ramadan, sa barbe fournie, son refus de toucher les femmes, ce qui le rapproche dangereusement de n’importe quel fidèle conservateur.
L’offensive vise donc une manière de concevoir la piété musulmane, et nullement une qualification criminelle ou une atteinte à l’ordre public. C’est dire que nous sommes confrontés à un « délit de sale gueule », lequel échappe à la tradition juridique républicaine, délit qui est indiscernable, sans limite, extensible, mais politiquement pratique auprès d’une opinion chauffée à blanc par les attentats et l’immigration.
Si l’islamiste ainsi décrit ressemble évidemment au salafiste, c’est oublier un peu vite que l’écrasante majorité des salafi – ceux qui sont attachés au modèle des « anciens » (les salaf), c’est-à-dire les compagnons du Prophète – se veulent quiétistes : leur mode d’action est la prédication et l’action missionnaire (la da‘wa). Le salafiste souhaite d’abord vivre un islam épuré et intégriste – au sens d’intégral – dans le cadre de sa famille et de sa communauté.
Ce mouvement est distinct d’un engagement politique, de sorte que les salafistes sont rarement liés aux Frères musulmans, qui eux forment un mouvement politique. Si la matrice religieuse et idéologique du salafisme imprègne les mentalités djihadistes, elle ne se confond pas avec celles-ci, ni dans la pensée, ni dans les faits. La radicalisation concerne donc à des degrés différents et sous des formes incomparables les sympathisants du salafisme et les partisans du djihadisme de Daech. Les premiers ont un engagement d’abord religieux, tandis que les autres sont mus à la fois par la volonté de puissance, des facteurs politiques, sociaux et religieux.
L’autodidacte de l’islam présente plus de risques que le salafiste
L’hostilité des salafistes envers les courants djihadistes a été prouvée à de nombreuses reprises par des déclarations publiques et surtout en fournissant du renseignement de qualité auprès des services de police. Le meilleur ennemi du terroriste est souvent le salafi, et l’autodidacte de l’islam présente plus de risques que le salafiste.
En outre, le salafisme n’a pas été désavoué par les représentants du culte musulman pour la simple raison que ce courant n’est pas une idéologie : il faudrait donc lui enlever son isme final et l’appeler, selon la tradition religieuse, la salafiya ; il s’agit d’un vieux courant légitime de l’islam, qui a fourni des générations d’imams et de lettrés attachés au sens littéral du Coran et de la Sunna.
Un « écosystème » étroit mais rassurant
Il est évident que le salafisme représente une alternative culturelle et sociale au modèle français, modèle égalitaire, inclusif, ouvert (au moins en théorie). Les quelques salafi que j’ai connus – des convertis à 25 ou 30 % d’entre eux – vivaient dans un étroit triangle géographique. Parce qu’ils souhaitent faire les cinq prières à leur heure, sans les décaler, et ce dans une salle de prière, ils sont contraints de vivre et de travailler non loin d’une mosquée. Ils passent ainsi de leur habitation au lieu de travail et à la salle de prière, lesquels se situent nécessairement dans un « écosystème » étroit mais rassurant. Ils ne peuvent guère être exigeants sur le plan professionnel.
Le salafisme, qui représente au moins 40 000 individus, est socialement dangereux car il impose l’auto-ségrégation, le refus des contacts avec « ceux qui n’en sont pas ». C’est la raison pour laquelle les spécialistes des questions de sécurité se refusent à les impliquer dans la lutte contre le djihadisme. Salafistes et terroristes participeraient à une même matrice intellectuelle, celle du bien contre le mal, une sorte de vision sectaire du monde. La différence vient du rapport à la violence : assumé chez les djihadistes, rejeté chez les salafistes. Leur fondamentalisme présente l’avantage d’une certaine forme de morale : à Sartrouville les quartiers salafisés ont vu s’effondrer la toxicomanie et la délinquance, avec le soutien de la mairie.
Un trumpisme sans Donald Trump
par Jerome Karabel
Après plusieurs jours de suspense, M. Joseph (« Joe ») Biden l’a finalement emporté sur M. Donald Trump dans l’élection présidentielle américaine. Mais cette victoire en demi-teinte ne vaut pas la répudiation définitive que les démocrates avaient ardemment désirée. En fait, les élections se sont même révélées pour eux assez désastreuses. Malgré l’impressionnant magot récolté pour financer leur campagne (1,5 milliard de dollars en seulement trois mois, de juillet à septembre (1)), ils ne sont pas parvenus à reprendre le Sénat (2), ils ont perdu des sièges à la Chambre des représentants et ils n’ont pas réussi à conquérir la majorité des législatures d’État, qui détiennent un pouvoir considérable dans le système fédéral américain.
La dérangeante vérité, c’est que, sans la pandémie de Covid-19 et la catastrophe économique qui s’est ensuivie — le taux de chômage a culminé à 14,7 % en avril, un niveau jamais atteint depuis les années 1930 —, M. Trump était bien parti pour être réélu. Exposé pendant quatre ans aux innombrables mensonges du président, à ses cafouillages pendant la crise sanitaire, à ses multiples provocations, le peuple américain a répondu en lui accordant au moins 73,7 millions de voix (3), soit plus qu’à tout autre candidat républicain dans l’histoire.
En février 2020, l’économie se portait bien. Le chômage était au plus bas (3,5 %), l’inflation ne dépassait pas 2,3 % et, au dernier trimestre 2019, le produit intérieur brut (PIB) avait progressé au rythme vigoureux de 2,4 % (en glissement annuel). Ce dynamisme, associé à l’absence de guerre d’envergure — à une époque où l’isolationnisme domine dans l’opinion publique — et à l’avantage que détient tout candidat en poste, conduisait alors de nombreux politistes et économistes à prédire une victoire de M. Trump (4). Et, si la dégradation de la situation sanitaire et économique a finalement compromis ses chances, le paysage politique américain n’est pas pour autant débarrassé du trumpisme.
Le personnage conserve le soutien de dizaines de millions de partisans fervents et dévoués, mais aussi de nombreuses organisations conservatrices telles que le Club for Growth (Club pour la croissance, hostile à la fiscalité et à la redistribution) ou le Family Research Council (un groupe de chrétiens évangéliques opposé à l’avortement, au divorce, aux droits des homosexuels…), ainsi que de plusieurs médias, comme Fox News ou Breitbart News. Par ailleurs, les ingrédients qui avaient permis le succès de M. Trump en 2016 sont toujours là : l’hostilité aux immigrés dans un pays qui connaît sa transformation démographique la plus profonde depuis un siècle, l’animosité raciale, la condescendance de l’élite diplômée envers les classes populaires et le sentiment désormais répandu que la mondialisation a servi les intérêts des multinationales et des classes supérieures au détriment du plus grand nombre.
Le trumpisme s’inscrit dans une révolte « populiste » mondiale contre les élites politiques, économiques et culturelles, en particulier chez ceux dont la vie a été bouleversée par la mondialisation et la désindustrialisation. Comme l’observe John Judis, le « populisme de droite » tend à prospérer quand les partis majoritaires ignorent ou minimisent les vrais problèmes (5). Les démocrates portent donc une responsabilité écrasante dans la naissance du trumpisme et dans sa consolidation. Le soutien de M. William Clinton à l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena), entré en vigueur le 1er janvier 1994, et les pressions que l’ancien président a exercées pour faciliter l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont porté un rude coup au marché du travail américain. Selon une estimation de l’Economic Policy Institute, l’entrée de Pékin à l’OMC aurait coûté 2,4 millions d’emplois à l’industrie manufacturière des États-Unis (6).
M. Barack Obama n’a pas fait davantage pour montrer que le Parti démocrate se souciait du sort des classes populaires : il a nommé au poste de secrétaire au Trésor un proche de Wall Street (M. Timothy Geithner) ; il n’a pas voulu poursuivre en justice les banquiers responsables de la crise de 2008 et il n’a pas su protéger les millions d’Américains qui ont alors perdu leur logement et leur pension de retraite. Il y a quatre ans, les démocrates ont payé au prix fort leur frénésie de libre-échange. D’après une étude pilotée par David Autor (7), économiste au Massachusetts Institute of Technology (MIT), les pertes d’emplois liées au développement du commerce chinois pourraient avoir fourni à M. Trump les quelques points qui avaient assuré son succès dans les États industriels du Michigan, du Wisconsin et de Pennsylvanie, décisifs dans sa victoire de 2016.
Historiquement considéré comme le « parti des travailleurs », le Parti démocrate connaît depuis longtemps une érosion du soutien des classes populaires, en particulier parmi ceux qui se déclarent « blancs ». Cette tendance s’est confirmée en 2020. D’après les derniers sondages de sortie des urnes disponibles (lire « Pour qui ont-ils voté ? »), M. Trump aurait récolté les voix de 67 % des électeurs blancs non diplômés (contre 32 % pour M. Biden). Il serait en outre très populaire auprès des chrétiens évangéliques blancs (76 % des suffrages) et des habitants des zones rurales (57 %). Les circonscriptions les plus pauvres du pays, où les conservateurs ont commencé à s’ancrer en l’an 2000, sont désormais les plus enclines à voter républicain, tandis que quarante-quatre des cinquante circonscriptions les plus riches — et l’intégralité des dix plus riches — plébiscitent à présent les démocrates. Cette inversion des rapports entre classe sociale et préférences politiques offre un terrain fertile à une résurgence du trumpisme sans M. Trump. En l’absence d’un changement de cap radical des démocrates, les plus pauvres pourraient continuer à se tourner vers les républicains, qui disposent d’une liste de boucs émissaires pour expliquer leurs problèmes : les immigrés, les Noirs, les étrangers, les « élites »…
Qu’on ne s’y méprenne pas : le Parti républicain est devenu un parti d’extrême droite, à maints égards aussi virulent que les formations autocratiques qui gouvernent actuellement la Hongrie ou la Turquie. Les opposants ayant été mis au ban — le sénateur de l’Arizona Jeffrey Flake (2013-2019), le représentant de Caroline du Sud Marshall (« Mark ») Sanford (2013-2019)… —, il se trouve désormais entre les mains des trumpistes, et il y restera probablement dans un avenir proche. Le danger posé par le « populisme de droite » est plus important encore aux États-Unis que dans de nombreux pays européens, où le système de représentation proportionnel relègue souvent — même s’il existe des exceptions — les partis d’extrême droite aux marges du jeu politique, comme aux Pays-Bas (où le Parti pour la liberté n’a récolté que 13 % des voix aux élections parlementaires de 2017) ou en Espagne (où Vox plafonnait à 15 % lors des élections générales de 2019). Les partisans du président américain sortant, eux, contrôlent l’un des deux principaux partis, et le système de scrutin uninominal majoritaire à un tour demeure un formidable obstacle à l’émergence d’autres formations. Le cadre est donc en place pour l’avènement d’un démagogue plus dangereux encore que M. Trump. Imaginez le charisme d’un Ronald Reagan allié à l’intelligence et à la discipline d’un Barack Obama…
M. Biden arrive au pouvoir dans un pays polarisé, où le Covid-19 a exacerbé les disparités sociales. D’après le ministère du travail, les États-Unis traversent actuellement la crise économique la plus inégalitaire de leur histoire, le développement du télétravail favorisant nettement les plus diplômés. Au plus fort de la crise, le taux de destruction des emplois faiblement rémunérés était huit fois plus élevé que celui des postes bien payés. Les salariés et indépendants munis de diplômes universitaires étaient proportionnellement quatre fois plus nombreux à pouvoir exercer leur activité à domicile que les travailleurs sans diplôme du supérieur (8). Pendant ce temps, les Américains les plus aisés se sont encore davantage rempli les poches. Entre le 18 mars, date du début des confinements, et le 20 octobre, la fortune des 643 milliardaires que compte le pays a augmenté de 931 milliards de dollars, soit près du tiers de leur richesse totale. M. Biden est particulièrement redevable à ces ultrariches, qui, avec des donations de 100 000 dollars ou plus, ont levé pour sa campagne 200 millions de dollars en six mois. Les principaux centres du pouvoir financier aux États-Unis — Wall Street, la Silicon Valley, Hollywood, les fonds d’investissement — reconnaissent en lui un président qui ne risque pas de menacer leurs intérêts.
Cornaqué par la droite au Sénat, qui restera probablement présidé par l’impitoyable sénateur du Kentucky Mitchell McConnell, M. Biden aura le plus grand mal à mettre en œuvre une quelconque mesure de son programme. Il subira en outre les pressions de l’aile gauche de son parti, M. Bernie Sanders et Mme Elizabeth Warren en tête. Une telle situation donnerait du fil à retordre même aux dirigeants les plus déterminés. Alors, à « sleepy Joe » (9)… Sans compter que le nouveau président devra également se distinguer des politiques de M. Obama, qu’il a loyalement servi en tant que vice-président, et qui ont mené à l’émergence de M. Trump et de son mouvement. Il lui faudrait pour cela se départir du centrisme prudent qui a marqué toute sa carrière, en opérant, de même que son parti, un tournant radical.
Quelle forme pourrait prendre ce virage ? Une stratégie populaire consisterait à prôner un impôt sur les bénéfices excessifs, visant particulièrement ceux qui se sont enrichis pendant la pandémie — dans la veine de la fiscalité qui fut instaurée au lendemain de la seconde guerre mondiale. Le plan de relance que l’administration Biden essaiera certainement de faire passer pourrait s’adresser non pas aux grandes entreprises (comme celui de M. Obama en 2009), mais à ceux qui sont les plus directement touchés par la crise : les travailleurs à faible revenu, les chômeurs et les petites entreprises. M. Biden pourrait également proposer un dispositif véritablement protecteur pour les millions de locataires et de petits propriétaires menacés d’expulsion en pleine pandémie.
Évidemment, un Sénat à majorité républicaine n’approuverait pas de telles mesures. Mais, en les défendant avec ténacité, les démocrates exprimeraient haut et fort leur engagement renouvelé auprès des classes populaires, dans l’esprit du New Deal de Franklin Delano Roosevelt. Cela leur permettrait de se poser, lors des élections de mi-mandat de 2022, en contre-modèle à l’immobilisme des républicains. Ce serait là le meilleur moyen d’empêcher le retour d’une nouvelle sorte de trumpisme, encore plus toxique que l’originale.
Felipe Jesus Consalvos. – « Hypnotic America » (L’Amérique hypnotique), 1920-1960
Parmi tous les livres publiés à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Charles de Gaulle et du 80e anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, cette biographie concise mérite l’attention. Alors que les analyses du jeune de Gaulle furent dédaignées — ainsi, entre les deux guerres, son livre sur les blindés connaît moins d’écho en France qu’en Allemagne —, il s’avère un tacticien habile quand il mène, fin mai 1940, en pleine débâcle, une brillante contre-offensive autour d’Abbeville (Somme). Chef des Français libres, il s’oppose au président américain Franklin D. Roosevelt, qui tente fin 1942 d’imposer d’« anciens » vichystes en Afrique du Nord, puis, après le débarquement, un gouvernement militaire allié à la tête d’une France à peine libérée… Pendant la guerre d’Algérie, il affirmera à des proches dès février 1955 que l’indépendance est inévitable. Une perspicacité qu’il perdra toutefois en mai 1968, lorsqu’il évoquera devant des ministres effarés l’idée de « tirer dans les jambes » des émeutiers…
« Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a reçu dimanche soir un appel téléphonique de son homologue français, Emmanuel Macron, qui s’est enquis de son état de santé et félicité de son rétablissement ». Le Président Macron « a fait part de sa volonté, dès le retour du Président Tebboune au pays, de reprendre le travail de concert sur les dossiers d’intérêt commun, notamment économiques, les questions régionales et le dossier de la Mémoire ».
A son tour, le président de la République «a remercié le Président Macron de ses sentiments sincères, lui affirmant sa disposition à travailler sur ces dossiers une fois de retour en Algérie ». Macron, tout en politesse diplomatique, essaie de s’attaquer à l’Himalaya des relations algéro-françaises via le rapport de Benjamin Stora. Ligne de crête qui mélange histoire et mémoire et où la cordée s’annonce en ordre dispersé.
Le président français fait part de sa volonté de reprendre le travail de concert sur les dossiers d’intérêts communs qu’orne cette fois-ci le rapport « « Stora ».
1830-2021 : 132 ans de colonisation et 59 ans de yoyo gaulois et déni qui accouchent d’un rapport tout frais en ce mois de janvier 2021. 2017, la France élit un Président né après la guerre d’Algérie. Jouant au violon avec un tabou de 2 siècles, Emmanuel Macron déclare que la colonisation est un crime contre l’humanité. En Algérie et en France, on essaie de lire sous les replis de cette déclaration…En France, on la met sur la manie Balsacienne de Macron qui use des mots qui décoiffent. Et puis plus rien, les relations retombent dans leur léthargie habituelle.
Décembre 2019, un nouveau président est élu en Algérie, il s’exprime en français sans forcer le trait, parle au téléphone avec Emmanuel Macron, disserte sur France 24, donne une interview à un canard français…Puis vint une pandémie qui sonne l’entracte. Puis Tebboune tombe malade. Macron charge l’historien Benjamin Stora d’un travail sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Travail au demeurant partagé avec un historien algérien en la personne de M. Chikhi.
Janvier 2021, Stora remet son rapport à Macron. Du rapport de Chikhi, point de nouvelles…pour des raisons encore ignorées.
Le rapport Stora préconise la création d’une commission
« Mémoire et vérité », chargée d’impulser des initiatives communes entre la France et l’Algérie sur les questions de mémoire, constituée de personnalités engagées dans le dialogue franco-algérien ainsi que la création d’un secrétariat général chargé du suivi des décisions prises. Le rapport préconise aussi de renforcer l’enseignement sur la guerre d’Algérie dans les programmes scolaires et appelle à renforcer cet enseignement y compris dans les classes professionnelles. L’historien français fait la part belle dans son rapport aux hommages et aux commémorations avec la proposition de faire entrer au Panthéon Gisèle Halimi, ériger une stèle à l’émir Abdelkader, de renommer certaines rues etc…L’histoire, décidément, ne se décline pas sans salamalecs.
Abordant la question des archives, l’auteur souhaite plus de transparence sur un « passé commun», des recherches et enquêtes sur les lieux des essais nucléaires et leurs conséquences, de publier un guide sur les « Disparus de la guerre d’Algérie »que ce soit du côté algérien que français. Jolie ombre dans ce travail de mémoire, l’absence très présente de l’historien algérien Abdelmadjid Chikhi, qui devait faire un travail similaire à celui de Benjamin Stora.
Abdelaziz Rahabi a réagi ce samedi 23 janvier au rapport de l’historien Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie, qui a été remis mercredi 20 janvier au président français Emmanuel Macron.
« Le rapport Stora ne prend pas en compte la principale demande historique des Algériens, la reconnaissance par la France des crimes commis par la colonisation », note l’ex-ministre et ancien ambassadeur dans une déclaration postée sur son compte Twitter.
Pour Rahabi, les Algériens ne demandent pas la repentance à la France sur les crimes coloniaux commis en Algérie de 1830 à 1962, tout en estimant que les deux pays doivent aussi regarder l’avenir.
« Il ne s’agit ni de repentance, notion étrangère aux relations entre États, ni de fonder une mémoire commune, les deux pays étant héritiers de deux mémoires antagoniques sur cette question. Pour le reste, chacun doit assumer son passé et les deux États sont tenus de mettre en place les conditions d’une relation apaisée et tournée vers l’avenir », estime-t-il.
Benjamin Stora a remis mercredi son rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie au président Macron, qui comprend 22 recommandations.
Parmi lesquelles figurent la reconnaissance par la France de l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel pendant la bataille d’Alger en 1957, de construire une stèle à l’effigie de l’émir Abdelkader en France et de discuter avec les autorités algériennes de la possibilité de faciliter les déplacements des harkis et de leurs enfants entre la France et l’Algérie.
Mercredi, l’Élysée a indiqué que la France ne va pas présenter des excuses à l’Algérie, ni faire acte de repentance sur les crimes coloniaux.
L’Algérie n’a pas encore réagi au refus de la France de présenter des excuses, et n’a pas commenté officiellement le contenu du rapport Stora.
«On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars!» avait prévenu François Mitterrand. En votant, le 8 novembre 2013, la proposition de loi socialiste d'inspiration communiste visant à faire du 19 mars 1962, date du cessez-le-feu en Algérie, une «journée nationale du souvenir en mémoire des victimes du conflit», la majorité de gauche au Sénat a donc décidé de passer outre l'avertissement, prenant ainsi, délibérément, la responsabilité d'«un risque grave de division de la communauté nationale» selon les termes de l'Union nationale des combattants. Soixante sénateurs UMP ont d'ailleurs déposé un recours devant le Conseil constitutionnel. Les associations de rapatriés ne désarment pas. Leurs dirigeants sont unanimes. Non seulement parce que la date du 19 mars est celle d'une défaite, mais parce qu'elle n'a même pas marqué, sur le terrain la fin de la guerre: bien plutôt la fin de l'engagement des autorités françaises dans la défense de leurs ressortissants et le début des terrifiantes violences dont furent victimes les Français d'Algérie et les supplétifs engagés aux côtés de la France.
« On peut choisir n'importe quelle date sauf le 19 mars! »
François Mitterrand
Sur le plan diplomatique, la «défaite» française en Algérie est de fait incontestable. Mais il est également vrai qu'elle était inscrite dès le début dans le processus des négociations. Et ce, pour une raison simple: l'Elysée était demandeur et pressé…
C'est le 20 février 1961 que, dans le plus grand secret, Georges Pompidou et Bruno de Leusse prennent contact en Suisse, à l'hôtel Schweitzer de Lucerne, avec les représentants du GPRA (Gouvernement provisoire de la République française), Ahmed Boumendjel, Taïeb Boulahrouf et Saad Dalhab. Selon les instructions reçues, il ne s'agit pour les représentants français que d'une mission d'information sur les objectifs à long terme du FLN et sur les voies et étapes qu'il compte emprunter pour y parvenir.
Immédiatement, Pompidou donne le ton en affirmant que la France a la situation bien en main, que l'Algérie n'est pas l'Indochine -«Il n'y aura pas de Dien Bien Phu»-, que les menaces de Khrouchtchev ou de tout autre ne font pas peur à De Gaulle et, pour finir, que la France ne craint pas l'indépendance algérienne. Elle exige donc un arrêt des combats avant d'entreprendre des pourparlers avec toutes les tendances sur les conditions de l'autodétermination, dont elle a accepté, depuis le référundum du 8 janvier 1961, le principe. Mais tout de suite aussi, les Algériens font connaitre leur refus de bouger d'un pouce sur la question du cessez-le-feu qui, disent-ils, doit résulter d'un accord politique.
C'est l'impasse. Et la situation n'évolue guère lorsque les mêmes se retrouvent pour une nouvelle réunion, le 5 mars suivant, à Neuchâtel. «Les contacts secrets confirmaient l'absence complète d'accord sur les liens à établir entre les éventuels pourparlers officiels et la cessation des violences», écrit Bernard Tricot, qui assurait alors le secrétariat de la Direction des affaires algériennes à l'Elysée.
A la «trêve statique» des Français, les Algériens opposent leur «cessez-le-feu dynamique» qui serait fonction des progrès de la négociation…
Que va décider De Gaulle?
Le 8 mars, un communiqué du chef de l'Etat appelle à l'ouverture de discussions « sans conditions préalables ». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre… De Gaulle vient d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.
Le 8 mars, lors d'une nouvelle réunion, Bruno de Leusse lit devant les émissaires du GPRA un communiqué du chef de l'Etat appelant à l'ouverture de discussions «sans conditions préalables». En bref, le cessez-le-feu n'en est pas un. Il sera l'objet de négociation comme un autre…
Ce 8 mars 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la première des quatre volontés du FLN.
Les trois autres exigences du mouvement révolutionnaire sont claires: 1) le FLN doit être considéré comme le seul représentant qualifié du peuple algrérien; 2) l'Algérie est une, Sahara compris (ce qui n'a aucun fondement historique: le Sahara n'a appartenu à l'Algérie que sous la souveraineté française); 3) le peuple algérien est un, et ce que décidera la majorité du peuple vaudra pour tout le territoire et pour tous ses habitants. Il ne doit donc y avoir aucun statut particulier pour les Européens. C'est le futur gouvernement algérien qui, une fois installé, décidera avec son homologue français des garanties dont ils jouiront, des modalités de la coopération et des questions de défense. En attendant, il convient de discuter des garanties de l'autodétermination.
Le 15 mars, un communiqué du Conseil des ministres «confirme son désir de voir s'engager, par l'organe d'une délégation officielle, des pourparlers concernant les conditions d'autodétermination des populations algériennes concernées ainsi que les problèmes qui s'y rattachent». Tricot constate: «Les commentateurs les plus avertis se doutèrent bien que si le cessez-le-feu n'était pas mentionné séparément, c'est qu'il faisait désormais partie des problèmes qui se rattachaient à l'autodétermination et qu'il ne constituait pas un préalable.»
Le 30 mars, le gouvernement français et le GPRA annoncent simultanément que les pourparlers s'ouvriront le 7 avril à Evian. Mais le lendemain, interrogé par la presse sur ses contacts avec Messali Hadj, le leader du Mouvement national algérien (MNA), rival du FLN, Louis Joxe, le ministre en charge des Affaires algériennes, déclare qu'il consultera le MNA comme il consultera le FLN. Aussitôt la nouvelle connue, le GPRA annule les pourparlers.
Que va faire de Gaulle?
« Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars. » Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien. Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN.
Le 6 avril, le Conseil des ministres publie un communiqué prenant acte de l'ajournement de la conférence d'Evian et conclut sobrement: «Le gouvernement s'en tient, pour ce qui le concerne, à l'esprit et aux termes de son communiqué du 15 mars.» Le FLN sera donc l'interlocuteur unique et le représentant exclusif du peuple algérien.
Ce 6 avril 1961, De Gaulle vient donc d'en passer par la deuxième des quatre volontés du FLN. Cette double capitulation en l'espace d'un mois explique peut-être les temes un peu crus de sa déclaration du 11 avril: «L'Algérie nous coûte, c'est le moins que l'on puisse dire, plus qu'elle nous rapporte (…) Et c'est pourquoi, aujourd'hui la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine.»
Sur ce, le 21 avril, éclate le putsch des généraux dont l'échec entraîne la création de l'OAS par Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini. La violence atteint vite un seuil insoutenable et De Gaulle avoue à Robert Buron ne plus rien maîtriser. «Il n'y a plus, dit-il, que deux forces en présence: le FLN et l'OAS.»
C'est dans ce contexte que, le 20 mai, les négociations s'ouvrent à Evian. Du côté français, outre Louis Joxe, la délégation comprend, entre autres, Bernard Tricot, Roland Cadet, Claude Chayet et Bruno de Leusse. Tous des professionnels de la négociation. Du côté algérien, le chef de file n'est autre que Krim Belkacem, dont l'instruction se résume à un passé de maquisard. Pour marquer sa bonne volonté, le chef de l'Etat annonce une trève unilatérale d'un mois (l'action des troupes françaises sera limitée à l'autodéfense), la libération de 6000 prisonniers et le transfert au château de Turquant, en Indre-et-Loire, des chefs du FLN capturés en 1956.
De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: « Le pétrole, c'est la France et uniquement la France! » Il vient d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.
Après une première interruption des pourparlers le 13 juillet due, notamment, à des divergences sur le Sahara, une reprise des négociations au château de Lugrin, le 20 juillet, et un nouveau capotage pour la même raison, De Gaulle déclare, le 5 septembre, accepter la souveraineté du FLN sur le Sahara, dont il disait quelque temps plus tôt à Louis Joxe: «Le pétrole, c'est la France et uniquement la France!»
Ce 5 septembre 1961, il vient donc d'en passer par la troisième des quatre volontés du FLN.
Ne reste plus en suspens que le sort des pieds noirs et des musulmans fidèles à la France, qu'il évoque d'ailleurs dans la suite de son discours, en parlant de «dégagement». Le mot résonne douloureusement à leurs oreilles, même si De Gaulle assure qu'en cas de rupture brutale avec l'Algérie, l'Etat entreprendra de «regrouper dans une région déterminée les Algériens de souche européenne et ceux des musulmans qui voudraient rester avec la France», donnant ainsi un début de réalité au thème de la «partition» lancé à sa demande par Peyrefitte.
Dans le camp d'en face, Benyoucef Ben Khedda, un marxiste, succède à Ferhat Abbas à la tête du GPRA.
Le 11 février 1962, les négociations reprennent aux Rousses. Elles s'achèvent une semaine plus tard sur un ensemble de textes qualifiés d'«accords de principe» que les Algériens doivent soumettre au CNRA, l'instance suprême de la Révolution, réuni à Tripoli.
Le 7 mars s'engage la seconde conférence d'Evian qui traîne trop aux yeux de l'Elysée. Robert Buron décrit un De Gaulle «moins serein, moins souverain» au téléphone. Le 18 mars, juste avant la signature, Krim Belkacem fait valoir une exigence: que les délégués français lisent à voix haute les 93 pages du document. Ces derniers s'exécutent en se relayant, article après article, tandis que les délégués algériens suivent attentivement chaque mot et que De Gaulle, à l'Elysée, attend. Le rituel imposé une fois terminé, les accords d'Evian sont paraphés par les deux délégations.Ils prévoient l'organisation d'un référundum sur l'indépendance. Il aura lieu le 1er juillet. Dans l'intervalle, le pouvoir sera exercé par un exécutif provisoire, sous la direction de Christian Fouchet.
Dans son Journal, à la date de ce 18 mars, Buron reconnait que sa signature figure au bas d'un «bien étrange document». Et il note: «Les jours qui viennent vont être des jours de folie et de sang».
Si le texte des accords d'Evian assure en principe aux Français d'Algérie « toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme », l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.
Car si le texte assure en principe aux Français d'Algérie «toutes libertés énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme», ainsi que la possibilité de «transporter leurs biens mobiliers, liquider leurs biens immobiliers, transférer leurs capitaux», l'Elysée a renoncé à tout statut particulier pour nos nationaux et aucune clause ne concerne précisément les supplétifs. C'est la quatrième des exigences du FLN.
Le lendemain 19 mars, le cessez-le-feu est proclamé du côté français par le général Ailleret, du côté algérien par Ben Khedda. Or, ce même 19 mars censé instaurer la paix, le directeur de la police judiciaire, Michel Hacq, patron de la mission «C» (C pour choc) qui supervise les barbouzes (ces «éléments clandestins» chargés depuis décembre 1961 de la lutte contre l'OAS), rencontre secrètement le chef fellagha Si Azzedine, patron de la Zone autonome d'Alger, pour lui remettre une liste d'activistes. Tout y est: les noms et les pseudonymes, les âges et les adresses. «Le marché est clair, écrit Jean-Jacques Jordi: les commandos d'Azzedine peuvent se servir de cette liste pour leurs actions contre l'OAS et ils peuvent “bénéficier” d'une certaine impunité d'autant que les buts du FLN et de la mission “C” se rejoignent (…) Cependant, force est de constater que ces mêmes commandos FLN ne s'attaquaient pas réellement aux membres de l'OAS mais poursuivaient une autre stratégie: faire fuir les Français par la terreur.»
Ce nettoyage ethnique qu'évoque sans fard dans ses Mémoires, l'ancien président du GPRA, Ben Khedda, en se vantant d'avoir réussi à «déloger du territoire national un million d'Européens, seigneurs du pays», était en germe depuis longtemps puisque les négociateurs du FLN à la conférence de Melun, Boumendjel et Ben Yahia, en avaient fait la confidence à Jean Daniel dès le 25 juin 1960: «Croyez-vous, leur avait demandé le journaliste, originaire de Blida, qu'avec tous ces fanatiques religieux derrière vous, il y aura dans une Algérie indépendante un avenir pour les non-musulmans, les chrétiens, les juifs auxquels vous avez fait appel?» Les deux responsables FLN ne s'étaient pas dérobés: «Ils m'ont alors expliqué, témoigne Jean Daniel, que le pendule avait balancé si loin d'un seul côté pendant un siècle et demi de colonisation française, du côté chrétien, niant l'identité musulmane, l'arabisme, l'islam, que la revanche serait longue, violente et qu'elle excluait tout avenir pour les non-musulmans. Qu'ils n'empêcheraient pas cette révolution arabo-islamique de s'exprimer puisqu'ils la jugeaient juste et bienfaitrice.»
Sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre « leur ennemi commun » selon l'expression de Krim Belkacem.
Détail important: la livraison au FLN par Hacq, ce 19 mars, de la liste des activistes n'est pas une nouveauté. Elle fait suite à une première liste de 3000 noms adressée au FLN par l'intermédiaire de Lucien Bitterlin, l'un des chefs des barbouzes, dès janvier 1962… C'est-à-dire trois mois avant les accords d'Evian, qui vont voir les relations entre Hacq et Si Azzedine se renforcer. Force est donc de constater que, sur le terrain, le cessez-le-feu ne change rien à la poursuite de l'offensive menée de concert par le pouvoir gaulliste et le FLN contre «leur ennemi commun» selon l'expression de Krim Belkacem.
Lors de la crise des Barricades, (la première révolte des pieds-noirs après le discours de De Gaulle annonçant, en septembre 1959, l'autodétermination ) en janvier 1960, le chef rebelle a en effet affirmé à l'ambassadeur américain à Tunis, Walter Walmsley, que si De Gaulle avait besoin de soutien, le GPRA se mobiliserait à ses côtés contre tous ceux qui s'opposent à l'indépendance de l'Algérie. Et donc, par extension, contre tous les Français d'Algérie à quelque confession qu'ils appartiennent.
Message entendu à l'Elysée.
«On n'allait bientôt plus savoir qui tuait qui -et pour le compte de qui! On tuait, voilà tout», écrit Bitterlin.
Ce 19 mars 1962, la guerre n'est donc pas finie: seuls les alliés et les adversaires ont permuté en fonction des développements successifs de la politique gaulliste. Elle va même prendre un tour extrême quelques jours plus tard.
Le 26 mars, rue d'Isly, une manifestation interdite mais pacifique de Français d'Algérie se dirigeant vers le quartier de Bab-el-Oued, foyer de l'OAS, encerclé par l'armée, se heurte à un barrage de tirailleurs venus du bled. Elle est mitraillée à bout portant. Bilan: près de 49 morts et 200 blessés. Le drame n'a rien d'un dérapage: Christian Fouchet s'en est justifié plus tard lors d'une confidence à Jean Mauriac: «J'en ai voulu au Général de m'avoir limogé au lendemain de Mai 68. C'était une faute politique. Il m'a reproché de ne pas avoir maintenu l'ordre: “Vous n'avez pas osé faire tirer [sous-entendu: sur les manifestants étudiants]-J'aurais osé s'il avait fallu, lui ai-je répondu. Souvenez-vous de l'Algérie, de la rue d'Isly. Là, j'ai osé et je ne le regrette pas, parce qu'il fallait montrer que l'armée n'était pas complice de la population algéroise.”»
Le 3 avril 1962, De Gaulle déclare qu'« il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxilliaires qui n'ont jamais servi à rien » et donne l'ordre de désarmer les harkis. Le 4 mai, il déclare que « l'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs. » Les uns et les autres font partie du « boulet » dont il avait avoué à Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en « délester ».
Dans la folie meurtrière qui, sous les coups conjugués de l'OAS, du FLN, des barbouzes et du «Détachement métropolitain de police judiciaire» (couverture officielle de la fameuse mission «C» constituée de 200 policiers, et d'une trentaine de gendarmes aux ordres du capitaine Armand Lacoste), s'empare de l'Algérie et menace la métropole, la figure de l'«ennemi commun» se précise: le 3 avril 1962, lors d'une réunion du Comité des affaires algériennes, De Gaulle déclare qu'«il faut se débarrasser sans délai de ce magmas d'auxilliaires qui n'ont jamais servi à rien» et il donne l'ordre de désarmer les harkis (que des ordres complémentaires de Joxe et de Messmer empêcheront de gagner la France et, pour certains de ceux qui y seront parvenus malgré tout, rembarqueront de force pour l'Algérie). Le 4 mai, en Conseil des ministres, il déclare que: «L'intérêt de la France a cessé de se confondre avec celui des pieds-noirs.» Les uns et les autres font donc partie du «boulet» dont il avait avoué à Alain Peyrefitte, le 20 octobre 1959, qu'il faudrait s'en «délester». Cette disposition d'esprit du chef de l'Etat a une traduction concrète sur le terrain: en vertu de l'ordre donné à l'armée de rester l'arme au pied quoi qu'il arrive à nos nationaux, la politique d'abandon de l'Algérie se double d'une politique d'abandon des populations qui se réclament de la France et dont le sort est désormais lié au seul bon vouloir du GPRA.
Le rapport de Jean-Marie Robert, sous-préfet d'Akbou en 1962, adressé à Alexandre Parodi, vice-président du Conseil d'Etat, donne une idée détaillée des massacres auxquels se livre alors le FLN sur les supplétifs de l'armée française mais aussi sur les élus (maires, conseillers généraux et municipaux, anciens combattants, chefs de village, etc) «promenés habillés en femmes, nez, oreilles et lèvres coupées, émasculés, enterrés vivant dans la chaux ou même dans le ciment, ou brûlés vifs à l'essence».
Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: de l'ordre de 300 à 400 entre novembre 1954 et mars 1962, ils se multiplient brusquement à partir de cette date pour atteindre selon les travaux de Jordi le chiffre de 3000 -dont 1630 disparus. Dans l'indifférence la plus totale de la part du gouvernement français que n'émeut pas davantage le massacre du 5 juillet ( jour officiel de l'indépendance algérienne après la victoire du oui au référendum du 1er juillet) à Oran, qui va coûter la vie à 700 Européens.
Aux massacres de harkis qui atteignent bientôt des proportions et une horreur inimaginables, s'ajoutent les enlèvements d'Européens: ils se multiplient brusquement pour atteindre le chiffre de 3000 dont 1630 disparus. « Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement », déclare De Gaulle le 18 juillet.
«Pour la France, à part quelques enlèvements, les choses se passent à peu près convenablement», déclare même De Gaulle le 18 juillet.
Devant l'exode, dont il nie la réalité jusqu'au dernier moment, le chef de l'Etat ne se soucie que de la «concentration» des réfugiés dans le sud de la France. L'ordre qu'il donne alors, le 18 juillet, est d'obliger les «repliés» ou les «lascars» (c'est ainsi qu'il appelle les pieds-noirs selon son humeur du jour) à «se disperser sur l'ensemble du territoire». S'attirant cette réponse de Pompidou, nouveau Premier ministre: «Mais à quel titre exercer ces contraintes, mon général? On ne peut tout de même pas assigner des Français à résidence! Les rapatriés qui sont autour de Marseille ne créent aucun problème d'ordre public. On ne peut pas les sanctionner!» il réplique: «Si ça ne colle pas, il faut qu'on se donne les moyens de les faire aller plus loin! Ça doit être possible sous l'angle de l'ordre public.»
Certains comme Joxe souhaitant envoyer cette «mauvaise graine» au Brésil ou en Australie, De Gaulle répond qu'ils aillent en Nouvelle-Calédonie ou plutôt en Guyane… Mais son intention véritable, il le dit et le répète, c'est de faire en sorte que tous retournent sans délai dans cette Algérie, dont ils sont parvenus -souvent in extremis-à fuir la terreur.
En Conseil des ministres, le 25 juillet, Alain Peyrefitte note que «plusieurs collègues baissent la tête»… Et le chef de l'Etat est sans doute conscient de son effet puisque le même Peyrefitte rapporte que Pompidou, mi-plaisant mi-sérieux, lui raconte que le Général a déclaré à Mme De Gaulle: «Je vous le dis Yvonne, tout ça se terminera mal. Nous finirons en prison. Je n'aurai même pas la consolation de vous retrouver puisque vous serez à la Petite Roquette et moi à la Santé.»
En réalité la détermination présidentielle est sans faille et pour que les choses soient bien claires, de Gaulle insiste: «Napoléon disait qu'en amour, la seule victoire, c'est la fuite; en matière de décolonisation aussi, la seule victoire c'est de s'en aller.»
Les commentaires récents