Le film est disponible sur différentes plateformes, l'occasion de le (re)découvrir et de tomber (ou pas) sous le charme de cette comédie chantée, pour ne pas dire enchantée, de Jacques Demy. Au "Masque & la Plume", Nicolas Schaller et Xavier Leherpeur s'affrontent à fleurets à peine mouchetés.
Film qui a reçu le prix Deluc à l'époque et la Palme d'or à Cannes et qui a offert son premier grand rôle à Catherine Deneuve, à peine 20 ans à l'époque du tournage. Elle y incarne Geneviève, qui vit en 1957 à Cherbourg avec sa mère Anne Vernon, une jeune veuve dont la boutique de parapluie s'appelle justement 'Les parapluies de Cherbourg'. On voit le clin d'oeil assez évident à 'Chantons sous la pluie'. Geneviève, qui est amoureuse de Guy (joué par Nino Castelnuovo), un garagiste qui lui fait un enfant et qui part ensuite faire son service militaire en Algérie. Pendant la longue absence de Guy, Geneviève est presque obligée par sa mère d'épouser un négociant en pierres précieuses qui est joué par Marc Michel, qui accepte d'adopter l'enfant qui va naître. Moi, j'ai eu l'impression à ce moment-là d'être dans du Marcel Pagnol, mais normand. Et quand Guy va revenir à Cherbourg... Mais je n'en dis pas plus puisqu'il y a encore des auditeurs qui n'ont pas vu ce film où les chansons de Catherine Deneuve, petite précision, sont interprétées par Danielle Licari.
Nicolas Schaller : "Vraiment, moi, je ne peux pas"
Nicolas Schaller :
Je suis là pour rassurer tous les cinéphiles qui n'y arrivent pas avec ce film. Je n'ai jamais vraiment réussi à adorer ce Demy là.
Je ne vais pas revenir sur la modernité, l'avant-gardisme du film. Je ne peux pas nier l'ambition folle et en même temps la forme de réussite à créer cette espèce d'opéra du réel, de mêler le mélo et le réalisme social et l'artifice de la mise en scène et cette espèce de banalité très fleur bleue des dialogues. Mais vraiment, moi, je ne peux pas. Ces chansons sans rimes. Ces voix de crécelle aux mélodies dis-harmonieuses qui montent dans les aigus et m'explosent les tympans.
Il y a des moments qui m'émeuvent, mais c'est souvent les monologues ou les courts moments de silence entre les séquences.
Et puis cette fin, j'avoue, cette espèce de sublime image de boule à neige. Ces beaux objets qui ont le mérite d'être très silencieux. Je suis beaucoup plus sensible aux Demoiselles de Rochefort : on a le mouvement dans la danse, on a les rimes, on a la chanson.
Je suis totalement hermétique à ce jeu de dialogue assez banal et très simple (ce qui est voulu), même dans le côté fleur bleue, et à ces "montées" et "redescentes" à la Michel Legrand qui m'épuisent au bout d'un moment et qui m'enlèvent toute émotion.
Jérôme Garcin : Reconnaît au moins que ce sont des jolis débuts pour Catherine Deneuve ?
Nicolas Schaller : "Elle est filmée comme une poupée qu'il fétichise, et en même temps, le personnage est assez hermétique et pas très sympathique quand on revoit le film.
En même temps, c'est en ça aussi qu'il parle du patriarcat dont elle est une victime. Mais on ne comprend pas très bien, tellement le personnage est presque peu écrit et inactif. Il n'arrive pas à me la rendre sympathique et touchante. "
Xavier Leherpeur : Un chef d'oeuvre complet, absolu, total
Xavier Leherpeur : "Nicolas a le droit de ne pas aimer, il a le droit d'avoir mauvais goût, il a le droit de ne rien comprendre au grand cinéma. Ce n'est pas grave.
Je l'ai revu pour le plaisir de le revoir, même si je crois le connaître absolument plan par plan et chanson par chanson et dialogues chantés par dialogues chantés. Et je pleure à chaque fois.
C'est pour moi un chef d'oeuvre complet, absolu, total, d'une fluidité, d'une limpidité et d'une beauté.
"Film Fleur bleue", pour moi, c'est vraiment le contre sens absolu par rapport aux Parapluies de Cherbourg.
Ça parle d'une mère célibataire, d'une femme qui est enceinte et dont le mari est parti à la guerre d'Algérie - en 1964 on n'en parle pas beaucoup dans le cinéma français. Et qui va dépérir. Elle se désespère parce qu'elle n'a plus de lettres de Guy. Elle a peur du silence. Elle a peur de la mort qui rôde autour de lui. Elle fait des cauchemars sur sa mort possible. Il y a la mère derrière qui essaye absolument de la marier avec Roland Cassard (Roland Cassard, un personnage qu'on avait découvert dans le lac avec Anouk Aimée quelques années plus tôt dans Lola).
Je trouve l'instrumentalisation musicale magnifique. Effectivement, il y a des accentuations, il y a des envolées lyriques. Il y a des cuivres qui arrivent, mais qui continuent à travailler la psychologie des personnages, la fluidité de la mise en scène, la beauté.
Au niveau des décors, ce n'est pas saturé, c'est juste un improbablement beau.
Je trouve qu'il y a des scènes cocasses. Je trouve que l'humour cohabite avec la tragédie et je trouve que ça n'est jamais fleur bleue. Au contraire, c'est une œuvre d'une grande cruauté, d'une immense beauté. Enfin, tu parlais de ceux qui ne l'avaient pas encore vu, et bien tant mieux parce qu'ils vont découvrir un film absolument sublime. "
Charlotte Lipinska : "Ce film m'éblouit profondément"
Charlotte Lipinska : "Ce film, je ne pourrais pas dire qu'il m'émeut profondément, mais il m'éblouit plutôt profondément. On a parlé de l'explosion des couleurs absolument permanentes. On sait que les papiers peints ont été créés spécialement pour le décor. Cette explosion colorée qui est en totale contradiction avec un sujet plutôt douloureux.
Chaque fois que je vois le film, j'espère que dans mon souvenir que je m'étais trompée sur la fin, c'est-à-dire comme si à chaque fois, j'espère qu'il va y avoir une fin différente que celle du film.
Alors évidemment, je la connais mais j'ai toujours le petit espoir que, peut-être, on aurait retrouvé des scènes coupées, une fin alternative, j'en sais rien… Je trouve que la dernière séquence du film est un coup de génie. C'est-à-dire qu'après nous avoir baigné pendant 1h20 dans un film qui n'a rien de naturaliste et qui a une forme très audacieuse, novatrice, romanesque d'une certaine manière, tout d'un coup, à la fin, c'est la vraie vie. C'est une espèce de principe de réalité qui arrive et qui, moi, me bouleverse profondément.
► Les Parapluies de Cherbourg est disponible sur Netflix, Amazon Prime et OCS
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Les parapluies de Cherbourg au Masque
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