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L'histoire est, en effet, très sobre de détails au
sujet de Tipasa. Elle nous représente cette ville
comme une colonie de vétérans fondée par l'empereur
Claude qui lui accorda le droit latin ; mais
une inscription lapidaire, trouvée en 1867 sur le
Eas Bel-Aïche, pendant qu'on y construisait le
phare, et dont une écornure a malheureusement
emporté la date, constate la conquête et l'occupation
du pays par un général romain : « À la
Victoire Auguste, parce que, sous le commandement
militaire et aux sollicitations de Claudius
Constans, une expédition avait été faite contre
les peuplades africaines, entre autres les Misulames...
» Le reste manque. Tipasa n'aurait donc
pas toujours été latine, et certains vestiges, tels
que bas-reliefs et statues, du dessin le plus primitif,
permettent de supposer qu'une agglomération
barbare, carthaginoise peut-être, a précédé
la cité romaine des vétérans.
Tipasa, savons-nous encore, est mentionnée par
Ptolémée et l' Itinéraire d'Antonin. C'est de Tipasa
que partit, en 371, le comte Théodose pour expéditionner
dans l'Anchorarius, notre Ouarensenis
actuel, contre les Mazices et les Musones, alliés
du rebelle Firmus.
Saint Optat détaille les tribulations de Tipasa
dans le temps où Julien l'Apostat gouvernait
l'empire. Victime de la jalousie et de la cruauté
de deux officiers subalternes, « la noble cité de
Numidie » vit ses habitants mutilés et déchirés
en lambeaux, ses matrones traînées dans les rues
et jusque sur les places publiques, ses enfants
massacrés ou arrachés des entrailles maternelles.
Hunéric fit pis encore. Ce roi vandale, qui sévissait
à la fin du cinquième siècle, ayant envoyé
un évêque arien aux catholiques de Tipasa pour
les obliger à embrasser l'hérésie d'Arius, une
grande partie de la population s'enfuit en Espagne,
et ceux qui ne purent s'expatrier ayant refusé
d'apostasier, subirent héroïquement le martyre.
La cruauté d'Hunéric mit-elle fin à l'existence
de Tipasa? D'autres habitants ne vinrent-ils pas
plutôt occuper, en partie du moins, une ville
si grande, si forte, si bien bâtie et dont les maisons,
précipitamment abandonnées, devaient offrir
aux immigrants des installations aussi commodes
que gratuites? Il est permis de le croire. Cette
hypothèse, toutefois, ne résout pas la question.
Comment finit Tipasa ? S'éteignit-elle lentement,
à mesure que disparaissaient, emportées par le
temps ou par des accidents, les causes de son
existence; ou bien expira-t-elle brusquement,
saccagée par un conquérant ou renversée par un
tremblement de terre?
Ce mystère, et l'espoir de l'expliquer un jour,
ne sont pas, aux yeux du savant, du penseur et
même du simple touriste, le moindre attrait de
Tipasa. On a pu suivre, heure par heure, l'origine,
le progrès et la chute de Rome antique, on sait
comment ont péri, ruinées, balayées par le flot
des barbares, Orange, Antibes, Fréjus, mais qui
dira la fin de Tipasa ? On a fouillé partout en
France, en Italie, et sauf les débris demeurés debout
à titre de monuments historiques, il ne reste
plus guère à trouver, dons un sol retourné, tamisé
par des générations d'antiquaires, que quelques
monnaies sans valeur, tandis que Tipasa n'a
probablement eu, jusqu'à notre arrivée, d'autres
investigateurs que des bandes de pillards kabyles,
moins curieux d'y trouver des inscriptions ou des
statues que de l'or pour leurs plaisirs ou du
plomb pour leurs fusils.
Charles Desprez 1875
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