J’ai lu ce livre écrit par Marcel Yanelli. Il est fait des notes de son quotidien qu’il avait prises pendant le temps de son affectation en Algérie où il a effectué 14 mois de guerre, en 1960 / 1961.
C’est une époque où j’étais moi-même sur le terrain mais je n’ai pas vécu exactement les mêmes choses que l’auteur même s’il y a des événements qui peuvent être rapprochés. Chacun a eu un itinéraire particulier qui tient compte de la fonction qui a été la sienne.
Yanelli vit en Saône et Loire quand il est appelé pour faire son service militaire. Il est issu de l’immigration italienne et est chauffagiste. Il est communiste, il aura des responsabilités électives à la municipalité de Dijon et au conseil régional de Bourgogne. Il est convaincu de l’injustice de la guerre d’Algérie que mène la France mais choisit de partir expliquer aux autres conscrits la nature de cette guerre.
Il est affecté dans un commando de chasse du côté de Biskra. Ses notes rendent compte de ses nombreuses sorties en opération. Des opérations qui le plus souvent ne donnent pas de résultats, sauf les exactions diverses dont il est témoin. Oui, les appelés se vengent sur plus faibles qu’eux de ce qu’ils subissent. Vols, brutalités, viols quelquefois, tortures très souvent, « corvée de bois » aussi… bref, les horreurs de la guerre en général et de celle d’Algérie en particulier !
Notre caporal, oui il a ce grade, écrit beaucoup, notamment à Simone, une femme qui pourrait être sa fiancée, mais c’est d’un compliqué ! Il envoie des lettres, des cartes, à la famille, aux copains militants comme lui... Il en reçoit, les commente. Par ailleurs il lit beaucoup, avec une volonté de s’instruire et de combler les lacunes de sa scolarité. Il lui arrive de voir un film, d’écouter de la musique, de jouer de l’harmonica… Il prend des photos, fait des parties de cartes, de volley, de football….
Il monte la garde, a quelques ennuis de santé... Il fait part de ce qu’il mange, de ce qu’il boit… Certains de ses camarades ne sont pas sobres ! Quelques-uns « se dévissent »… Cela peut dégénérer en tensions, en disputes, en bagarres. C’est le cas notamment avec le départ des quillards. De temps en temps perce une réflexion sur la guerre, cependant qu’il y a des marches, des embuscades, des héliportages, des exercices de tir, des revues, des retours d’opération… des nuits d’insomnie, des phases de récupération.
En décembre 1960 de Gaulle doit venir à Biskra. Comment échapper à la corvée de la présentation des armes ? Autre question, le référendum de janvier 1961. Deux partis appellent à voter NON, le PCF et le PSU. Le OUI l’emportera, sauf à Alger où c’est un autre NON qui est majoritaire chez les Européens, les musulmans ayant suivi les consignes de boycott données par le FLN.
Le 20 avril 1961 ? Gagarine est revenu de l’espace, mission réussie. C’est la veille de putsch des généraux félons. Marcel Yanelli n’aura pas à s’y opposer. Il est de retour en France et pour l’heure à fond de cale sur le Ville de Tunis. La guerre d’Algérie durera presque un an encore. Il aura gagné avec cette période douloureuse de sa vie qui s’achève la volonté de militer toujours plus et mieux pour l’émancipation des peuples. Tiens, j’ai connu ça !
La rédaction de ces carnets a été faite au jour le jour. C’est répétitif, surtout dans la première partie, ça s’élargit plus vers la fin. Ah, épilogue, Marie-Louise a remplacé Simone.
http://cessenon.centerblog.net/6571436-j-ai-mal-a-l-algerie-de-mes-vingt-ans
Dans cet ouvrage, les mots sont là pour guérir un traumatisme, celui de cette guerre d’Algérie au cœur de laquelle Marcel Yanelli est envoyé alors qu’il a tout juste 20 ans, et qui est restée dans un coin de sa tête tout le reste de sa vie. Car au-delà du traumatisme de ce qu’il a vécu sur place, il souffre, comme beaucoup des appelés en Algérie, du « silence et de la honte » autour de cette guerre. En publiant ses notes, l’auteur veut effectuer ce travail de mémoire que la France n’a jamais fait. Il veut transmettre, lever le voile sur l’usage de la torture et sur tout ce qu’il a vu en Algérie.
Marcel Yanelli le précise, s’il n’est jamais indulgent avec ses compagnons, ce ne sont pas eux qu’il veut dénoncer mais bien les vrais responsables que sont alors les hommes politiques et les « gros colons ». Il ne prétend pas non plus apporter de révélations sur cette guerre ou sur l’action des communistes à cette époque. Ce qu’il nous offre, c’est un précieux témoignage dans lequel il nous livre tout de ses pensées, de ses doutes, de ses révoltes face à ce qu’il voit et ce qu’on lui fait faire.
Marcel Yanelli est né en 1938 de parents émigrés italiens et communistes. Lui-même adhère au Parti communiste français en 1953, l’année de la mort de Staline.
Son frère Jean a effectué plusieurs mois de prison pour avoir refusé d’aller se battre en Algérie. Marcel est décidé à suivre son modèle jusqu’à ce que son parti décide que la place des communistes est en Algérie, afin d’y militer pour la paix. Après treize mois de service en métropole, Marcel est envoyé dans la colonie en février 1960. Il a alors 22 ans et, durant les 15 mois pendant lesquels il est appelé du contingent, il écrit au vu et au su de tout le monde, quotidiennement, pour relater les faits qui le marquent.
Ses carnets, ainsi que les 200 photos qui les accompagnent, ne seront, pendant longtemps, consultés que par la famille la plus proche de Marcel Yanelli.
En 1999, quelques pages apparaissent dans un ouvrage édité par l’Amicale des vétérans du PCF : La lutte des communistes de Côte-d’Or contre les guerres coloniales, Indochine, Algérie, Viet-Nam.
En 2005, Marcel se décide à saisir à l’ordinateur ses notes, tellement fines et serrées qu’il faut une loupe pour les déchiffrer. Des extraits sont alors lus par les comédiennes de la compagnie Zigzag lors de lectures-spectacles. En 2015, à 77 ans, Marcel Yanelli franchit un dernier pas et en 2016, ses carnets d’appelé sont publiés intégralement chez L’Harmattan, augmentés d’une préface d’Alain Ruscio et de Georges Vayrou.
On pourrait craindre que la lecture de notes quotidiennes soit monotone. Il n’en est rien. Marcel Yanelli écrit particulièrement bien, et c’est d’autant plus remarquable quand on connaît les conditions matérielles dans lesquelles il se livre alors à cet exercice. Ces écrits pris sur le vif nous entraînent. Le caractère journalier de ces notes, loin d’être rébarbatif, nous aide à ressentir le temps qui passe et le poids de ces mois passés en Algérie.
Marcel Yanelli se dit être un « passionné de la vie ». La vie, en effet, est présente tout au long de cet ouvrage. À côté du descriptif de la vie militaire, il évoque ses pensées pour sa famille, les lettres qu’il reçoit, celles qu’il envoie. Il parle des colis de pain d’épices de sa mère, pense à la vie qui continue chez lui, à Dijon. Il y imagine les fêtes de Pâques ou les défilés du 1er mai. Il parle de ses camarades des Jeunesses communistes et de sa petite-amie, Simone, militante elle aussi. Il se raccroche à son souvenir, qui rend plus cruelle encore la longueur de ces mois loin de chez lui. Il parle de ses doutes sur leurs sentiments respectifs et tout cela nous rappelle combien, alors, Marcel est jeune. Il ne cache rien de ses moments d’abattement, de son chagrin d’être en Algérie, de son attente que les jours passent. Le récit de son départ, en février 1960, est particulièrement poignant. Il évoque les pleurs de sa mère, ceux de sa sœur et les siens qu’il tente de contenir. À travers ses notes, c’est toute sa peine et son angoisse que l’on ressent, tout comme la longueur du voyage de Dijon à Biskra.
Marcel Yanelli ne masque rien de ses émotions, de son innocence. Le texte n’a pas été tronqué comme l’auteur aurait pu être tenté de le faire tant d’années après.
Il ne cache rien non plus de la cruauté des opérations militaires. Il évoque sa répugnance à fouiller les habitations des Algériens, son refus de manger ou de boire ce qui a pu être volé par ses compagnons, son intransigeance face au viol. On suit sa révolte face aux interrogatoires, face à l’utilisation de la torture ou à la violence gratuite des soldats sur les Algériens.
2S’il condamne les actes de ses compagnons, il souffre surtout de leur abaissement moral. Lui, au contraire, malgré toute la difficulté du quotidien, fait tout pour rester fidèle à ses principes moraux. Malgré tout, il s’inquiète à l’idée de céder à la facilité, de les oublier pour mieux les renier. Il se méfie de « l’habitude » qui conduit à l’indifférence.
Tout au long de ses notes, malgré le temps qui passe et la violence des opérations, Marcel Yanelli continue de dénoncer le colonialisme et la politique française qui fait tant souffrir le peuple algérien.
Marcel est là pour appliquer les consignes du Parti. Il n’est pas en Algérie pour faire la guerre, mais pour convaincre ses compagnons que la France n’a rien à y faire et leur montrer les véritables enjeux de la pacification. Il continue ainsi d’essayer de convaincre une armée encadrée par les ultras, conditionnée, manipulée et qui, majoritairement, veut garder l’Algérie française. Malgré tout, il considère toujours ne pas en faire assez, ne pas être un militant modèle. Pourtant, il parvient à s’exprimer et à échanger, même s’il est repéré comme communiste dès son arrivée et, par conséquent, affecté dans un « commando de chasse » et « porteur de radio », les postes les plus exposés lors des opérations.
Son temps libre, il s’oblige à le passer à s’instruire, à étudier. Lui qui n’est allé à l’école que jusqu’à 15 ans, il lit pour compenser son manque d’instruction. Il travaille sur les écrits de Dimitrov, il lit Les Fleurs du mal de Baudelaire, Pour qui sonne le glas d’Hemingway ou du Federico Garcia Lorca.
Ses écrits ont cela de passionnant qu’on le suit à travers les moments de désespoir et de révolte, jusqu’aux moments les plus légers, dans tout ce que cette vie a de paradoxal. Un matin, il raconte une de ces longues marches dans le paysage algérien, avant de parler de la musique d’Yves Montand, du cinéma, des jeux de cartes, des parties de football ou des baignades dans la mer. S’enchaîne un moment où il dit s’amuser follement avant d’être révolté par le sort fait à un homme battu par ses compagnons. Il évoque les parcours du combattant, les exercices de tir, puis avoue avoir été révolté par un livre policier « pourri d’antisoviétisme ». Un matin il décrit une alerte, le soir il voit Certains l’aiment chaud. Sur tout ce qu’il lit ou tout ce qu’il voit, il note ses réflexions et parvient à décrire l’ambiance oppressante du camp, même pendant les moments de loisir. Et puis l’espoir qui revient, parfois, lorsqu’il reçoit une lettre ou lorsqu’il entend, un jour, le Chant des partisans russes et le Chant du départ.
On ne peut que recommander la lecture de ces écrits bouleversants, passionnants, d’un jeune communiste parti en 1960 en Algérie pour y militer pour la paix.
Référence électronique
Eloïse Dreure, « Marcel Yanelli, J’ai mal à l’Algérie de mes vingt ans. Carnet d’un appelé, 1960-1961 », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique [En ligne], 139 | 2018, mis en ligne le 01 octobre 2018, consulté le 13 octobre 2018. URL : http://journals.openedition.org/chrhc/7661
Les commentaires récents