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La foule, le bruit, la chaleur, l’exotisme séduiront Théophile Gautier et André Gide qui y achètera une terre. Mais la folie guette les ombres de Camus.
Théophile Gautier arrive à Alger le 16 juillet 1845. Un officier de spahis lui sert de guide. L’écrivain romantique décrit ainsi la place du Gouvernement, centre névralgique de la capitale : « Un mélange incroyable d’uniformes, d’habits, de burnous, de cabans, de manteaux et de capes. Un tohu-bohu ! Un capharnaüm ! Le mantelet noir de la Parisienne effleure en passant le voile blanc de la Moresque ; la manche chamarrée de l’officier égratigne le bras nu du nègre frotté d’huile ; les haillons du Bédouin coudoient le frac de l’élégant français. Le bruit qui surnage sur cette foule est tout aussi varié : c’est une confusion d’idiomes à dérouter le plus habile polyglotte ; on se croirait au pied de la tour de Babel le jour de la dispersion des travailleurs. »
Il participe à une expédition en Kabylie, se rend à Oran par la mer, à Constantine à cheval. A Blidah, il assiste à une cérémonie des Aïssaouas, une confrérie mystique. Le pays le séduit, il décide de s’y installer comme colon et demande au ministre de la Guerre une concession de quatre-vingt-dix-neuf hectares, dans la vallée de Zerhamma... Un rêve resté lettre morte.
Mais aussitôt rentré, Gautier s’attelle à l’écriture de son Voyage pittoresque en Algérie.
Contrairement à lui, André Gide parviendra à acheter un terrain à Biskra, où il séjourne en 1893 avec le peintre Paul Laurens. Deux ans plus tard, il retrouve par hasard Oscar Wilde à Blidah, au pied de l’Atlas. Il racontera, dans Si le grain ne meurt, sa nuit avec un jeune musicien, « recommandé » par un Wilde plus cynique que jamais.
Dans son Dictionnaire amoureux de l’Algérie, Malek Chebel nous éclaire sur la colonisation française, d’abord « simple exutoire oriental ». Il cite cette « étrange supplique » de Victor Hugo : « Allez, peuples ! Emparez-vous de cette terre. Prenez-la. A qui ? A personne. Prenez cette terre à Dieu. »
Plus que tout autre, Isabelle Eberhardt a lié son destin à la terre algérienne. L’aristocrate russe, née à Genève en 1877, connaît la révélation lors d’un reportage dans le Sud oranais. « Sous l’accablement d’un ciel sans nuages, Alger dormait. Les rues, où les passants étaient rares, semblaient plus larges, et des essaims de mouches bleues bourdonnaient dans l’ombre brève des maisons. Les collines de Mustapha se voilaient de poussières ténues, et les blancheurs laiteuses de la haute ville s’éteignaient. Là, pourtant, dans les ruelles étranglées, la vie continuait ardente, ivre de lumière et de couleurs avec les étalages de fruits et d’étoffes, et le chant pensif des rossignols captifs devant les cafés maures. » (Notes de route, p. 27.)
Elle se convertit à l’islam, se fait appeler Si Mahmoud Saadi et sillonne L’Afrique du Nord déguisée en bédouin. « J’aimais l’âme de l’islam et je la sentis vibrer en moi. Je goûtai dans l’âpreté splendide du décor, la résignation, le rêve très vague, l’insouciance profonde des choses. »
Isabelle Eberhardt meurt à Aïn-Sefra, à l’âge de 27 ans, noyée dans un oued en cru. Les textes qu’elle laisse, chargés de mysticisme, alimenteront la légende de celle que l’on prenait pour la fille de Rimbaud.
Simple touriste en Algérie, Guy de Maupassant a la curiosité de visiter les mosquées. Il s’intéresse, lui aussi, à une religion si exotique pour un Européen de l’époque. « Sur les quais d’Alger, dans les rues des villages indigènes, dans les plaines du Tell, sur les montagnes du Sahel ou dans les sables de Sahara, tous ces corps drapés comme en des robes de moines, la tête encapuchonnée sous le turban flottant par derrière, ces traits sévères, ces regards fixes, ont l’air d’appartenir à des religieux d’un même ordre austère, répandus sur la moitié du globe. » (La Vie errante)
On retrouve les mêmes silhouettes sous la plume d’Albert Camus, enfant du pays : « Noirs oui, car ils sont habillés de longues étoffes noires et le sel qui envahit jusqu’aux ongles qu’on remâche amèrement dans le sommeil polaire des nuits, le sel, qu’on boit dans l’eau qui vient à l’unique source au creux d’une entaille brillante, laisse parfois sur leurs robes sombres des traces semblables aux traînées des escargots après la pluie. » (L’Exil et le Royaume)
Camus fera dire à l’un de ses personnages : « Le jour se lève sur le désert, il fait encore très froid, tout à l’heure il fera trop chaud, cette terre rend fou et moi, depuis tant d’années que je n’en sais plus le compte... »
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Par Tristan Savin, l’Express
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