1957 |Il y a 60 ans à Alger, l'Armée française se voyait octroyer tous les pouvoirs pour démanteler le FLN en traquant les membres de ses réseaux terroristes. Réécoutez Germaine Tillion, résistante, ethnologue, se remémorer le rôle qu'elle a joué pour que prenne ce sanglant épisode de la Guerre d'Algérie.
Le 7 janvier 1957, il y a 60 ans, quatre régiments de parachutistes de l'Armée française entraient dans Alger pour éliminer les réseaux terroristes du Front de Libération nationale. L'ethnologue Germaine Tillion, ancienne membre du réseau de résistance du Musée de l'homme, proche de l'Algérie où elle s'était rendue en mission dans les années 1930, a joué un rôle-clef durant cet épisode, resté dans l'Histoire comme "la bataille d'Alger".
"« Il se trouve » que j’ai connu le peuple algérien et que je l’aime ; « il se trouve » que ses souffrances, je les ai vues, avec mes propres yeux, et « il se trouve » qu’elles correspondaient en moi à des blessures ; « il se trouve », enfin, que mon attachement à notre pays a été, lui aussi, renforcé par des années de passion. C’est parce que toutes ces cordes tiraient en même temps, et qu’aucune n’a cassé, que je n’ai ni rompu avec la justice pour l’amour de la France, ni rompu avec la France pour l’amour de la justice." Lettre ouverte de Germaine Tillion à Simone de Beauvoir, 1964
Fin 1956, début 1957 : le FLN, qui compte environ 5000 membres, commet de nombreux attentats… galvanisé par l’impact médiatique que lui ont valu ceux de septembre 1956 à Alger. Or, la majorité des victimes appartiennent à la population civile... Le 7 janvier 1957, le gouverneur général de la colonie française, Robert Lacoste, délègue les pleins pouvoirs de police au général Massu et à ses 6000 parachutistes pour démanteler le FLN. Au mépris de tout cadre légal, l'Armée française, dans sa traque, sacrifie à des actes de torture, mais aussi à de nombreuses exécutions arbitraires.
C'est là qu'entre en jeu Germaine Tillion : immense figure de la Résistance, ancienne déportée de Ravensbrück, dont l'un des grands chevaux de bataille est la paix en Algérie, où elle a effectué des missions en tant qu'ethnologue entre 1934 et 1940, pour le Musée de l'homme. En fait, elle suit de près la situation algérienne depuis 1954, l'un de ses professeurs, Louis Massignon, l'ayant alertée sur le terrible quotidien des populations paysannes de la région de l'Aurès : "Germaine Tillion, d'ethnologue qu'elle avait été avant la guerre, était devenue historienne du présent. Et Massignon l'a alertée sur le début du conflit, et lui a enjoint qu'en tant que spécialiste de ce pays, elle avait comme un devoir moral d'aller essayer d'éteindre un peu l'incendie qui commençait. Elle a donc rendu visite au ministre correspondant, qui n'était autre que François Mitterrand, qui l'a autorisée à partir en Algérie pour une mission d'exploration sur les causes du conflit, et les moyens de le résoudre", explique l'essayiste et philosophe Tzvetan Todorov, président de l'association Germaine Tillion à sa fondation, en 2004
À (ré)écouter : La guerre d'Algérie, vingt cinq ans après - La bataille d'Alger, 1957 (Sur les docks, 54 min)
Au cœur de la bataille d'Alger, elle dénonce à la fois le terrorisme des indépendantistes, et les exactions commises par l'Armée française. Ecoutez-là qualifier de "stupidité criminelle" la décision de Robert Lacoste et du général Raoul Salan (disciple de la "guerre contre-révolutionnaire") de donner les pouvoirs de police à l’armée. C'était en 1994, dans l'émission "L'histoire en direct" :
"Germaine Tillion était en train d'enquêter, en Algérie française, sur les prisons et les camps d'internement. Elle a été contactée par des anonymes qui voulaient lui parler. Elle s'est dit qu'elle n'avait aucune raison de refuser de parler à tout individu le désirant...", raconte Tzvetan Todorov. Germaine Tillion se déguise alors en mauresque et suit ses émissaires jusqu'à la Casbah (citadelle) de la rue Caton, à Alger, où le chef des réseaux terroristes du FLN, Yacef Saâdi, dont la tête est mise à prix, s'est réfugié. Elle se souvient de cette entrevue au milieu des mitraillettes et des grenades, et de ce moment où elle a sommé Saâdi, avec émotion, de cesser de s'en prendre à la population civile... Un extrait, diffusé en mars 2012 dans un Sur les docks sur la bataille d'Alger.
"La conversation, à un moment donné, a dévié sur la Résistance française. Et moi j'étais tout de même, disons... très expérimentée dans ce domaine-là. Et j'avais été très commotionnée par mon expérience de 40-45, ce qui fait que j'étais très bouleversée par les souffrances que je voyais devant moi. Parce que je me sentais profondément concernée des deux côtés." Germaine Tillion
"Il y avait une atmosphère d'émotion dans cette pièce. Et c'est à ce moment là-que celui qu'on appelait 'le grand frère', dont je ne connaissais pas le nom, qui était en fait Yacef Saâdi, m'a dit 'Vous voyez, nous ne sommes ni des brigands, ni des assassins'. Et c'est à ce moment-là que je lui ai dit : 'Vous êtes des assassins'." Germaine Tillion
Grâce à l'ethonologue humaniste, Yacef Saâdi s’engage à ne plus attaquer les civils… En contrepartie, Germaine Tillion, forte de son aura de Résistante, de sa place dans le cercle gaulliste (dont les membres étaient directeurs de cabinet de ministres, ou ministres eux-mêmes...), de sa grande amitié avec Geneviève de Gaulle-Anthonioz, joue de ses relations afin que l’Armée française sursoie aux exécutions capitales de terroristes indépendantistes. Quelques semaines après cette entrevue, Saâdi est d'ailleurs lui-même arrêté par les parachutistes français. Germaine Tillion fait des pieds et des mains afin qu'il soit livré à la Justice, et assistera à ses trois procès, où elle témoignera en sa faveur pour obtenir sa grâce et lui épargner une condamnation à mort. Yacef Saâdi lui a gardé une amitié fidèle, jusqu'au bout, se rendant à ses obsèques en 2008.
"Malgré sa longue intervention (...) Saâdi a été condamné à mort à plusieurs reprises. Mais entre temps, le général de Gaulle était arrivé au pouvoir, et à Noël 58, il a gracié tous les condamnés à mort. Donc finalement, elle a réussi à lui sauver la vie, comme à une centaine peut être, d'autres personnes, pour lesquelles elle est intervenue activement dans cette seconde partie de son engagement algérien." Tzvetan Todorov
Vous pouvez écouter tout l'entretien avec Tzvetan Todorov, sur l'action de Germaine Tillion pendant la guerre d'Algérie, et plus précisément la bataille d'Alger :
Hélène
https://www.franceculture.fr/histoire/germaine-tillion-mediatrice-de-la-guerre-dalgerie
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