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-— LE SOIXANTIÈMEBAIN DE MER.
— L'EMBOUCHURE DU NADOR.
— SPLENDIDES CRÉPUSCULES.
La plage Matares vers l'an 1900
La nuit commençait à tomber. La mer étincefait au bas de la montagne assombrie. L'air était calme et la température délicieuse. Rien qui troublât la solitude, rien même qui rappelât l'homme et la civilisation. Partout des rochers sauvages et des frondescences vierges. Pas un vestige de chemin, d'habitation, de culture, pas une trace sur le sable. Telle dut être la scène que trouva Robinson en abordant son île.
La petite plage du port m'avait inspiré quelque crainte; celle du Nador, qui s'étend de la montagne de sable aux pentes du Chenoua, l'espace de plusieurs kilomètres, me séduisit. Nulle apparence de récifs, pas le moindre soupçon d'oursins. Habits bas donc, et vêtu du léger mais épais crépuscule, je pris un bain mémorable, le soixantième de la saison, le meilleur, l'eau dormant immobile sur un fond de sable chauffé tout le jour à vingt-six degrés. D'un âge où le sang attiédi nous inspire d'autres goûts, j'ai conservé pour les plaisirs de la natation toute l'ardeur de ma jeunesse.
L'enfant impatient aime à courir, à précipiter la vie; il la croit si longue ! Le vieillard, qui la sait courte, lui, cherche à s'y cramponner, voire même à rétrograder. Et s'il peut un instant se figurer l'avoir fait, quel bonheur !
La toilette offrit bien quelque difficulté, sans linge, sur ce sable fin comme la cendre. Ce fut un plaisir de plus. On a de ces moments illogiques . Il ne dura pas longtemps toutefois, et dix minutes après, bien que la nuit fût presque close., je poursuivais ma route vers le Chenoua, curieux de voir de près l'embouchure du Nador dont j'avais, de la montagne, aperçu les brillants méandres. Ce trajet est fort pénible.
Tous sables mouvants et ondulés comme des dunes. Le fleuve, avant de se jeter dans la mer, se divise, ou plutôt, car il change souvent, se divisait alors en deux branches qui, coulant parallèlement au rivage, formaient entre elles et la mer comme un îlot allongé. Voyons un peu ce que buvaient nos prédécesseurs, messieurs les Romains ! Je goûte comme Diogène après l'abandon de l'écuelle. Un vrai nectar ! Que de trésors perdus ! Et songer qu'à deux pas de là les Tipasiens meurent de soif ! L'artiste amant des grands effets devra se poster, le soir, sur la route de Marengo, à la hauteur des colombaires, et je lui promets là les plus admirables motifs. La mer enchâssée semble un lac, et les massifs qui surplombent rappellent, à s'y méprendre, certaines montagnes de Suisse. Je ne pouvais me lasser de contempler ce spectacle, et bien que l'heure du souper me rappelât à l'hôtel, je m'arrêtais, me retournais et retombais à chaque pas dans une admiration extatique. Impossible de dessiner. Nuit close. Des fois, on voudrait être chat.
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