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Le prétexte de cette réédition de « L'Étranger » est les 70 ans de la sortie du livre d'Albert Camus. Et on s'en félicite. Car c'est une surprise de redécouvrir cet Étranger-là dans la collection Futoropolis de Gallimard. Double surprise. À la relecture du texte, qui laisse stupéfait pour son éternelle actualité et son questionnement inquiétant. Il en est souvent ainsi des textes les plus connus, souvent lus trop vite, dont on pense qu'on les connaît et qui demeurent inscrits à l'encan de votre mémoire. Ce sont ces mêmes lignes qui savent vous bouleverser à nouveau des années plus tard pour un détail oublié, une atmosphère de soleil trop puissant et d'ombres trop lourdes. Meursault va toujours de son pas égal sans que rien ne vienne le dévier du non-étonnement qu'est devenue sa vie. Cette étrange normalité en fait le meurtrier justement le plus étranger à lui-même.
Quant à l'autre réussite, elle vient de Muñoz, à qui l'on a demandé d'accompagner le récit de Camus et qu'il traduit de son trait noir et puissant, comme un négatif assumé. Le plus bizarre est la façon dont Meursault, jamais décrit par Camus, prend corps devant nous comme un bloc indifférent, lippe prognathe, cheveux en brosse, avec tout ce que le livre de Camus porte d'une époque, ce qui le rend paradoxalement intemporel et parfaitement gravé dans le trait qui lui fait face. Cigarettes qui pendent au coin des lèvres. Hommes accoudés et désœuvrés. Affiches de boxe des années 1930. Solitude des chambres de bonne et des petits logements.
L'ombre coupante d'Albert Camus s'inscrit dans la page de José Muñoz. Rarement le soleil noir de « L'Étranger » a aussi bien été retranscrit. S'il fallait retrouver une telle réussite et une telle complémentarité d'univers à la fois différents mais sourdement reliés, c'est peut-être aux toutes premières éditions de cette même collection qu'il faut se rapporter, à celle où Tardi illustrait « Voyage au bout de la nuit », de Céline ; c'est donc côte à côte que nous rangerons ces livres dans l'armoire de nos souvenirs.
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Yves harté
Publié le 01/07/2012
« L'Étranger », d'Albert Camus, dessins de José Muñoz, éd. Futuropolis Gallimard, 139 p., 22 €.
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