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— LE PLATEAUDES PINS-
— L'OUED TBAÏNT ET SES OMBRAGES.
— LA GRANDE RUINE.
« Vous n'y trouverez point d'arbres, » m'avaient
dit les pessimistes. Certes, les eucalyptus de Tipasa
ne sauraient entrer en comparaison avec les
orangers de Blida ou les platanes de BouFarik,
mais faut-il donc tant mépriser ces vieux oliviers
biscornus, ces touffes même de lentisques dont sont
ombragées la plupart des ruines ? Le paysagiste
est généralement, en fait de verdure, plus embarrassé
du trop que du trop peu. De l'émeraude à
l'épinard, il n'y a qu'un demi-ton. Et puis, ces
collines du sud, derrière lesquelles on voit poindre
comme des croupes de feuillage, ce vallon
qu'elles dominent et d'où la fraîcheur déborde,
me semblent sentir si fort leur sous-bois, que j'en
veux avoir le coeur net.
Je gravis la côte au milieu des vignes. Dix minutes
de marche et j'en atteins le sommet. Mes
prévisions ne me trompaient pas. Il y a là toute
une mine de tableaux : grands horizons vers le
golfe, bouquets de pins aux troncs satinés, aux
entrelacs bizarres, à la tête arrondie en forme de
parasol, gourbis avec leurs femmes kabyles attifées
de couleurs voyantes et leurs marmots jouant
demi-nus sur le seuil.
Le bois est sillonné de mille sentiers pittoresques
dont l'un, zigzaguant parmi les broussailles,
me conduit au bord d'un ravin profond que recouvre
un dôme touffu de chênes verts, de thuyas, de
lentiques. On ne saurait imaginer désordre plus
gracieux, sauvagerie plus splendide. Au fond,
c'est mieux encore, et remontant le torrent entre
ses deux murailles de tuf toutes ravinées, perforées
et tapissées de rameaux que relient entre eux
des enchevêtrements de lianes, il me semble marcher
dans une forêt du Brésil. Les indigènes appellent
ce cours d'eau « l'oued Tbaïnt, » les colons
« le ravin de la Briqueterie. » La briqueterie en
question se trouve de l'autre côté, en ruine. Il n'en
reste que des piliers; mais ces piliers couleur d'ocre,
avec les puissantes verdures et la mer bleue qui
les encadrent, tentent fortement le crayon, et l'on
s'arrête, et on les croque, bien qu'ils n'aient rien de
commun avec l'antiquité carthaginoise ou latine.
De l'autre côté du ravin, en retournant vers
Tipasa, se dresse un très considérable fragment
de quelque gigantesque édifice. On en suit les
fondations à plus de cent pas au-delà. Cette
ruine fait tableau avec ses assises de pierres aussi
propres encore, aussi bien rangées qu'au jour où
le maçon romain les mit en place. Elle a pour
fonds, à gauche, la vallée du Nador qu'encerclent
les monts Chabo, Bou-Amrane, Bou-Desmane,
Bou-Mad, Mohammed-ben-Ali et autres sommités
des Beni-Mnaser; à droite, les rives du fleuve
avec leurs sables roses et leurs eaux bleues que
paillettent de reflets d'or les rocs ensoleillés des
monts Lalla-Tzaforalz (900 mètres de haut), Tzin,
Merdout, Karba-Berchen, dont l'ensemble constitue
le massif du Chenoua.
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