Elle a dénoncé les ravages de la colonisation en Algérie
Germaine Tillion va entrer au Panthéon, aux côtés de trois autres figures françaises de la Résistance l Son parcours rappelle que la grande dame a aussi été une femme de conviction, qui a mis son poids pour que soient abolies la peine de mort et la torture en Algérie pendant la guerre de Libération nationale.
Les résistants Pierre Brossolette, Geneviève Anthonioz de Gaulle, Jean Zay et Germaine Tillion rejoindront les «grands hommes», dont les cendres reposent dans le majestueux Panthéon, au cœur de Paris. «Deux femmes et deux hommes qui ont incarné les valeurs de la France quand elle était à terre», a souligné le président Hollande qui a officialisé ce choix vendredi dernier. Le choix de Germaine Tillion doit beaucoup à son engagement précoce dans la résistance au nazisme. Il ne peut cependant pas faire oublier le rôle que la dame joua au milieu des années 1950 dans le cadre d’une autre résistance, celle des Algériens pour la dignité, la justice et l’indépendance. On se souvient de son livre publié alors, L’Algérie en 1957 (éditions de Minuit) qui fustigeait la misère des Algériens. Appelée en Algérie par l’éphémère gouverneur Jacques Soustelle, on lui doit la création des centres sociaux en 1955.
Son retour en Algérie ne devait rien au hasard, puisque dans les années 1930 l’ethnologue avait travaillé sur les Aurès pour son doctorat jamais abouti. Emprisonnée au début de la guerre entre la France et l’Allemagne, puis déportée à Ravensbrück, son travail disparut dans cette débâcle. Enfin, dans ces quelques mots succincts, on peut aussi évoquer son engagement contre la peine de mort et la torture en Algérie qui la fit beaucoup intervenir auprès des autorités françaises, mais aussi auprès du FLN, et particulièrement auprès de Yacef Saâdi, à Alger. Au retour du général de Gaulle aux affaires en 1958, elle trouva en lui une oreille attentive.
L’universitaire bretonne, Armelle Mabon, fait partie des dernières personnes qui ont rencontré Germaine Tillion, décédée à l’âge de 101 ans en 2008 et travaillé sur son œuvre. Elle lui avait consacré, avec Gwendal Simon, un séminaire important en 2010, intitulé «L’engagement à travers la vie de Germaine Tillion» (édition Riveneuve 2013). Elle est heureuse que Germaine Tillion ait été «plébiscitée comme ayant marqué l’histoire de la France. Elle entraîne dans ce sillage de la reconnaissance de la nation tous ceux, connus ou oubliés, qu’elle a côtoyés et qui défendaient des valeurs aujourd’hui malmenées.»
«Sa clairvoyance n’a pas été assez écoutée, même aujourd’hui»
Sur la guerre d’Algérie, la résistante savait sur quel terrain miné la France se trouvait, un terrain qui l’éloignait de ses valeurs : «Germaine Tillion, par ses recherches et sa vie faite d’engagement, se savait légitime pour interpeller les politiques, notamment durant la guerre d’Algérie. Dans un tract clandestin elle avait écrit : ‘‘Notre patrie ne nous est chère qu’à la condition de ne pas devoir lui sacrifier la vérité’’. Il y a là une clairvoyance, mais elle n’a pas été assez écoutée, même aujourd’hui», nous assure l’universitaire.
Elle se souvient de ses rencontres avec la vieille dame : «Elle avait une empathie pour les autres, preuve d’une humilité qui la rendait si proche et si présente. En 2001, j’avais organisé une rencontre à la médiathèque de Lorient destinée, entre autres, aux étudiants du diplôme supérieur en travail social pour entendre Germaine Tillion parler des centres sociaux. Le débat a dévié sur les talibans et à une question, Germaine Tillionrépond : ‘‘Et vous qu’en pensez- vous ?’’. C’était son style de vous renvoyer à votre question.»
Armelle Mabon, qui continue de travailler sur les «prisonniers indigènes» (elle travaille aussi actuellement sur le massacre militaire de Thyarroie au Sénégal), a eu le réconfort du soutien de Germaine Tillion : «Son rôle de marraine des prisonniers de guerre ‘‘indigènes’’ me permettait d’approcher d’une vérité pour cette histoire méconnue. Ils ont été un certain nombre comme Abdesselam à recevoir les belles lettres de Germaine Tillion qui, en retour, éprouvait une certaine émotion en découvrant le sort réservé à ces hommes privés de liberté sur le sol français.Très vite, elle est passée de l’échange épistolaire avec notamment les prisonniers de guerre originaires des Aurès, à la filière d’évasion.»
Autre motif de fierté pour Armelle Mabon, avoir approché la dame pendant ses travaux d’écriture, jusque très tard dans sa vieillesse : «Elle était drôle avec ce regard malicieux et chaque rencontre était un enchantement. Nous avons donné le nom de Germaine Tillion à l’amphithéâtre du pôle de formations sanitaires et sociales à Lorient et c’est son amie, Simone Pâris de Bollardière (Ndlr, veuve du général qui osa dénoncer la torture en Algérie, au détriment de sa carrière) qui l’a inauguré.» Il est ainsi indéniable que le geste du président Hollande de transférer les cendres de Germaine Tillion au Panthéon est une brèche dans la reconnaissance des méfaits de la France en Algérie.
Les trois autres «panthéonisés»
Geneviève Anthonioz de Gaulle, nièce du général, fut déportée en 1944. Elle est une figure de l’humanisme français du XXe siècle. Militante des droits de l’homme et présidente d’ATD Quart Monde, elle est morte le 14 février 2002. Pierre Brossolette, journaliste et homme politique socialiste français, part pour Londres afin d’y épauler de Gaulle. Il est arrêté à Audierne en 1944, lorsqu’il rejoint la France en bateau, et meurt en se jetant par la fenêtre. Avocat, ancien ministre socialiste de l’Education nationale durant le Front populaire (1936-1939), Jean Zay fut l’un des 27 parlementaires à rejoindre l’Afrique du Nord après la défaite. Poursuivi pour «désertion face à l’ennemi», il est jeté en prison à Riom. Il sera abattu d’une rafale de mitraillette dans le dos en 1944.
Walid Mebarek
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