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7. CONVERSATION AVEC RICHARD STENGEL À PROPOS DES INDÉPENDANTISTES ALGÉRIENS
MANDELA : Mostefai ? Oui, oui, il était à la tête de la délégation algérienne au Maroc.
STENGEL: C’est cela. Vous avez beaucoup parlé tous les deux, non ?
MANDELA: Oh oui, plusieurs jours.
STENGEL : Exact.
MANDELA: Il m’a raconté la Révolution algérienne. Oh, c’était un chef-d’œuvre, je peux vous le dire. Peu de choses m’ont autant inspiré que le récit du Dr Mostefai.
STENGEL: Vraiment ? Pourquoi ?
MANDELA: Il nous a raconté l’histoire de la Révolution algérienne. Les problèmes qu’ils avaient. Comment ils ont commencé. Au départ, ils pensaient qu’ils pourraient battre les Français sur le champ de bataille, en s’inspirant de ce qui s’était passé au Vietnam. Diên Biên Phu. Ils s’en inspiraient, et ils croyaient pouvoir vaincre les Français... Il disait que même leurs uniformes étaient conçus pour aider l’armée à vaincre les Français. Ensuite, ils ont compris que ça n’arriverait pas. Qu’il fallait mener une guérilla. Et même leurs uniformes ont changé, parce qu’à cette époque l’armée devrait toujours être en mouvement, attaquer [ou] se déplacer sans cesse. Ils avaient des sortes de pantalons étroits en bas, et des chaussures légères. C’était extrêmement fascinant la façon dont ils ont obligé l’armée française à les suivre constamment. Ils attaquaient par la Tunisie, ils lançaient une offensive de ce côté. Les Français, pour y répondre, déplaçaient leur armée de l’ouest, depuis la frontière marocaine, parce que les Algériens attaquaient des deux côtés, depuis la Tunisie et le Maroc. Même s’ils avaient des unités qui combattaient à l’intérieur du territoire, le gros des troupes opérait à partir de ces deux pays... Alors ils lançaient une offensive depuis la Tunisie, ils entraient loin en Algérie, et les Français déplaçaient leur armée cantonnée à l’ouest, près des frontières marocaines, afin de contrer cette offensive. Et quand l’armée était partie, l’offensive repartait depuis le Maroc, tu comprends ? Les Français redéployaient leurs forces vers le Maroc, et ils continuaient à les faire bouger tout le temps de cette façon. Vraiment, tous ces hommes étaient très intéressants, absolument fascinants.
STENGEL : Et vous pensiez que ce pourrait être un modèle pour le MK [Umkhonto we Sizwe] en Afrique du Sud.
MANDELA : En tout cas, nous pouvions élaborer nos propres tactiques en prenant en considération ces informations.
8. EXTRAIT DU CARNET DE 1962 À PROPOS DE SON ENTRAÎNEMENT AU MAROC AVEC LE FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE [FLN] D’ALGÉRIE
Maroc
18/3 R [Robert Resha](1) et moi quittons [Rabat] pour la petite ville d’Oujda, à la frontière, QG du FLN [Front de libération nationale] au Maroc. Nous partons en train et arrivons là-bas à 8 heures du matin le 19/3. Un officier vient nous chercher à la gare et nous conduit au QG. Nous sommes reçus par Abdelhamid [Brahimi](2), chef de la section politique du FLN. Il y a également Si Jamal, Aberrahman, Larbi, Nourredine Djoudi. S’ensuit une discussion générale sur la situation en Afrique du Sud, des questions pertinentes nous sont posées. La discussion est ensuite ajournée afin de nous permettre de découvrir les camps d’entraînement et les lignes de front. A 16 heures, accompagnés par Djoudi et un autre officier, nous roulons jusqu’à la base d’entraînement de Segangan située dans ce qui s’appelait le protectorat espagnol du Maroc. Nous y arrivons à 18 heures et le commandant du camp, Si Jamal, vient nous accueillir. Il nous montre le musée de l’armée contenant une intéressante collection d’armement du FLN, en commençant par les fusils utilisés durant la révolte du 1er Novembre 1954, jusqu’aux équipements plus récents. Après le dîner, nous allons au théâtre des soldats écouter de la musique et voir de courtes comédies. Les deux comédies carburent à la propagande contre la domination française en Algérie. Après le spectacle, nous retournons dans nos quartiers pour dormir.
21/3 Après avoir visité les imprimeries du FLN et le centre de transmission, nous nous rendons à Bouleker en compagnie de deux officiers. Nous visitons d’abord le QG du bataillon de la division nord. Il occupe une bonne position dans la région la plus stratégique et il est bien gardé. Notre déjeuner sur place se compose de viande de lapin et de pain frais. Ensuite, nous allons jusqu’au QG d’un bataillon situé pile à la frontière algérienne. Nous voyons des abris et nous y entrons. Autour du camp, il y a beaucoup de réfugiés dont le dénuement est très émouvant. Plus tard, nous retournons à Oujda pour une discussion. Celle-ci commence à 18h30 et nous devons repartir à Rabat à 21h45. Finalement, à 21h30, la décision est prise de repartir le lendemain en voiture pour Rabat, car nous n’avons abordé que le quart des sujets.
9. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Un autre point que le capitaine Larbi a soulevé : il faut que l’élite comprenne que les masses, aussi pauvres et ignorantes soient-elles, constituent l’investissement le plus important du pays. Toutes les activités et les opérations doivent se faire en impliquant autant l’intelligentsia que les masses — paysans, journaliers, ouvriers des villes, etc.
Troisièmement, il faut que les masses comprennent que les actions politiques du type des grèves, boycotts et autres manifestations similaires, sont inefficaces si elles restent isolées. L’action doit être considérée comme une forme primordiale, essentielle, de l’activité politique.
10. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Si la conscience politique est cruciale pour former une armée et mobiliser les soutiens populaires, il ne faut pas perdre de vue des questions pratiques. Par exemple, une femme qui ne se sent pas particulièrement engagée peut faire beaucoup pour la révolution simplement parce que son petit ami, son mari ou son fils est dans l’armée. De la même façon, il faut encourager les villages à prendre des initiatives. Il y a le cas de ce village qui a attaqué un poste français sans instruction du FLN. Dans un autre village, les habitants ont construit d’eux-mêmes un tunnel. Il est également connu que, à un certain moment, le FLN empêchait ses soldats de se marier. Plus tard, cette règle a été modifiée et il est désormais permis à tous de se marier. Les femmes qui se sont mariées à des soldats du FLN, ainsi que leurs familles, se sont immédiatement rangées derrière le FLN et la révolution.
11. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Il faut garder à l’esprit certaines questions cruciales lorsqu’on lève une armée révolutionnaire : - S’il est important que vos hommes soient entraînés dans des pays amis, il ne faut pas compter uniquement là-dessus. Le principal point à retenir, c’est qu’il faut monter ses propres écoles, [qui] établiront des centres d’entraînement soit à l’intérieur, soit aux frontières du pays. - On doit aussi prévoir et fournir des suppléants, tout simplement parce qu’au combat on [perd] beaucoup d’hommes. En ne prenant pas les mesures nécessaires, on brise l’élan révolutionnaire. En outre, on donne confiance à l’ennemi. A l’inverse, dès le début il faut lui montrer que notre force s’accroît continuellement. - Il faut être réactif et imaginatif, sinon l’ennemi écrasera nos forces. - Il faut aussi tenir compte du fait que [plus] la guerre dure, plus les massacres se perpétuent, plus la lassitude gagne la population.
12. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Les attaques spectaculaires menées avec succès par les révolutionnaires ont permis aux Algériens de retrouver leur dignité. En Algérie, ils ont établi des commandos de zone, avec des fonctions spécialisées. Leur activité n’entraîne aucun avantage économique, mais elle est extrêmement utile pour regonfler le moral de la population. Cependant, des actions de ce genre n’ont pas le droit à l’échec. Les opérations commando consistent, par exemple, en attaques à visage découvert sur des soldats français en ville, ou à poser des bombes dans des cinémas. Il ne faut pas non plus prendre pour argent comptant la déclaration d’une recrue potentielle se disant prête à se battre. Il faut la mettre à l’épreuve. Dans un village, 200 personnes se sont déclarées prêtes à rejoindre le FLN. On leur a alors expliqué que, le lendemain, l’ennemi allait lancer une attaque. Puis on a demandé des volontaires. Seuls trois hommes ont levé la main. Une autre fois, on a demandé à des nouvelles recrues de marcher de nuit jusqu’à un endroit où on leur remettrait des armes. Ils arrivèrent à minuit et on leur raconta que l’homme qui avait promis de livrer les armes n’était pas arrivé, après quoi on leur conseilla de revenir le lendemain. Ceux qui se plaignirent montrèrent qu’on ne pourrait se fier à eux dans des conditions difficiles.
13. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Il faut adroitement coordonner les actions de guérilla menées dans les villes et les campagnes.
14. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Considérations à garder à l’esprit en lançant la Révolution. Il faut la garantie absolue que toutes les précautions ont été prises pour s’assurer la victoire — l’organisation est extrêmement importante. Avant tout, il faut un réseau dans l’ensemble du pays... Nous devons mener une étude approfondie de toutes les révolutions, y compris celles qui ont échoué. Une bonne organisation est absolument essentielle. Dans la wilaya [province algérienne], il a fallu un an pour monter une organisation digne de ce nom. Il faut à tout prix une révolte locale. Beaucoup de révoltes échouent parce que l’idée révolutionnaire n’est pas partagée par tous. La révolte doit être préparée de façon à éviter toute interruption.
15. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Les organisateurs de la révolution ne doivent pas s’inquiéter outre mesure du manque d’entraînement militaire des masses. Les meilleurs commandants et stratèges du FLN sont pour l’essentiel des individus qui n’avaient aucune expérience militaire préalable. Il y a aussi une différence entre un militaire et un militant. En Algérie, non seulement les femmes savent tirer, mais elles savent démonter et assembler un fusil.
16. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
La date de commencement doit être fixée lorsqu’il est absolument certain que la révolution réussira, et elle doit être liée à d’autres facteurs. Par exemple, le ministre français de la Défense, après s’être rendu en Tunisie et au Maroc, a déclaré que l’Algérie était en paix. La révolte a eu lieu le lendemain. Par la suite, il a affirmé que la révolte était limitée à certaines régions, qu’elle ne s’étendait pas à tout le pays. Juste après, celle-ci a embrasé tout le pays. Les opportunités et la psychologie doivent influencer le choix de la date.
17. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
Nous devons avoir le courage d’accepter qu’il y aura des représailles contre la population. Mais nous devons tenter de l’éviter en choisissant avec soin nos cibles. Mieux vaut attaquer des cibles éloignées de la population. Les cibles doivent être aussi proches que possible de l’ennemi. Devant le peuple et devant le monde, le soulèvement doit conserver un caractère de mouvement révolutionnaire populaire. L’ennemi doit croire à un soulèvement limité. Nous devons rechercher le soutien de toute la population grâce à un équilibre parfait des classes sociales. La base de notre soutien se trouvera parmi les gens du peuple, les pauvres et les ignorants, mais il faut aussi que les intellectuels soient de notre côté. Pour finir, il doit y avoir une harmonie totale entre les représentants officiels du mouvement révolutionnaire et le haut commandement. Ils doivent disposer d’un personnel semblable et également développé.
18. EXTRAIT DU CARNET DE 1962
14/3/52, Dr Mostefai L’objectif de départ de la révolution algérienne était de vaincre militairement la France, comme en Indochine. Une solution négociée n’était pas envisagée. La conception de la lutte, dès l’origine, détermine le succès ou l’échec de la révolution. Il faut qu’un plan général gouverne toutes nos décisions, au quotidien. En plus de ce plan général qui traite de la situation dans sa globalité, il faut aussi un plan, mettons sur trois mois. L’action pour l’action n’est pas souhaitable. Toute action individuelle doit être entreprise dans le cadre d’une stratégie. Il faut : a) un objectif militaire b) un objectif politique c) un objectif psychologique C’est la stratégie à court terme. Le but recherché peut engendrer une situation nouvelle qui rende nécessaire un amendement du plan général. Les plans tactiques sont gouvernés par la stratégie. La tactique ne concerne pas seulement les opérations militaires, elle couvre aussi des domaines comme la conscience politique des masses, la mobilisation des alliés sur le plan international. Le but est de détruire la légalité du gouvernement et d’instituer celle du peuple. Il doit y avoir une autorité parallèle dans l’administration de la justice, dans l’administration et dans l’approvisionnement. L’organisation politique doit totalement contrôler le peuple et son activité. Les soldats doivent vivre parmi la population comme des poissons dans l’eau. Le but, c’est que nos forces se développent et croissent tandis que celles de l’ennemi se désintègrent. Commencer une révolution est facile ; la continuer et maintenir son élan, là est la difficulté. Le devoir d’un commandant est d’analyser dans le détail la situation avant d’initier quoi que ce soit. Nelson Mandela
-1). Robert Resha, voir Personnes, lieux et événements. -2). Dr Abdelhamid Brahimi (1936). Devint plus tard Premier ministre de l’Algérie, 1984-1988.
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Rédigé le 29/12/2013 à 10:32 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
Un homme, une Légende vivante
«Les expériences humaines dans bien des régions du monde ont démontré que les liens spirituels (...) n´ont pas pu résister aux coups de boutoir de la pauvreté et de l´ignorance pour la simple raison que les hommes ne veulent pas aller au Paradis le ventre creux. (...) Les peuples qui ont faim ont besoin de pain, les peuples ignorants de savoir, les peuples malades d´hôpitaux.» Discours de Boumediène à la Conférence des États islamiques à Lahore en 1974.
27 décembre 1978, le destin de l´Algérie bascule, une fois de plus. Le président Boumediène décède. Ce fut véritablement un choc bien que l´opinion fut préparée à cette douloureuse issue. Qui était Houari Boumediène qui fascine tant les jeunes et moins jeunes? Certains retiennent le fameux «Kararna ta´emime el mahroukate»: «Nous avons décidé la nationalisation des hydrocarbures». Par cette phrase, Boumediène annonçait à la face du monde que l´Algérie tenait en main son destin énergétique. Est-ce ce leader qui, pour la première fois, à la tribune des Nations unies, militait pour un Nouvel ordre économique international plus juste, où les matières premières seraient payées à un prix juste? Mohammed Boukharouba, qui prendra le nom de Houari Boumediène, a vu le jour à Aïn Hasseïnia, près de Guelma le 23 août 1932. Né dans une famille de paysans pauvres, il symbolise par sa naissance la pluralité de l´Algérie dans sa double composante identitaire: son père était arabophone et sa mère berbérophone. Il incarnait ainsi, vraiment, l´Algérie dans sa diversité. Il a passé son enfance, en effet, parmi les fellahs dont il a conservé la rusticité.
Il avait rejoint, avance Paul Balta, à six ans, l´école primaire française. Ses parents l´avaient mis aussi, parallèlement, dans une école coranique où il apprendra, parfaitement, les soixante versets du Livre saint de l´Islam. Il est entré, peu après, à la médersa El Kittania de Constantine où l´enseignement était dispensé, totalement, en arabe. Il est certain, cependant, qu´il avait déjà contracté le goût de la lecture, en français. Il l´a, vraisemblablement, conservé toute sa vie. Certains témoins m´ont rapporté qu´il lui arrivait de réciter, mais dans un cadre restreint car il était très pudique, «La mort du loup» d´Alfred de Vigny. Au cours de nos tête-à-tête, il est advenu qu´il recourt, pour étayer son argumentation, à des ouvrages français, ceux de Jacques Berque. Il avait évoqué l´Egyptien Taha Hussein. Ses lectures étaient très éclectiques mais portaient, essentiellement, sur les chroniques d´histoire politique, les biographies d´hommes d´Etat, des recueils de poésies arabe et française. Pour ce qui concerne ses goûts musicaux, j´ai déjà évoqué sa faiblesse pour le flamenco du temps de l´état-major. J´ai appris que devenu chef de l´Etat, il écoutait, religieusement, «le concerto d´Aranjuez», réminiscence, sans doute, d´un attachement profond à l´Andalousie musulmane. Cela ne l´empêchait pas de goûter à toute la panoplie de la chanson algérienne, notamment les mélodies de Aïssa El Djarmouni voire les chansons à thème politique de Rabah Driassa sans oublier les mélopées de Cheikh Raymond. «Il est certain que Boumediène était profondément convaincu de la nécessité de rétablir la langue et la culture arabes dans leur statut souverain en Algérie. Il avait grand soin à ce que ses discours officiels soient rédigés dans la langue arabe. Par contre, il faisait preuve d´une grande ouverture d´esprit pour la culture occidentale en général dont il voulait promouvoir les rapports d´échanges avec la pensée arabe et musulmane»
«Discret mais efficace, timide mais fier, réservé mais volontaire, autoritaire mais humain, généreux mais exigeant, prudent dans l´audace, voilà comment m´est apparu Boumediène lorsque j´ai eu à le connaître et à l´observer. Homme du soir, il aimait se retrouver, de temps à autre, tant qu´il était encore célibataire, avec quelques amis auprès desquels il se montrait enjoué et rieur, selon ce que m´ont affirmé plusieurs d´entre eux. Il aimait jouer, aussi, aux échecs sans être un joueur émérite. Ses goûts gastronomiques étaient sans prétention et, en fait, il avait fini par contracter l´habitude des plats servis dans l´armée. Il évitait, systématiquement, les sucreries mais raffolait des galettes de pain faites à la main. En fait, aucun luxe n´avait prise sur lui, sinon celui de fumer. Président de la République, il opte, cependant, pour les cigares cubains que lui envoyait Fidel Castro. Avec le burnous en poil de chameau, c´est le seul luxe qu´il se soit permis».
«Il était animé par une profonde conviction, l´argent de l´État appartenait à la nation et ne devait pas être dilapidé. Cette conviction a guidé son comportement, de bout en bout de sa vie. Devenu président de la République, il usait toujours de son seul salaire et s´interdisait les dépenses somptuaires qu´il aurait pu facilement imputer au budget de l´État. Lorsqu´il lui arrivait de se rendre à l´étranger, il s´interdisait tout aussi bien les achats luxueux. Contrairement à certains chefs d´État d´autres pays arabes, il ne s´était pas fait construire ni un ni plusieurs palais luxueux, ni en Algérie ni à l´étranger. Sachant que je connaissais bien les pays du Golfe où j´avais effectué de nombreux reportages, il m´avait raconté qu´un des émirs lui avait offert une de ces voitures rutilantes et luxueuses qu´il avait aussitôt fait parquer dans un garage. Son chauffeur me l´avait montrée. Après sa mort, elle était toujours sur cales, inutilisée...A sa mort, ses détracteurs ont découvert, avec étonnement, qu´il ne détenait aucun patrimoine immobilier, aucune fortune personnelle et que son compte courant postal était approvisionné à hauteur, seulement, de 6000 dinars...Il était très réticent à évoquer sa vie privée. Je sais toutefois qu´il était très attaché à sa mère et lui donnait pour vivre une partie de son salaire. Des témoins m´ont néanmoins raconté qu´il s´était disputé avec elle, alors qu´elle était en vacances à Chréa, une station d´hiver proche d´Alger. Sa mère lui avait demandé, en effet, de faire exempter son frère cadet Saïd des obligations du service national. Houari Boumediène opposa un refus catégorique. Quelque temps plus tard, en effet, Saïd qui fit ses études à l´Ecole nationale polytechnique, le frère cadet accomplissait, dans des conditions très ordinaires, son service national...»
«Boumediene entretenait des rapports empreints de courtoisie, pour le moins de correction, avec ses collaborateurs. Qu´il s´agisse de ministres, de conseillers, de secrétaires, de gardes du corps ou de chauffeurs, il se comportait avec une égale humeur, une grande sérénité et des gestes pondérés. Cela ne l´empêchait pas, sur le plan du travail, d´être des plus exigeants, tout comme il l´était avec lui-même. Boumediène était guidé par un souci permanent de préserver l´unité nationale - à telle enseigne qu´il avait interdit que les notices biographiques officielles des responsables comportent leur lieu de naissance- supervisait, de loin mais attentivement, cet ensemble en prenant soin de déceler, au passage, les compétences qu´il savait récupérer à son service, mais surtout en veillant à ce que le népotisme et le régionalisme ne soient pas érigés en règle au niveau des institutions et des grands corps de l´Etat. Il savait aussi se mettre à l´écoute de ses collaborateurs et pratiquait le travail en équipe. Probablement, l´usage du burnous, habit traditionnel en Algérie, comportait-il, pour lui, une signification symbolique particulière, une manière d´afficher l´identité retrouvée du peuple algérien. Le protocole demeurait, autrement, assez sobre, sans aspect ostentatoire...»
«Encore une fois, l´essentiel, pour lui, était de mobiliser le peuple et d´assurer le succès du triple objectif qu´il s´était fixé, construire l´État, parfaire l´indépendance politique par la récupération des richesses nationales, poser les bases du décollage économique. Il est incontestable que vers la fin de son règne, Boumediène avait été gagné au goût de l´action diplomatique. Il voulait donner à l´Algérie une place qu´elle n´avait jamais occupée auparavant sur la scène internationale. Le Sommet des Non-Alignés de 1973 a constitué une étape fondamentale qui a servi de tremplin. L´apothéose de ce redéploiement diplomatique fut, incontestablement, la participation de Boumediène, en avril 1974, à la session spéciale de l´Assemblée générale de l´ONU où il a prononcé un discours mémorable sur le Nouvel ordre économique international.» «Boumediène, sachant que l´armée, au lendemain de l´Indépendance, serait la seule force soudée et homogène, capable d´impact sur le terrain, a réussi l´intégration des wilayate au sein de la nouvelle Armée nationale populaire. Ce n´est pas si peu dire. Il a été, incontestablement, le fondateur de l´Armée algérienne, au sens moderne du terme. Il entrait, parfaitement, dans ses projets d´avenir, de remplacer les cadres hérités de la guerre de Libération nationale, par des officiers issus, soit des écoles de Cadets de la Révolution, soit des bancs de l´université puisque les portes des forces armées leur avaient été ouvertes».
Ces mêmes cadets auprès de qui Boumediène venait les week-end à Koléa pour s´enquérir de l´avancement de leur scolarité. Il fut donné à l´auteur de ces lignes, enseignant en tant que sous-lieutenant dans le cadre du service national, d´apercevoir le Président s´enquérir de la scolarité de plusieurs cadets dont il était le tuteur. S´agissant de ses relations avec la France, De Gaulle fut un visionnaire. L´homme du 18 juin 1940 avait déjà compris les motivations de celui qui deviendra l´homme du 19 Juin 1965». «Boumediène avait de l´admiration pour de Gaulle, ce visionnaire, rénovateur de la politique arabe de la France». Il a, publiquement, confirmé ce jugement dans son message de condoléances, à la mort du général en 1970: «Je m´incline devant le patriote exceptionnel qui a su concevoir, dans une vision noble et généreuse (...), l´avenir des peuples algérien et français».
«Boumediène, écrit Ali Mebroukine- qui un jugement plus nuancé-, a toujours été respectueux de la légalité révolutionnaire. On va voir qu´à travers les profondes réformes engagées sur le terrain, c´était tout un projet de société que H.Boumediène entendait mettre en oeuvre. Quelque opinion qu´on ait du bilan du président Boumediène, force est de constater que la récupération des richesses naturelles (1966 et 1971), la Révolution agraire, la démocratisation de l´enseignement donnaient un contenu concret aux principes contenus dans la proclamation du 1er Novembre 1954; autrement dit H.Boumediène n´a eu de cesse de rester fidèle à la raison d´être même du combat mené par le peuple algérien pour se libérer de la domination coloniale et accéder enfin à la dignité et au bien-être. Un an et demi avant sa mort, le président H. Boumediene remanie les structures du gouvernement, revient sur le modèle économique en vigueur, décide de mettre fin à une politique d´arabisation outrancière et démagogique (la désignation de Mostefa Lacheraf comme ministre de l´Enseignement fondamental est emblématique à cet égard), instaure un numerus clausus à minima à l´entrée de l´université pour prévenir sa clochardisation. Ces mesures annonçaient des réformes de structure plus profondes qui devaient être initiées à partir de 1979. Le président Boumediène était porteur d´un projet de transformation de la société algérienne. A cet égard, il est indéniable que le président Boumediène n´a pas pu se hisser au-dessus des clans et des factions qui étaient à l´oeuvre au sein des appareils d´Etat et qu´il n´a pu empêcher le jeu des forces centrifuges qui cherchèrent à le déstabiliser, à partir de 1977, sitôt qu´il eut exprimé sa détermination de «nettoyer les écuries d´Augias». Le président Boumediène était indéniablement un homme d´Etat auquel avait fait défaut la plus précieuse et la plus rare des ressources dont aucun bâtisseur ne peut se passer, le temps».
Boumediène projetait justement des réformes qu´il n´eut pas le temps de réaliser. Paul Balta écrit: «J´avais rencontré Boumediène, fin août 1978, pour lui faire mes adieux. Il avait exprimé sa déception et vivement insisté pour que je reste: «Vous avez vécu la mise en place des institutions, il faut aller jusqu´au bout. Il va y avoir des changements importants. J´envisage pour la fin de l´année ou le début de 1979, un grand congrès du parti. Nous devons dresser le bilan, passer en revue ce qui est positif mais surtout examiner les causes de nos échecs, rectifier nos erreurs et définir les nouvelles options. Témoin de notre expérience, vous êtes le mieux placé pour juger ces évolutions.»Intrigué, je lui avais posé quelques questions: «Envisagez-vous d´ouvrir la porte au multipartisme? D´accorder plus de place au secteur privé? De libéraliser la presse? De faciliter l´organisation du mouvement associatif?» Il avait esquissé un sourire qui allait dans le sens d´une approbation: «Vous êtes le premier à qui j´en parle, je ne peux être plus explicite pour le moment, mais faites-moi confiance, vous ne serez pas déçu» «.(1) Le temps lui a manqué Curieusement, après la mort de Boumediène, il s´est produit une déboumédienisation rampante et les mêmes laudateurs de la période précédente devinrent des Fouquier-Tinville en puissance. Tout fut démonté, au propre comme au figuré. Curieusement aussi, le personnage de Boumediène n´a jamais fait l´objet d´une étude de son action. A tous les détracteurs, qu´il suffise de retenir les données objectives suivantes: de 1965 à 1978, date de la mort de Boumediène. l´Algérie a engrangé, en 13 années, l´équivalent de 22 milliards de dollars. Ce qui a permis d´asseoir une industrie chimique, une industrie mécanique, une industrie sidérurgique.
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Rédigé le 27/12/2013 à 15:54 dans Guerre d'Algérie | Lien permanent | Commentaires (0)
À l’occasion de la visite du Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, en Algérie, son épouse et les femmes des ministres, ainsi que Catherine Camus, la fille du grand écrivain Albert Camus, natif de Drean, ex-Mondovi dans la wilaya d’El-Tarf, profiteront de cette opportunité pour se rendre à Tipasa, une région qui a beaucoup inspiré Camus. D’après nos informations, ces dames se rendront au musée de Tipasa, au mausolée royal de Maurétanie et visiteront les ruines romaines dans lesquelles se trouve la stèle érigée en 1961 et gravée par Louis Benisti face au mont du Chenoua, à la mémoire d’Albert Camus. Il y est écrit : “Je comprends ici ce qu'on appelle Gloire, le Droit d'aimer sans compter...”
Rédigé le 20/12/2013 à 22:15 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Il semble difficile de mettre uniquement sur le compte de la conjoncture économique le relatif silence qui entoure la commémoration du centenaire de la naissance d'Albert Camus, qui fut pourtant Prix Nobel de littérature en 1957 et qui reste largement étudié dans l'enseignement secondaire comme l'avait relevé de façon acerbe Jean-Jacques Brochier avec son Camus, philosophe pour classes terminales . Paradoxalement, l'une des explications de ce mutisme médiatique réside vraisemblablement dans la charge politique de cet écrivain pourtant mesuré, adepte de la "pensée de midi". Nonfiction.fr vous propose donc trois aperçus de l'aspect politique de l’œuvre d'Albert Camus : à partir de cette dernière, de ses prises de position explicites mais également à travers les usages politiques et posthumes de sa personne.
Dans sa recension d'Albert Camus. Littérature et politique de Jeanyves Guérin, Florian Alix revient sur l'entreprise de définition de la "politique littéraire" de l'écrivain, appréhendée à la fois comme réflexion et geste politique. Chez Camus, l'écriture littéraire recouvre ainsi une certaine méfiance à l'égard des idéologies : la politique est avant tout une expérience matière à questionnements philosophiques, dont celui de la justice constitue l'un des tous premiers, rappelant l'engagement éthique constant de l'homme.
Dans un texte fouillé, Isabelle de Mecquenem se penche sur la difficulté à cerner une pensée politique chez Camus, que loin de considérer comme un défaut, ne serait que la traduction d'un hommage rendu à "la plume qui pense", mais aussi d'un attachement profond à la lucidité, la liberté et l'humanité. Au passage, ces convictions expliqueraient sa réhabilitation par les intellectuels des années 1980. Toutefois, l'engagement politique de Camus ne fut pas toujours insaisissable comme le prouve sa participation au Parti communiste algérien, puis à la fin de la Seconde Guerre mondiale, sa mobilisation en faveur d'une Europe socialiste et pacifiée.
Enfin, croisant la lecture de trois récents essais sur Albert Camus signés d'auteurs aussi différents politiquement qu'Henri Guaino , Jean Monneret , Benjamin Stora et Jean-Baptiste Péretié , Benjamin Caraco examine les différentes interprétations et récupérations dont fut et est toujours l'objet Camus depuis sa disparition. À cause ou grâce à la complexité de ses engagements politiques, Camus reste populaire dans un certain nombre de cercles politiques différents et parfois antagonistes, de la gauche à la droite en passant par les nostalgiques de l'Algérie française, comme l'a illustré l'une des seules actualités liées à la commémoration de Camus : le fiasco d'une exposition devant lui être consacrée à Aix-en-Provence.
Cent ans après sa mort, l’œuvre et la personne d'Albert Camus, en dépit de l'image paisible à laquelle il est parfois associée, continuent de faire l'objet de mobilisations et de luttes politiques et mémorielles, nous incitant, afin de les dépasser, à nous replonger dans ses livres
Rédigé le 20/12/2013 à 22:07 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
Les convictions politiques d'Albert Camus rentrent malaisément dans les schémas partisans habituels : se déclarant homme de gauche, il n'a pas hésité à critiquer son camp et ce dernier lui a bien rendu via Sartre et sa revue Les Temps Modernes comme à l'occasion de la parution de L’Homme révolté. Pour autant, il n'a jamais rejoint la droite même si ses prises de position, puis son silence, sur la guerre d'Algérie ont été à l'origine de bien des interprétations mais aussi d'ambiguïtés. De même, son attachement viscéral à la liberté a conduit aussi bien des libertaires, tendance anarchiste, que des libéraux à se réclamer de lui. Paradoxalement, cette popularité de Camus dans des cercles politiques différents et bien souvent antagonistes explique vraisemblablement, bien que partiellement, le relatif silence qui a entouré le centenaire de sa naissance. Entre l'absence de panthéonisation à la demande de ses descendants et l'affaire de l'exposition à Aix-en-Provence, l'on pourrait quasiment parler d'une commémoration qui n'a pas eu lieu. Le personnage d'Albert Camus, prix Nobel de littérature, semble au premier abord pourtant beaucoup plus consensuel qu'un Louis-Ferdinand Céline, dont la célébration fut interdite explicitement...
Trois ouvrages récents, écrits par quatre auteurs situés sur des cases différentes de l'échiquier politique, permettent de nous éclairer sur les luttes mémorielles et politiques dont fait encore l'objet Albert Camus, plus de quarante ans après son décès dans un accident de voiture. Ils incarnent tous les trois une tendance. Camus brûlant écrit conjointement par Benjamin Stora et Jean-Baptiste Péretié, respectivement historien de l'Algérie et documentariste, revient sur l'affaire de l'exposition d'Aix-en-Provence, dont le commissariat leur avait été confié, et plus généralement sur les récupérations politiques de l'écrivain. Camus au Panthéon d'Henri Guaino, aujourd'hui député des Yvelines mais avant tout connu comme la plume et le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy durant sa mandature, propose un portrait et un discours qui aurait pu avoir lieu lors de son entrée au Panthéon. Camus et le terrorisme de l'historien Jean Monneret se penche sur l'attitude d'Albert Camus face à la violence en général et le terrorisme en particulier.
Un Camus de gauche
Dans le cadre de Marseille-Provence capitale de la culture 2013, une grande exposition Camus était initialement prévue à Aix-en-Provence. Ses deux commissaires furent "débarqués" en cours de projet par la maire de la ville : Maryse Joissains. Dans Camus brûlant, ils ne reviennent pas seulement sur cette polémique mais souhaitent prendre de la hauteur et étudier les controverses autour de l'écrivain, aussi bien en France qu'en Algérie.
Le capotage de leur exposition s'explique selon eux par leur refus de mettre Camus au service d'une certaine vision politique, qui se résumerait grosso modo à une opération de séduction électoraliste visant à capter les voix des anciens d'Algérie fortement représentés à Aix-en-Provence et courtisés par Maryse Joissains, maire de droite de la ville. Le philosophe Michel Onfray est un temps envisagé pour reprendre le projet mais il jette l'éponge de peur d'être récupéré. Le prix Nobel serait donc également l'objet des attentions des nostalgiques de l'Algérie française que de ceux qui cherchent à séduire ces derniers.
Toutefois, la controverse autour du personnage ne se limite pas à la France : elle touche pareillement son pays natal, l'Algérie. Les auteurs rappellent ainsi l'échec de la "Caravane Camus" initiative de l'écrivain algérien Yasmina Khadra visant à présenter son œuvre à travers tout le pays et objet de polémiques qui ont finalement conduit à son annulation. Pour Stora et Péretié, Camus sert de prétexte à la reprise de luttes mémorielles et politiques algériennes.
Malheureusement, ils sont plus laconiques lorsqu'il s'agit d'aborder la captation de Camus par la gauche social-démocrate après la chute du mur de Berlin. Implicitement, ils livrent par ailleurs leur vision de l'homme qu'ils aiment pour sa poursuite passionnée de la justice, pour la pauvreté de ses débuts, tout comme pour sa critique des totalitarismes et son attachement à l'Algérie. Ils voient en lui "une figure de réconciliation, en France comme en Algérie" et l'on serait tenté d'ajouter à la lumière des déclarations de Benjamin Stora lors du cinquantenaire de l'indépendance algérienne : de réconciliation entre la France et l'Algérie.
Un Camus "Algérie française"
Le Camus et le terrorisme de Jean Monneret présente de son côté une version relativement subtile et documentée de la description de Stora et Péretié : "dans ces milieux de la "nostalgérie", on aime à s'approprier Albert Camus. On le présente, de manière simplificatrice, sous les traits d'un pied-noir pro-Algérie française." , faisant fi de sa critique répétée de l'administration coloniale et de son soutien aux nationalistes (pas à tous) avant la guerre et ne retenant que le fait que celui-ci ait été pour une "Algérie égalitaire" et surtout contre une "Algérie indépendante" Il est nécessaire de saisir la chronologie des déclarations de Camus pour comprendre leur complexité. Or, les nostalgiques de l'Algérie française, pour Stora et Péretié qui parlent de "lecture pour le moins biaisée", se contentent de ses prises de position contre les méthodes terroristes du FLN touchant des civils et reprennent sa déclaration selon laquelle il préférait sa mère à la justice [du FLN]. Camus condamne cependant aussi bien l'emploi de la torture (française) que le terrorisme algérien. La notion de "déchirement" recouvre mieux l'opinion de l'écrivain méditerranéen face à un conflit fratricide que les nostalgiques ont bon dos de récupérer aujourd'hui alors qu'il était perçu à l'époque par bien des ultras comme un "traître".
Se fondant sur propres recherches historiques, sur les biographies d'Olivier Todd et de Michel Onfray, ainsi que sur les œuvres de Camus, Monneret présente ce dernier comme un penseur lucide et solitaire, le comparant à Georges Orwell dans son opposition, venant de la gauche, au communisme. Révolté mais pas révolutionnaire, décelant une filiation entre 1793 et le Goulag, le Camus de Monneret conçoit toute révolution (nationale) comme intrinsèquement violente. Dans le cas de la guerre d'Algérie, Monneret insiste, dans son livre tout comme sur son site personnel, sur les victimes oubliées du conflit : les pieds-noirs tués dans les attentats du FLN, assimilé à Al-Qaïda. Manquant de nuance, en ce qu'il n'aborde quasiment pas la question de la lutte pour l'indépendance d'un peuple colonisé, le livre semble utiliser Camus comme prétexte à une dénonciation actuelle et intemporelle du terrorisme pour parler de la souffrance, certes indéniable, des pieds-noirs et des harkis. Difficile de ne pas souscrire à sa condamnation du terrorisme à grand renfort de citations camusiennes, toutefois, comment ne pas être septique quand l'auteur se lance dans interprétations inspirées du "choc des civilisations" voyant dans l'islam le moteur de la violence du FLN ? Les actes terroristes de ce mouvement sont certes inexcusables mais il était tout même nécessaire d'en rappeler les motivations certainement plus légitimes que les moyens employés.
Camus sert ici de caution et disparaît quasiment dans le chapitre IV, sa pensée n'étant mobilisée que comme argument d'autorité pour juger l’œuvre du FLN. L'argumentation de Monneret aurait gagné à ne pas verser d'un extrême à l'autre, n'accordant pas d'importance à la lutte pour l'indépendance algérienne, et à annoncer directement la couleur à propos du sujet de l'ouvrage. En conséquence, le dernier chapitre qui revient sur la philosophie de Camus tombe paradoxalement comme un cheveu sur la soupe alors que l'annexe 5 sur le FLN et les juifs finit de convaincre le lecteur qu'il s'agit avant tout d'un livre sur les crimes du FLN sous couvert d'une condamnation plus générale de la violence comme moyen d'action politique par Albert Camus.
Un Camus de droite
Pour les auteurs de Camus brûlant, le projet de panthéonisation de Camus envisagé sous la présidence Sarkozy était une tentative de captation de son aura, d'autant plus intéressante qu'il s'agissait d'un homme de gauche critique de son propre camp. Celui-ci n'aboutit pas faute d'un accord de ses enfants. Admirateur de l'écrivain, Henri Guaino publie donc le discours qu'il aurait rêvé écrire pour son entrée au sein des grands hommes, accompagné d'un long prélude à l'éloge, dont on reconnaît le style indéniable de l'auteur.
Outre ses qualités littéraires, il semble difficile de nier l’attachement sincère d'Henri Guaino pour Camus, qu'il annonce d'entrée de jeu : "Lecteur qui ouvrez ce livre, sachez que vous n'y rencontrerez pas le Camus, le plus vrai le plus authentique mais seulement celui que j'aime. Car je l'aime comme chacun de nous aime, c'est-à-dire à ma façon, qui est une façon forcément particulière." Faisant en filigrane un parallèle avec sa propre vie, Guaino estime qu'il ne lui est pas possible de distinguer le destin de l’œuvre de l'homme, qui le touche par sa modestie, en particulier sa honte d'avoir honte d'être pauvre. Au-delà de cet hommage personnel, quelques éléments laissent apparaître une lecture qui coïncide assez bien avec la politique de l'homme pour lequel le discours était initialement écrit.
Tout d'abord, comment ne pas voir en Camus une figure d'union qui pourrait plaire à un président à qui l'on a reproché d'être trop clivant quand Guaino écrit que "Chacun est sommé de choisir son camp, son parti. Il les rejette tous." ? Plus largement, sous la plume de celui-ci, Camus apparaît avant tout comme un homme épris de liberté, plus que d'égalité ou de justice. Il ressort également comme le penseur de la fin des idéologies, le pourfendeur aussi bien des excès de la raison que du relativisme.
Quand l'hostilité du Café de Flore est évoquée, Guaino nous rappelle que Camus "n'a pas sa place parmi les maîtres à penser qui se partagent alors le pouvoir. Il n'est pas normalien. Il n'est pas agrégé. A cause de la tuberculose. Qu'importe. Il n'est pas de leur monde. Il n'est pas comme eux. Il n'écrit pas comme eux. Il n'agit pas comme eux." Comment ne pas alors penser à la présentation du candidat Sarkozy comme quelqu'un qui ne serait pas issu du sérail ? Ou plus largement le registre de la droite victime des puissants (du monde de la culture) qui serait, selon le journaliste Thomas Frank, l'une des principales armes rhétoriques de la droite dans sa course aux voix des pauvres...
D'autres éléments concordent avec la politique étrangère de Nicolas Sarkozy comme lorsque l'on lit que Camus "récuse la repentance. Il écrit : "Le temps des colonialismes est fini, il faut seulement en tirer les conséquences." ou que méditerranéen, il est l'homme des deux rives, potentiel symbole de l'union méditerranéenne impulsée sous le mandat du précédent Président. La captation semble toutefois trouver ses limites quand dans l'éloge, Camus, qui n'a jamais cessé de revendiquer son athéisme, se transforme en chrétien malgré lui.
Une unanimité antagoniste ?
Inclassable de son vivant, Camus semble le rester pour la postérité. Son égal souci de liberté, de justice mais aussi de respect l'a conduit à accorder toute sa complexité au réel dans sa compréhension tout comme à refuser certains actes au nom de la morale. Sa pensée n'a souvent guère variée contrairement aux événements qu'il a dû affronter, ce qui explique peut-être la récupération dont il semble être l'objet de la part d'acteurs hétérogènes. Ces tentatives de captation sont d'autant plus faciles qu'il n'a pas vécu pour voir la fin du conflit et prendre position : l'on peut ainsi spéculer à loisir sur le chemin qu'il aurait emprunté et le faire aller dans la direction qui arrange tel ou tel camp. Camus ferait-il paradoxalement l'unanimité pour des raisons différentes et parfois antagonistes, en particulier au sujet de l'Algérie françaises, dont les plaies ne semblent toujours pas cicatrisées ?
Rédigé le 20/12/2013 à 21:40 dans Camus | Lien permanent | Commentaires (0)
«J’ai toujours pensé que si l’homme qui espérait dans la condition humaine était un fou, celui qui désespérait des événements était un lâche.»Albert Camus
Son livre Chroniques d’un Algérien heureux(1), paru récemment, en a intrigué plus d’un. «Ah bon, il y a des Algériens heureux ?» a-t-on dû s’interroger, interloqués. «Bien sûr que oui et j’en suis un», concède Hachemi, les yeux rieurs, pleins de fierté.
«J’ai été heureux. La chance m’a poursuivi. J’ai connu des hommes immenses. J’ai appris des langues que je ne connaissais pas. J’ai fait mon devoir sacré envers le pays. J’ai terminé avec un doctorat à la Sorbonne et je suis marié à Djouri Houria, une moudjahida, issue de la ville de Toudja, qui a croupi cinq ans en prison et qui m’a donné tant de bonheur ! Que demander de plus !»
Ami intime de Debbih Cherif, il en parle avec une intense émotion. Il évoque aussi son maître, cheikh Abderahmane Djillali, devenu son ami, sa participation à la Révolution qui lui a permis de côtoyer des hommes exceptionnels.
Hachemi est né le 23 avril 1929 à Béjaïa-Ville, dans le quartier de Sidi Touati du nom du vénérable saint qui a une grande histoire. Mais Hachemi est originaire de Sidi Ali Oumoussa dans la commune de Maâtkas. A l’époque, la Kabylie toute entière ne baignait pas dans la prospérité, bien au contraire. Je sais que mes grands-parents ont souffert. «Mon grand-père Ahmed, né en 1860, s’était engagé par nécessité, pour subvenir aux besoins de la famille, dans l’armée française. Il a eu la chance de faire son service militaire en tant que tirailleur-tailleur. Il cousait les vêtements des militaires.
Démobilisé à Béjaïa, il s’est marié et y est resté. Chose peu habituelle à l’époque, il s’est expatrié en Tunisie en 1905, quelques années après la naissance de mon père Bachir, en 1901. A 20 ans, mon père, comme la majorité des jeunes de la région, émigre en France et travaille chez Beghin, négociant en sucre à la Porte de la Chapelle.»
Débuts à la redoute
«De retour à Béjaïa, il se marie en 1924. Il épouse une fille issue des Talantikite, une famille bien connue dans cette ville. Mais la crise mondiale de 1929 et ses effets dévastateurs influeront sur la destinée des Larabi, prolétaires en guenilles, qui émigrent à Alger où ils seront royalement reçus par la famille Saber apparentée lointaine et dont l’un des membres, militant de l’UDMA, a été le premier dentiste algérien installé dans la capitale à la fin des années quarante.»
A Alger, les Larabi achètent une petite maison à La Redoute en 1933. C’est dans ce quartier que Hachemi fera presque toutes ses classes. La Seconde Guerre mondiale le surprendra alors qu’il était jeune adolescent. «Les alliés étaient à Alger en état de guerre. C’était une misère atroce, avec les privations, les bons de ravitaillement et une ville en état de siège où l’activité était paralysée», se souvient Hachemi, qui avoue que «la fin des hostilités a été un grand soulagement, mais hélas l’armistice n’a rien réglé pour nous les Algériens, qui allions encore subir sauvagement le joug de la colonisation».
A 16 ans, Hachemi rencontre son ami d’enfance Debbih Cherif, scout et militant PPA. Il s’inscrit le 25 juin 1946 à l’école Talyaâ de La Redoute, dirigée par Abderahmane Didouche, frère aîné du héros Mourad, et Hadj Saïd Zoubir, «militant forcené» du PPA, alors que le savoir était prodigué par Si Abderahmane Djillali. «A l’époque, les deux grandes tendances politiques de la résistance étaient le PPA et les oulémas. Je ne connaissais pas un traître mot d’arabe. En une année, j’ai appris la moitié du Livre Saint et j’ai été subjugué par la poésie arabe.» Cette propension à toujours s’élever, sa curiosité et sa détermination propulsèrent Hachemi au-devant de la scène. Abderahmane Djillali l’inscrit à Djamaâ Ezzitouna à Tunis, où il poursuivra ses études durant trois années.
De retour à Alger, au début des années cinquante, Hachemi aura du mal à trouver un emploi. «J’ai eu la chance de rentrer au bureau d’interprétariat du tribunal d’Alger que dirigeait le grand Hadj Hamou Hamdane. Avec mon salaire, j’ai changé la vie de ma famille, qui vivait au seuil de la pauvreté et avait beaucoup de mal à joindre les deux bouts. Mon éveil à la conscience politique était conforté par ma proximité avec mon ami intime, Debbih Cherif, qui avait été affecté au service de Messali, alors en résidence à Bouzaréah. C’est sur instigation de Mourad Didouche que Cherif a accompli cette mission. Les deux hommes s’occuperont de faire passer Boudiaf, recherché, en France où ils séjourneront durant deux années, de 1950 à 1952. On a vécu ensemble la crise du Parti en1953. Debbih en a été durement affecté.»
Hachemi raconte les faits par les détails négligés, les coins morts de l’Histoire en maniant le mot avec une obsession de l’exactitude. Entre deux silences graves, il poursuit le fil de sa pensée. «Le 1er Novembre 1954, nous étions à Clos Salembier, Cherif et moi. Nous sommes allés à la placette et on a acheté Alger Républicain et Cherif était tout étonné. Comment Mourad ne m’a pas informé ? Comment je ne l’ai pas su ? Peut-être que Mourad voulait nous préserver pour la suite. Alors Cherif, pensif, m’a dit : ‘‘Cette guerre va durer 10 ans !’’ Quelque temps après, tout le monde a été arrêté à Alger, devenue morte politiquement.»
Debbih, mon ami, mon frère
«C’est à l’initiative de Mustapha Fettal, Hadj Zoubir et Mokhtar Bouchafa que les choses ont commencé à bouger. C’est Hadj Zoubir qui connaissait Ouamrane qui en a été le détonateur. C’est par la suite que Debbih a pris la tête de l’organisation avec Mokadem. 30 à 40 actions ont été enregistrées à La Redoute, à Clos Salembier et Belcourt. Ce n’est qu’en mars-avril 1955, avec la venue de Abane, que les choses ont pris une autre dimension. En août de la même année, Debbih, ‘‘grillé’’, monte au maquis. Il n’y restera pas longtemps. Un jour, en rentrant à la maison, je le trouve chez moi. J’étais étonné et content à la fois. Il était recherché aussi bien par le MNA, la police que par ses ‘‘frères de combat’’ qui ne lui voulaient pas que du bien. Debbih était fiché dans tous les commissariats d’Alger. Il a pu rencontrer Yacef en juin 1956. C’était le feu d’artifice des bombes avec Taleb Abderrahmane.
Le premier attentat qui a secoué la France a visé le commissaire Freddy. Cet acte a eu un grand retentissement en métropole. C’est Debbih qui avait initié cette opération, dont les exécutants étaient Gacem Mohamed yeux bleus et Boukhechaba Ramdane. En 1956, les paras avaient découvert Debbih dans une cache, rue Saint-Vincent de Paul, avec Ramel près de la mosquée Ketchaoua. Les paras les avaient sommés de se rendre, ils sont morts les armes à la main. Ce sont de véritables héros ! Ils avaient fait le serment de vaincre ou de périr. Ils étaient quatre : Debbih Cherif, Hadji Othmane dit Ramel, Abdenour Benhafidh et Hamitouche Zahia.»
Curiosité en éveil, esprit pas toujours conventionnel, Hachemi estime que l’histoire est occultée. «Le souci du passé ne semble pas être la préoccupation du moment. Pis encore, on s’acharne à détruire les liens, à bloquer la transmission.» Il se garde des faux chagrins des hypocrites en clamant que son parcours a été miraculeux. «En 1956, je fais la rencontre de cheikh Mohamed Saïd Zahiri, le génie du journalisme algérien, devenu mon ami. Il signait des articles dans les prestigieux journaux moyen-orientaux. Il m’a beaucoup appris, surtout à être exigeant envers moi-même.»
Après l’assassinat de cet homme de culture, au lendemain des manifestations de Mai 1956, Hachemi part en France où il étudie à la Sorbonne et décroche une licence de français ; il exerce à l’ORTF en qualité de réalisateur, producteur et speaker. Il y reste deux ans, de février 1957 au 13 juillet 1958.Puis Hachemi émigre en Allemagne où il reste six ans, entrecoupés d’une escapade. Il y apprend la langue et y rencontre son collègue de la Zitouna, Mouloud Kacem, et Keramane Abdelhafid, tous deux responsables FLN dans ce pays, qui lui suggèrent de rejoindre le front à Tunis. Il s’y rend et rencontre, dès son arrivée, un ami de Sétif, Mohamed Talbi, qui l’informe de l’assassinat de Abane au Maroc. C’est le choc. «J’étais effondré. Je voulais retourner d’où je venais, d’autant que je n’ai jamais aimé la guerre.
Boumendjel, ministre du GPRA, et Arezki Bouzida, avocat, m’avaient d’abord orienté vers Ghardimaou. Mais il y a eu un contre-ordre. ‘‘Tu seras plus utile à l’étranger, ne serait-ce que par ta cotisation.’’ Tunis grouillait de volontaires. Le désir de terminer mes études ne m’avait jamais quitté. J’ai toujours eu de grandes ambitions dans ce domaine.»
Hachemi militait au FLN aux côtés de Lahouel Hocine. En 1961, il reçut à Munich des membres influents du MNA : Lamine Belhadi, Aïssa Abdelli et M’hamed Ferhat. «Pour tenter de faire ramener Messali dans le sens de l’Histoire. Quelques jours après, j’ai été dépêché à Chantilly pour discuter avec Messali. C’était un grand moment de ma vie. Cet homme était, pour mon père, un demi-dieu. Le premier à prononcer le mot indépendance.» «La seule façon, me dit-il, de sortir l’Algérie de sa condition, c’est d’emboîter le pas à la modernité. Il faut concevoir l’Algérie dans un ensemble plus grand, comme l’ont fait les Européens. Il faut se dépasser. Je ne crois pas que ces gens-là, les hommes du FLN, puissent rendre l’Algérie heureuse.»
La blessure entre son mouvement et les vainqueurs de la Révolution était trop béante. «De retour à Munich, j’ai rompu toute relation avec Moulay Merbah, lieutenant de Messali.» A Munich, Hachemi poursuit ses études à l’université des sciences politiques et d’économie où il obtint une licence avec mention très bien. A l’indépendance, Hachemi exerce au secrétariat d’Etat au plan, puis devient président de la Chambre de commerce durant 15 ans et s’exile au Koweït durant une décennie.
Dans ses souvenirs des faits marquants qu’il raconte, amusé. Convoqué le lendemain du 19 juin 1965 par le ministre du Commerce, Nouredine Delci, pour l’élaboration d’un projet de discours pour Boumediène, Hachemi a accepté cette tâche. «Dans le projet que j’avais rédigé dans des termes mesurés, j’ai mis l’accent sur la nécessité de mettre en place une véritable politique économique où je dénonçais le socialisme. Rien n’a été retenu. J’étais naïf, je pensais l’Algérie en termes de développement et de prospérité, surtout en termes d’institutions démocratiques. Les frondeurs, eux, la voyaient en termes de pouvoir. C’était la deuxième phase du plan de Boumediène.»
La dictature, déjà
«La première a été la prise d’Alger. La seconde a été l’accaparement de l’Algérie par un groupe, un appareil, en attendant de l’être par un homme soutenu par le groupe.» Hachemi, qui reste à l’écoute de la société et de ses convulsions, évoque ce pessimisme ambiant qu’il adore détester. «Il faut voir le verre à demi-plein et ne pas présenter les choses en noir. Il y a des avancées qu’il ne faut pas occulter.» Lui qui a étudié à la Zitouna et à la Sorbonne ne croit pas au choc des civilations, mais considère le monde actuel en décalage : «Je crois à l’islam authentique de nos parents, à l’islam d’Arkoun, de Mohamed Abdou, de Kacem Amin. Je ne crois pas à l’islam galvaudé des nouveaux prophètes, à l’image d’El Karadhaoui et de ses adeptes ignares.»
«Vous savez, poursuit-il, lorsqu’il est venu à Alger en 1964, le penseur égyptien Mohamed Abdou avait eu ces mots pour l’immense érudit Abdelhalim Bensmaïa : ‘‘Vous n’êtes pas encore mûrs pour la politique. Ce n’est pas le moment de vous insurger. Je vous recommande surtout de vous accrocher aussi à la langue française. C’est elle qui va vous permettre de vous libérer.’’ Je crois bien que l’histoire lui a donné raison. Notre malheur est que nous sommes le seul pays au monde qui n’ait pas de langue. Nous ne parlons correctement ni le français ni l’arabe et encore moins l’arabe dialectal, patchwork de mots bizarres français algérianisés… S’il y a un reproche à faire, c’est en direction de l’école, c’est de ne pas avoir axé sur l’apprentissage des langues en général et du français en particulier qui, comme l’a écrit Kateb Yacine, est un butin de guerre dont on n’a pas su se servir.» Poussant la dérision à son paroxysme, Hachemi décrète que «les bacheliers algériens actuels ne sont même pas monolingues !»
Truculent et plein de faconde, Hachemi, pour étayer ses propos, nous sort alors cette phrase hybride du parler courant : «Crazatou tonobil tah f’trottoir jat lambulance datou lesbitar. H’na laârbia ma tixistich.» Vous conviendrez que ni Molière ni El Moutanabi ne s’y reconnaîtront et donneront leur langue au chat !
1) Editions Necib 2013, 720 pages
Hachemi Larabi est né en 1929 à Béjaïa. Originaire de Maâtkas (Boghni), il a fait ses études primaires et secondaires à Alger, au boulevard Bru (actuellement Bd des Martyrs). Il a étudié à la Zitouna, à Tunis, avec Abdelhamid Mehri, Mohamed El Mili et Mouloud Kacem, entre autres. Licencié en langue française de la Sorbonne, magistère en sciences économiques en Allemagne, doctorat de 3e cycle en sciences économiques à Paris. Il a occupé plusieurs postes de responsabilité en Algérie et à l’étranger, président de la Chambre de commerce d’Alger durant 15 ans. Il a terminé sa carrière administrative en qualité d’inspecteur général des finances. A à son actif, plusieurs traductions d’ouvrages en arabe, français, allemand, anglais et tamazight. Il pris sa retraite en 1994. Marié, père d’une fille et de deux garçons.
Rédigé le 20/12/2013 à 13:58 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (0)
Casbah, Nuit Bleue, Aquarelle sur tissu fin
Un vieux. Alger Pastel sur papier noir Tuareg. Djanet.Sahara. Pastel sur papier noir
Bal el Oued, soir. Alger. Pastel sur papier gris
L'Amirauté au coucher du soleil. Alger Pastel sur papier noir
Rédigé le 17/12/2013 à 22:04 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (2)
Je raconte cette épopée, à partir du Maghreb, sous l’égide de Tariq Ibn Ziyad
Le prolifique Kamed Bouchama, à peine le souffle repris, après son dernier ouvrage Iol..Casaeréa...Cherchell nous donne une Clé d´Imzis pleine de mystère. C´est encore Cherchell qui est au coeur de ce nouvel écrit qui donne à voir l´autre visage de l´ancienne Numidie ou «Berbérie» sur laquelle M.Bouchama est intarissable.
L´Expression: Cherchell votre précédent ouvrage, à peine digéré, vous voici qui offrez à vos lecteurs une oeuvre dans le même registre Iol...Cherchell. Expliquez-nous un peu cette boulimie d´écriture?
Kamel Bouchama: Un autre ouvrage, en effet...et je suis content de l´avoir produit pour le présenter à mes lecteurs qui, du reste, l´attendaient parce que je l´ai annoncé en maintes occasions à travers mes déclarations dans les médias. Cela a donné de l´eau à la bouche aux fervents de l´Histoire qui veulent apprendre toujours davantage sur ce qu´ont été nos ancêtres et ce qu´a été notre pays dans la construction de la civilisation du Maghreb. Ce livre sur l´Andalousie est à peu près une suite logique de celui sur Cherchell, tant certains événements, à travers quelques étapes de notre Histoire commune, s´imbriquent et se confondent. D´ailleurs, dans Iol à Caesarea à...Cherchell, je fais mention de cette période qui vit 1200 familles grenadines - chassées d´Andalousie - s´installer à Cherchell, ville de culture et d´hospitalité. Quant à la boulimie d´écriture, eh bien, je vous réponds que ce n´est pas exactement le cas car, à part cette présente précision, c´est aussi mon rythme d´écriture qui, de toute façon, ne doit déranger personne, je l´espère... Oui, c´est mon rythme d´écriture! Et de plus, que dois-je faire quand les journées sont longues et que les nuits sont favorables à la méditation? Que dois-je faire de tout ce temps libre et de ces idées qui me harcèlent et m´interpellent? Ne pas satisfaire cette tentation, alors que très jeune j´écrivais déjà pour rompre avec ces contradictions que je trouvais fort contrariantes et désagréables dans un régime qui se voulait égalitaire et plein d´attention pour l´ensemble des couches sociales du pays? Ainsi donc, j´écris, et ce n´est que cette forme d´expression qui me sied le plus.
La Clé d´Izemis? C´est quoi ça? Pourquoi ce titre précisément, que signifie-t-il et que raconte votre ouvrage sur cette épopée de l´Andalousie?
Ce titre est doublement symbolique, pour l´Histoire d´abord et pour moi, ensuite. En effet, pour l´Histoire, il s´agit de cette présence de huit siècles de nos ancêtres en Andalousie, représentée dans mon récit par une clé, celle de la maison de l´Albaicin, dans la Qasbah de Grenade. Pour moi, c´est une preuve irréfutable de l´origine de ma famille, et de ces milliers d´autres qui viennent de là-bas, chassées par la «Reconquista», malgré tout ce qu´ils ont réalisé dans et pour cette Andalousie dans tous les domaines de la vie, économique, social et culturel. Le livre raconte l´Andalousie, depuis la conquête en 711 jusqu´au-delà de la chute de Grenade, le 2 janvier 1492. Le titre est une forme de métaphore qui explique - et on le comprendra en lisant La clé d´Izemis - la relation entre le début et la fin de cette «sacrée épopée». Ainsi, j´explique qu´Izemis est le jeune Berbère qui part de Césarée (Cherchell) à la conquête d´un espace nouveau, non pas en mercenaire hégémonique, mais en bon apôtre pour propager l´Islam. Quant à la clé qui n´apparaît qu´à la fin du récit, pour dire que nous avons existé, là-bas, pendant très longtemps, elle est en fait cet objet précieux qui a fait garder, à nos parents, cet espoir de retour, après la cinglante défaite de nos ancêtres...en péninsule Ibérique. Aujourd´hui, cette clé est là; elle nous rappelle ce temps où nous avons édifié l´Andalousie, et elle réveille en nous cette nostalgie qui nous fait dire: «A part cette clé de notre maison de là-bas, que nous reste-il de l´Andalousie?» Je raconte cette épopée, à partir du Maghreb, sous l´égide de Tariq Ibn Ziyad, en choisissant un jeune héros, Izemis (ou mimis n´Izem, le fils du lion), pour souligner la vaillance, la noblesse et le courage de ces Berbères qui ont effectué le voyage, conquis des terres et guidé les peuples qui vivaient jusque-là, sous le joug avilissant des Wisigoths.
Vous avez choisi le récit. N´était-il pas plus simple d´écrire en historien averti pour instruire le lecteur de la présence berbère dans cette partie du monde, pendant huit siècles?
Je suis tenté de vous répondre par ce qu´écrivait l´éminent Professeur Ahmed Djebbar, qui rappelait que «Le roman historique est une des portes qui permet au lecteur d´entrer dans ce monde disparu mais tellement présent par ses effets. C´est une propédeutique agréable pour se préparer à affronter l´Histoire avec un grand H. Et il était temps que des auteurs prennent des initiatives dans ce domaine [...]» Quant à moi, je suis très à l´aise dans ce genre d´écriture qui nécessite beaucoup de recherches et d´application pour arriver à ordonner les indications dans une forme déterminée, pour comprendre ce que l´Histoire ne pourrait jamais occulter. De ce fait, j´évoque des situations réelles dans des endroits qui existent aujourd´hui encore, après avoir existé hier, et des figures dont la perception se base sur des réalités humaines. Cependant, je me permets, de temps à autre - étant dans le récit - de me laisser emporter par mon imagination et donner un peu plus de charme à qui veut bien en profiter. Et puis encore, comme le soulignait Antoine Gavory, dans son livre «De l´art dans la littérature»: «Après tout, l´art ne résiderait-il pas dans le fait d´embellir les réalités, de savoir rester naturel même dans l´imaginaire?». Ainsi, ce que j´écris avec un amour transcendant, pour évoquer l´Histoire de mes ancêtres, relève de cet esprit d´engagement qui me guide dans mon travail.
Vous laissez entendre que ce sont les Berbères qui, les premiers, ont conquis la péninsule Ibérique? Pouvez-vous nous expliciter cette certitude?
C´est la réalité et je ne peux falsifier l´Histoire ou la grimer! La conquête de l´Andalousie s´est faite avec de jeunes Berbères partis de toutes les régions de notre vaste territoire, en fait de tout le Maghreb, pour répandre l´Islam en terres chrétiennes où les Wisigoths régnaient en despotes totalitaires et tyranniques. Sinon, j´écrivais en bonnes lettres, qui étaient là-bas, si ce n´était nos enfants? Est-ce les Arabes de Qoraïch ou d´El Khazradj qui ont eu l´honneur de conquérir la péninsule en ces débuts du VIIIe siècle? Non! L´Histoire confirme qu´au début, les Arabes ne représentaient rien, sinon une minorité par rapport aux Hispaniques et aux Berbères qui constituaient la majorité de la population. Ainsi, c´est avec les siens, les autochtones de (ce que l´on appelait) la Berbérie et je ne me trompe pas que Tariq Ibn Ziyad a entamé sa campagne d´expansion de l´Islam en Ibérie. C´est avec les siens qu´il a traversé le détroit qui prendra son nom - détroit «Djebel Tarek», devenu par contraction «Gibraltar» - et qui perpétue jusqu´à nos jours son nom et sa bravoure. Je vous donne également d´autres informations sur le sujet. J´ai écris, pour que les jeunes le sachent, que les Berbères se trouvaient bel et bien en Ibérie, bien avant l´expédition de Tariq Ibn Ziyad. En effet, ils étaient là-bas, dans la péninsule et dans les îles Baléares, car des noms berbères existaient en bonne place. Tarif Ibn Malik, ce jeune commandant berbère qui a été envoyé en éclaireur par le gouverneur Moussa Ibn Nouçaïr, avant la deuxième expédition qui a été dirigée par ce dernier, nous rapporte qu´une cinquantaine de toponymes trouvent leurs origines chez nous, dans notre terre de fiers Amazighs, en plus de nombreux signes qui attestent d´une forte présence berbère...
Il faut sans doute, regretter que cet aspect de l´Histoire de l´Algérie soit si peu connu, surtout peu exploré.
Avant même de parler du livre d´Histoire, il convient de constater le manque flagrant, malheureusement, d´écrits immortalisant les épopées anciennes. Il y a plusieurs raisons qui expliquent cette situation qui nous met dans une position inconfortable vis-à-vis de ce que nous projetons dans le cadre de l´éducation de nos enfants. La première raison se situe essentiellement dans cette ambiance de vide où peu d´écrits historiques incitent le lecteur à la curiosité et à mieux connaître son passé. La deuxième raison est que l´école, cellule de base de l´éducation, n´a pas encore entamé ou réussi son décollage dans la réforme du système scolaire. Tout le monde patine dans le «bricolage», malgré les voeux pieux des uns et des autres...C´est dire que la Culture dans notre pays - je l´écris avec un grand C -, est loin d´être le domaine le plus prisé et le mieux respecté, voire le domaine vital, comme dans d´autres horizons qui en font leur sacerdoce. Sommes-nous en mesure d´écrire l´Histoire, la nôtre, aujourd´hui? Je ne le pense pas, puisqu´à chaque occasion, lorsque le débat s´ouvre sur cette question, on débouche sur les tiraillements et les hésitations, parce que l´on restreint l´écriture de l´Histoire à une période donnée, et plus particulièrement à cette période allant de 1954 à 1962. On ne voit que du côté de la guerre d´indépendance, alors que notre peuple a mené, tambour battant, depuis la nuit des temps, des luttes de libération contre les différentes interventions étrangères et en est sorti vainqueur...Ce qu´il y a de plus important, présentement, c´est que nous devons nous atteler sérieusement à restituer notre passé et son monde, à ceux qui doivent en être fiers de l´avoir comme patrimoine, car reflétant les luttes et les gloires de leurs aïeux. Notre Histoire commence depuis l´Antiquité. Elle doit être connue par les jeunes. Ainsi, mon dernier livre sur «Iol-Caesarea-Cherchell» a été accueilli avec beaucoup de plaisir. Ils ont découvert, par exemple, entre autres, qu´une toute petite ruelle, située dans un quartier populaire - signe particulier de notre ingratitude ou de notre ignorance -, porte le nom d´un Empereur romain, Macrin ou (Amokrane ou Mokrane) un enfant du plateau sud, un Berbère amazigh de Sidi-Yahia plus précisément, qui est monté sur ce trône de Rome tant convoité et que, bien avant lui, Juba II a été le roi de la Maurétanie césarienne, un souverain savant, constructeur, qui a été le premier à établir la carte représentant, pour nous, la presqu´île arabique, et celui qui a érigé, en l´honneur de la science, une Université, la plus ancienne au monde. Ils ont découvert aussi que Ptolémée, son fils, l´enfant de Cherchell, qui lui a succédé sur le trône, allait être Empereur de Rome et peut-être même dernier Pharaon d´Egypte - sa grand-mère étant la grande Cléopâtre - s´il n´y avait ce complot dirigé par Caligula et qui lui a coûté la vie...Tous ces grands noms et d´autres, pendant les différentes périodes de l´Histoire, ont vécu ou sont nés chez nous, à Cherchell, hier Iol-Caesarea. Je travaille actuellement à d´autres projets du même type que j´espère concrétiser.
Propos recueillis par Nabil BEY
La Clé d´Izemis de Kamel BOUCHAMA
Editions Mille-Feuilles
Sid-Ali Sekheri, Libraire-éditeur Alger 2009
Rédigé le 17/12/2013 à 16:28 dans Poésie/Littérature | Lien permanent | Commentaires (2)
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