Il me faut écrire comme il me faut nager, parce que mon corps l’exige(1), parce que l’habitude du désespoir est pire que le désespoir lui-même.(2)
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais ma tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse.(3)
Il n'y a pas de vie sans dialogue, et sur la plus grande partie du monde, le dialogue est aujourd'hui remplacé par la polémique, langage de l'efficacité. Le XXI siècle est, chez nous, le siècle de la polémique et de l'insulte. Elle tient, entre les nations et les individus, la place que tenait traditionnellement le discours réfléchi.
Mais quel est le mécanisme de la polémique ? Elle consiste à considérer l'adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent, et à refuser de le voir. Celui que j'insulte, je ne connais plus la couleur de son regard. Grâce à la polémique, nous ne vivons plus dans un monde d'hommes, mais dans un monde de silhouettes.(4) Ce qui me semble caractériser le mieux cette époque, c'est la séparation(5), la défiance et l’hostilité envers celui qui n’est pas un autre vous.
Or, je ne crois qu'aux différences, non à l'uniformité. Parce que les premières sont les racines sans lesquelles l'arbre de liberté, la sève de la création et de la civilisation, se dessèchent.(6) Loin d’être le seul, nous étouffons parmi les gens qui croient avoir absolument raison dans leurs idées. Et pour tous ceux qui ne peuvent vivre que dans le dialogue et l'amitié des hommes, ce silence est la fin du monde.(7)
On ne décide pas de la vérité d'une pensée selon qu'elle est à droite ou à gauche et encore moins selon ce que la droite et la gauche décident d’en faire. Si la vérité me paraissait à l’extrême-droite, j’y serais(8), mais gardons bien à l’esprit que nous finissons toujours par avoir le visage de nos vérités.(9)
La logique du révolté est de vouloir servir la justice pour ne pas ajouter à l'injustice de la condition.(10) Et je ne peux m'empêcher d'être tiré du côté de ceux, quels qu'ils soient, qu'on humilie et qu'on abaisse. Ceux-là ont besoin d'espérer, et si tout se tait, ou si on leur donne à choisir entre deux sortes d'humiliation, les voilà pour toujours désespérés et nous avec eux. Il me semble qu'on ne peut supporter cette idée, et celui qui ne peut la supporter ne peut non plus s'endormir dans sa tour. Non par vertu, mais par une sorte d'intolérance quasi organique, qu'on éprouve ou qu'on n'éprouve pas. J'en vois, pour ma part, beaucoup qui ne l'éprouvent pas, mais je ne peux envier leur sommeil.(11)
Je fus pour ma part placé à mi-distance de la misère et du soleil. La misère m'empêcha de croire que tout est bien sous le soleil et dans l'histoire ; le soleil m'apprit que l'histoire n'est pas tout.(12)
L’injustice sépare, la honte, la douleur, le mal qu’on fait aux autres, le crime séparent. Tout homme est un criminel qui s’ignore, mais il y a quelque chose de plus abject encore que d’être un criminel, c’est de forcer au crime celui qui n’est pas fait pour lui.(13)
La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.(14) Vous avez cru que tout pouvait se mettre en chiffres et en formules ! Mais dans votre belle nomenclature, vous avez oublié la rose sauvage, les signes du ciel, les visages d'été, les instants du déchirement et la colère des hommes ! Ne riez pas. Ne riez pas, imbécile.(15)
L'amitié est la science des hommes libres. Et il n’y a pas de liberté sans intelligence et sans compréhension réciproques.(16) Mais la liberté est également un bagne aussi longtemps qu’un seul homme est asservi. J'ai compris qu'il ne suffisait pas de dénoncer l'injustice, qu’il fallait donner sa vie pour la combattre.(17)
Notre tâche est de trouver les quelques formules qui apaiseront l'angoisse infinie des âmes libres. Nous avons à recoudre ce qui est déchiré, à rendre la justice imaginable dans un monde si évidemment injuste. Naturellement, c’est une tâche surhumaine, mais on appelle surhumaines les tâches que les hommes mettent du temps à accomplir, voilà tout.(18)
J’essaie, pour ma part, solitaire ou non, de faire mon métier. Et si je le trouve parfois dur, c’est qu’il s’exerce principalement dans l’assez affreuse société où nous vivons, où l’on se fait un point d’honneur de la déloyauté, où le réflexe a remplacé la réflexion, où l’on pense à coup de slogans et où la méchanceté essaie trop souvent de se faire passer pour l’intelligence.
Si un journal est la conscience d’une nation, un média peut en être l’inconscience et vous en êtes l’illustration, le funeste symbole. C’est en retardant ses conclusions, surtout lorsqu’elles lui paraissent évidentes, qu’un penseur progresse, mais l’époque veut aller vite et la bêtise insiste toujours.(19) Par un curieux renversement propre à notre temps, le crime se pare ainsi des dépouilles de l'innocence, et c’est l’innocent, victime du condamné récidiviste, qui est sommé de fournir ses justifications.(20)
Je ne suis pas de ces serviteurs de la justice qui pensent qu’on ne sert bien la justice qu’en vouant plusieurs générations à l’injustice. Sans liberté vraie, et sans un certain honneur, je ne puis vivre.(21)
La liberté est le droit de ne pas mentir(22). Elle est aussi la chance de devenir meilleur, quand la servitude de la pensée est la certitude de devenir pire.
Le bacille du fascisme ne meurt, ni ne disparaît jamais, resté pendant des dizaines d'années endormi dans les meubles et le linge, attendant patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses.(23) Il mue, prend diverses formes, mais sa noirceur reste intacte. Vos réquisitoires quotidiens, obsessionnels et venimeux en sont la triste incarnation.
Vous et vos comparses, êtes un beau crépuscule, ce mensonge qui met chaque objet en valeur, quand la vérité, comme la lumière, aveugle.(24)
Je n’ignore rien de ce qui attend ceux que l’époque qualifie de ringards et de bien-pensants. Chaque fois qu'une voix libre s'essaie à dire, sans prétention, ce qu'elle pense, une armée de chiens de garde de tout poil et de toute couleur aboie furieusement pour couvrir son écho.(25)
Mais la paix est la seule bataille qui vaille d’être menée(26) et sur la terre de l’injustice, l’opprimé prend sa plume, telle une arme, au nom de la justice.(27)
Au fond de chaque homme civilisé se tapit un petit homme de l'âge de pierre, qui réclame à grands cris un oeil pour un œil(28). Mais les gens sont aussi des miracles qui s’ignorent(29) et je crois au soleil même quand il ne brille pas.
Qui ne donne rien n’a rien et le plus grand malheur n’est pas de ne pas être aimé mais de ne pas aimer(30).
Le contraire d’un humaniste, étant trop souvent un homme sans amour(31), puissiez-vous découvrir au milieu de votre hiver, un invincible été(32), pour aimer, donner, transmettre, enfin, autre chose que la peste.
Extraits choisis et texte construit par Sofia SOULA-MICHAL
(1) Carnets I (1935-1942)
(2) La Peste (1947)
(3) Discours de Stockholm (10 décembre 1957)
(4) Le Témoin de la Liberté (1948 Conférences et discours)
(5) Carnets II (1942-1951)
(6) Discours l’Appel pour une trêve civile en Algérie (22 janvier 1956)
(7) Le siècle de la peur (Combat, 1948)
(8) Lettre au Directeur des Temps modernes (30 juin 1952)
(9) Le mythe de Sisyphe (1942)
(10) L’homme révolté (1951)
(11) L’artiste et son temps (Actuelles II 1948-1953)
(12) L’Envers et l’endroit (1937)
(13) Les Justes (1952)
(14) Carnets III (1935-1942)
(15) L’État de siège (1948)
(16) Discours « Défense de l’intelligence » (1945)
(17) Les Justes (1942)
(18) Les Amandiers (l’Été, 1954)
(19) La Peste (1947)
(20) L’Homme révolté (1951)
(21) Discours prononcé devant des réfugiés espagnols (22 janvier 1958)
(22) Servitudes de la haine (Actuelles II, 1948-1953)
(23) La Peste (1947)
(24) La Chute (1956)
(25) Démocratie et modestie (Combat, 1947)
(26) Éditorial pour Combat (8 août 1945)
(27) Les raisons de l'adversaire (l'Express 28 octobre 1955)
En 1962, les autorités françaises de l’époque, au lieu de remettre le pouvoir au FLN et son armée, l’ALN, ont remis insidieusement celui-ci à l’armée des frontières. En contrepartie, cette dernière a effectué leur sale besogne consistant à éliminer des centaines, voire des milliers, de combattants de l’ALN et un certain nombre de leurs chefs historiques que l’armée française n’avait pas pu éliminer durant 7 années de guerre. Vingt ans plus tard, la junte militaire remet au peuple algérien les dépouilles des Colonels Amirouche et Si Lhoues, en prenant soin de les enterrer aux côtés de ceux qui les avaient trahis et séquestrés.
58 ans plus tard, c’est la France qui remet à l’Algérie vingt-quatre crânes de résistants algériens décapités au XIXe siècle. Avec tous mes respects à ces braves hommes morts pour défendre leurs terres, permettez-moi de rappeler cette caricature circulant sur les réseaux sociaux : l’Algérie reçoit des crânes vides tandis que la France récupère tous les cerveaux formés dans les écoles de la République algérienne durant plusieurs années.
Combien de médecins, d’ingénieurs, ont-ils quitté l’Algérie depuis le début de la décennie noire ? Le chiffre donnerait certainement le tournis. L’Algérie d’avant 1962 était un pays cosmopolite, multiculturel et multiconfessionnel. Elle était constituée des autochtones (les Amazighs), les Juifs, les Arabes, les Pieds noirs, etc.).
Après l’indépendance, on a chassé les populations d’origine européennes ainsi que les Juifs qui étaient là à l’époque de Nabuchodonosor, dix siècles avant l’arrivée des Arabes, et l’on a renié la culture millénaire du pays en travestissant cette dernière, la rendant ainsi stérile. La diversité est signe de richesse, mais l’Algérie a sombré dans l’unicité morbide.
Avant 1962, l’Algérie était considérée comme le verger de la métropole. Des bateaux arrivaient vides de France pour se charger de denrées alimentaires diverses produites sur ses terres prolifiques. Maintenant, l’Algérie ne produit presque rien, elle vit de la rente pétrolière. Les bateaux accostant dans ses ports arrivaient pleins et repartaient vides. L’école est sinistrée depuis que le pouvoir a décidé de l’arabiser. Hier, pourtant, elle produisait des prix Nobel, à l’instar d’Albert Camus.
Cinquante-huit ans plus tard, elle forme des intégristes islamistes qui deviendront un danger et un frein à toute émancipation de la société. Pour s’en rendre, il suffit d’examiner deux photographies d’un même quartier d’une ville algérienne, l’une prise dans les années soixante, l’autre d’aujourd’hui, vous remarquerez que notre société a énormément régressé. On est passé d’un monde de lumières à celui des ténèbres. L’Algérie d’aujourd’hui est incontestablement un échec magistral. La tyrannie militaire conjuguée à l’arabo-islamisme en est responsable. Sans la démocratie, sans la laïcité, sans le respect de toutes les composantes ethniques et culturelles constituant ce pays et tant qu’on tourne le dos à la modernité, on n’est pas encore prêt de voir le bout du tunnel. Le mouvement citoyen né au mois de février 2019 pourrait être source d’espoir d’un changement radical du pouvoir en Algérie, à condition d’éviter l’écueil islamiste et démasquer les manipulations du pouvoir dont il est champion. Ce dernier est passé maître dans le détournement des objectifs de toute contestation populaire. Il est également capable de créer des héros qui seront ses futurs serviteurs. À bon entendeur méfiance !
La journée du 19 mars 1962, date de la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, avait mis une terme à un "long" hiver imposé aux Algériens par le colonialisme, a affirmé lundi à Alger l’ancien membre de l’Etat major général de l’Armée de libération nationale (EMG-ALN), le commandant Azzedine (de son vrai nom Rabah Zerari).
"Le mois de mars est le mois qui avait ouvert les portes du printemps pour l’Algérie", a indiqué le commandant Azzedine, dans une conférence au forum du quotidien Liberté, à l’occasion de la fête nationale de la Victoire, estimant que le 19 mars 1962 a mis un terme à un long hiver imposé par le colonialisme, "l’hiver le plus âpre que les Algériens aient jamais vécu".
"La journée du 19 mars est une grande date qui mérite son appellation de fête de la Victoire. Ce jour est gravé dans nos mémoires", a-t-il poursuivi.
Le commandant Azzedine, combattant célèbre de l’ALN pour avoir dirigé pendant des années le commandos de la wilaya IV historique, a établi, à cette occasion, un long réquisitoire des crimes commis par la colonisation durant la période de la guerre de libération nationale.
Il a souligné qu’en 1959, l’ancien Premier ministre français, Michel Rocard, alors inspecteur des finances, avait remis un rapport au délégué général Delouvrier, dans lequel il avait fait état de la mort d’une moyenne de 500 enfants algériens par jour.
"La France coloniale avait utilisé toutes les armes qui existaient à cette époque, excepté la bombe atomique, pour anéantir les Algériens et mettre fin à notre Révolution", a-t-il rappelé.
Il a également rappelé les assassinats commis par l’Organisation de l’armée secrète (OAS), créée par les ultras de la colonisation, malgré la proclamation du cessez-le-feu.
Selon le commandant Azzedine, l’action meurtrière de l’OAS a été mise en échec grâce à la décision des dirigeants de la révolution de réorganiser la Zone autonome d’Alger.
"Il a fallu du temps pour nettoyer et mette hors d’état de nuire les éléments de l’OAS. La décision d’en découdre avec l’OAS fut accueillie avec joie par tous les Algériens", a-t-il dit.
aps Massnsen
Le commandant Azzedine au Forum de “Liberté”
Par : Mohamed-Chérif LACHICHI
À l’occasion de la commémoration du 51e anniversaire du 19 Mars, décrété fête de la Victoire, Rabah Zerari, alias commandant Azzeddine, était, hier, l’invité du Forum de Liberté. Une opportunité pour revisiter une date déterminante dans le long cheminement de l’Algérie vers son Indépendance.
Parmi les nombreux compagnons de lutte du commandant Azzeddine, présents hier dans les locaux de notre journal, il y avait Amar Mohamedi, présenté comme le premier wali d’Alger. “C’est ce monsieur qui, lors de la passation de pouvoirs en 1962, avait reçu les clés de la capitale remis par le préfet de l’époque, Vitalis Cros. Son nom a été gommé de l’histoire officielle”. Le ton est donné. Pour le commandant Azzedine, il s’agit de “rétablir la vérité” sur l’une des pages les plus sombres de notre histoire contemporaine à savoir l’été 62, une période trouble qui n’a pas fini de livrer, à ce jour, tous ses secrets. Il faut dire que de janvier 1962 jusqu’à cet été “fatidique”, le commandant Azzedine aura à jouer, dans la capitale, les premiers rôles. “La solution militaire était impossible tant pour la France que pour nous. Notre objectif était surtout politique, à savoir l'indépendance nationale”. Réfutant l’idée selon laquelle il aurait rejoint le pays sur “initiative personnelle”, l’ancien officier de l’ALN a rappelé qu’il avait reçu “un ordre écrit” de la part du président du GPRA, Benyoucef Benkhedda, afin de réorganiser la Zone autonome d’Alger (ZAA). “S’il est vrai que nous voulions en découdre avec l’OAS, notre mission était surtout d’organiser la défense citoyenne de la ville”. Le commandant Azzedine ne se doutait pas que cette mission allait s’avérer très ardue et même contrariée par “des alliances intéressées”, et le jusqu’au-boutisme de certains qui n’hésiteront pas à verser le sang des Algériens. “Des usurpateurs se préparaient à l’extérieur pour prendre le pouvoir”. Azzedine, qui reconnaît lui-même avoir recruté à Alger des “Marsiens”, ces combattants de la 25e heure qui ont rejoint, sur le tard, la Révolution, s'interroge sur le chiffre actuel d'un million de moudjahidine. “Nous les avons recrutés pour quadriller la population et empêcher l'OAS de passer à l'action. Nous ne pensions pas que leur nombre serait aussi considérable notamment dans les zones d'Alger et d'Oran. Durant la Révolution, il y avait tout au plus 500 combattants et 40 000 hommes de l'armée des frontières”. Pour restituer le contexte politique au lendemain de l’Indépendance, l’invité du Forum de Liberté a dû revenir sur “le conflit latent” entre le GPRA et l’Etat-major général (EMG). Pour être plus explicite, Azzedine abordera longuement l'affaire du “lieutenant Gaillard”, révélatrice, selon lui, de la “conspiration” qui se tramait dans les coulisses. Cette affaire qui avait mis aux prises l’EMG au GPRA a commencé par l’interception à Oued Mellègue, en territoire tunisien, d’un avion militaire français en opération. L’aéronef venait de bombarder des écoles de formation militaire des troupes de l’ALN. Le pilote, le lieutenant Gaillard, qui s’était éjecté, avait été capturé et placé au secret par la direction de l’EMG. Les autorités françaises ont alors fait pression sur le gouvernement tunisien afin de libérer, au plus vite, le captif. Tunis a, donc, demandé au GPRA de lui remettre le prisonnier. Le président, Habib Bourguiba, s’était montré à ce sujet intransigeant. Il menaçait même de couper les vivres aux Algériens en Tunisie. “Deux des trois “B”, en l’occurrence Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Ben Tobbal, deux ministres du GPRA, avaient alors exigé de l’EMG, la libération de l’aviateur français”. Ce litige prendra, selon Azzedine, une tournure dramatique quant à la suite des évènements. L’EMG entrera alors en dissidence contre le GPRA. Et le conflit entre les deux entités deviendra “ouvert”. “Cet épisode venait en fait d’inaugurer le cycle infernal de la légitimité des armes qui perdure jusqu'à aujourd'hui encore”.
“Khouk tnah ?” Pour ponctuer son récit d’une anecdote “symptomatique” du goût immodéré du “colonel” Boumediene pour le pouvoir pour lequel il travaillait, semble-t-il, d’arrache-pied, Azzedine a révélé que l’ancien président lui avait annoncé qu’il avait ramassé un pactole de 5 milliards de centimes pour subvenir à toute éventualité même en cas d’embargo tunisien : “Crois-tu que ton frère est idiot ? (khouk tnah ?)”, lui aurait-il demandé l’air malicieux. Pour souligner qu’il n’était pas spécialement obnubilé par le pouvoir, le commandant Azzedine a révélé alors les liens privilégiés qu’il avait avec le défunt Boumediene dont il était “le premier adjoint” : “J’aurais pu venir dans ses bagages si je voulais le pouvoir.” Azzedine avoue toutefois avoir été “éjecté” par ce même pouvoir et que lui et ses compagnons ont été battus à plate couture car trop “idéalistes”. La lutte pour la prise de pouvoir va vite se transformer en un conflit sanglant qui opposera des Algériens entre eux “notamment les hommes de Yacef Saâdi, de l’armée des frontières contre les éléments de la Wilaya IV”. Aussi, dès le 27 juillet 1962, il renonce à la tête de la ZAA et à l’action politique et militaire cédant la place aux “spéculateurs de tou acabit” et à la “course aux biens vacants qui venait d’être ouverte”. “Le sang a coulé, les Algériens criaient ‘Sebâa s’nin barakat’ (7 ans, ça suffit !). Même l’armée française menaçait d’intervenir”. Invité à donner un bilan des victimes de l'été 62, le commandant Azzedine s'est contenté d'affirmer que “même s'il y a eu un mort, il faut le mettre au pluriel”. Et des morts “de trop”, il y en a eu tellement. “De ces morts-là, on n’en parle jamais. Ce sont les oubliés de l’histoire officielle”. “Baroudeur” devant les Français et “grand peureux” devant les Algériens dont il dit avoir été très “économe” de leur sang, Azzedine semble très remonté contre l’Organisation nationale des moudjahidine (ONM) qui occulte délibérément le sacrifice de milliers d’Algériens. “On ne connaissait pas le régionalisme durant la Révolution”. Le premier à avoir instauré en Algérie, selon lui, cette “mentalité rétrograde” et qui a pris, ces dernières années, de grandes proportions dans le pays, “c'est le président Ben Bella quand il avait proclamé, à tort, que nous étions Arabes !” “Un révolutionnaire quand il se trompe, il fait couler du sang”, regrette-t-il. S'agissant de la réhabilitation “unilatérale” de Messali Hadj, le commandant Azzeddine reconnaît que ce dernier a joué un rôle positif avant de trahir la Révolution. Il comparera même “le père de la nation” au Maréchal Pétain, voué aux gémonies à ce jour en France. “Il fallait ouvrir un débat national à ce sujet”, a-t-il déploré. S’attaquant aux “idées reçues”, Azzedine s'inscrira en faux contre l'idée rabâchée de “la valise ou le cercueil”, “une invention de l'OAS” pour justifier et accentuer le départ massif des Européens. “C'est l'OAS qui a poussé les pieds-noirs vers un suicide collectif. Ceux qui avaient la conscience tranquille sont restés”. Pour le commandant Azzedine, ces départs suscitaient, au contraire, les pires craintes chez la population musulmane qui, dès lors, s'interrogeait sur le fonctionnement ultérieur du pays. S’agissant de l’écriture de l’histoire récente de notre pays, le commandant Azzedine a regretté les velléités de certains historiens qui ont tendance à présenter la Révolution Algérienne comme “un panier à crabes”. Il citera nommément Mohamed Harbi qui était pourtant l’un de ses compagnons de lutte. Enfin, la Révolution algérienne ayant été menée à son but ultime, on se demande aujourd’hui quelles péripéties pourraient encore amoindrir son aura. Il n’y en a pas ! Même les errements de l’été 62 sont intervenus une fois l’indépendance acquise. Des dérives qu’il faut mettre sur le compte de l’Algérie post-coloniale.
Lors de leur première rencontre à Biskra, Paul Bosc lui avait dit : « Vous savez mon lieutenant, ce qui m’a le plus choqué quand je suis arrivé en Algérie, c’est de découvrir deux populations, une d’origine européenne et l’autre d’origine indigène qui vivaient côte à côte, et s’ignoraient. J’ai vu aussi la misère de gens qui vivaient dans des conditions que je ne pouvais pas imaginer. Il y avait des enfants en haillons, des logements en terre battue. Et puis, j’ai eu beaucoup de mal à accepter certaines exactions. Un jour, j’ai vu un Algérien et un soldat du service des Renseignements sortir d’une salle. Le soldat a donné un coup de crosse de fusil dans le dos de l’Algérien qui, déséquilibré, est tombé le nez dans la poussière. Alors le soldat l’a abattu à bout portant, en disant : « Tentative d’évasion ! »
Très vite le reporter avait compris que le lieutenant Marc Leroy n’était pas un héros, un « Centurion » du romancier Lozérien Jean Lartéguy. Aussi, quand il avait appris que le capitaine lui avait demandé d’accompagner les fameuses corvées de bois, et de donner le coup de grâce aux prisonniers blessés, accusés d’avoir voulu s’échapper, il l’avait soutenu. Il l’avait soutenu aussi lors de la scène du sous-officier Marcel Picot que l’ennemi leur avait rendu ficelé comme un saucisson, avec les couilles dans la bouche.
Cette haine de bêtes féroces que le jeune Montpelliérain ne connaissait pas encore, avait submergé sa tête et son cœur. Comment les hommes pouvaient-ils en arriver à commettre de telles atrocités ?
C’est vrai que là-bas, il leur arrivait de ne plus être des hommes, mais des pions sur un échiquier. Mais quel échiquier ? Ils perdaient et sacrifiaient leur jeunesse. Tous étaient cocus de la France, et cela ne leur plaisait pas. Ils avaient tellement envie d’oublier. Ils avaient tellement envie d’avoir des nuits de rêves de princesses et de princes charmants, de danses des sept voiles et d’érotisme brûlant, sans têtes éclatées, sans éclaboussures de sang et de chairs visqueuses sur leurs rangers…
Seulement voilà, il leur arrivait encore d’avoir peur.
Il y avait des nuits où ils entendaient le cliquetis des armes. Ils voyaient même luire les couteaux des égorgeurs. Ils étouffaient. Ils éructaient. Ils toussaient. Ils bavaient. Ils étaient en sueur. Alors, les « bougnoules », la « gégène », les « ratonnades » et les viols ! Tout se mélangeait dans leur tête. Chut ! secret défense. Vive la quille bordel ! et Moi, RAB ! (Je n’en ai plus rien à branler !)
C’est tout ça que le reporter Paul Bosc voulait montrer dans ses reportages, loin de l’héroïsme cocardier qui suintait de toutes les pages de l’Histoire de France, l’Histoire, la grande, l’officielle pour des élèves en culottes courtes et en blouses noires qui, après avoir ôté leur béret, se mettaient en rangs pour entrer, dans un bruit de galoches, dans la salle de classe.
Il y a trois ans, au début de l’été, Paul Bosc avait invité le Sous-bite à venir passer quelques jours sur son Aubrac. Les deux hommes s’étaient retrouvés après le Col de Bonnecombe, devant le lac de Born. Ils avaient été très heureux de s’asseoir à une table, le dos calé au mur épais du buron. En attendant la pièce de bœuf, ils étaient fatalement retournés dans leur djebel algérien, et Marc avait alors confié à son ami : « Quand je suis arrivé là-bas, je n’avais rien contre les « fellouzes ». On m’avait appris qu’ils étaient Français comme nous. Qu’ils vivaient dans des départements, qu’ils fréquentaient les écoles de la République, où on leur enseignait que leurs ancêtres étaient des Gaulois. Ça m’amusait !
Que savions-nous alors de l’Algérie et de son histoire ? Quand j’ai quitté la caserne de Pau, à bord d’un Nord Atlas, c’était la première fois que j’allais survoler la Méditerranée. Mais, mis à part ce que j’avais appris en classe de troisième, je ne savais rien de ce Pays. Les noms du général Bugeaud et d’Abdelkader m’étaient familiers. Le coup d’éventail du Pacha Turc Hussein Day au Consul de France ne datait pas d’hier, puisqu’il avait été donné en 1827. C’est lui qui avait déclenché les hostilités entre la France et l’Algérie, après le blocus d’Alger par la Marine Royale. En 1843, le Duc d’Aumale battait Abd El Kader et sa smala, en faisant 3.000 prisonniers. L’Emir se rendait au général Bugeaud.
Cinq ans plus tard, l’Algérie devenait la France avec ses départements, identiques à ceux de la Métropole. Quant aux musulmans et juifs de ce territoire, ils étaient devenus d’un coup sujets français. Un siècle passé, en 1954 et jusqu’en 1962, éclatait une guerre d’indépendance entre le « Front de Libération Nationale » (FLN) et la France. Pour moi, c’était couru d’avance ! »
Plus tard devant le lac de Saint Andéol, Paul avait pris le temps d’expliquer au Sous-bite que des légendes étranges étaient nées là. Lorsque éclataient des orages accompagnés d’éclairs fulgurants et du bruit épouvantable du tonnerre, l’on pouvait voir surgir des vagues de trois à quatre mètres de hauteur : « Je ne les ai pas vues, de mes yeux vues ! » s’était-il empressé d’ajouter. Mais, toujours d’après lui, les populations primitives avaient voué un culte au dieu Hélan, culte, idolâtrie combattu par Grégoire de Tours.
« On raconte aussi que le deuxième dimanche de juillet avait lieu un grand rassemblement de plus de 5.000 personnes venues célébrer ce culte païen, en jetant dans les eaux du lac, pains, fromages, gâteaux de cire, étoffes, toisons de laine, pièces de monnaie. Aux premiers temps du christianisme, en Rouergue on a cherché à christianiser ces antiques croyances afin de les faire disparaître petit à petit. Saint Andéol, qui évangélisa le Gévaudan, s’y consacra, mais en vain ; ces croyances subsistèrent en partie jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle et même plus tard. Une légende veut aussi que, sur l’emplacement de ce lac, ait jadis existé une ville. Aussi, affirme-t-on encore qu’à certaines périodes de l’année on peut entendre les cloches carillonner. Certes, on a pu retrouver des épaves, planches ou poutres, ayant pu appartenir à une cité lacustre, à moins que ce ne soient les restes de constructions de castors », avait ironisé Paul.
A la veillée, ils avaient longuement discuté de la « guéguerre » du déneigement, essentiellement administrative, qui en cette fin de siècle avait quelque chose de ridicule. En tout cas, elle soulignait l’absurdité du découpage administratif d’un vrai pays naturel l’Aubrac, en trois Régions et en trois départements. Quoi qu’il en soit après une semaine, non pas de mauvais temps, ni de tempête, mais de tergiversations pour ne pas dire autre chose, entre les responsables des deux administrations des deux départements voisins, plus la passivité béate des élus, il y avait de quoi se poser des questions sur la fameuse politique de proximité, et sur la non moins fameuse décentralisation…
Le lendemain matin, seuls devant un bol de café, les deux amis avaient poursuivi leur discussion. Puis, Paul Bosc le reporter éleveur de bovins avait lâché en tournant la clé de contact et en surveillant le préchauffage de son 4×4 , il avait lâché : « Tu sais Leïla !… Elle m’empêche toujours de dormir ».
« Moi aussi ! » avait renchéri Marc avant de demander à son ami, s’il avait toujours le film ?
« Toujours ! Dans un coffre de l’agence du Crédit Agricole de Laguiole. »
« Leïla ! »
« Oui Leïla et toujours le même cauchemar ! »
A partir de là, tous deux avaient fait silence s’enfermant chacun dans un mauvais rêve comme s’ils n’avaient plus rien à dire. Plus rien à ajouter. L’évocation du prénom de l’adolescente avait suffi. Il venait de réveiller les années, comme si c’était hier. Il leur était tombé sur la tête, et l’avait fracassée d’un coup de hache, entre les deux oreilles. Il leur avait fait prendre de la vitesse au cœur, et les avait laissés sans voix, la langue épaisse, surpris d’être encore des hommes dits civilisés.
« Réussirons-nous à oublier ? » avait fini par lâcher Marc avant de poursuivre :« Je sais que c’est le lot de tous ceux qui ont fait la guerre. De nos grands-parents à nos parents. Et chez les autres, c’est pareil ! Les anciens d’Indochine ont du mal à s’en remettre. Idem, pour les Américains qui sont revenus du Vietnam, et qui ont été enfermés dans les cages à tigres… »
Paul avait fini par lui annoncer : « Au printemps un réalisateur de télé, un Parisien, est venu me rendre rendu visite car il préparait un documentaire sur les parachutistes dans les Aurès. Par hasard, il avait appris l’histoire de Leïla. Il savait aussi que j’étais présent, et que j’avais tourné des images. Il désirait les voir, et si elles lui convenaient, me les acheter pour les incorporer dans son film. Je l’ai envoyé se faire voir, en lui disant qu’il était cinglé, que l’Algérie, les paras, les commandos des coupeurs d’oreilles, la gégène n’intéressaient plus personne. Le mec a insisté. J’ai été obligé de le foutre dehors, surtout après qu’il a employé connement le mot repentance. Je lui ai dit sèchement que les Français n’avaient pas à se repentir de quoi que ce soit. J’ai ajouté que le mea culpa n’était pas dans mes habitudes et lui ai conseillé de faire très attention, car si la France comme d’autres pays européens avait colonisé l’Afrique au XIXè siècle, il ne faudrait pas que l’Afrique finisse par coloniser la France au XXIè siècle. Ce con il ne m’a pas cru. Je lui ai dit aussi que les 500.000 jeunes hommes qui s’étaient retrouvés en Algérie à partir de 1954 et jusqu’en 1962, n’avaient rien demandé et que surtout, surtout, ce n’était pas leur faute ! Et si certains d’entre eux avaient employé la gégène, ils n’y étaient pour rien ! Surtout pas les appelés ! Il m’a demandé si je te voyais ? Si tu étais toujours en vie ? Je ne lui ai rien répondu. Je suis sûr qu’il va tout faire pour te retrouver ! » « Tu as bien fait ! J’ai achevé mon bouquin sur cette guerre, sur ma conduite là-bas. J’ai adressé mon manuscrit à plus de vingt éditeurs. Pas un n’en a voulu, car la guerre d’Algérie, mon vieux, n’est pas commerciale. Et puis, tout le monde s’en fout ! C’est sûrement un éditeur qui a refilé l’information à ton réalisateur. »
Publié par gerardgaltier
Depuis 50 ans journaliste de province : Midi-Libre – La Dépêche du Midi – Centre Presse Fondateur du City Magazine L'Œuf à Montpellier Rédacteur en Chef de La Journée Viticole – Reporter de Cépages Magazine Reporter du Magazine de Saint Tropez et de Vaucluse Matin – Rédacteur en Chef de L'Hebdo –Aveyron Directeur du Nouvel Hebdo Auteur de : Vacances Insolites en Rouergue Le Larzac une terre qui dit non Les heureux "Z'élus" de l'Aveyron "Allez savoir !…" Et de deux romans : Aller aux fraises ! Tournez Manèges !
Après quelques virages serrés, ils passent sous le Château de Cabrières de la cantatrice Emma Calvé qui s’illustra dans Carmen, puis sous un pont ferroviaire. Ils entrent dans Aguessac. Il y a un stop. Marc en profite pour boire à la bouteille. Au démarrage, étant contraint de donner un violent coup de frein pour ne pas toucher le coffre carré de l’Audi qui le devance, il s’arrête de justesse, avale de travers une gorgée d’eau et manque s’étouffer. Il retrouve vite son souffle et lâche : « Terminus ! »
« Vous pouvez nous laisser là, au carrefour » dit John. « Nous vous remercions beaucoup. Vous êtes de la région ? »
« Je vis à Montpellier. »
« Je connais » dit Jennifer. « C’est une belle ville. J’y ai séjourné avec mon père. Nos sommes allés à La-Grande-Motte voir les pyramides de béton. Un soir dans un restaurant, nous avons eu droit à un concert gitan avec Manitas de Plata. »
Marc se gare sur le trottoir, abandonne le volant pour soulever le hayon et leur donner leurs sacs. La jeune fille l’embrasse et ils se disent au revoir, tout comme s’ils étaient des amis de longue date.
Pensant à l’accident mortel de Lady Di, il ne comprend pas que ses passagers ne lui en aient pas parlé. Il en déduit que ce n’est pas très important pour eux, ou qu’ils ne sont pas au courant. Peut-être aussi qu’ils s’en moquent ?
Ils sont jeunes. Ils voyagent en couple. Eux, ils ont un tout autre projet, vraisemblablement à des années-lumière de la couronne d’Angleterre. Leur voyage emplit leur vie. Il se dit qu’ils ont raison !
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Lui, il n’a pas eu cette chance, celle de voyager durant des jours et des nuits en compagnie de sa petite amie, sur les routes de France. Quant à la pratique de l’auto-stop, c’était du temps où il était boy-scout.
Place du Mandarous à Millau, il fait trois fois le tour du rond-point sans trouver de place pour se garer. Il n’est pas au cinéma où les voitures qui transportent héros et héroïnes trouvent toujours une place, même au beau milieu d’un flot ininterrompu de circulation.
Un jour, il en avait fait par hasard la réflexion à Françoise qui, bien entendu, l’avait pris pour un demeuré, en rétorquant que la rue servant de décor à un film était souvent barrée. « Ah ! bon, tu en sais des choses ! » s’était-il exclamé pour se moquer d’elle.
Bientôt, la camionnette d’un artisan peintre avec ses échelles sur le toit effectue une marche arrière. Marc actionne le clignotant. Il attend. Derrière lui une voiture klaxonne. Il ne bouge pas. Le conducteur insiste.
Une fois la Renault garée, le quinqua emprunte le trottoir de droite. Il claudique toujours, aussi choisit-il un fauteuil de toile, à la terrasse d’un café où il commande un jus d’oranges à une jeune femme qu’il estime être la patronne. Elle n’est pas vêtue de l’uniforme des serveuses. Elle porte une blouse ceinturée avec une chaîne dorée, sur un pantalon de daim marron qui, de dos, la flatte, surtout quand elle se penche pour ouvrir un parasol sur deux. Elle est bientôt secondée par un homme qui s’attaque, lui aussi, au déploiement des parasols. Il est grand. Vêtu d’une chemise blanche aux manches retroussées et en jean. On ne voit que sa chaîne en or autour du cou avec une plaque, comme celles des militaires en guerre. Une fois tués, leurs plaques sont partagées en deux, une moitié est clouée sur leur cercueil, et l’autre offerte à la famille. Mort pour la France !
Unique consommateur installé en terrasse, il surveille leur travail. Il s’intéresse surtout à celui de la jeune femme qui, dans ses gestes, joue harmonieusement de toutes les courbes de son corps. Sans aucune hésitation elle lui offre son décolleté généreux et émouvant d’une féminité conquérante.
Vite rassasié des seins animés de la patronne, il jette un œil à Midi-Libre qui traîne sur une table. Il sait que l’information chasse toujours l’information. Le numéro du jour annonce pourtant l’exposition photos de Paul Bosc au « Club de la Presse de Montpellier ». Il lit rapidement l’article dans lequel Paul est présenté comme ancien reporter de guerre et raconte qu’il a tourné plusieurs films. Certains ont intéressé des chaînes de télévision, mais aucune n’a osé diffuser ses images algériennes : « En France, nous sommes trop frileux avec notre Histoire. Nous ne savons mettre en avant que nos exploits héroïques. Jamais nos faiblesses ! Je peux témoigner qu’en Algérie nous avons torturé des femmes et des hommes. Nous ne sommes pas des saints. Les Algériens n’en étaient pas non plus. C’était la guerre ! Et que l’on ne vienne surtout pas me parler de repentance ! »
Le lieutenant ne peut qu’approuver, puisque depuis leur retour d’Algérie, personne ne voulait écouter ni croire les anciens combattants qui se retrouvaient presque dans la situation des Juifs qui, par miracle, étaient revenus des camps d’extermination nazis. Personne ne souhaitait les entendre et certains pensaient même qu’ils en rajoutaient. Qu’ils jouaient les martyrs ! Qu’ils voulaient imiter les grands-pères de la Grande Guerre. Que cela n’avait aucune importance. Que tout cela était du passé et qu’il fallait vouloir, savoir même oublier pour entrer de plain-pied dans la nouvelle société. Celle de la consommation, du bien-être, des loisirs, et que l’on n’avait plus rien à foutre des rabâcheurs de guerre, des morts, des blessés et des cauchemars.
Et pourtant, ce temps avait bel et bien existé… A quoi bon alors raconter sa guerre ? C’était prêcher dans le désert. Pour une large partie de l’opinion publique – celle qui ne s’intéresse généralement qu’au fric, aux vacances et au football – les anciens d’Algérie s’étaient toujours très mal conduits. Ils avaient tué. Ils avaient torturé. Les paras étaient les premiers visés. Tous des fachos ! Selon les âmes bien pensantes, de plus en plus nombreuses, ils n’auraient pas dû obéir aux ordres. Encore moins les exécuter !
« Enfin quoi ma chère ! Ces garçons auraient dû refuser, contester, se rebeller ! Si à vingt ans on n’a pas appris à dire non, où allons-nous ? » Tout juste si l’on ne leur demandait pas de ne pas avoir fait la grève de la guerre ? C’était toujours tellement plus facile de réécrire l’Histoire. Plus de trente ans après ! De faire des commentaires et de citer les Droits de l’Homme sans retenir ses larmes de crocodile. C’était toujours tellement plus facile de juger de loin. De condamner les acteurs, sans leur donner les moyens de se défendre. Sans les remettre dans leur époque.
La France avait voulu franciser le pays jusqu’à en faire des départements semblables à ceux de la Métropole, avec une administration quasi-identique. Elle avait apporté aussi l’éducation tricolore et une religion. Elle était fille aînée de l’Eglise. Elle pouvait donc jouer les grands seigneurs en considérant les Arabes comme des serfs. Mais voilà qu’un beau matin ces derniers en avaient eu assez du mépris français. Ils avaient décidé de nous l’enfoncer dans la gorge et de nous renvoyer chez nous !
A la lecture des déclarations de son ami au journaliste de Midi-Libre Marc ne peut s’empêcher de revoir Leïla.
Au cours de l’entretien, Paul avait sûrement, lui aussi, pensé à elle et au film qu’il avait mis à l’abri, dans un coffre du Crédit Agricole de Laguiole.
Dans la vitrine d’un marchand de chaussures, il repère une paire de boots, comme il les aime. En voyant le prix sur l’étiquette, il ne peut s’empêcher de commenter que cela fait cher le talon. Deviendrait-il radin ? Il ne se reconnaît plus. Aujourd’hui, lui, les poches trouées, l’enfant gâté, les mains percées, le consommateur effréné. Il s’est enfin assagi.
Au fil du temps, le désir de possession s’est émoussé. C’est fou comme on peut devenir un autre !
Le marchand de chaussures l’observe derrière son journal déplié et par-dessus ses lunettes demi-lunes alors que Marc franchit le seuil du magasin. Aussitôt le commerçant abandonne la page des sports, plie son journal pour accueillir son client d’un professionnel « Bonjour monsieur… Monsieur désire ? » Sans le regarder Marc dit alors : « Les boots noirs, ceux qui sont en vitrine ! Auriez-vous ma pointure, du 44 ? »
« Bien sûr Monsieur ! Magalie, occupez-vous de monsieur, » ordonne le boutiquier.
Magalie est physiquement la plus grande des deux vendeuses qui viennent à l’instant de sortir de la réserve du magasin, pour faire une entrée en scène remarquée. Elle est brune, l’autre blonde. Toutes deux portent une blouse rose avec des poches vertes. Marc se déchausse aussitôt. Il s’en veut de ne pas avoir changé de chaussettes.
La vendeuse s’agenouille sur la moquette en retroussant sa blouse d’Arlequin. Et, une fois à ses pieds, elle lui demande s’il souhaite essayer les deux chaussures ?
Bêtement, il se surprend à lui répondre : « Bien sûr, mademoiselle, si c’est le même prix ? » Enfin chaussé de neuf, il fait quelques pas sur la moquette épaisse et sous les yeux du patron et des vendeuses : « Très bien, je les garde ! »
Il croit deviner le ouf ! de soulagement du boutiquier, qui ajoute que ces boots sont de grande qualité et très à la mode. Il le reprend immédiatement, en lui faisant remarquer qu’ils sont sans doute de bonne qualité, mais de la saison dernière au moins, puisque justement la mode est cette saison aux bouts ronds, et que les bouts de ces chaussures – oui celles qu’il a maintenant aux pieds – sont pointus. A moins d’être aveugle !
Puis, se moquant des cordonniers qui sont toujours les plus mal chaussés, il se met à siffler l’air du petit cordonnier qui voulait aller danser et sort de la boutique, ravi d’avoir fait passer le marchand pour un con devant son personnel.
En souriant l’ancien para se souvient alors du cordonnier des ramblas à Barcelone et de sa fameuse « goma especial ». Il revoit le visage buriné du « zapatero » qui, travaillant en plein air, lui avait offert sa chaise pliante avant de l’inviter à se déchausser, prétextant avec force gestes que ses mocassins avaient besoin d’un patin de caoutchouc. « De la « goma » d’avion, de la « goma especial » ! » Et joignant le geste à la parole il avait aussitôt arraché la semelle des souliers de Marc dans un bruit de longue fermeture éclair qui se déchire tout en continuant de rabâcher : « Especial ! », le laissant pieds nus, cloué sur place dans une échoppe en plein air, sous le regard amusé des passants qui allaient et venaient en vagues successives de la place de Catalunya à la mer.
Coincé, fait comme un rat, il l’avait laissé réparer ses chaussures qu’il venait de rendre inutilisables de deux coups de tenaille. Il avait jeté un œil aux chaussures du cordonnier. C’était des sandales de toile et de corde dont la corde s’effilochait, de vraies sardanes. Il s’était mis alors à fredonner la chanson de Francis Lemarque : « Un petit cordonnier qui voulait allerdanser, avait fabriqué une paire de souliers… »
Le « zapatero » lui avait souri de ses dents jaunes et irrégulières, juste avant de reprendre le couplet en la sifflotant, jusqu’à ce qu’il aperçoive la « Guardia civil » en patrouille. Il s’était tu et s’était remis au travail en baissant la tête sur les semelles. Appliqué. Visiblement, le petit cordonnier n’avait pas la conscience tranquille et craignait un éventuel contrôle. D’ailleurs il achevait au plus vite son travail, encaissait, se levait, pliait sa chaise, chargeait sa boîte à outils sur l’épaule et disparaissait au milieu de la foule.
En le découvrant ainsi, en haut des ramblas Françoise les bras chargés de poches de vêtements et de chaussures s’était moqué de lui. Pourtant, ça pouvait arriver à tout le monde de se faire avoir. Surtout à l’étranger.
Longtemps après dans les dîners, quand il arrivait à un invité d’évoquer l’Espagne et Barcelone, Françoise ne ratait jamais l’occasion de raconter l’anecdote du cordonnier en ajoutant que le ressemelage à « la goma d’avion espécial » était quasiment indestructible puisqu’elle avait dû jeter les mocassins de son mari à la poubelle, non pas à cause des semelles, mais bien des coutures qui avaient fini par lâcher. Toutes en même temps !
« Marc ! Marc ! »
Il relève la tête et le temps de retirer la clef du hayon de sa voiture après avoir jeté ses vieilles chaussures dan le coffre, il reconnaît Paule Andréani qui achève de baisser la vitre arrière fumée d’une grosse berline sombre. Il voit la passagère lui faire de la main de grands signes amicaux.
Un chauffeur sans casquette, mais en costume bleu marine, chemise blanche et cravate noire, veste croisée à boutons dorés, sort de l’automobile. L’ex-officier de l’Armée Française s’approche de la voiture officielle et entend Paule dire au chauffeur, un grand brun aux yeux clairs, athlétique et souriant. Un bel homme, dans son approche animale de la quarantaine. « Oui, s’il vous plaît Jean, apportez-moi une bouteille de Saint Yorre. Merci ! » lui dit-elle en souriant.
En la rejoignant, Marc se souvient que Paule, son amie d’enfance, est l’épouse d’un homme politique, un sénateur de la Lozère. Il la regarde se chausser d’escarpins daim et vernis noirs pour descendre de la Peugeot, tout comme d’un carrosse. « Sans perdre sa pantoufle ! » plaisante-t-il. « On dirait Cendrillon ! » Ils s’embrassent et il ajoute : « Madame, sa voiture et son chauffeur ! Madame profite des privilèges de la République, privilèges qui ressemblent étrangement à ceux de la monarchie. Tu n’as pas honte ? Vivement une nouvelle Nuit du 4 août ! Je pense que les manants se révolteront contre les petits seigneurs des départements qui, depuis les lois de la décentralisation, se la jouent tout comme des petits marquis. D’ailleurs tous, qu’ils soient de gauche ou de droite, se sont installés dans des châteaux. Ma chérie, je voudrais savoir : ton chauffeur n’est que chauffeur ? Hum ! Il est bel homme… »
« Que tu es bête ! Tu ne changeras donc pas. Tu rentres à Montpellier ? »
« Je vais divorcer ! »
« Je n’y pensais plus ! Quelle mouche a donc piqué Françoise ? »
« Tu dois le savoir ! Elle a dû te faire des confidences ? »
« Plusieurs fois, j’ai essayé de l’avoir au téléphone. Elle m’a simplement rétorqué que c’était son problème et que ça ne me regardait pas ».
« Que tu sois au courant ou pas n’a pas d’importance. La décision est prise. Comment vas-tu ? Tu viens de t’offrir un weekend à la mer ? Coquin j’espère ? »
« Pierre m’a obligée de l’accompagner au Château de Castries où le Président de la Région Languedoc-Rousillon avait organisé une soirée. Nous sommes descendus en voiture. Ce matin, à Fréjorgues il a pris l’avion de Paris. Je rentre à Mende. Car tu sais, moi la politique, ça me barbe ! D’ailleurs si ça continue, je crois que je vais finir par imiter ta femme. »
« Comme disent les spécialistes, tu es dans le cœur de cible de toutes celles qui pensent que trente ans avec le même homme est amplement suffisant. Les hommes, eux, sont plus près de vingt que de trente. Résultat : chacun y trouve enfin son compte, faute d’y avoir trouvé l’amour ! »
« Tu as une autre femme dans ta vie ? »
« Je ne me le souhaite même pas ! »
« Je ne te crois pas. »
« Tu fais comme tu veux ! »
« Tu sais que Pierre n’a jamais compris que Françoise t’épouse. D’après lui, c’était un mariage contre nature qui ne pouvait pas tenir. Elle, la fille d’un chirurgien renommé et toi un va-nu-pieds ! C’est vrai, mon mari ne t’aime pas. »
« C’est réciproque. Je me demande encore pourquoi tu l’as épousé. C’est un planqué. Grâce à son père qui était déjà dans la politique et qui fut ministre quelques jours sous la IVème République il s’est fait réformer pour ne pas partir en Algérie. Il n’a même pas eu le courage d’être un objecteur de conscience. »
« Laisse mon mari tranquille… Toi, tu as toujours aimé la guerre. »
« Faire la guerre, tuer, ne s’apprend pas dans les livres. Au début, ton éducation, ton intelligence, ton corps refusent. Mais on t’oblige ! Tes supérieurs te menacent si tu refuses de tuer. Si tu acceptes au nom de la France ils te félicitent, te décorent. Et puis, petit soldat revient bien sagement à la vie civile. Il est seul. Il doit se démerder avec ses cauchemars, sa conscience. Tu ne peux pas savoir. Personne ne peut savoir. Sauf ceux qui ont fait ce chemin. Ceux qui ont appris à donner la mort. A donner le coup de grâce. Tout le reste ma chérie n’est que littérature ou sujet de polémique pour hommes politiques en campagne, qui veulent à tout prix plaire à l’opinion publique. Or, dans l’affaire algérienne, tout Français y est mêlé jusqu’à l’os, même ceux qui n’ont jamais tiré un coup de feu. Je reconnais que je me suis trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, et qu’on m’a mouillé plus que les autres. Depuis, j’ai du mal à sécher au soleil noir de mes souvenirs. »
Tous deux se faufilent entre les voitures en stationnement et gagnent un large trottoir de béton. Elle lui offre une cigarette. Il la refuse. Elle l’allume et la première bouffée la fait tousser, tandis que le vent balaie une mèche de cheveux devant les yeux. Elle secoue la tête, et regarde Marc par en dessous, en disant : « Marc, tu es un drôle de type. »
« C’est une critique ou un compliment ? »
« Un compliment ! »
A pas lents, ils reviennent vers le parking et il lui confie : « Je te trouve très en beauté. »
« Merci, vil flatteur ! Toi, tu n’as pas changé. Même pas pris un gramme ! Tu es au courant pour la princesse Diana ? »
« Oui, les radios ne parlent que de l’accident. Tu sais, moi les princesses ! Les vraies, les fausses ! »
Paule lui sourit.
A cet instant, il a envie de la bousculer, et même de la renverser sur la banquette arrière de sa voiture officielle, fleurie de la cocarde tricolore, mais quatre hommes qui discutent affaires en regagnant leurs voitures l’en empêchent. Il remarque que leurs regards s’attardent plus longuement sur la silhouette de Paule, le cheveu blond cendré ramené en chignon, le tee-shirt noir, ras du cou, sous un tailleur jupe prince-de-galles, gris souris, le collant fumé et l’escarpin vernis.
Très BCBG. Comme d’habitude !
« Vous êtes convoqués quand chez le juge ? »
« Mercredi après-midi. C’est la seconde et dernière fois. Nous divorçons à l’amiable. »
« C’est mieux ! »
« Je ne sais pas, je crois. Et puis je m’en fous ! »
« A l’amiable, ça doit être plus facile, ça doit laisser moins de rancœur. »
Marc n’a pas envie de parler de Françoise, ni de leur divorce, ni de sa soirée à Paris, ni… Il a envie de parler de leurs souvenirs. De leurs espoirs. De leurs rêves. Il a envie d’ouvrir en compagnie de Paule les tiroirs de leur adolescence, du temps où ils étaient gamins, quand ils pensaient qu’en s’embrassant sur la bouche ils risquaient de faire un enfant.
« Un de ces soirs, nous pourrions peut-être dîner ensemble. Nous aurions le temps de parler. » « Pourquoi pas ? Mercredi soir par exemple ? Viens me rejoindre à Mende, je peux te loger. »
« On s’appelle ! »
Le chauffeur revient avec une bouteille d’eau de Vichy.
« Merci Jean. A mercredi Marc… »
« Non, jeudi. Je n’ai pas ton numéro de téléphone, et je ne suis pas équipé d’un portable. Il va bien falloir que je me décide à vivre avec mon temps. »
Paule se retourne, saisit son sac à main sur la banquette de la voiture noire, l’ouvre, en extirpe une carte de visite qu’elle tend à Marc. Puis, elle lui offre sa joue pour qu’il l’embrasse, mais ils ne peuvent pas éviter de s’effleurer les lèvres.
Souriante, elle remonte à l’arrière de la Peugeot officielle. Le chauffeur claque la portière, salue Marc et s’installe au volant.
« A jeudi ! J’ai hâte que tu me racontes la suite de tes aventures, » lance-t-elle à travers la fenêtre arrière de la voiture noire qui effectue une marche arrière.
« Si tu n’étais pas aussi pressée, nous pourrions peut-être partir en voyage. Pourquoi pas à Barcelone ? »
Nous sommes au tout début du XXe siècle. Isabelle Eberhardt a un peu plus de 20 ans et elle marche dans le désert du Sahara. Elle s'enfonce dans les dunes, parfois à pied, souvent à cheval.
Moi à qui le paisible bonheur dans une ville d'Europe ne suffira jamais. J'ai conçu le projet hardi pour moi, réalisable de m'établir au désert et d'y chercher à la fois la paix et les aventures. Chose conciliable avec mon étrange nature.
Elle ne le sait pas, bien sûr, mais il lui reste seulement quelques années à vivre. Elle fait partie du club des 27 avant l'heure, comme Amy Winehouse, Jimi Hendricks et Kurt Cobain. Elle était de ceux qui n'ont pas le temps, de ceux qui se doivent de découvrir comme s'ils savaient qu'ils ne resteraient pas ici très longtemps. Alors, elle a parcouru l'Algérie, le Maroc, la Tunisie.
Mais remontons un tout petit peu dans le temps.
Garçon manqué
17 février 1877, elle est Verseau. Peut être qu'elle s'en fiche, mais je le dis pour nos auditeurs passionnés d'astrologie. Déjà, sa naissance est un condensé de nationalités, de cultures. Isabelle Eberhardt, née en Suisse, près de Genève, d'une mère russe d'origine allemande et probablement d'un père né en Arménie, alors tuteur, professeur, précepteur de ses frères et amant de sa mère. Il ne la reconnaîtra jamais, mais il semble que ce soit bien lui, le père.
Il l'élève en tout cas "comme un garçon", dit-on à l'époque. D'une manière assez étrange pour nous qui regardons cette période aujourd'hui. D'un côté, dans la liberté, les pensées anarchiques. Il lui apprend la philo, l'histoire et partage avec elle son amour des langues. Isabelle parle le russe, bien sûr, mais aussi l'allemand, le français, l'italien, l'arabe et le turc. Impressionnant. D'autant plus impressionnant que l'arabe, elle, l'apprend seule. D'un autre côté, leur éducation est très stricte. Ni Isabelle ni ses frères n'ont le droit de sortir de leur villa, enfermés, calfeutrés, ce qui lui est de plus en plus insupportable.
J'avais soif de liberté et je n'ai pas trouvé la liberté chez nos libertaires.
Alors, elle s'évade dans l'écriture et dans les livres. Elle lit à l'ombre du sapin du jardin Tchekhov, Tolstoï, mais aussi Pierre Loti et elle écrit des lettres avec des correspondants qu'elle connaît plus ou moins. Parmi eux, un jeune militaire français basé à Oran et un ami de ses frères qui l'initie à l'islam.
Avant même d'y mettre un pied, peut être aussi grâce à ses correspondances, le Maghreb la fascine. Avec son frère, elle écrit un voyage imaginaire qui s'y déroule. Une nouvelle publiée alors qu'elle a seulement 18 ans. Infernalia. Il est publié non pas sous son nom, mais sous un pseudo, celui de Nicolas Podolinsky. Déjà sa correspondance était, au gré de ses humeurs, signée d'un nom d'homme ou d'un nom de femme.
Il ne faut jamais chercher le bonheur. Il passe sur la route, mais toujours en sens inverse.
Bientôt, elle ne se contentera pas de signer ses nouvelles d'un nom masculin. Elle en prendra aussi l'apparence pour pouvoir se fondre dans les deux corps et vivre libre. Direction les immenses dunes du Sahara qui dessinent un paysage mouvant qui change sans cesse.
Je ne suis qu'une originale, une rêveuse qui veut vivre loin du monde.
Vivre libre et nomade, pour essayer ensuite de dire ce qu'elle a vu et peut être de communiquer à quelques uns, le frisson mélancolique et charmé qu'elle ressent en face des splendeurs tristes de Sahara.
L'appel du désert
Isabelle Eberhardt a 20 ans quand son rêve d'ailleurs prend corps. Sa mère russe veut elle aussi découvrir l'autre rive de la Méditerranée. Là bas, au loin, mais pas si loin. L'Algérie. Elle traverse en 1897, arrive à Beaune, une ville qui s'appelle aujourd'hui Annaba. Très rapidement, la fille et la mère quittent les beaux quartiers des expatriés pour se mêler à la vie algérienne. Elles s'installent dans un quartier populaire, se retrouvent dans cette culture qui les fascine toutes les deux. Mais soudain, sa mère décède. Alors, que faire ? Partir, rester ?
Elle écrit dans son journal :
Je resterai toute ma vie amoureuse des horizons changeants, des lointains encore inexplorés. Car tout voyage, même dans les contrées les plus fréquentées et les plus connues, est une exploration.
Elle enfourche son cheval et s'en va vers les dunes du Sahara, qui l'appellent depuis si longtemps, desquelles elle rêve depuis son adolescence. Direction Batna, à 51 heures de marche, nous apprend aujourd'hui Google Maps. Puis descend vers Oued Souf, pas très loin de la frontière tunisienne, à 70 heures de marche supplémentaire. Les paysages sont sublimes, enveloppants. Sur la route, elle apprend le décès de son père, puis de l'un de ses frères. Elle est seule, seule avec son chagrin, mais aussi avec son bonheur.
Pour qui connaît la valeur et aussi la délectable saveur de la solitaire liberté, car on n'est libre que tant qu'on est seul, l'acte de s'en aller est le plus courageux et le plus beau. Égoïste bonheur peut être, mais c'est le bonheur pour qui sait le goûter.
Isabelle Eberhardt se convertit alors à l'islam. Elle se fait désormais appeler Mahmoud Saadi, en référence au poète persan. Elle a les cheveux courts, des habits de garçon - pour l'époque, un costume de bédouin. Elle ressemble à une photo de Pierre Loti. Elle pourrait être "gender fluid" avant l'heure. Ce n'est pas qu'elle se sent mal dans son corps de femme (en tout cas, elle n'a rien écrit sur la questio), c'est qu'elle veut circuler librement, qu'on ne la remarque pas, qu'elle puisse observer à sa guise sans que son genre soit une question. Qu'elle puisse transmettre aussi cette culture qu'elle aime tant. Chaque jour, elle écrit. Elle doit revenir en Europe quelques mois, mais tout lui crie de revenir au Maghreb. C'est là-bas qu'elle veut vivre.
Nouvelle traversée de la Méditerranée. Alger, fin juillet 1900 :
Je dois isoler mon âme de tout contact humain, créer un nid solitaire au fond du désert, un endroit où je pourrais enfin être.
Elle épouse tout de cette région, s'y intéresse avec minutie et assez logiquement dans ses écrits. Elle s'oppose avec force aux colonialistes d'alors, anglais et français qui, pour beaucoup, cherchent plutôt à imposer leurs cultures que de connaître celle du Maghreb. Elle fait le chemin intellectuel inverse. Alors sur place, en découvrant que cette jeune aristocrate se lie d'amitié avec des Algériens, les dents des militaires grincent. Au début, ils sont juste étonnés. Qui est cette jeune femme qui se grime en homme et qui est tant intéressée par la région? Il y a forcément un loup. Alors, elle est suivie, très vite espionnée. Ce qui ne l'empêche pas de partir enfin vers le désert tant attendu, vers El Oued.
J'aime mon Sahara d'un amour dense, mystérieux, profond, inexplicable. Ma vie est désormais liée pour toujours à ce pays que je ne dois plus quitter.
Là-bas, la chaleur est accablante. Ses émotions sont puissantes. Elle écrit sans s'arrêter. Elle y rencontre Slimène Ehnni, un sous officier musulman de l'armée française dont elle va décider de partager la vie. Par le biais de Slimène, la jeune femme est intronisée secrètement dans un ordre soufi.
El Oued me fut une révélation de beauté visuelle et de mystère profond. La prise de possession de mon être errant et inquiet par un aspect de la Terre que je n'avais pas soupçonnée.
El Oued, le Sahara, l'amour avec son compagnon Slimène. Nous sommes au début du siècle, 1900, et plus Isabelle Eberhardt se rapproche des locaux, plus elle écrit sur leur culture, plus elle suscite la haine des militaires français. La colonisation est relativement récente : un demi siècle pour l'Algérie ; la conquête du Sahara s'achèvera en 1902 et celle du Maroc en 1901. Le Maroc, où elle se rend- à la frontière, tout du moins, elle qui sillonne l'Algérie à la recherche de réponses, de sensations et de découvertes.
En réalité, où est la frontière? Personne ne se soucie de le savoir. La situation actuelle hybride et vague convient aux caractères arabes.
Les militaires exaspérées la font suivre, l'espionnent, guettent le moindre faux pas, veulent comprendre ce qu'elle mijote, elle qui, pour pouvoir se déplacer plus facilement, se grime en jeune garçon bédouin une bonne partie du temps.
Je ne demande rien au destin, si ce n'est de me laisser vivoter en paix dans mon désert, loin de l'hypocrisie et de la bassesse des hommes. Car jamais aucun autre site de la Terre ne m'a ensorcelé.
1901, annus horibilis
Isabelle Eberhardt n'agace pas que les Français. Des extrémistes religieux algériens s'en inquiètent eux aussi, surtout les membres d'une communauté soufie éloignée de la sienne. Première punition : Slimène, son compagnon militaire, est envoyé par les Français à l'autre bout du pays. Elle l'a bien cherché, après tout. Il faut alors de l'argent au jeune couple pour se rejoindre. Alors, elle cherche. Elle cherche notamment auprès d'instances religieuses. Et un matin, alors qu'elle se promène, un homme surgit de l'ombre. La scène est rapide. L'homme lève le bras, un grand couteau au dessus de la tête, et tente de le lui planter dans le cœur. Par réflexe, elle se protège et c'est son bras qui est transpercé.
Les épreuves de ce monde ne font que tremper mon âme.
Très vite, l'homme est maîtrisé. Elle apprendra plus tard qu'il est membre d'une autre confrérie soufie. Elle échappe d'un souffle à la mort. Nous sommes le 29 janvier 1901. Annus horribilis puisque quelques mois plus tard, lassés, inquiets, les Français l'expulsent d'Algérie. Étant de nationalité russe et non de nationalité française, elle est malheureusement assez simple à expulser.
Malgré la tristesse profonde qui a envahi mon cœur, ma rêverie n'est point désolée ni désespérée. Après ces derniers mois si tourmentés, si incohérents, je sens mon cœur trempé à jamais et invincible désormais, capable de ne point fléchir, même à travers les pires tempêtes, à travers tous les anéantissement et les deuils.
Pour pouvoir repartir en Algérie, il faut donc qu'elle soit française. Slimène, son amant ayant la nationalité, la retrouve à Marseille où ils se marient.
Une fois que c'est chose faite, elle repart à l'assaut du désert.
Un droit que bien peu d'intellectuels se soucient de revendiquer, c'est le droit de l'errance, du vagabondage. Et pourtant, le vagabondage, c'est l'affranchissement. Et la vie le long des routes, c'est la liberté.
Isabelle Eberhardt s'amuse de tous ces gens qui ne comprennent pas. Elle joue avec le masculin et le féminin, avec l'obscurité et la lumière. De moins en moins elle se grime en homme, son double Mahmoud.
J'éprouve de plus en plus de dégoût pour ce second moi, voyou et dégingandé moralement, qui fait son apparition de temps en temps.
Un admirateur nommé Lyautey
D'un côté, son amour de la religion, son attrait pour l'islam. De l'autre, son goût immodéré pour l'absinthe et le kif. Mais ce serait une nouvelle fois la réduire, tant sa personnalité est complexe, et peu arrivent à la suivre. Elle fascine un jeune général français, Lyautey, impressionné par son esprit. Il dira d'elle :
Personne ne comprend l'Afrique mieux qu'elle
Alors était-elle une espionne ? Au compte de qui ? Au fond, on n'a aucune certitude. Ce qui est certain, c'est qu'elle était une femme de lettres, une aventurière et une avant-gardiste. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, les femmes rédactrices ne représentent en France que 5% des effectifs de la profession.
Angoissée, elle semble, avec les années qui passent, s'apaiser, trouver une forme de paix en elle. Elle est elle, sans aucun préjugé.
Moi qui, naguère encore, rêvait de voyages toujours plus lointains. Qui souhaitait d'agir. J'en arrive à désirer, sans encore oser me l'avouer bien franchement, que la griserie de l'heure et la somnolence présente puisse durer, sinon toujours, au moins longtemps encore.
Mais sa vie agitée n'est pas sans conséquences sur sa santé. Elle attrape le paludisme, mais ne reste pas à l'hôpital. Elle veut retrouver Slimène, son mari, à l'oasis de Aïn Sefra. Se poser un peu, rêver, méditer.
Le 21 octobre 1904, la voici enfin avec Slimène. Elle est arrivée la veille, prête à se faire dorloter, pour se requinquer. Et soudain, un bruit sourd de plus en plus intense se rapproche. La porte s'ouvre et une coulée de boue, un torrent emporte une partie de leur maison. Une crue subite.
Affaiblie par la maladie, Isabelle aurait peut être le temps de partir, mais elle ne veut pas laisser ses écrits. Elle se débat avec le courant, tente vainement de sauver des carnets et finalement, elle meurt, emportée.
Certains disent qu'elle attendait son mari, que le mur de leur maison s'est effondré sur elle. Ils sont plusieurs à mourir ce jour là.
Elle avait 27 ans.
Sur sa tombe tournée vers La Mecque, est écrit "Isabelle Eberhardt, épouse Slimène Ehnni" en caractères romains et "Mahmoud Saïdi" en lettres arabes (le nom de ce jeune bédouin dont elle prenait régulièrement l'apparence).
Si on peut lire nombre de ces écrits aujourd'hui, c'est grâce au général Lyautey. Brisé par le chagrin, il dépêche ses hommes pour qu'ils retrouvent le corps de la jeune femme, mais aussi ses écrits. Le corps est retrouvé six jours plus tard. Les écrits sont, eux, retrouvés de façon éparse. Curieusement, tous les mots n'avaient pas été effacés par les eaux et ils restaient pour la plupart, lisibles, tantôt écrits au masculin, tantôt au féminin. Ils seront publiés après sa mort.
Tout le grand charme poignant de la vie vient peut être de la certitude absolue de la mort ; si les choses devaient durer, elles nous sembleraient indignes d'attachement.
Le conflit idéologique qui oppose les islamistes et les démocrates en Algérie a connu un certain regain depuis le début des contestations populaires du 22 février 2019. Avant de revenir sur l’historique de ces deux courants et leurs principaux points de divergence, il est important de faire un bref rappel des événements qui ont eu lieu depuis quelques mois.
En effet, depuis le 22 février 2019, plusieurs milliers – voire millions – de personnes manifestent chaque semaine dans plusieurs villes du pays pour réclamer un changement de régime politique. Cet état de fait n’a bien évidemment pas laissé indifférents les islamistes et les démocrates, qui représentent les deux principaux courants politiques dans le pays.
Ainsi, en novembre 2019, Saïd Sadi, l’une des principales figures du courant démocrate, fut pris à partie à Marseille par un homme qui lui reprochait de s’être allié au régime en place en Algérie pendant les années 1990, période caractérisée par une montée des violences terroristes qui feront environs 200.000 morts et des milliards de dollars de dégâts matériels. Cet homme sera présenté plus tard comme étant proche de Rachad, principal mouvement islamiste algérien auquel appartiennent également Mohamed Larbi Zitout et Amir DZ, deux personnalités très en vue sur les réseaux sociaux.
Quelques mois après l’événement de Marseille, Saïd Sadi s’attaquera au même mouvement Rachad, qu’il accuse entre autres de « participer assidûment aux conférences de l’islamisme international en Europe, en Turquie et au Qatar ». Enfin un troisième événement important dans la lutte idéologique opposant les islamistes aux démocrates a eu lieu à la fin du mois de juin 2020. Il s’agit de l’annonce de Saïd Sadi de son intention de saisir la justice contre Mohamed Larbi Zitout et Amir DZ, qui l’avaient accusé de complicité dans l’assassinat du chanteur Kabyle Lounès Matoub survenu le 25 juin 1998.
L’histoire de ces deux courants politiques au sein de l’Algérie indépendante
Au début des années 1980, les courants démocrate et islamiste, qui étaient déjà présents depuis l’indépendance en 1962 commencent à prendre de l’ampleur. Ils œuvrent d’abord dans la clandestinité étant donné que l’Algérie est alors gouvernée par un système de parti unique quelque peu inspiré du modèle soviétique. Leurs terrains d’activité sont les universités et les syndicats pour les démocrates, tandis que les islamistes occupent principalement les mosquées et les écoles.
En 1988, de violentes émeutes éclatent à Alger et dans d’autres régions du pays. Ceci force le président d’alors, Chadli Bendjedid à adopter une nouvelle constitution qui ouvre le champ politique à partir de 1989. De nombreux partis voient alors le jour dont le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le Front des forces socialistes (FFS) – qui existait depuis 1963, mais n’est agréé qu’en 1989-. Mais aussi et surtout le Front islamique du salut (FIS), parti représentant la branche dure du courant islamiste et prônant l’instauration d’un Etat théocratique régi par la Charia, la loi coranique.
En 1990 sont organisées les premières élections locales depuis l’avènement du multipartisme, qui sont largement remportées par le FIS. Devant cette montée en puissance du parti radical et l’inévitabilité de sa victoire aux élections législatives de 1991, qui lui aurait permis de suspendre la constitution et d’instaurer un Etat islamique, l’armée décide d’intervenir. Le président Chadli Bendjedid est forcé à la démission et la dissolution du FIS est prononcée. Ces événements plongeront l’Algérie dans une période de violences terroristes dont elle ne sortira qu’au début des années 2000.
Une guerre idéologique qui dure depuis plus de 30 ans ?
La principale divergence entre les deux courants concerne le type de régime qui doit gouverner le pays. Alors que les islamistes souhaitent instaurer un Etat théocratique régi par la loi coranique et les préceptes de l’islam, les démocrates militent de leur côté pour la création d’une république laïque grandement inspirée des modèles européens. Autre cette divergence, les deux courants ont également des différends d’ordre historique.
En effet, deux périodes de l’histoire algérienne font l’objet de différences fondamentales entre les courants islamistes et démocrates : la guerre d’indépendance et la décennie noire des années 1990. Concernant la première période, les islamistes voient qu’il s’agit d’un Jihad (guerre sainte) contre une France chrétienne avec pour objectif l’instauration d’un Etat islamique.
Les démocrates sont opposés à cette idée et voient que la guerre d’Algérie est une lutte anticolonialiste, sans rapport avec la religion, et qui avait pour objectif la fondation d’une Algérie moderne, basée sur les principes de la démocratie et de la laïcité.
Concernant la décennie noire, les islamistes nient avoir été responsables des massacres qui ont eu lieu à cette période, ils se défendent notamment en arguant que ceux-ci auraient été perpétrés par les services de renseignement pour les décrédibiliser auprès de la population. Une vision réfutée par les démocrates, qui accusent les islamistes d’avoir pris les armes à la fois dans un objectif de vengeance après la dissolution du FIS, mais également pour punir leurs opposants, dont beaucoup ont été assassinés au cours de cette période.
Les démocrates et les islamistes continuent de s’affronter
De nos jours, les démocrates et les islamistes continuent de s’affronter notamment sur les réseaux sociaux et par le biais de la presse interposée. Des personnalités comme Mohamed Larbi Zitout et Amir DZ, appartiennent tous deux au courant islamiste – se servent entre autres des plateformes Facebook et Youtube – pour la diffusion de leurs idées.
Le dernier développement en date dans cette lutte idéologique, est l’intervention du président du Sénat et ancien combattant de la guerre d’Algérie Salah Goudjil. Celui-ci a affirmé que « le 1er novembre (…) énonce l’édification d’un Etat démocratique, populaire et social dans le respect des principes de l’Islam. Une déclaration qui porte donc un coup aux affirmations des deux camps concernant la guerre d’Algérie, puisque selon Salah Goudjil, cette guerre n’avait pour objectif ni de créer un Etat islamique, ni de fonder une Algérie laïque où la religion musulmane n’aurait pas sa place.
Guerre d'Algérie : Si Azzedine chef de lutte armée du FLN sur le site de la bataille de Palestro se souvient.(A sa gauche Nached son adjoint dans le maquis) Il montre le gorges de Palestro les flancs de la montagnes et raconte la bataille "la victoire ns la devons à MASSU... Le meilleur recruteur pour nous c'est MASSU. Pdt toute la bataille ns avons eu 1 blessé et récupère des centaines d'armes."Il montre le village anciennement appelé St Pierre et St Paul où St trouvait l'unité de JJ. SERVAN SCHREIBER dirigée par de BOLLARDIERE qui était "contre la torture, très intelligent, très dur pour nous... Le commando noir ne violait pas, ne volait pas, donnait des soins a la population... En France ns avons des amis qui se sont battus avec nous... La France vient mains tendues, nous applaudissons. Le peuple algérien a tourné la page-... Je préfère évoquer les amis français qui se sont battus pr cause algérienne (réseau JEANSON), pas la France du général MASSU qui a laissé des souvenirs atroces."
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Fifi Lamia Hadjouti Chellali
29 janvier 2018 ·
LETTRE OUVERTE DE LA STYLISTE YASMINA AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ALGERIENNE.
Monsieur Le Président,
Je ne sais si cette lettre va vous parvenir et dépasser les nombreuses barrières qui vous isolent de nous citoyens, vos compatriotes, qui n'ont plus que vous, pour ultime recours, ou bien, si elle va connaitre le sort des correspondances de mon époux, le Commandant Si Azzedine, dont une seule vous est parvenue. Le Premier ministre, M. Sellal, l'avait à cet effet reçu pour lui signifier votre volonté de résoudre son problème. Volonté par vous exprimée à laquelle, hélas, il n'a pas donné de suite. Quant aux autres courriers, ils semblent s'être sublimés dans les catacombes de l'administration. Monsieur Le Président, je me hasarde et la jette comme une bouteille à la mer, que mes prières accompagneront en cultivant l'espoir que vous allez en prendre connaissance, même si mes illusions, quant à un retour d'effet, sont d'une affligeante ténuité, ce qui ne me décourage pas pour autant. Depuis près de cinq ans, toute notre ma famille et particulièrement mon mari, que vous connaissez pour avoir servi ensemble la Révolution nationale, nous vivons une situation intenable, suite à une malheureuse affaire commerciale. A cette infortune désastreuse s'est greffé le drame de l'arrestation et de l'assassinat, oui Monsieur Le Président, de l'assassinat le 23 novembre 2017, de mon gendre, Hamza Hadjouti, le mari de ma fille, par les services de sécurité qui avaient, procédé à son arrestation, dont nous ignorons jusqu'à présent pour quelles raisons. Le silence observé par toutes les autorités, à tous les niveaux de l'Etat, est non seulement incompréhensible mais nous le ressentons comme une marque de mépris à l'égard des citoyens que nous sommes. Monsieur Le Président, Ce n'est pas à vous, Premier magistrat du pays, gardien-protecteur des intérêts supérieurs de la Nation, que je vais apprendre que nous sommes en 2018, dans une Algérie qui parachève la construction d'un Etat de droit que vous appelez de tous vos vœux, vos interventions en sont la preuve. Ma famille serait-elle condamnée du fait de la bureaucratie, ou de conflits de compétence, ou de guéguerres de secrétariats, à errer d'offices en cabinets, et frapper à des portes qui se sont transformées en murailles. Notre impuissance est aussi grande que le silence assourdissant qui nous est opposé. Mon mari a fait l'objet d'une escroquerie unique dans l'histoire de la criminalité organisée en Algérie. La police chargée de l'enquête a classé l'affaire comme si les sommes dont il été dépouillé étaient de la menue monnaie d'un parcmètre. On lui refuse, l'acquisition d'un bien qu'il exploite depuis 52 ans, par un simple claquement de doigt, alors que des entreprises florissantes ont été cédées au dinar symbolique. Cet immeuble, était son seul bien. Il lui était de rapport sous le Président Boumediène, Le président Chadli Bendjedid, Le Président Zeroual et vous-même jusqu'en 2015 date à laquelle il été mis fin brutalement à sa gérance. Pourquoi ? Monsieur le Président, Ordonnez à vos services une enquête financière sur les biens de mon époux tant en Algérie qu'à l'étranger. Demandez leur sa situation vis-à-vis de l'administration des impôts alors qu'il exploitait cet immeuble de la rue Hammani. A qui se plaindre Monsieur Le Président ? A qui s'adresser pour qu'on nous regarde ? Mon mari à écrit au ministre de la Justice qui n'a pas daigné battre d'une paupière, ne serait-ce que par égard au Commandant Azzedine et ce qu'il représente dans l'histoire de la Libération nationale. Il n'est dit nulle part dans les textes constitutifs du corpus législatif du pays qu'un ministre est au dessus des citoyens dont n'est que l'administrant et jamais le supérieur, et les regarder du nez. Si pour l'administration le jeune Hadjouti Hamza, n'est qu'un numéro d'identification, sur une carte d'identité et maintenant sur un permis d'inhumer et une tombe, il est le père de mes deux petits-enfants. Que leur dirai-je quand ils atteindront l'âge des questions ? Je ne demande pas une trituration des lois qui me mettraient au-dessus d'elles. Juste une attention à nos appels. Que le cri de douleur d'une famille soit écouté, à tout le moins entendu. Je vous prie d'agréer, Excellence, l'expression de mon plus profond respect.
Yasmina
*Une page héroïque du commando Ali Khodja (Wilaya IV)…racontée par le commandant Azzedine
« Fi Djbel Bouzegza Ki djat Franssa testehza Hasbetna khobza Tahna aâliha berraffal ! » (Chanson populaire durant la guerre de Libération nationale)Le Bouzegza est ce massif bleu violacé, couleur qui lui a donné son nom (azegza veut dire bleu en tamazight) qui offre, à l’est de la Mitidja, son ubac à la mer. C’est ce dos de lion couché qui porte sur ses contreforts les gros bourgs voisins méridionaux et orientaux de la capitale. C’est ce lieu d’où ont déferlé les fantassins en armes, tout comme l’ont fait ceux de l’Ouarsenis et du Djurdjura pour courir au secours d’Alger, désertée par les Janissaires en déroute le 14 juin 1830, quand les armées coloniales se sont répandues sur la grève de Sidi Fredj. C’est ce djebel mythique où le prestigieux commando Ali Khodja, unité d’élite des combattants de la glorieuse ALN de la Wilaya IV, a écrit, les 4, 8 et 12 août 1957, des pages de légende parmi les plus illustres de la guerre de Libération nationale. Djebel qualifié de « pourri » par le général Jacques Massu dans ses mémoires en raison de la dérouillée qu’il y a écopé puisqu’il y a laissé plus de six cents morts dans les rangs de son armée ! Après le démantèlement de la première zone autonome d’Alger successif à l’arrestation de son chef Yacef Saâdi (23 septembre 1957) et la mort d’Ali La Pointe et de ses compagnons dans un refuge à La Casbah (8 octobre 1957), l’armée française a considérablement épaissi ses effectifs militaires dans les maquis, particulièrement les wilayas périmétriques de la capitale. La pression s’est particulièrement imposée sur la Wilaya IV, d’évidence en raison de sa contiguïté.
Dès lors qu’Alger a été éreintée et sa farouche résistance réduite, il ne se passait plus un jour sans que les armées coloniales en nombre, tous corps confondus, appuyées par des moyens aériens et terrestres considérables, ne se déploient comme la misère sur le monde à travers monts et talwegs. Un harcèlement permanent ! Il en sortait de partout. Les hélicoptères de transport, qu’on appelait les « bananes » (voir encadré), pondaient journellement des hommes en armes sur les crêtes et les pentes des reliefs les plus escarpés. Une crête occupée par l’adversaire était pour nous une bataille de perdue ! Le quadrillage était d’un tel maillage que la seule région de Ouled Moussa (ex-Saint-Pierre-Saint-Paul) était hérissée de pas moins de 58 postes militaires ! Une submersion asphyxiante qui nous contraignait à vivre en apnée. Alors que depuis les premières actions d’Ali Khodja et de son commando nous avions appris à opérer et nous mouvoir au grand jour, la constriction exercée sur nous par l’ennemi nous astreignait à une position défensive. L’initiative nous avait échappé et sans une réaction salutaire, nous risquions de perdre tout le terrain laborieusement gagné politiquement et militairement, après de durs combats souvent coûteux en vies humaines. Face à ce pressing mortel, le conseil de la Wilaya IV, alors présidé par le commandant Si M’hamed – qui assurait encore l’intérim du commandement après le départ pour Tunis du colonel Si Sadek – avait pris la décision historique et combien audacieuse de lancer une offensive généralisée contre les villes et villages relevant de sa compétence territoriale. Cette stratégie apparaissait comme la seule solution susceptible de desserrer l’étau létal qui nous étranglait. L’extension de nos capacités de nuisance et l’élargissement de notre champ d’intervention, la multiplication des points d’impact de nos raids allaient nécessairement fragmenter les rangs de l’adversaire et modérer la compacité de ses énormes moyens.
Nous somme début août 1957, conformément à l’ordre du conseil de wilaya, toutes les unités combattantes que comptait la IV sont passées à l’action. Du fait de ma parfaite connaissance de la région de Tablat, de son relief et de ses installations militaires sensibles – je m’étais évadé de sa prison le 20 octobre 1956 – il échut au commando Ali Khodja, que je dirigeais depuis sa reformation à Boukrem en janvier 1957, la mission de mener une attaque et d’y faire le plus de tintouin possible pour y semer la panique dans les rangs et la peur dans les esprits. Malheureusement, en arrivant de nuit aux abords de ce gros bourg qu’il était à l’époque, contrôlant une position stratégique sur l’axe routier Alger-Bou Saâda après le col des Deux Bassins, notre déconvenue a été grande quand nous avons constaté une concentration massive de troupes ennemies fortement équipées. L’armée coloniale s’apprêtait visiblement à lancer un de ces terribles et redoutables ratissages qui n’épargnait rien, ni les hommes ni leur environnement. Audacieux mais surtout pas téméraires, nous avons évité l’objectif pour le contourner et nous diriger vers le nord, vers le massif de Bouzegza. Sans le savoir, nous allions à la rencontre de ce qu’un coup du destin va transformer en un véritable enfer sur la terre. Alors que nous faisions mouvement vers la région de Djebel Zima, au centre du triangle Khemis El Khechna-Tablat-Lakhdaria, éludant prudemment un affrontement défavorable pour nous contre un ennemi de loin supérieur en nombre et en moyens, les autres unités avait lancé des attaques foudroyantes sur toutes les cibles qui avaient été déterminées. L’écho a été puissant et à la hauteur de nos espérances. La section de Si Boualem avait opéré contre Palestro (aujourd’hui Lakhdaria) avec succès. Les djounoud avaient même pris le soin de vider une pharmacie, emportant médicaments et nécessaires de premiers secours. Cependant, jouant de malchance, lors de la retraite de nuit, l’infirmier de la section fut arrêté. Interrogé sur la destination du retrait de sa section, sauvagement torturé, épuisé, il finit par lâcher, tout à fait fortuitement, une destination : Bouzegza ! Il savait que c’était faux mais il pensait ainsi fourvoyer ses tortionnaires sur une fausse piste. Ce qu’il ne savait pas par contre, c’est que nous nous étions réfugiés dans cet endroit, convaincus que nous y serions à l’abri car loin des voies principales de communication. Il y a lieu de préciser qu’en 1957, les montagnes et les forêts d’Algérie n’avaient pas encore été balafrées de pistes, chemins et sentiers par les scrapers et les bulldozers du génie militaire.
Ainsi, ne sachant bien évidemment rien du sort cruel de l’infirmier malchanceux de la section de Si Boualem, nous pensions que nous étions loin d’une éventuelle opération des Français. La région de Djebel Zima où nous avions décidé de nous arrêter était traversée en son milieu par une ravine fortement encaissée. C’est un petit affluent de l’oued Corso, sec en cette période de l’été. Les versants de la montagne étaient inégalement couverts ; tandis que l’un présentait plutôt l’aspect d’un maquis plus ou moins buissonneux, l’autre qui lui faisait face était constitué de pierraille et de caillasse incandescente en ce mois d’août. Nous étions réfugiés dans les maisonnettes éparses de la dechra. Nous comptions les heures et, de manière générale, lorsqu’arrivait 13h, nous pouvions souffler car une attaque ennemie qui commençait à cette heure de la journée nous permettait souvent, après une résistance conséquente, de décrocher à la faveur de la nuit tombante. L’obscurité rendait l’intervention de l’aviation impossible et l’usage de l’artillerie inutile. Nous exploitions les ténèbres pour sortir du ratissage. Mais cela était valable pour les mois d’hiver, vu la courte durée du jour. En été, la nuit tombe tardivement. Ce qui faisait que ce n’est que sur les coups de 16h que la menace s’éloignait sans jamais disparaître et anesthésier notre vigilance. L’armée française ne sortait ordinairement pas une certaine heure passée. Alors, nous pouvions nous occuper des tâches d’hygiène et profiter de l’accalmie pour une petite toilette et/ou une lessive. Ce jour du 4 août 1957, il était approximativement 15h, tout paraissait tranquille. Subitement les cigales cessèrent de striduler… Brusquement comme surgit du silence et jaillit du néant, un déferlement d’hommes et d’armes emplit, dans un grondement tumultueux, le ciel et la terre. Le versant, qui faisait face aux masures dans lesquelles nous nous trouvions, a été littéralement dévasté par les tirs de l’aviation. De l’infirmerie tenue par Baya el Kahla, une infirmière digne de tous les éloges, où je rendais visite aux malades et aux blessés, j’observais le déluge de fer et de poudre qui s’abattait sur un espace qui ne mesurait pas plus de deux kilomètres carrés.
Des moyens démesurés, cyclopéens avaient été déployés contre ce qui en l’état de leur connaissance se voulait la simple section du capitaine si Boualem qui avait opéré son coup de force à Palestro. Sur les crêtes qui nous faisaient face, les « bananes », tels des oiseaux d’acier géants pondaient, dans la chaleur et la poussière épaisse soulevée par les rotors qui fouettaient l’air dans un sifflement sinistre, des couvées entières de soldats armés jusqu’aux dents qui, cassés en deux, s’éloignaient des pales, avant de prendre position. Une fois leur ponte au sol, les appareils frappés de la cocarde tricolore de l’armée colonialiste, amblaient, pour regagner de l’altitude dans le ciel irradiant, vibrant de réverbération, pour laisser d’autres autogyres épandre d’autres troupes. Très vite, je me suis rendu compte, au regard de cette débauche d’hommes et de matériel, en observant les mouvements tout à fait improvisés des troupes au sol, que cette opération avaient en fait été préparée à la hâte et qu’il n’y avait dans tout ce remue-ménage aucune tactique élaborée préalablement. Pourtant, apprendrons-nous plus tard, cette expédition était directement commandée sur le terrain par le général Jacques Massu lequel s’était vu confier en janvier par Robert Lacoste les pleins pouvoirs de police. Il était accompagné des généraux Allard, de Maisonrouge et Simon. A la manière d’une machine à coudre les avions surfilaient les flancs de la montagne. Mais ils avaient à faire à des hommes aguerris qui avaient l’instinct de guerre des combattants les plus expérimentés. Les djounoud du commando avaient eu l’extrême intelligence militaire de ne pas bouger pour tenter une sortie ou essayer de décrocher. S’ils avaient commis cette erreur, non seulement ils auraient été des cibles que l’aviation aurait vite repérées et taillées en pièces mais les hélicoptères au lieu d’atterrir sur le versant d’en face, auraient déposé les troupes sur la crête du même côté où nous nous trouvions. Ainsi ont-ils laissé passer le bombardement intensif comme on patiente que l’orage se vide et jusqu’à ce que les « bananes » se soient éloignées abandonnant leur pondaison sur l’autre versant. Nous étions en face d’eux. A peu près deux cents mètres, à vol d’oiseau, nous séparaient. Mais il fallait une bonne vingtaine de minutes pour aller d’un point à l’autre. Dans le ciel plombé, les Pipers, tels des vautours, décrivaient inlassablement leurs cercles excentriques.
Nous étions hors de portée de leurs mitraillettes (voir encadré) mais pas des fusils. Tandis que mes vêtements séchaient, habillé d’une simple gandoura, je me trouvais à quelques enjambées des maisons où étaient répartis les membres du commando. Je les rejoint à toute vitesse, et enfilait promptement mon treillis encore humide.Nous avons encore temporisé un moment pour bien situer les positions de l’ennemi. Puis, furtivement nous sommes sortis de nos abris et nous avons gagné la crête. Nous avions une vue synoptique de toute la région. A notre grande stupéfaction d’autres troupes escaladaient en ahanant la contre-pente. Half-tracks, véhicules blindés, camions de transport de troupes… se dirigeaient vers le lieu où nous avions pris position. A ce moment, j’ai réalisé que leur manœuvre, même impréparée, pouvait déboucher sur un encerclement qui nous serait fatal. Je me souviens de ce chef de section, ô combien courageux, qui avait sorti le drapeau national, décidé à partir à l’assaut de cette nuée en armes. D’un geste je l’en dissuadais. Il ne fallait surtout pas qu’ils nous repèrent. Pour l’heure la confusion était totale de leur côté. Nous étions vêtus des mêmes treillis que nous portions de la même façon au point que nous poussions le détail jusqu’à mettre, comme eux, le col de la chemise sur le revers de la vareuse du battle-dress. Comme eux, nous étions coiffés de chapeaux de brousse, ces couvre-chefs de toile, dont un bord est relevé à l’aide d’un bouton pression. Et pour cause, tout comme notre « usine d’armement », notre « atelier de confection » était la « route goudronnée » où nous montions nos embuscades. Nous recevions rarement des équipements de l’extérieur et nous ne les portions jamais. Que ce soit les armes ou les tenues, je ne me souviens pas que le commando en ait un jour fait usage. Face à l’ennemi, peu économe en matériel de combat, nous disposions nous aussi de mitrailleuses 30 (voir encadré). Toutefois, comme elles consommaient des quantités de munitions trop importantes nous avons dû renoncer à leur emploi. En revanche, nous avions des FM BAR, fusils-mitrailleurs de l’OTAN, des FM 24/29, fusils-mitrailleurs français, des mitraillettes Thomson, d’un calibre 11.43, comme celle des films noirs américains, des MAT 49 françaises, des fusils MAS français, armes de précision, des fusils américains Garand, des carabines US, etc. Pour tout dire, le commando était armé de 9 fusils-mitrailleurs. A ma connaissance, aucune compagnie de l’armée d’en face n’en disposait d’autant. Si nous ne comptons que les armes de poing et d’épaule, conventionnelles s’entend, notre puissance de feu dans les engagements était souvent supérieure à n’importe quelle équivalence numérale française. Cela signifie aussi que chaque groupe avait un FM soit un total de trois par section ! Neuf fusils-mitrailleurs qui aboient de concert est d’un effet déconcertant sur l’adversaire !
Lors de nos diverses opérations et embuscades nous récupérions beaucoup d’armements. Nous gardions les meilleurs et nous donnions à nos frères, des autres secteurs et régions ou aux moussebiline, celles dont nous n’avions pas besoin. Comme nous ne voulions pas dépasser la katiba de 110 hommes, nous ne conservions que les armes requises pour un tel effectif… Le petit incident du drapeau passé, nous nous sommes fondus dans terrain et observions les agissement des soldats à la jumelle. Au bout d’un moment, nous avons compté à première vue deux compagnies environ qui arrivaient du sud là-bas vers Palestro. Une compagnie française est composée de quelque 140 hommes. Vu la distance qui nous séparait, nous avions présumé qu’il s’agissait de la section de Si Boualem qui repliait. Mais très vite nous nous sommes rendus compte qu’il s’agissait aussi d’unités ennemies. Nous les avons laissés venir à nous, toujours tapis, nous confondant avec le relief et la végétation de broussailles et d’épineux. Subrepticement, avec un petit groupe de djounoud armés de mitraillettes nous allons à leur rencontre, laissant les fusils et six fusils-mitrailleurs sur la crête pour nous protéger d’un raid aérien éventuel. Nous allions résolument vers l’affrontement, sans trop d’agitation. Les hommes sur lesquels nous allions fondre étaient comme nous, jeunes, mais visiblement sans expérience, ils étaient hésitants, bavards, s’interpellaient sans cesse. Ils se tordaient les chevilles dans la caillasse, se plaignaient, puis repartaient sans trop savoir vers où ils se dirigeaient. Ils nous aperçoivent mais ils sont persuadés que nous étions des leurs, vu que ne tirions pas. Mais une fois à portée de nos MAT nous les arrosons copieusement…
- Bon Dieu nous sommes des dragons ne tirez pas ! Hurlaient-ils. - Mais alors que faites vous là-bas, si vous êtes des dragons Rejoignez-nous dans ce cas ! leur répondais-je, avec force gestes autoritaires, ajoutant ainsi à la confusion s’emparait d’eux. - Vous êtes complètement barjos, vous avez abattu des hommes à moi, criait celui qui commandait la troupe. Alors qu’ils croyaient avoir affaire aux leurs, nous surgissions et en arrêtions par paquets dans cet embrouillamini total. On les arrête par sections entières. « Levez les mains ! » Délestés de leurs armes, paniqués, les prisonniers montent en courant la pente jusqu’à la crête où les cueillent les membres du commando restés en poste. Ils s’entassent, s’accroupissent dans les cours des maisons. Nous jetons en tas leurs armes et leurs munitions. « Quel pactole ! Jamais vu ça ! » A un moment donné l’aviation a survolé le champ de bataille, mais pour opérer il faut qu’une distance nous sépare et comme nous étions vêtus des mêmes uniformes, du ciel, les pilotes ne pouvaient pas nous distinguer les uns des autres. De même pour l’artillerie qui ne pouvait pas pilonner, tant que nous étions rivés à eux. Nous ne leur laissions pas le temps de se positionner loin de nous et dégager un espace qui nous séparerait suffisamment pour permettre un bombardement aérien ou un tir de barrage de l’artillerie. Mais au bout d’un instant, les appareils reviennent et l’artillerie se réveille. Les uns mitraillent, l’autre canonne, sans distinction. A l’aveugle. Nous reculons et nous dégageons pour rejoindre les fusils-mitrailleurs et les fusils embusqués sur la crête et les laissons faire un carnage dans leurs propres rangs. Le combat se déroulait à la mitraillette. Habitués au terrain et à ses accidents, nous nous déplacions plus rapidement et utilisions le moindre escarpement pour nous placer hors de portée de leurs tirs. A la décimation causée par l’aviation et l’artillerie, qui s’acharnent sur leurs propres troupes, s’ajoutent les giboulées de nos fusils mitrailleurs qui entrent en action… C’est une opération qui a débuté vers 15h et qui a duré jusqu’au début de la nuit.
Quoiqu’en dise, la propagande militaire française relayée par les journaux colonialistes de l’époque qui ont fait état de prétendues dizaines de morts dans nos rangs, j’affirme, en tant que responsable de ce commando d’élite dont l’héroïsme et la bravoure ont été chantés par le peuple qui l’a enfanté, et déclare devant les vingt témoins de cette bataille et qui sont toujours en vie (voir leur liste), que nous avons relevé hélas la mort de moussebilin et de pauvres civils sans arme et que le commando n’a enregistré qu’un blessé. Un courageux déserteur de l’armée française que nous surnommions Ahmed El Garand, qui est arrivé chez nous armé d’un fusil de cette marque. Le journal parisien Le Monde parlera, au lendemain de cette débâcle, de plus de 600 morts parmi les hommes des 4 généraux ! Les combats rapprochés ont fait rage jusqu’à ce que tombe la nuit. Aussitôt Baya El Kahla, qui avait organisé les femmes de la déchra, me rejoint et nous informe des multiples possibilités de retraite qu’elles avaient aménagées. Elles nous donnent les mots de passe. Et à mesure de notre progression protégée par la nuit, nous rencontrions des femmes postées en éclaireuses pour ouvrir le passage et nous prévenir de la présence éventuelle de groupes ennemis et des embuscades qu’il pouvait tenter. Rapidement, nous sommes sortis de l’encerclement emportant avec nous une soixantaine d’armes, car c’est tout ce que nous pouvions porter. Nous avons laissé sur place des dizaines d’autres que la population du douar devait récupérer pour les donner aux sections ou aux djounoud de leur région ou de leur zone. Ce fut la défaite de Massu et de ses trois généraux. Sans avoir l’honnêteté de reconnaître qu’il s’agissait d’une déconfiture, il ruminera jusqu’à la fin de ses jours son échec sur les cimes de Bouzegza. Je n’ai jamais raté l’occasion d’enfoncer davantage le clou en rappelant aux pires de ses mauvais souvenirs, comment il y mordit la poussière ! ça lui sapait son ego de grand stratège. Le fait d’avoir racolé quatre généraux comme lui, pour les convier à ce qu’il croyait être un pique-nique estival, ou une randonnée de montagne, ajoute à ses rots atrabilaires.
Il ignorait et il a compris que tout ce qu’il savait de la guerre révolutionnaire, c’était celle qu’il menait jusque-là contre le peuple désarmé. Que ce qu’il savait de la guerre tout court, c’était ce qu’il avait accompli sous le bouclier tutélaire et protecteur des alliés pendant la Seconde Guerre mondiale. Anglais dans le Fezzan en Libye en 1941 et Américain au sein de la deuxième DB de Leclerc en 1944. Les quatre généraux n’avaient rien cogité, rien préparé, convaincus qu’ils étaient, qu’ils allaient « casser du fell comme on va aux fraises ». Le commando Ali Khodja leur a prouvé ce jour-là que la guerre n’est pas une promenade de santé. Ils avaient sous-estimé la combativité de leur adversaire, ils avaient méjugé la réactivité des djounoud de l’ALN, tout comme ils avaient surévalué leur capacité d’organisation qu’ils croyaient naturellement supérieures à celles des indigènes que nous étions. Par ricochet, notre victoire revient aussi et indirectement à ce jeune infirmier courageux de la section de Si Boualem qui les a involontairement jetés dans un guêpier. Le 4 août à Bouzegza, la victoire a été celle du remarquable commando Ali Khodja. C’est aussi celle de tous les moussebilin et de toute la population de la région de Zima. Mais ce qu’on appelle la bataille de Bouzegza, ne s’arrête pas à la journée du 4 août 1957… Le 8 août, soit trois jours plus tard, persuadée que comme la foudre qui ne frappe pas deux fois au même endroit, l’armée française ne repassera pas là où elle a déjà opéré, d’autant qu’elle en garde un souvenir plutôt affligeant. Nous sommes donc revenus dans ce massif, après nous être reposés et repris des forces non loin de là. Mais ils ont eu exactement la même réaction et nous n’avions pas posé nos bardas que…
« El Askar ! El Askar ! »
Des deux versants montaient des colonnes de soldats. Nous nous trouvions entre les deux. Armés et comme toujours en tenue impeccable, nous sommes sortis et nous nous sommes engagés en colonne tout comme eux sur un sentier qui allait en direction de taillis assez touffus pour nous permettre de décrocher. Les avions arrivaient derrière nous. C’étaient des T6, « es seffra » (jaune), armés de mitrailleuses 12/7, qui approchaient en piqué sans tirer. Leur altitude n’était pas fort élevée et leur vitesse modérée (environ 250 km/h). Nous distinguions parfaitement les pilotes qui jetaient des regards à partir de leur cockpit. Cette fois encore, notre sang-froid sera à l’origine de notre succès. Alors que les appareils menaçants arrivaient dans notre dos en hurlant, sans nous démonter, nous leur faisions des signes amis de la main pour leur signifier que nous étions « des leurs ». Alors que les deux colonnes, nous « encadraient » mais à distance, les avions poursuivaient leur noria menaçante au-dessus de nos têtes. Tireront-ils, ne tireront-ils pas ? Au bout d’un moment, qui nous a semblé un siècle, nous nous sommes mis hors de vue, sous le couvert végétal avant de nous disperser. Aussitôt, les pilotes comprennent qu’ils avaient été leurrés. Cette fois-ci, il n’y a pas eu d’engagement et nous avons réussi à nous faufiler à travers bois et ravines pour nous éloigner du théâtre du ratissage. Aussi étonnant que cela puisse paraître, nous sommes revenus au même endroit le 12 août, croyant dur comme fer qu’un lieu que les Français ont ratissé, brûlé, bombardé, pilonné, « napalmé », serait le meilleur des abris. Mais la loi des probabilités a été bousculée et pour la troisième fois, en une semaine, nous sommes tombés nez à nez sur l’ennemi. Nous venions d’ouvrir les portes de l’enfer. Ce n’étaient plus des dragons, mais des paras. Tôt, les affrontements ont commencé avec l’engagement des ferka de si Boualem encerclé, sur une position qui lui était défavorable. Elles ont été pratiquement décimées, les pertes ont été considérables. Nous avons perdu des hommes tout comme nous avons enregistré une dizaine de blessés. Notre connaissance du terrain nous a sauvés d’un immense péril. Tout ce que l’ALN comptait dans cette zone de commissaires politiques, de responsables des renseignements, de chargés de la logistique, des agents de liaison, et toute la population avaient été sollicités pour nous permettre de sortir de la nasse avec le moins de dégâts possibles. Tirant les enseignements des deux précédents affrontements, cette fois les « léopards » ont mis pour ainsi dire le paquet et se sont ingéniés à tenter de redorer le blason terni des quatre généraux. Un feu roulant ininterrompu, des pluies de grenades, que nous réexpédions d’ailleurs, car dans leur hâte de se débarrasser de l’engin explosif, ils lançaient aussitôt la goupille retirée, ce qui nous donnait souvent le temps de les renvoyer à l’expéditeur. Ce que m’a appris mon expérience au maquis, c’est que si la peur est contagieuse, le courage l’est tout autant. Lorsque vous savez que vous pouvez compter sur ceux qui se trouvent à votre droite et à votre gauche, eux aussi sont convaincus qu’ils peuvent compter sur vous. Ce que j’ai appris à Bouzegza, c’est qu’au combat comme dans la vie, il ne faut jamais sous-estimer l’autre.(El Watan-20.08.09.)
Liste des membres du commando Ali Khodja encore en vie
- Zerari Rabah dit Si Azzedine - Yahi Ahmed dit Ali Berianou - Aït Idir Hocine dit Hocine - Tounsi Djilali dit Abdelkader - El Kahlaoui Abdelkader dit El Kahlaoui - Rafaâ Louennass dit Rouget - Kouar Hocine dit Hocine - Blidi Abdelkader dit Mustapha Blidi - Ben Salah Ammar dit Nachet - Boulis Lakhdar dit Lakhdar - Ladjali Mohamed dit Hamid Doz - Rahim Mohand dit Bédja - Si Athman - Bachir Rouis dit Nehru - Zerrouk - Touhami Ali - Nezlioui - Kadi Mohamed-Chérif dit Chérif el Kbayli - Hout Ahmed
Quelques action du commando Ali Khodja
- Juillet 1957 : accrochage à Djebel Belemou (Bou Zegza) - 05 mars 1958 : accrochage à Belgroun - 1958 : accrochage à Eryacha - 1958 : accrochage à Lemchata - 15 mai 1958 : accrochage à Maghraoua – 1958 : accrochage à Hadjra Essafra – 1958 : accrochage à Zaouïa (Soufflat) - 1958 : attaque d’un camp près de Aomar - 17 octobre 1958 : accrochage à Souflat - 22 octobre 1958 : accrochage à Ouled Sidi Abdelaziz - 06 janvier 1959 : accrochage à Tafoughalte (en Wilaya III) - mai 1959 : accrochage des commandos des zones 1 et 2 près de Batna - 1959 : embuscade à Aïn Oulmane (Sétif) - 1959 : embuscade à Boutaleb (Aurès) - Août 1959 : accrochage à Champlain.
Commandant Azeddine. Chef de la Zone autonome d'Alger
En hommage posthume à Aissani Mohand Said secrétaire de la wilaya 3 qui fut capturé le 28/3/1959 lors de la bataille de Djebel Tameur et transféré à Alger où il fut achevé sommairement, mais comment…?
Inauguration de la place du 8 février 1962, allocution de Bertrand Delanoë, maire de Paris, Paris, France
À l'appel du Parti communiste français et d'autres organisations de gauche, une manifestation est organisée à Paris le 8 février 1962, pour dénoncer les agissements de l'OAS ainsi que la guerre d'Algérie. Étant donné le contexte des plus tendus et l'état d'urgence décrété en avril 1961, cette manifestation est interdite. Avec l'accord du ministre de l'intérieur Roger Frey et du président de la République Charles de Gaulle, le préfet Maurice Papon donne l'ordre de réprimer cette manifestation. Parmi les manifestants qui essayèrent de se réfugier dans la bouche de la station de métro Charonne, huit personnes y trouveront la mort, étouffées ou à la suite de fractures du crâne, ainsi qu'une neuvième à l'hôpital, des suites de ses blessures.
Contexte
Les manifestations contre la guerre d'Algérie en 1960
Jusqu'en 1960, les manifestations contre la guerre d'Algérie ne rassemblaient que quelques centaines de participants, pour l'essentiel, des intellectuels qui dénonçaient la torture et les méthodes expéditives de l'armée française en Algérie. Si beaucoup de ces intellectuels ont rejoint le PSU, à cette époque, la première force anticolonialiste est le Parti communiste français, mais, selon les mots de Jean-Jacques Becker, « sans conteste partisan de l'indépendance de l'Algérie, … il soutient le combat mais ne s'y identifie pas ».
Après la Semaine des barricades à Alger, en 1960, les centrales syndicales, CGT, CFTC, FO, FEN surmontent leurs divergences pour jouer alors un rôle de premier plan dans le mouvement pour la paix en Algérie. Après l'échec des pourparlers de Melun menés dans l'été 1960 entre le gouvernement français et le GPRA, le syndicat étudiant UNEF prend l'initiative de contacter les organisations syndicales pour organiser de vigoureuses manifestations pour inciter le gouvernement à reprendre les négociations. La première manifestation d'une certaine ampleur a lieu le 27 octobre 1960. Un meeting avait été autorisé à la salle de la Mutualité à Paris, mais des milliers de personnes, surtout des étudiants, qui ne peuvent pénétrer dans la salle se heurtent aux forces de police. Des cortèges qui se forment dans le quartier latin sont dispersés à coup de matraquage. Les violences policières touchent également des passants et des journalistes. Selon Jean-Paul Brunet, la répression de cette manifestation révèle la partialité des forces de police qui réagissent beaucoup plus mollement face à des partisans de l'Algérie française.
L'évolution de la situation politique jusqu'en novembre 1961
Au cours des trois premiers trimestres de l'année 1961, l'évolution politique est caractérisée en janvier par la ratification par 75,2 % de votants de la politique d'autodétermination proposée par de Gaulle, en avril par le Putsch des Généraux en Algérie, et enfin par l'ouverture de négociations avec le GPRA à Évian en mai, puis à Lugrin en juillet. De ce fait, les manifestations convoquées pour ne pas laisser retomber l'élan du 27 octobre ne rassemblent que quelques centaines de participants vite dispersés par la police. Les manifestations connaissent plus de succès en automne avec la rupture apparente des négociations entre le gouvernement et le GPRA.
La répression des manifestations des partisans de la paix ne représente qu'un aspect mineur des activités des forces de l'ordre, qui sont engagées dans un conflit frontal avec la fédération de France du FLN. Des policiers sont assassinés par le FLN. Le 5 octobre, dans le département de la Seine, le préfet de police Maurice Papon décrète un couvre-feu pour tous les « Français musulmans d'Algérie » (FMA). La fédération de France du FLN appelle à une manifestation illégale le 17 octobre pour protester contre ce couvre-feu. La répression est d'une extrême violence et causera la mort de plusieurs dizaines de FMA à Paris et en banlieue.
La répression de la manifestation du 17 octobre provoque dans les milieux de gauche un mouvement d'indignation mais qui ne n'engendre aucune riposte massive.
La montée de l'OAS et la reprise des manifestations
À partir de novembre 1961, les manifestations réunissant plusieurs milliers de personnes reprennent, à l'initiative du PSU, le 1er novembre, des jeunesses communistes et des étudiants du PSU, le 18 novembre, du Mouvement de la Paix le 29 novembre. Pour déjouer les plans de la police, le PSU a mis au point une tactique basée sur des faux points de rendez-vous avec diffusion du vrai point de rendez-vous par des canaux internes une demi-heure seulement à l'avance.
À la suite de l'échec du putsch des généraux en avril 1961, un certain nombre de militaires entrés dans la clandestinité se sont alliés à des activistes pied-noirs pour constituer l'Organisation armée secrète (OAS), surtout active en Algérie, mais qui commence à s'implanter en métropole à partir du mois de juin. Les forces de gauche s'efforcent alors de mettre sur pied des manifestations puissantes à la fois pour stimuler le processus de paix et pour exiger une attitude plus résolue contre l'OAS.
La manifestation du 19 décembre convoquée en région parisienne par la CGT, la CFTC et l'UNEF entre dans le cadre d'une « journée d'action contre l'OAS et pour la paix en Algérie ». La préfecture de police a accepté le principe d'un rassemblement place de la Bastille, mais s'oppose à tout cortège. Le directeur général de la police municipale fera état de 20 000 manifestants. Parmi ceux-ci, certains refusent d'obtempérer aux ordres de dispersion donnés par la police et sont chargés. De jeunes manifestants ripostent. On comptera parmi les forces de l'ordre une quarantaine de blessés. La presse du 20 décembre, y compris France Soir et Paris Jour, est frappée par la généralisation de la violence policière. Parmi la centaine de blessés dénombrés chez les manifestants, on compte deux tiers de femmes.
La presse de droite comme L'Aurore ou Le Figaro reprennent l'argumentaire gouvernemental et désignent les unités de choc du Parti communiste comme responsables de la violence de la manifestation. Des journaux comme Le Monde ou Combat relèvent la contradiction du gouvernement à vouloir « sévir contre les adversaires de l'OAS tout en prétendant la combattre ». Pour Jean-Paul Brunet, le système policier dont les méfaits s'illustreront à Charonne est en place dès le 19 décembre et au sommet de l'État, de Gaulle tient à symboliser un large rassemblement n'excluant d'un côté que l'OAS et les fanatiques de l'Algérie française et, de l'autre, les communistes et leurs alliés. En ces années, précise Brunet, de Gaulle assume seul la politique générale du pays, mais aussi ses modalités pratiques et, plus particulièrement, l'interdiction des manifestations.
Au début de l'année 1962, sous l'impulsion d'André Canal, l'OAS multiplie les attentats en région parisienne. Le 4 janvier, un commando en voiture mitraille l'immeuble du Parti communiste, place Kossuth, blessant grièvement un militant au balcon du 2e étage. La manifestation communiste de protestation du 6 janvier se déroule sans incident notable. Dans la nuit du 6 au 7 janvier, c'est le domicile de Jean-Paul Sartre qui est l'objet d'un plasticage. Le 24 janvier, on compte 21 explosions dans le département de la Seine, visant des personnalités ou des organisations supposées hostiles. Ces actions de l'OAS renforcent la confiance que les Français portent à de Gaulle. En décembre 1961, un sondage montre que l'OAS ne bénéficie d'une certaine sympathie qu'auprès de 9 % d'entre eux. Avec le recul de l'Histoire, il est apparu que l'OAS-Métropole n'a jamais eu une réelle stratégie de prise de pouvoir mais, en ce début de l'année 1962, les plasticages qui se multipliient laissent entrevoir la menace d'une guerre civile et comme l'analyse Brunet, les contemporains hostiles à l'OAS n'ont que l'alternative d'une confiance passive en de Gaulle ou la mobilisation militante dont l'efficacité reste à démontrer. Au lendemain de Charonne, le 15 février, un article signé Regulus dans L'Express tentera d'expliquer que la politique du gouvernement et plus particulièrement du ministre de l'Intérieur Roger Frey est sous-tendue par l'idée que l'armée ne basculera que si le pouvoir apparaît incapable de faire face à la menace communiste dénoncée par l'OAS.
Le 15 janvier, le PSU crée le GAR (Groupe d'action et de résistance), structure clandestine qui rassemble quelques centaines de militants et qui couvre les murs de Paris de son sigle. Le 26 janvier, plusieurs formations politiques de gauche parmi lesquelles la SFIO, le Parti radical, la LICRA consituent un « Comité national d'action contre l'OAS et pour une paix négociée ». Le 5 février, au cours d'une conférence de presse, de Gaulle stigmatise ces « agitateurs qu'il faut réduire et châtier » tout en relativisant leur action. Il ajoute que c'est au gouvernement de faire face à la situation.
De fait, un quadrillage policier est mis en place dans Paris, ce qui n'empêche que, dans l'après-midi du 7 février, dix charges plastiques explosent au domicile de diverses personnalités : deux professeurs de droit, Roger Pinto et Georges Vedel, deux journalistes, Pierre Bromberger, du Figaro, et Vladimir Pozner, blessé grièvement, deux officiers, le sénateur communiste Raymond Guyot dont la femme est blessée. Un dernier attentat qui vise André Malraux défigure une fillette de 4 ans, Delphine Renard.
Saïd Bouterfa ne se suffit pas de l’histoire officielle retenue en Algérie et en France qui ferait du passé commun un roman national fait de héroïsme pour les uns et les autres selon une lecture à géométrie variable qui rend la quête historique impuissante face aux passions hystériques. Notre auteur-chercheur va froidement aux origines de l’histoire tourmentée qui unit les deux rives de la Méditerranée, en convoque les faits marquants, le contexte politique de l’époque et les rivalités internationales. Il décortique les événements, les « soupèse », les analyse et va au-delà d’une simple lecture chronologique des événements produit par le contexte politique de l’époque. C’est ainsi que son analyse pertinente du passé des peuples le renvoie systématiquement vers ce qui crée du sens. Il constate donc que la symbolique est l’élément clef de tout discours de domination. Comme tout roman national passe par une construction mythifiée du passé.
Il en est de même de la colonisation qui invente une lecture symbolique à destination du dominé. C’est une règle essentielle pour maintenir l’autre, tous les autres, sous la botte du puissant. Et la déconstruction du discours et de ce qu’il charrie comme sens permet de déchirer le voile qui rend aveugle les peuples opprimés ! Or l’approche inédite de l’ouvrage analysant le « cas algérien« , dans les extraits qui suivent, est qu’il met en perspective la symbolique du système colonial dont les soubassements sont enracinés dans un racialisme institutionnalisé, ouvrant la voie à la légitimation d’une prédation économique « légitimée » par la « supériorité toute paternelle du bienfaiteur« . C’est le mythe des « bienfaits » de la civilisation à laquelle le « barbare » ne pouvait accéder.
COLONISATION DE L’ALGÉRIE ET SYMBOLISME COLONIAL
Préambule
« Le corps expéditionnaire français n’a pas rencontré de territoire vacant en Algérie. Il a été contraint de faire face à une formation sociale économique et historique, hostile à sa pénétration et à celle des rapports sociaux de production capitalistes qu’il a véhiculé ». Avant cette intrusion, les algériens avaient leur propre système de production basé essentiellement sur la propriété arch et l’inaliénabilité de la terre et dont la dimension fondamentalement sociale, a toujours assurée la cohésion de la société. La forme d’exploitation colonialiste qui fut imposée aux algériens, ne fut, « en dernière analyse, qu’un moyen pour le capitalisme de produire intensivement, en recourant aux ″principes idylliques de l’accumulation primitive″, la logique de son fonctionnement.
Le colonialisme est l’avant-garde dont le rôle est d’instaurer par la violence, accoucheuse de toute société en gestation, la privatisation des moyens de production et son corollaire, la libération de la force de travail, de développer les échanges et de généraliser la monétarisation. C’est le ″cheval de Troie″ du capital pour soumettre les économies naturelles, les procès de production et de distribution non-capitaliste à la loi de la valeur. C’est une phase non-économique qui à répondu à des contingences du capitalisme à un moment donné de son évolution. »(1)
Au cours de son histoire la France à connue plusieurs périodes critiques qui furent déterminantes et qui la poussa à élaborer une stratégie impériale, puis coloniale. En 1784, des bouleversements climatiques majeurs, conséquences de l’explosion d’un volcan islandais, s’abattent sur les campagnes françaises, famines et crises politiques se succèdent. L’explosion du volcan Laki entraîne à partir de 1784 des années de disette et de misère pour les populations, essentiellement paysanne d’Europe. Un nuage mortel composé de dioxyde de soufre s’abattît sur la France et détruisit presque toutes les récoltes. La situation des paysans fut si désespérée que la révolution éclata en 1789.
En 1808, Napoléon 1er dépêche le capitaine Boutin, officier du génie, afin de relever la position des défenses algériennes et préparer un plan de débarquement. A sa suite, Charles X, à court de trésorerie, décide de monter une ″expédition punitive″ sur les côtes algériennes. Cette opération militaire doit lui permettre de détourner l’attention de l’opinion publique et la colère du peuple parisien, face à des difficultés intérieures. L’immense trésor que constitue la fortune du Dey d’Alger attise sa convoitise et celle de quelques industriels et aventuriers français. S’emparer de ce trésor représentait l’un des buts de cette expédition.
Le 5 juillet 1830 le débarquement est consommée alors que la France était liée par un traité de paix et d’amitié avec la Régence d’Alger. Charles X, en faisant main basse sur les immenses richesses de la Régence, (estimé à plus de cinq milliards d’euros actuels), envisage de constituer des fonds secrets qui serviront à financer une vaste entreprise de corruption du corps électoral et à consolider son opposition contre les républicains.
Mais avant cet épisode, rappelons qu’en 1800 deux négociants algériens Busnach et Bacri, livournais d’origine, fournissent à la France de grande quantités de blé destinées à l’armée de Bonaparte lors de la campagne d’Égypte de 1798 à 1801 ; l’objectif est de s’emparer de l’Égypte et de l’Orient dans le cadre de la lutte contre la Grande-Bretagne, l’une des puissances hostile à la France révolutionnaire. Le dey d’Alger avance l’argent car les caisses du Directoire sont vides. Le reste de l’Europe est coalisée contre la France et ses idées « subversives » qui ne font pas bon ménage avec les monarchies. La France est en pleine crise économico-financière et les famines se succèdent. Il ne reste qu’une alliée : la Régence et le Dey d’Alger.
Les créances des Bacri, autopsie d’un complot
« D’année en année, les dettes de la France envers ces deux familles enflèrent démesurément d’autant plus facilement que ces dernières se montraient très conciliables quant aux délais de paiement. Mais, finissant par vouloir récupérer leur dû, et devant à leur tour payer des dettes au dey d’Alger, ils convainquirent ce dernier de porter les deux affaires ensemble auprès de la France. Une fois à Paris, le représentant de la maison Bacri, Jacob Bacri, écrira au sujet des négociations menées avec Talleyrand : « Si le Boiteux n’était pas dans ma main, je ne compterais sur rien » Mais, même après avoir reçu un acompte de quatre millions de francs par l’intermédiaire de Talleyrand, les Bacri et Busnach ne rendirent pas les 300 000 francs qu’ils devaient au dey d’Alger, poussant même ce dernier à monter le ton envers Bonaparte en lui écrivant que leur argent devait être considéré comme le sien et donc une question d’honneur…qui pourrait dégénérer en affaire d’Etat. En 1803, Jacob Bacri écrivait donc à Busnach qu’il fallait : « faire écrire par notre maître [le dey] au Petit [Bonaparte] une lettre qui lui dira que l’argent réclamé par Bacri et Busnach est à lui et qu’il les prie de le faire payer à cause de lui. »
L’affaire de ces créances ennuya tellement Napoléon qu’il pensa même à l’idée de lancer une expédition contre Alger, y envoyant en reconnaissance un chef de bataillon du génie, Vincent-Yves Boutin, du 24 mai au 17 juillet 1808 auprès du consul Dubois-Thainville, afin qu’il puisse y rédiger un rapport sur l’éventualité d’une telle action militaire. Mais, les événements européens empêchèrent la réalisation d’une telle entreprise. Nullement touché par les soubresauts européens, les Bacri gonflaient leurs intérêts an après an jusqu’à ce que leurs dettes réclamées atteignissent 24 millions de francs. Ils mirent de leur côté le nouveau consul général français d’Alger Pierre Deval, nommé par Talleyrand durant la courte période où il fut président du Conseil (9 juillet-26 septembre 1815), lequel traînait derrière lui une réputation sulfureuse d’escroc et d’homme retors. Si retors et perfide que les Européens d’Alger le tenaient en piètre estime et s’appliquaient scrupuleusement à ne pas répondre aux invitations qu’il leur envoyait afin de participer aux grandes occasions organisées par le consulat général… C’est dans ce climat d’insolite rouerie autour du dey d’Alger que l’affaire du fameux coup d’éventail allait se produire. »(2)
Les juifs Joseph Cohen Bacri et Michel Busnach, avec la complicité du Consul Deval – qui parlait couramment l’arabe et le turque car issu d’une famille de drogmans (interprètes) – fournirent des informations précieuses sur le trésor de la Régence et sa valeur. Le dernier auxiliaire de cette gigantesque machination fut bien entendu le commandant en chef de l’expédition d’Alger, le général de Bourmont qui, après cet épisode, sera nommé maréchal pour « services rendus ».
Il est plus que certain que ce sac fomenté avec la complicité du couple Bacri/Busnach et Talleyrand qui, se chargeant d’influencer les décisionnaires parisiens au profit de Bacri, rêve aussi de nouvelles possessions. « Talleyrand voulait des territoires pour la France, et de grands territoires à peupler.
On ne peut plus s’étaler en Europe, sauf peut-être la Wallonie ? Il regarde du côté de l’Algérie. Il est le maître de ces stratégies. Ensuite, aggraver le différend entre Paris et Alger, les méfaits de la course en Méditerranée suffisaient, enfin traîner la patte pour honorer les véritables réclamations du Dey pour le règlement de la dette.
Talleyrand nomme en 1815, le sieur Pierre Deval, consul de France à Alger. Le consul multiplie les provocations et les rodomontades. Était-ce dans son caractère, son éducation ou bien plus sûrement sur ordre de son Ministre ? Comment Deval, connu comme un homme tout en courbettes, a-t-il brusquement trouvé l’audace de contrer en public le Dey ? On peut supposer que celui-ci, lors de la réception officielle du Baïram (fête de l’Aïd en turc) du 27 avril 1827 où il porta le fameux “coup d’éventail” au consul français, soit tombé simplement dans un piège depuis longtemps mis en place. Ce fut le prétexte de la rupture des relations diplomatiques et du débarquement français, trois ans plus tard. A partir de cet incident, le consul Deval va utiliser tous les moyens pour envenimer les choses. Le gouvernement français enverra au Dey un ultimatum insultant, dont on n’ignorait pas au bord de la Seine qu’il serait rejeté par Alger. Et c’est la rupture voulue et minutieusement préparée, depuis de longues années par Paris. »(3)
La colonisation de l’Afrique par l’Europe prolonge l’entreprise entamée avec la « découverte » de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. Elle a consisté à occuper, souvent par la force, les territoires africains, à en exploiter hommes et ressources naturelles au profit de la puissance colonisatrice, notamment des compagnies métropolitaines privées conçues à cet effet. Cette affaire fut, il est clair, un prétexte cousu de fil blanc à cette intervention car, selon Charles André Julien, la dette française aurait pourtant été réglée aux Bacri en plusieurs versements.
Le premier en 1800, un acompte de trois millions cent soixante quinze mille francs et un second d’un million deux cent mille francs auraient été versé, grâce encore une fois à l’intervention de Talleyrand, à qui ils auraient largement « graisséla patte« . Puis de nouveau en 1819, sept millions, toujours grâce à l’intervention de Talleyrand, suite à un vote des chambres.
A la lumière de ces éléments nous pouvons supposer que tout ce beau monde était de connivence et que ce plan avait été mûrement élaboré, d’une part, en abusant le Dey d’Alger, seul créancier valable, donnant ainsi prétexte à l’intervention française. Le roi de France Charles X ayant besoin de reprendre en main son armée, pensant qu’une expédition sur Alger lui apporterait gloire et butin mais surtout servirait à payer la solde de ses soldats.
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Chronique d’une prédation
La guerre, ce n’est pas nouveau, est un racket. Mais ce qui est assez singulier c’est de devoir chaque fois le justifier. L’exploration des relations que la discipline anthropologique entretient depuis son origine avec la question coloniale, nous apparaît comme essentielle par rapport à un monde contemporain décolonisé, mais néanmoins profondément marqué par les effets et l’héritage de l’expérience coloniale. Il s’agit donc de comprendre les motivations profondes des hommes qui en furent les promoteurs, les pratiques et les concepts de cette anthropologie du pire, en la resituant dans son contexte historique, au regard du processus massif que fut la colonisation puis la décolonisation et les conséquences de ces «héritages coloniaux » à la fois dans l’Algérie et la France d’aujourd’hui.
Il est essentiel avant tout, pour bien comprendre l’origine du phénomène colonial, de commencer par le début.
D’abord, l’écrasante majorité des travaux de recherches, l’historiographie et même au fond, le débat politique, se sont toujours focalisé sur la guerre d’Algérie ; hors, cette séquence historique n’est pas compréhensible si on ne l’inscrit pas dans le temps long et si on ne comprend pas ce que fut le système colonial et d’où vient la colonisation d’une part, et si l’on ne comprend pas également que depuis 1830, il y a eu en Algérie en permanence, des soulèvements, des révoltes et des insurrections contre la colonisation et l’exploitation coloniale. Cette résistance acharnée et perpétuelle devrait fondamentalement nous interpeller, car aucun peuples ne peut refuser la justice, le progrès et les bienfaits de la civilisation, elle est une propension naturelle, inhérent à l’universalité même de l’espèce humaine.
La confiscation de l’âme des peuples colonisés, de leurs histoire et de leurs héritage culturel à de même été la conséquence logique du lamentable échec que fut la colonisation. Dans l’inconscient collectif des peuples opprimés, le colonialisme a imprimé l’idée qu’ils n’avaient pas d’histoire. En Algérie on a enseigné aux enfants algériens que leurs seuls vrais ancêtres étaient les gaulois, mais ce que l’on oublie souvent de dire c’est que cette manipulation de masse a avant tout concernée l’opinion publique française elle-même des 19ème et 20ème siècles, en modifiant sa perception du réel. Il y eut une volonté des politiques et une connivence anthropologique pour raconter l’Algérie et les algériens, à l’instar des autres peuples colonisés, à l’opposé de ce qu’ils furent véritablement. L’histoire officielle qui c’est forgée des deux cotés de la Méditerranée et que se partage la France et l’Algérie, a insistée sur cette épopée guerrière que fut la conquête et la guerre de libération, en mettant sous le boisseau cette histoire longue, cette histoire largement méconnue de la colonisation et du système colonial et qui demeure en réalité, la seule véritable question.
Cette idée même d’une Europe allant à la conquête du monde pour chercher des ressources et soumettre des peuples dans cet objectif, devrait à son tour être réajustée, car elle n’a concernée en réalité que les peuples de « couleurs » et non la nation européenne et son prolongement nord-américain. La colonisation, nous ne le dirons jamais assez, fut une entreprise profondément raciale. Il y avait, pour paraphraser Paul Bert, « les Blancs et les autres », les autres, assurément, c’est nous.
Quand à Paul Bert, libre penseur et républicain, député gambettiste, il était l’associé de ce grand théoricien du colonialisme que fut Jules Ferry dans la fondation de l’école laïque. «Paul Bert est donc un héros de la république française. De nombreuses rues portent son nom. Il fut un grand promoteur de l’égalité républicaine. Mais pas n’importe laquelle. Il a fait apprendre aux petits français, dans ses manuels scolaires, que les races humaines sont inégales. Il fut un grand inspirateur de l’école laïque et obligatoire. Mais pas n’importe laquelle. Il entendait réserver l’éducation aux petits Blancs.»(4)
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Les bienfaits de la colonisation pour la France
Non seulement les ressources naturelles des pays colonisés furent pillées, surexploitées, mais pire encore, c’est surtout l’instauration d’une économie de type esclavagiste, accompagnée d’une paupérisation grandissante, qui obligea de nombreuses populations à émigrer vers les métropoles coloniales alors demandeuses en main d’œuvre bon marché.
C’est donc la France qui est plus redevable envers les colonies et non l’inverse. Il serait donc plus juste dans cet ordre d’idées de parler des bienfaits de la colonisation pour la France. « Logique du profit, rationalisation et innovations servent la rentabilité, parfois à n’importe quel prix (humain tout d’abord : exploitation de réseaux de sous-traitants, notamment dans la confection).
La civilisation de l’objet se fait à partir du modèle bourgeois vers les classes moyennes : on copie les biens consommés par les riches, avec des matériaux moins couteux (tissu mélangé, orfèvrerie plaquée, faïences avec motifs reproduits en série, etc.). Avec ces nouveaux standards de vie et les changements de représentations mentales et culturelles, le confort devient une nouvelle valeur en soi.
Avec l’industrie, on entre dans l’abondance matérielle, la conquête de la matière (façonnable à volonté) et de l’espace, des biens et des services pour le plus grand nombre. On entre aussi dans une civilisation de l’objet et de l’image de masse. L’objet est un support culturel au sens large ; son usage suppose une manière de vivre, s’en servir « signifie ». Les objets conditionnent des comportements et des représentations sociales relayées par les supports médiatiques. Les produits industriels ont un rôle culturel essentiel dans la construction de la société moderne. L’industrie devient un modèle d’organisation et de planification rationnelle pour nombres d’activités humaines. La société se transforme et sort peu à peu des carcans séculaires et féodaux, le profit et la rentabilité permettent la démocratisation des biens et des services.
Ainsi, le XIXème siècle est incontestablement le siècle du progrès technique, mais l’accès à un confort matériel reste parfois relatif. Il ne signifie pas non plus un progrès humain radical et immédiat. Le système industriel passe par une forme d’exploitation de l’homme par l’homme. C’est aussi le siècle de l’idéologie du progrès, du positivisme : sous couvert de profit par l’écoulement de produits de plus en plus divers et abordables, les industriels (soit l’élite bourgeoise qui possède le capital, donc les outils de production) tiennent un discours « faussement » civilisateur. La théorie du progrès (progrès des sciences, des technologies et de l’humain), montre de terribles contradictions. L’essor de la bourgeoisie exalte la liberté de l’individu, le libéralisme et le capitalisme ; or elle repose aussi sur l’exploitation de l’homme (les forces de travail et les pays dominés/colonisés).(5)
Saïd Bouterfa (extraits de «COLONISATION DE L’ALGERIE ET SYMBOLISME COLONIAL, Aux origines de la discorde», Editions Edilivre 2015)
1 - Youcef Djebari, La France en Algérie, bilans et controverses. OPU 1995.
2 - Chafik T. Benchekroun. L’Affaire d’Alger (1827-1830). Le Maghreb contemporain, juin 2012.
3 - Algérie, passé et présent. Jean Isnard,Gazette de là-bas, Mai 2009.
4 - Paul Bert 1885. Cité par Carole Reynaud Paligot. La République raciale, Puf, 2006, p. 141.
5 - Revue lettres. Guillaume JOAÜS, p.3, Février 2008.
Publications de Said Bouterfa
– Le Signe et l’Infini. Éditions Palais du Livre 1996.
– Yennayer ou le symbolisme de Janus. Éditions Musk 2002/2003.
– Algérie regards croisés (ouvrage collectif). Edition Milan (France) 2003.
– Les manuscrits du Touat. Atelier Perrousseaux (France) et éditions Barzakh Algérie 2005.
– Ahellil ou les louanges du Gourara. Éditions Colorset 2006.
– Le miroir (roman). Éditions Hibr 2011.
– Louanges et étendards, le s’bouâ de Timimoun (traduction et annotations) Éditions Colorset 2011.
– Manuscrits algériens et conservation préventive. Editions El Kalima 2013.
– L’Emir Abdelkader, pouvoir temporel et autorité spirituelle. Editions Colorset 2013.
– Colonisation de l’Algérie et symbolisme colonial, aux origines de la discorde. Editions Édilivre 2015.
– Droit de réponse, nous sommes Charlie ou le triomphe de l’imaginaire nationaliste. Editions Édilivre–Aparis 2016
Les valeureux patriotes et le recouvrement de la mémoire de l’Algérie
« Il se peut que les générations futures disent que nous n’avons jamais atteint les objectifs que nous nous étions fixés. Puissent-ils ne jamais dire à juste titre que nous avons échoué par manque de foi ou par la volonté de préserver nos intérêts particuliers ». Dag Hammarskjöld, ancien secrétaire général des Nations Unies
C’est un événement exceptionnel et quel beau cadeau à l’Algérie qui retrouve enfin ses enfants après plus de 175 ans d’absence de ses valeureux patriotes ! En effet ! L’information vient d’être donnée. Les restes mortuaires, exposés au musée de l’Homme de Paris, seront acheminés par « un Hercule C-130 de l’armée de l’air algérienne qui sera escorté à son retour par une formation de trois chasseurs Sukhoï 30. Ce retour donnera lieu à une cérémonie aérienne avec un passage en formation au-dessus de la baie d’Alger pour partager avec la population ce moment historique. Cheikh Bouziane et cheikh Boubaghla, qui menèrent la vie dure à l’armée coloniale, peuvent enfin dormir du sommeil du juste. Pour la première fois en effet, depuis l’indépendance algérienne, la mémoire fragmentée des Algériens est en train de se reconstituer. Les cranes de patriotes algériens vont rejoindre la terre de leur ancêtre ; Ce qu’aucun gouvernement n’a pu réaliser le gouvernement actuel a pu le réaliser.
L’invasion et ses conséquences : l’utilisation post mortem des morts
L’histoire de l’invasion coloniale est un long récit douloureux qui commença par un parjure, celui de Bourmont ; en effet malgré les promesses du général de Bourmont en juillet 1830, qui prend sur l’honneur l’engagement suivant : « la liberté de toutes les classes d’habitants, leurs religions, leurs propriétés, leurs commerces et leurs industries ne recevront aucune atteinte », le premier soin des Français lorsqu’ils eurent pris possession d’Alger, fut nous dit A. Devoulx : « de tailler un peu de place aux vivants, aux détriments des morts et de dégager les abords de la ville de cette multitude de tombes qui les envahissent. Cet accaparement se fit sans discernement. Les terrains des sépultures nous étaient indispensables pour la création des routes, jardins et établissements qu’un peuple civilisé et actif s’empresse de fonder là où il s’implante. Je dois cependant dire que le travail de transformation ne fut pas accompli avec tout le respect auquel les morts avaient le droit, et ressemble un peu trop à une profanation. Pendant plusieurs années, poursuit Albert Devoulx, on put voir dispersés çà et là des amas d’ossements tirés brusquement de leurs tombes et jetés au vent avec une certaine brutalité. Quelques précautions auraient suffi pour éviter cette violation de tombeaux qui a provoqué une profonde sensation parmi les indigènes et a fait naître chez eux l’idée que les cendres des morts ne nous sont pas sacrées…. Au point de vue historique, une partie des annales d’Alger était là gravée sur le marbre ou sur l’ardoise, et ces pages ont été livrées à la destruction et à la dilapidation. Il y avait en effet une abondante moisson de documents épigraphiques à faire au profit de la chronologie des pachas et des principaux fonctionnaires de la Régence. (…) Une quantité considérable de monuments précieux des époques romaines arabes, et turques, qu’il eut été facile de sauver ont disparu à tout jamais, mutilés ou détruits par la main des hommes, après avoir résisté aux injures du temps ». L’histoire doit regretter l’anéantissement complet d’un cimetière réservé aux pachas et que cite l’historien Diego de Haedo qui écrivit son ouvrage sur la ville d’Alger vers la fin du XVIe siècle » [1]
Les morts sont-ils pour autant laissés tranquilles ? Il semble que non ! « À la même époque écrit Amar Belkhodja, en 1833 où l’Histoire enregistre les forfaits perpétrés contre l’espèce humaine, les morts n’ont pas droit eux aussi, au salut. Avant leur affectation aux fins industrielles, les cimetières musulmans serviront d’abord à d’autres fonctions. (…) Ces sépulcres béants étaient comme autant de bouches accusatrices d’où les plaintes des morts semblaient sortir pour venir se joindre à celles des vivants, dont nous démolissions en même temps, les demeures, ce qui fait dire à un Algérien avec autant d’éloquence que d’énergie que les Français ne laissaient à ses compatriotes ni un lieu pour vivre ni un lieu pour mourir ». (Annales algériennes – T.I. – pp. 227-228). Les ossements humains, exhumés par la charrue coloniale ou par le matériel des ponts et chaussées, vont également servir pour un commerce sordide. Ils sont expédiés à Marseille où ils sont utilisés dans la fabrication du sucre. L’historien Moulay Belhamissi fait état des navires chargés d’ossements provenant des cimetières musulmans en partance pour Marseille : « Pour du noir animal (1) nécessaire à la fabrication du sucre, les ossements récupérés des cimetières musulmans sont expédiés à Marseille. À l’époque, on réfuta les faits malgré les témoignages. Mais l’arrivée dans le port phocéen, en mars 1833, d’un navire français La Bonne Joséphine », dissipa les derniers doutes. Des os et des crânes humains y furent déchargés. Le docteur Ségaud précisait, dans le journal Le Sémaphore que « parmi les ossements, certains venaient d’être déterrés récemment et n’étaient pas entièrement privés de parties charnues ». « L’utilisation industrielle des ossements d’Algériens est effective ». Moulay Belhamissi – Étude intitulée « Une tragédie aux portes d’Alger – Le massacre des Aoufias ». Le pays conquis se trouvait ouvert à tous les trafics, y compris celui de la profanation et le pillage des cimetières en y prélevant les vestiges humains aux fins de recyclage dans l’industrie du sucre en activité à Marseille.(…) Ces pratiques, dévastations des cimetières pour les aménagements urbains et leur annexion pour grossir les domaines agricoles, puis suivies de cargaisons d’ossements en destination d’une industrie marseillaise dans la fabrication du sucre, sont une identification d’une société en quête exclusive du profit, libérées entièrement des contraintes et des prescriptions tant morales que religieuses »[2].
La reconnaissance à dose homéoathique
Voilà ce qu’a fait un peuple dit civilisé quelques quarante ans après la déclaration ds droits de l’homme. Cependant pour la première fois les Algériens découvrent un candidat qui ne fait pas dans la langue de bois : « La plaie algérienne est toujours aussi béante et les présidents se sont succédé par manque de vision du futur et n’ont jamais franchi le pas. Le 14 février 2017 r, le candidat Macron dans une interview accordée à la chaîne Echourouk News à Alger, déclarait : « La colonisation fait partie de l’histoire française et c’est un crime contre l’humanité J’ai toujours condamné la colonisation comme un acte de barbarie. La barbarie fait partie d’un passé que nous devons regarder en face en présentant nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes ». [3]
Nous pouvons noter que 58 ans après l’indépendance, la France accepte de restituer enfin une partie des crânes des patriotes entreposés au Musée de l’homme. Souvenons-nous il a fallu plus de quarante ans pour que les évènements d’Algérie deviennent la guerre d’Algérie. On l’aura compris graduellement, les pouvoirs successifs au gré des circonstances lâchent du lest à dose homéopathique. Ce qui s’est passé envers les Algériens n’est pas une singularité la conviction d’appartenir à la race des élus a fait que l’Autre est infériorisé, animalisé ainsi : « Pendant des années, les visiteurs du Musée de l´Homme à Paris pouvaient contempler le corps empaillé de Saartje Baartman, dite « Vénus Hottentote », en guise de témoins de la spécificité raciale africaine. Si les corps des Africains peuvent être exposés dans les vitrines des musées européens pendant des dizaines d´années sans que cela ne trouble personne, c´est tout simplement parce que ce petit monde de l´ethno-muséologie européenne s´est constitué sur de solides consensus racistes.[4]
Dans le même ordre d´idée, pour l’histoire des cranes, les pétitions d’il y a deux ans par des cohortes d’universitaires n’ont fait que reprendre une publication de l’anthropologue Ali Farid Belkadi en 2011 qui en fait mention dans son ouvrage sur Boubaghla. Justement s’agissant de Boubaghla, et de Bouziane lors de la rédaction de mon ouvrage paru en 1999 aux Editions Enag, j’en avais fait mention. J’écrivais : « Ainsi il serait vain de chercher la tête de Boubaghla, si on sait que dans une note envoyée, en 1886, à la Revue Africaine, le docteur Reboud écrit : « La tête de Bou Zeïan qui fut, d’après M.Féraud, coupée et fichée au bout d’une baïonnette à la fin du siège de Zaatcha a été conservée comme celle de Boubaghla et du chérif tué dans un combat livré sous les murs de Tébessa. Elle fait partie des collections anthropologiques du Muséum de Paris. C’est moi qui les ai envoyées à ce riche établissement. Chacune d’elles est accompagnée d’une étiquette, longue bande portant le nom du Chérif décapité, la date de sa mort, le cachet du bureau politique de Constantine…» [5],[6]
Pour Ali Farid Belkadi : Mr Bruno David et Michel Giraud du Musée de l’Homme à Paris, ne tiennent compte que d’une seule collection, celle du Dr Vital de Constantine (…) Il y a d’autres collections au Muséum de Paris qui renferment des restes mortuaires de martyrs algériens. Le nombre de crânes d’Algériens conservés au Muséum national d’histoire naturelle de Paris (MNHN), selon un dernier recensement, s’élève à 536 venant de toutes les régions d’Algérie» [7]
L’histoire de la tragédie de Cheikh Bouziane des Zaatchas
Un bref rappel à titre d’exemple nous permet d’apprécier à sa juste bestialité la façon française de faire la guerre à des patriotes courageux mais sans les moyens de défense appropriés. Nous rapportons le massacre des Zaatchas et la mort de Bouziane décrit aussi dans l’ouvrage de Mohamed Balhi paru aux Edts Anep. : « L’état-major prend la mesure de la résistance et envoie une colonne de renfort de plus de 5 000 hommes, commandée par le général Émile Herbillon, commandant de la province de Constantine, suivie d’une autre, des zouaves dirigés par le colonel François Canrobert ». Il nous a paru important de le relayer en rappelant la raison de la présence dans un musée parisien de ces restes mortuaires, à partir de l’histoire de l’un d’entre eux : le crâne du cheikh Bouziane, chef de la révolte de Zaâtcha en 1849, écrasée par une terrible répression, emblématique de la violence coloniale. En 1847, après la reddition d’Abd-el- Kader, les militaires français croient que c’en est fini des combats en Algérie après plus de dix ans d’une guerre de conquête d’une sauvagerie inouïe. Mais, alors que le danger était surtout à l’ouest, il réapparaît à l’est début 1849, dans le Sud-Constantinois, près de Biskra, où le cheikh Bouziane reprend le flambeau de la résistance. Après des affrontements, il se retranche dans l’« oasis » de Zaâtcha, une véritable cité fortifiée où, outre des combattants retranchés, vivent des centaines d’habitants, toutes générations confondues » [8].
« Le 17 juillet 1849, les troupes françaises envoyées en hâte entament un siège, qui durera quatre mois. Le 26 novembre, les assiégeants, exaspérés par la longueur du siège, voyant beaucoup de leurs camarades mourir (des combats et du choléra), informés du sort que les quelques Français prisonniers avaient subi (tortures, décapitations, émasculations…), s’élancent à l’assaut de la ville. . Deux ans plus tard, Charles Bourseul, un « ancien officier de l’armée d’Afrique » ayant participé à l’assaut, publiera son témoignage : « Les maisons, les terrasses sont partout envahies. Des feux de peloton couchent sur le sol tous les groupes d’Arabes que l’on rencontre. Pas un seul des défenseurs de Zaâtcha ne cherche son salut dans la fuite, pas un seul n’implore la pitié du vainqueur, tous succombent les armes à la main, en vendant chèrement leur vie, et leurs bras ne cessent de combattre que lorsque la mort les a rendus immobiles. ». Il s’agissait là des combattants. La destruction de la ville fut totale, méthodique. Les maisons encore debout furent minées, toute la végétation arrachée. Les « indigènes » qui n’étaient pas ensevelis furent passés au fil de la baïonnette.
« Dans son livre La Guerre et le gouvernement de l’Algérie, le journaliste Louis de Baudicour racontera en 1853 avoir vu les zouaves « se précipiter avec fureur sur les malheureuses créatures qui n’avaient pu fuir », puis s’acharner : « Ici un soldat amputait, en plaisantant, le sein d’une pauvre femme qui demandait comme une grâce d’être achevée, et expirait quelques instants après dans les souffrances ; là, un autre soldat prenait par les jambes un petit enfant et lui brisait la cervelle contre une muraille ; D’après les estimations les plus basses, il y eut ce jour-là huit cents Algériens massacrés. Tous les habitants tués ? Il y eut trois autres « épargnés »… provisoirement. Les Français voulurent capturer vivant – dans le but de faire un exemple – le chef de la résistance, le cheikh Bouziane. Au terme des combats, il fut fait prisonnier. Son fils, âgé de quinze ans, l’accompagna, ainsi que Si-Moussa, présenté comme un marabout. Que faire d’eux ? Ces « sauvages » n’eurent pas droit aux honneurs dus aux combattants. » (8)
« Le général Herbillon ordonna qu’ils soient fusillés sur place, puis décapités. Leurs têtes, au bout de piques, furent emmenées jusqu’à Biskra et exposées sur la place du marché. Que devinrent les têtes détachées des corps des combattants algériens ? Qui a eu l’idée de les conserver, pratique alors courante ? Où le furent-elles et dans quelles conditions ? Quand a eu lieu leur sordide transfert en « métropole » ? Cela reste à établir, même si certaines sources indiquent la date de 1874, d’autres la décennie 1880. Il semble que certaines d’entre elles aient été d’abord exposées à la Société d’anthropologie de Paris, puis transférées au Musée de l’homme. Elles y sont encore aujourd’hui » (8).
Conclusion
S’il est inscrit dans le génome des nostalgériques que la colonisation avait fait oeuvre positive, nous voulons pour notre part et a contrario parler de l’oeuvre positive de l’Algérie, pour la France. Le compagnonnage douloureux avec la France a fait que les Algériens, à leur corps défendant, ont été de toutes les guerres depuis celle du Levant, à celle du Mexique, de Sedan, du chemin des Dames, des Ardennes, de la Provence, des francs-tireurs partisans. Dans le même ordre, il nous faut aussi évoquer rapidement les «tirailleurs bétons» qui à l’instar des R.T.A (Régiments de Tirailleurs Algériens) qui ont participé à la libération de la France, ces derniers ont participé à la reconstruction de la France. De plus sans être dans la francophonie qui, pour les Algériens a des relents de paternalisme, nous faisons plus pour le rayonnement de la langue française que plusieurs pays réunis, sans rien demander en échange. Nous enseignons dans une langue à 11 millions d’Algériens chaque année.
La reconnaissance par la France à dose homéopathique de sa faute en Algérie n’apporte rien de nouveau. Il a fallu 45 ans pour qu’en 2007 le parlement français admette que la glorieuse révolution n’était pas « les événements d’Algérie » mais une véritable guerre. Les Algériens furent tués, blessés, dépouillés de leurs biens, empaillés au Musée de l’Homme à Paris comme des curiosités anatomiques, ils furent même morts, leurs squelettes furent déterrés, récupérés et envoyés en France dans des fabriques de savon ! Ils furent enfin déportés à des dizaines de milliers de km à Cayenne et en Nouvelle Calédonie.
L’Algérie se doit de retrouver sa mémoire et revendiquer tout ceux qui se sentent l’âme algérienne quand bien même ils auraient d’autres nationalités. Nous parlons du génome et d’un gigantesque tsunami que subirent les Algériennes et les Algériens un matin de 1830, il y a de cela 190 ans exactement. Depuis nous n’arrêtons pas de ressentir des répliques à travers ces morts sans sépulture qui nous interpellent.
Nous n’avons pas de remerciements à faire. La douleur est passée dans nos gènes. Elle est encore vivace et tant que la mémoire de l’Algérie est quelque part dans les musées de France et de Navarre nous ne pourrons pas parler d’apaisement. Nous n’avons qu’une chose à faire c’est de se tourner résolument vers l’avenir en misant plus que jamais sur la connaissance seule défense immunitaire qui fera que plus jamais l’Algérie subira ce qu’elle a subi. Bonne fête de l’indépendance, de la jeunesse et bienvenue à nos valeureux patriotes en espérant qu’ils soient suivis par d’autres pour qu’enfin l’âme algérienne soit apaisée
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