Une intrusion dans le passé de l’Andalousie
Je raconte cette épopée, à partir du Maghreb, sous l’égide de Tariq Ibn Ziyad
Le prolifique Kamed Bouchama, à peine le souffle repris, après son dernier ouvrage Iol..Casaeréa...Cherchell nous donne une Clé d´Imzis pleine de mystère. C´est encore Cherchell qui est au coeur de ce nouvel écrit qui donne à voir l´autre visage de l´ancienne Numidie ou «Berbérie» sur laquelle M.Bouchama est intarissable.
L´Expression: Cherchell votre précédent ouvrage, à peine digéré, vous voici qui offrez à vos lecteurs une oeuvre dans le même registre Iol...Cherchell. Expliquez-nous un peu cette boulimie d´écriture?
Kamel Bouchama: Un autre ouvrage, en effet...et je suis content de l´avoir produit pour le présenter à mes lecteurs qui, du reste, l´attendaient parce que je l´ai annoncé en maintes occasions à travers mes déclarations dans les médias. Cela a donné de l´eau à la bouche aux fervents de l´Histoire qui veulent apprendre toujours davantage sur ce qu´ont été nos ancêtres et ce qu´a été notre pays dans la construction de la civilisation du Maghreb. Ce livre sur l´Andalousie est à peu près une suite logique de celui sur Cherchell, tant certains événements, à travers quelques étapes de notre Histoire commune, s´imbriquent et se confondent. D´ailleurs, dans Iol à Caesarea à...Cherchell, je fais mention de cette période qui vit 1200 familles grenadines - chassées d´Andalousie - s´installer à Cherchell, ville de culture et d´hospitalité. Quant à la boulimie d´écriture, eh bien, je vous réponds que ce n´est pas exactement le cas car, à part cette présente précision, c´est aussi mon rythme d´écriture qui, de toute façon, ne doit déranger personne, je l´espère... Oui, c´est mon rythme d´écriture! Et de plus, que dois-je faire quand les journées sont longues et que les nuits sont favorables à la méditation? Que dois-je faire de tout ce temps libre et de ces idées qui me harcèlent et m´interpellent? Ne pas satisfaire cette tentation, alors que très jeune j´écrivais déjà pour rompre avec ces contradictions que je trouvais fort contrariantes et désagréables dans un régime qui se voulait égalitaire et plein d´attention pour l´ensemble des couches sociales du pays? Ainsi donc, j´écris, et ce n´est que cette forme d´expression qui me sied le plus.
La Clé d´Izemis? C´est quoi ça? Pourquoi ce titre précisément, que signifie-t-il et que raconte votre ouvrage sur cette épopée de l´Andalousie?
Ce titre est doublement symbolique, pour l´Histoire d´abord et pour moi, ensuite. En effet, pour l´Histoire, il s´agit de cette présence de huit siècles de nos ancêtres en Andalousie, représentée dans mon récit par une clé, celle de la maison de l´Albaicin, dans la Qasbah de Grenade. Pour moi, c´est une preuve irréfutable de l´origine de ma famille, et de ces milliers d´autres qui viennent de là-bas, chassées par la «Reconquista», malgré tout ce qu´ils ont réalisé dans et pour cette Andalousie dans tous les domaines de la vie, économique, social et culturel. Le livre raconte l´Andalousie, depuis la conquête en 711 jusqu´au-delà de la chute de Grenade, le 2 janvier 1492. Le titre est une forme de métaphore qui explique - et on le comprendra en lisant La clé d´Izemis - la relation entre le début et la fin de cette «sacrée épopée». Ainsi, j´explique qu´Izemis est le jeune Berbère qui part de Césarée (Cherchell) à la conquête d´un espace nouveau, non pas en mercenaire hégémonique, mais en bon apôtre pour propager l´Islam. Quant à la clé qui n´apparaît qu´à la fin du récit, pour dire que nous avons existé, là-bas, pendant très longtemps, elle est en fait cet objet précieux qui a fait garder, à nos parents, cet espoir de retour, après la cinglante défaite de nos ancêtres...en péninsule Ibérique. Aujourd´hui, cette clé est là; elle nous rappelle ce temps où nous avons édifié l´Andalousie, et elle réveille en nous cette nostalgie qui nous fait dire: «A part cette clé de notre maison de là-bas, que nous reste-il de l´Andalousie?» Je raconte cette épopée, à partir du Maghreb, sous l´égide de Tariq Ibn Ziyad, en choisissant un jeune héros, Izemis (ou mimis n´Izem, le fils du lion), pour souligner la vaillance, la noblesse et le courage de ces Berbères qui ont effectué le voyage, conquis des terres et guidé les peuples qui vivaient jusque-là, sous le joug avilissant des Wisigoths.
Vous avez choisi le récit. N´était-il pas plus simple d´écrire en historien averti pour instruire le lecteur de la présence berbère dans cette partie du monde, pendant huit siècles?
Je suis tenté de vous répondre par ce qu´écrivait l´éminent Professeur Ahmed Djebbar, qui rappelait que «Le roman historique est une des portes qui permet au lecteur d´entrer dans ce monde disparu mais tellement présent par ses effets. C´est une propédeutique agréable pour se préparer à affronter l´Histoire avec un grand H. Et il était temps que des auteurs prennent des initiatives dans ce domaine [...]» Quant à moi, je suis très à l´aise dans ce genre d´écriture qui nécessite beaucoup de recherches et d´application pour arriver à ordonner les indications dans une forme déterminée, pour comprendre ce que l´Histoire ne pourrait jamais occulter. De ce fait, j´évoque des situations réelles dans des endroits qui existent aujourd´hui encore, après avoir existé hier, et des figures dont la perception se base sur des réalités humaines. Cependant, je me permets, de temps à autre - étant dans le récit - de me laisser emporter par mon imagination et donner un peu plus de charme à qui veut bien en profiter. Et puis encore, comme le soulignait Antoine Gavory, dans son livre «De l´art dans la littérature»: «Après tout, l´art ne résiderait-il pas dans le fait d´embellir les réalités, de savoir rester naturel même dans l´imaginaire?». Ainsi, ce que j´écris avec un amour transcendant, pour évoquer l´Histoire de mes ancêtres, relève de cet esprit d´engagement qui me guide dans mon travail.
Vous laissez entendre que ce sont les Berbères qui, les premiers, ont conquis la péninsule Ibérique? Pouvez-vous nous expliciter cette certitude?
C´est la réalité et je ne peux falsifier l´Histoire ou la grimer! La conquête de l´Andalousie s´est faite avec de jeunes Berbères partis de toutes les régions de notre vaste territoire, en fait de tout le Maghreb, pour répandre l´Islam en terres chrétiennes où les Wisigoths régnaient en despotes totalitaires et tyranniques. Sinon, j´écrivais en bonnes lettres, qui étaient là-bas, si ce n´était nos enfants? Est-ce les Arabes de Qoraïch ou d´El Khazradj qui ont eu l´honneur de conquérir la péninsule en ces débuts du VIIIe siècle? Non! L´Histoire confirme qu´au début, les Arabes ne représentaient rien, sinon une minorité par rapport aux Hispaniques et aux Berbères qui constituaient la majorité de la population. Ainsi, c´est avec les siens, les autochtones de (ce que l´on appelait) la Berbérie et je ne me trompe pas que Tariq Ibn Ziyad a entamé sa campagne d´expansion de l´Islam en Ibérie. C´est avec les siens qu´il a traversé le détroit qui prendra son nom - détroit «Djebel Tarek», devenu par contraction «Gibraltar» - et qui perpétue jusqu´à nos jours son nom et sa bravoure. Je vous donne également d´autres informations sur le sujet. J´ai écris, pour que les jeunes le sachent, que les Berbères se trouvaient bel et bien en Ibérie, bien avant l´expédition de Tariq Ibn Ziyad. En effet, ils étaient là-bas, dans la péninsule et dans les îles Baléares, car des noms berbères existaient en bonne place. Tarif Ibn Malik, ce jeune commandant berbère qui a été envoyé en éclaireur par le gouverneur Moussa Ibn Nouçaïr, avant la deuxième expédition qui a été dirigée par ce dernier, nous rapporte qu´une cinquantaine de toponymes trouvent leurs origines chez nous, dans notre terre de fiers Amazighs, en plus de nombreux signes qui attestent d´une forte présence berbère...
Il faut sans doute, regretter que cet aspect de l´Histoire de l´Algérie soit si peu connu, surtout peu exploré.
Avant même de parler du livre d´Histoire, il convient de constater le manque flagrant, malheureusement, d´écrits immortalisant les épopées anciennes. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette situation qui nous met dans une position inconfortable vis-à-vis de ce que nous projetons dans le cadre de l´éducation de nos enfants. La première raison se situe essentiellement dans cette ambiance de vide où peu d´écrits historiques incitent le lecteur à la curiosité et à mieux connaître son passé. La deuxième raison est que l´école, cellule de base de l´éducation, n´a pas encore entamé ou réussi son décollage dans la réforme du système scolaire. Tout le monde patine dans le «bricolage», malgré les voeux pieux des uns et des autres...C´est dire que la Culture dans notre pays - je l´écris avec un grand C -, est loin d´être le domaine le plus prisé et le mieux respecté, voire le domaine vital, comme dans d´autres horizons qui en font leur sacerdoce. Sommes-nous en mesure d´écrire l´Histoire, la nôtre, aujourd´hui? Je ne le pense pas, puisqu´à chaque occasion, lorsque le débat s´ouvre sur cette question, on débouche sur les tiraillements et les hésitations, parce que l´on restreint l´écriture de l´Histoire à une période donnée, et plus particulièrement à cette période allant de 1954 à 1962. On ne voit que du côté de la guerre d´indépendance, alors que notre peuple a mené, tambour battant, depuis la nuit des temps, des luttes de libération contre les différentes interventions étrangères et en est sorti vainqueur...Ce qu´il y a de plus important, présentement, c´est que nous devons nous atteler sérieusement à restituer notre passé et son monde, à ceux qui doivent en être fiers de l´avoir comme patrimoine, car reflétant les luttes et les gloires de leurs aïeux. Notre Histoire commence depuis l´Antiquité. Elle doit être connue par les jeunes. Ainsi, mon dernier livre sur «Iol-Caesarea-Cherchell» a été accueilli avec beaucoup de plaisir. Ils ont découvert, par exemple, entre autres, qu´une toute petite ruelle, située dans un quartier populaire - signe particulier de notre ingratitude ou de notre ignorance -, porte le nom d´un Empereur romain, Macrin ou (Amokrane ou Mokrane) un enfant du plateau sud, un Berbère amazigh de Sidi-Yahia plus précisément, qui est monté sur ce trône de Rome tant convoité et que, bien avant lui, Juba II a été le roi de la Maurétanie césarienne, un souverain savant, constructeur, qui a été le premier à établir la carte représentant, pour nous, la presqu´île arabique, et celui qui a érigé, en l´honneur de la science, une Université, la plus ancienne au monde. Ils ont découvert aussi que Ptolémée, son fils, l´enfant de Cherchell, qui lui a succédé sur le trône, allait être Empereur de Rome et peut-être même dernier Pharaon d´Egypte - sa grand-mère étant la grande Cléopâtre - s´il n´y avait ce complot dirigé par Caligula et qui lui a coûté la vie...Tous ces grands noms et d´autres, pendant les différentes périodes de l´Histoire, ont vécu ou sont nés chez nous, à Cherchell, hier Iol-Caesarea. Je travaille actuellement à d´autres projets du même type que j´espère concrétiser.
Propos recueillis par Nabil BEY
La Clé d´Izemis de Kamel BOUCHAMA
Editions Mille-Feuilles
Sid-Ali Sekheri, Libraire-éditeur Alger 2009
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