Akila Ouared, décédée lundi 1er juin à l’âge de 84 ans.
Chère Akila Ouared
Que dire de ce moment douloureux qui nous laisse toutes un peu perdues, ne sachant comment conjurer le sort qui t’enlève à nous ? Tu es partie dans le tumulte d’un pays que tu aimais tant et pour lequel tu as tant donné.
Akila, évoquer ton souvenir n’est pas simple tant il est imbriqué à l’histoire de ce pays. Akila, tu as été de tous les combats, de toutes les luttes. Très jeune, tu t’es engagée dans celles menées par le peuple algérien jusqu’à sa victoire contre le colonisateur. Fille de syndicaliste, les débuts de ton militantisme ont commencé à Constantine où des événements tragiques ont marqué ton esprit d’adolescente. Les événements du 8 mai 1945, qui ont valu la vie à ton oncle, ne pouvaient te laisser indifférente. Ils ont marqué ton engagement et renforcé chez toi l’amour de la « chose » nationale. Obligée d’émigrer en France avec ta famille, tu as rejoint naturellement la fédération de France du FLN dans laquelle tu militeras pendant des années.
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De retour au pays, tu t’es lancée corps et âme dans sa construction. Ce n’est pas un hasard si même le choix de ton métier se voulait résolument social. Assistante sociale, ce métier t’a permis d’être aux côtés des plus humbles. Plus que ton métier, d’autres défis t’attendaient. Pour ce faire, tu as rejoint l’UNFA où tes engagements aux côtés des femmes trouvaient forme et venaient continuer ce que tu avais déjà commencé durant la Guerre de libération.
Beaucoup d’entre nous t’ont connu au sortir de l’Université dans les années 1970. A tes côtés, de grandes épopées allaient s’engager tout à la fois exaltantes, mais aussi sombres. Années d’édification et de répression. Ton courage et ta force étaient contagieux et rassurants. Tu as su en permanence mêler ton militantisme et ton rôle de maman. Il faut dire qu’au fil des années, ta famille s’est agrandie de 5 magnifiques enfants à qui tu as su transmettre la flamme qui t’animait. Sabrina, Safia, Yasmine, Raouf et Anouar font partie de notre univers tant ils se sont retrouvés mêlés à nos rencontres, à nos réunions. Ainsi que monsieur Ouared, ton compagnon, dont on garde l’image d’un homme bon.
Akila, dans ces années 1970-1980, nous avons partagé avec toi cet idéal qui nous donnait la force d’aller au bout de nous-mêmes, fière, tu l’étais, de construire ce pays, mais tu restais fondamentalement attentive à ce qui préoccupait les femmes dans leur vie de tous les jours, leur statut. Une partie de ces préoccupations tu les as rencontrées dans tes mandats à l’APC du Grand Alger puis à ceux de la commune d’Alger-Centre. Tu avais une conception éminemment démocratique de ton rôle d’élue qui t’amenait à prendre à cœur les préoccupations des citoyens et surtout à aller vers eux. Les réunions interminables jusqu’à des heures tardives comme celles tenues autour des budgets des APC, de leur répartition, de leurs enjeux témoignaient de ce qui se jouait et soulevait ta vigilance…
Akila, mais l’essentiel de ton combat post indépendance se mènera au profit des femmes dont tu as eu à cœur la condition.
C’est ainsi qu’au sein de l’UNFA tu n’as cessé d’œuvrer à en faire une organisation représentative. Tu souhaitais voir des femmes de différents milieux se côtoyer. Quand tu as rejoint le comité de wilaya, sous son impulsion de nombreuses initiatives ont eu lieu, inscrivant dans l’agenda national les préoccupations des femmes. Des revendications de travailleuses ont pu être entendues et un certain nombre d’acquis ont été obtenus comme celui de l’extension du congé de maternité qui passa de 45 jours à trois mois, du voile levée sur la situation des femmes de ménage placées par des « coopératives » dans des entreprises, sans que celles-ci ne bénéficient des avantages sociaux sur lesquels la législation du travail ouvrait. Que dire de ces mères préoccupées par la déscolarisation de leurs enfants et autres ?
Tu étais toujours à l’écoute des femmes, de toutes celles que ta route croisait. Dans ce combat pour une organisation démocratique, tu t’es heurtée avec d’autres à de nombreuses difficultés annonciatrices de lendemains qui déchantent. Et comme dit le poète « djao lariah ou djao laghiam ». Dans ces éclaircies et en ces moments sombres où la répression pointait son nez, nous avons quand même résisté.
Akila, il nous fallait se réinviter toujours pour le meilleur, contre la hogra, contre l’injustice. Le combat pour l’égalité des femmes nous tenait à cœur. Des lois injustes, minorisant les femmes, les déresponsabilisant, portant atteinte à leur dignité étaient constamment mises en avant. Mouture après mouture, le code de la famille faisait de nous des mineurs à vie. Comment admettre une telle loi, toi qui n’avais cessé de te battre pour ce pays, qui avais connu la répression coloniale et celle d’un régime autoritaire ? Toi qui t’étais battue pour que la voie des femmes soit entendue.
Akila, dans ces années 1980, l’UNFA qui se voyait vidée de sa substance, nous devenions indésirables, dangereuses pour ceux qui avaient décidé d’entraîner le pays vers le néolibéralisme et que nos orientations dérangeaient. Pour eux, les préoccupations des femmes importaient peu. La traversée du désert commença. Mais malgré cela, il fallait toujours avancer. Des événements internationaux nous travaillaient. Difficile de demeurer indifférentes à ce qui se passait en Palestine en 1987. Comment manifester notre soutien et notre solidarité à ces enfants qui s’y battaient avec pour seules armes des pierres. « Ouled el hidjara » se devaient de connaître notre solidarité, pendant que nos gouvernements ici et dans le monde arabe se muraient dans un mutisme qui signait leur trahison.
Te souviens-tu Akila, nous voulions, cette année-là, « fêter » le 8 mars en communion avec eux. Nous avions improvisé une marche. Nous étions descendues la rue Didouche-Mourad sous les youyous des femmes qui de leurs balcons nous soutenaient. Cette manifestation avait été préparée dans le plus grand secret. De bouche à oreille, nous nous étions transmis le mot. Rien n’avait fusé si bien que ceux qui veillaient à « l’ordre » se demandaient d’où nous sortions. Cette prouesse allait nous inciter à créer une association féminine dans laquelle nous pourrions continuer à nous battre pour nos droits et nos idées.
Nous avons commencé à organiser des réunions dans les maisons où des discussions intenses avaient lieu. Des femmes nous ont ouvert leur porte. Leur générosité et leur courage nous ont permis de créer l’association « Défense et Promotion des Droits des Femmes ». Malgré la chape de plomb qui régnait, beaucoup de femmes nous ont rejoint. Les luttes autour du statut des femmes nous semblaient prioritaires. Nous refusions d’être réduites à des « irresponsables », à des mineures à vie. Il est vrai que nous avions pour éternel soucis celui de gagner le plus grand nombre de femmes et parmi elles, celles victimes des divorces arbitraires, des répudiations abusives, des abandons de famille. Celles qui se retrouvaient à la rue avec leurs enfants. Le Code de la famille touchait les femmes et les enfants dans leur vie de tous les jours…
Puis vint Octobre où une épreuve attendait l’Algérie. On avait tiré sur des jeunes en colère, des arrestations s’en sont suivies, des tortures ont eu lieu. Un membre du comité de l’association avait été touchée et c’est chez toi, Akila, que nous avions discuté de la riposte à ces événements. L’association avaient organisé une réunion au cinéma l’Afrique contre la torture. Il fallait avoir du courage et des convictions pour assumer une telle action qui t’exposait particulièrement en ta qualité de coordinatrice de l’association.
Puis vint la décennie noire « qu’inaugurait » la mort d’un enfant brulé vif en représailles vis-à-vis de sa mère. Durant la période qui annonçait cette décennie, les femmes se voyaient affublées de tous les maux. Maux et mots allaient de paires. Devant les multiples agressions les rangs de l’association se sont rétrécis et réduits à leur plus simple expression. Cette réalité ne nous empêcha pas de continuer notre combat pour des lois égalitaires. Nous avions alors manifesté, aux côtés d’autres associations, notre constant désaccord avec le Code de la famille qui venait émailler, à période régulière, l’actualité politique. De même nous n’avons cessé d’apporter notre soutien à ces femmes réduites à « l’esclavage », assimilées malgré elles à des butins de guerre. Le corps des femmes devenait un véritable champ de bataille. Malgré les menaces qui pesaient sur nous, nous avons continué à faire entendre la voix des femmes contre ce Code de la famille, même si une majorité d’entre elles se trouvaient séduites par des idées d’un autre âge. Là aussi, du courage il fallait en avoir et tu en avais !
Akila, on le disait au début, il est difficile de retracer ton combat tant celui-ci est lié à celui de l’histoire de l’Algérie, mais on peut dire que ce combat a été pour beaucoup dans la percée qu’ont connu les revendications des femmes. Notre mémoire chavire, lézardée par les nombreux coups que nous avons subis.
Akila, quelle que soit la tristesse que nous ressentons par ton départ, nous sommes heureuses que tu ais pu partir après avoir vu ce torrent humain qui redonne dignité à notre pays et à son peuple. Tu as laissé un message en guise de testament à la jeunesse qu’on souhaite entendu. Tes propos donnent sens au combat qui a fait ta vie et qui a été le combat d’une vie. Ce message que tu as laissé, l’est également pour nous tous. Il rappelle ce pour quoi nous nous sommes battues et continuons à nous battre.
Nous en reprenons un passage qui te résume assez bien chère Akila : « Nous avons lutté pour notre indépendance, contre la discrimination, l’injustice, le déni du droit, pour une citoyenneté, pour un Etat de droit. Il est vrai qu’il y a eu des acquis : droit à l’éducation, à la santé, un code du travail égalitaire…, mais au fil des années, nous avons assisté à l’accaparement des biens de notre pays par une certaine caste, au détriment de tout un peuple. On a vu petit à petit notre Algérie confisquée »
Akila, nous sommes heureuses et fières de t’avoir connue, d’avoir partagé ton parcours. C’est une chance que nos vies aient pu croiser des femmes de ta trempe. Des femmes qui sont restées fidèles à leurs idéaux et qui jamais ne se sont égarées. Cet hommage on te le doit.
Akila, repose en paix et que la terre te soit légère. Tes idéaux se retrouvent dans la richesse que tu nous as léguée : tes enfants. L’éducation et les principes que tu leur as transmis restent des valeurs sûres.
Akila, tu es partie rejoindre ton compagnon et Sabrina qui a laissé un grand vide. C’est avec une profonde affection que nous entourons tes enfants. Safia qui, toute jeune, avait choisi de faire partie d’une équipe de foot féminin en des temps particulièrement troubles, malgré la menace qui pesait sur elle. Yasmine dont le dévouement dans le milieu médical où elle a travaillé rappelle ta générosité. Raouf et Anouar à qui tu a appris le respect des femmes. Nous leur adressons nos condoléances les plus tendres.
Akila tu peux être fière de ton œuvre. Tu resteras à jamais un modèle pour nous. Nous sommes heureuses d’avoir pu partager avec toi ce combat, toujours encouragées par ta bonne humeur et ton affection.
Repose en paix,
Tes compagnes et amies qui ont partagé ton combat.
https://www.dzvid.com/2020/06/05/hommage-a-akila-ouared-moudjahida-et-militante-des-droits-des-femmes/
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