Un chef politico-militaire charismatique
Trente-trois ans après la mort de Houari Boumediène, tout Algérien qui garde en mémoire la période durant laquelle celui-ci a gouverné l’Algérie est en mesure de se faire une idée, non pas du bilan de l’ancien président de la République que de l’esprit avec lequel il a cherché à s’attaquer aux causes profondes du sous-développement économique, social et culturel, dans lequel la colonisation française avait mis les Algériens 130 ans durant. Très peu d’observateurs, de la période 1965-1978, ont essayé non pas de ranimer le souvenir du Président défunt, mais d’exposer simplement, avec didactisme, ses réalisations, ses succès (si l’on veut bien lui en reconnaître) mais aussi ses échecs (que l’historiographie dominante monte systématiquement en épingle, on ne sait trop pour quelle raison, prenant soin au passage d’épargner son prédécesseur et ses successeurs, lesquels, à l’exception notable de Mohamed Boudiaf et de Liamine Zeroual, portent une part prépondérante de responsabilité dans l’impasse que connaît aujourd’hui l’Algérie.
Etre Boumediéniste, en cette fin d’année 2011, n’a pas grand sens. A l’inverse, accuser tel partisan de l’ancien chef de l’Etat de verser dans une «Boumediènnôlatrie» compulsive, c’est feindre de n’avoir pas compris le sens du message qui lui a été consacré, non à des fins de glorification post mortem qui n’intéresse personne, mais dans un souci de restituer la trame de l’histoire de notre pays, en laissant le soin aux historiens et aux archivistes de se prononcer in fine.
A l’égard des générations qui ne l’ont pas connu (quelque 78% d’Algériens en 2011) et aussi vis-à-vis de ceux qui ont suivi, dans l’enthousiasme ou dans l’indifférence, son parcours de chef d’Etat, il est nécessaire de fournir une grille de lecture pour les aider à mettre en perspective la percée du colonel Boumediène par rapport aux turbulences de la guerre de Libération nationale consécutives à l’élimination de Abane. Ces turbulences constitueront autant de prodromes de la crise de l’été 1962, à la faveur de laquelle va se hisser le colonel Boumediène, alors patron de l’état-major général (EMG) pour s’imposer aux clans et aux factions en conflit.
La place nous manque ici pour décliner les étapes successives du parcours du colonel Boumediène au sein du FLN/ALN. Ce que le lecteur doit savoir, c’est que de tous les principaux acteurs de la guerre de Libération nationale, le colonel Houari Boumediène était le seul à incarner une vision globale et cohérente d’un Etat algérien indépendant. Ceux qui prétendent qu’il avait été, dès l’origine, obsédé par la conquête du pouvoir une fois l’indépendance acquise, méconnaissent gravement deux ordres de circonstances. Le premier renvoie aux nombreux atermoiements et conflits de conscience que le colonel Boumediène a dû surmonter pour imposer son autorité au GPRA, au CNRA et plus tard au Conseil interministériel de la guerre (CIG), dirigé par le triumvirat Boussouf-Krim-Bentobbal, dans la mesure où il était profondément respectueux de la légalité révolutionnaire.
Ces trois entités étaient, en réalité, vouées à la surenchère dans leurs prétentions respectives à recueillir les dividendes de l’indépendance, excluant d’emblée les valeureux combattants des wilayas de l’intérieur, du reste, très tôt subvertis par le GPRA et ses affidés uniquement soucieux d’internationaliser le conflit avec la France. Le deuxième ordre de circonstances était que le colonel Boumediène avait démontré ses capacités de chef politico-militaire et de leader charismatique, d’abord comme second de Abdelhafid Boussouf qui succéda lui-même à Larbi Ben M’hidi à la tête de la Wilaya V, puis comme commandant de cette Wilaya, ensuite comme responsable du commandement Ouest, et enfin comme patron de l’EMG.
Le colonel Boumediène avait réussi la gageure d’unifier les troupes de l’ALN, après que l’ensemble des autres institutions de la révolution eurent vainement cherché à les instrumentaliser et à les utiliser chacune pour son compte, comme si l’heure de l’indépendance avait déjà sonné. Il n’y avait, en 1960, qu’une seule institution de la révolution qui n’était pas traversée par quelque clivage clanique, clientéliste, népotique ou régionaliste que ce soit, c’était l’EMG. Il n’y avait qu’une seule entité où prévalaient la rigueur morale, le désintéressement, la probité, la solidarité de corps, c’était encore l’EMG.
Les moudjahidine encore vivants (il en reste si peu) qui ont combattu à l’Est peuvent témoigner du sentiment de délivrance qu’a constitué pour eux la désignation du colonel Boumediène à la tête de l’EMG, en janvier 1960. Enfin, ils allaient être débarrassés d’un hors-la-loi hors normes qui s’était proclamé patron de la base de l’Est, à savoir Amara Bouglez (Amara Laskri) qui fut, en réalité, un allié objectif de l’armée coloniale en faisant obstacle à toute incursion d’hommes ou acheminement de munitions à partir du territoire tunisien vers l’Algérie, alors qu’il était impératif de soulager le fardeau des combattants des wilayas de l’intérieur, confrontés à la quatrième puissance militaire du monde.
Ce même Amara Bouglez laissa, l’âme sereine, s’édifier la ligne Morice destinée à priver l’ALN de tout soutien en hommes et en logistique à partir de l’extérieur et pas seulement en provenance de Tunisie. Ce sont les faits historiques et il ne sert à rien de chercher à les occulter, à seule fin de réhabiliter la mémoire de certains fossoyeurs de la révolution algérienne. Il avait fallu un chef politico-militaire de l’envergure de Boumediène pour stopper net une des dérives les plus funestes du FLN/ALN, qui plus est, dans la région la plus stratégique militairement. Au cours de l’été 1962, comme cela était prévisible depuis longtemps, les clans et factions du FLN/ALN se livrent à une guerre sans merci pour la conquête du pouvoir.
L’EMG s’imposera finalement, non pas parce qu’il était militairement le plus puissant, mais parce qu’il était encadré par une direction soudée, homogène, immune de tout relent régionaliste et emmené par un homme d’exception qui avait déjà anticipé, depuis son QG de Ghardimaou, le mode opératoire de la gouvernance de l’Etat algérien, dans la stricte fidélité à la Proclamation du 1er Novembre 1954 et aux prescriptions du Programme de Tripoli de juin 1962. Entre 1962 et 1965, Houari Boumediène tente de limiter les dégâts causés par celui qui avait les faveurs de la France et de l’Egypte pour présider aux destinées de l’Algérie, à savoir Ahmed Ben Bella.
Tout ou presque a été dit sur la gestion chaotique du pays par ce tyranneau de douar. C’est contraint et forcé que Houari Boumediène, alors 1er vice-président de la République et ministre de la Défense, et ce, après moult hésitations et même palinodies, se résout à le destituer le 19 juin 1965, faisant ainsi revivre l’espoir chez des millions d’Algériens, excédés par les postures fantasques de celui, que déjà en 1956 Abane et Ben M’hidi voulurent écarter du commandement de la Révolution. Le «sursaut révolutionnaire» du 19 juin 1965 n’est pas un coup d’Etat. C’est, au contraire, un acte salvateur de rétablissement de l’autorité de l’Etat, sans cesse bafouée par Ben Bella qui multipliait décisions intempestives et cédait à un populisme sans bornes.
C’est, en effet, Ben Bella qui chercha à déstabiliser le fragile Etat algérien en dessaisissant l’Assemblée nationale de ses attributions par le recours indiscriminé aux ordonnances, en écartant des hommes de grande valeur comme les regrettés Kaïd Ahmed et Ahmed Medeghri, avant de s’en prendre à Houari Boumediène qui avait pourtant été à son égard d’un loyalisme sans faille, le dépouillant de ses pouvoirs au profit de Mahmoud Guennez, qui n’était partie prenante à aucune conjuration et ne réclamait rien.
C’est la mort dans l’âme que Houari Boumediène franchit le pas fatidique, lui qui durant toute sa carrière connut les affres et les frustrations de l’officier discipliné. Il avait obéi à Larbi Ben M’hidi, Abdelhafid Boussouf, au GPRA, au CNRA, au CIG, sans jamais exprimer la moindre velléité d’indépendance ou pis, d’insubordination. Les affaires Lamouri et Zoubir ne concernaient en rien le colonel Boumediène. Ni les colonels Lamouri et Nouaoura, ni le commandant Aouachria, ni la capitaine Lakehal n’étaient des concurrents de Houari Boumediène, lequel refusa cependant de sanctionner ceux qui devinrent plus tard ses compagnons de route à l’indépendance : Belhouchet, Draïa, Messaadïa.
Les quatre premiers furent exécutés sur ses ordres le 16 mars 1959 (donc avant la création de l’EMG), mais à la demande insistante du GPRA qui ne tolérait pas la moindre manifestation de contestation de ses décisions. Houari Boumediène s’était fait violence pour faire «le sale boulot» pour le compte du GPRA, afin que la légitimité de celui-ci, — qu’il finira lui-même par contester —, fut préservée, tant bien que mal. Oser affirmer, après cela, que Houari Boumediène voulait s’arroger le monopole de la direction de la Révolution, relève purement et simplement du révisionnisme.
Un homme d’état obsédé par la construction de pays
Entre 1965 et 1977, le président Houari Boumediène met sur les rails la machine à produire du développement autocentré, reposant sur la doctrine des industries industrialisantes. Le succès de cette stratégie de développement repose largement sur le rôle de l’Etat qui doit être capable de mobiliser des capitaux importants ; toutefois, la rentabilité de l’opération ne peut être évaluée que sur le long terme. Dans le même temps, il s’engage à donner corps à un grand nombre de principes qu’il considère comme non négociables : «le pain pour tous», «l’école pour tous les enfants», «le logement pour toutes les catégories sociales», «la terre à celui qui la travaille», «les soins gratuits pour tous», «l’exploitation des richesses naturelles du sol et du sous-sol au seul profit des enfants de ce pays».
Pour traduire en actes concrets cette doctrine, le chef de l’Etat lance la Révolution agraire (RA), la gestion socialiste des entreprises (GSE), nationalise les intérêts étrangers implantés en Algérie, limite le développement du secteur privé auquel il reproche de nourrir une vision foncièrement féodale des rapports de travail, et, enfin, restreint l’accueil des investissements étrangers au seul secteur des hydrocarbures. Deux des aspects les plus controversés du bilan de Houari Boumediène sont la révolution agraire et le choix de la stratégie industrielle pour extirper l’Algérie du sous-développement que lui avait légué la colonisation française. S’agissant de la révolution agraire, le président Boumediène était parti d’un constat simple : le déficit nutritionnel de l’Algérie étant structurellement important, et seule une forte croissance agricole serait en mesure de le résorber, laquelle croissance passe par la constitution d’un secteur industriel intégré.
Le deuxième constat est qu’au lendemain de l’indépendance, il existait des propriétés de dimensions considérables qui étaient mal ou sous-exploitées ; mais, grâce à la pratique d’une agriculture extensive, leurs propriétaires étaient assurés de revenus confortables, alors que les salariés agricoles (autrement dit les khammès) vivaient quasiment au niveau du seuil de pauvreté. Il fallait mettre un terme à cette double anomalie. Ce n’est pas par volontarisme politique ou par tropisme idéologique que le chef de l’Etat algérien décide de restructurer le monde rural. C’est par fidélité aux principes cardinaux énoncés dans la Proclamation du 1er Novembre 1954, la Plate-forme de la Soummam de 1956 et dans le Programme de Tripoli de 1962. Houari Boumediène n’aurait-il pas trahi le serment révolutionnaire s’il avait conservé intactes les structures féodales du monde paysan, lui le fils d’un fellah pauvre de l’Est algérien ?
Quant à l’échec de la révolution agraire, il ne saurait être imputé au président Boumediène ; tous les experts algériens et étrangers convenaient que la Charte et l’ordonnance du 8 novembre 1971, portant révolution agraire, définissaient avec un maximum de rigueur et de précision le mode opératoire de la stratégie de développement agricole de l’ensemble des campagnes du pays. Toutefois, la très insuffisante adhésion des fellahs aux conversions techniques indispensables des modes de faire-valoir des terres, l’absence de garanties qu’ils en seront à terme les propriétaires exclusifs, le bureaucratisation des contrôles et des procédures que l’ administration se devait de diligenter aux fins de s’assurer de la mise en cohérence du dispositif juridique et institutionnel, la faible progression du revenu agricole, censé à l’origine créer une demande solvable, en tant que débouché pour le secteur industriel, et enfin, celle du surplus agricole qui ne sera en définitive jamais ce pôle rêvé d’accumulation, susceptible d’être orienté vers l’investissement ; l’ensemble de ces facteurs se sont ligués pour mettre à mal la téléologie des textes fondateurs.
S’agissant du choix de la stratégie industrielle, le président Boumediène ne l’a pas décidé unilatéralement ou en contemplation dont on ne sait quel dogme. Dans les circonstances de l’époque, seule la voie du développement non capitaliste était réputée faire décoller les économies déstructurées et duales comme l’étaient assurément les structures de l’économie algérienne. Il y avait même le plus large consensus des experts, des universitaires et des praticiens pour souligner l’impact positif de cette stratégie de développement.
Le président Boumediène, militaire de formation, n’était pas un théoricien des économises en voie de développement, mais, cependant, parce que beaucoup plus modeste que d’aucuns se l’imaginent et soucieux de la réussite de ce projet, il a prêté une oreille attentive à tous les spécialistes de l’époque qui considéraient que seul un Etat propriétaire de l’essentiel de moyens de production et d’échanges pouvait garantir, en amont, la faisabilité du modèle, car il est, par prédilection, celui qui est en mesure de mobiliser des capitaux très importants et de veiller, grâce à une planification rigoureuse (et non pas nécessairement impérative, au sens où elle procéderait par oukases successifs de la part de l’administration centrale) à la rentabilité du processus.
C’est en application de cette théorie que le président Boumediène charge Belaïd Abdesslam de sélectionner les pôles d’industrialisation, dont l’impact sur les autres secteurs de l’économie sera suffisamment significatif. Il fallait notamment déterminer, pour reprendre le mode d’emploi conçu par l’éminent économiste Gérard Destane de Bernis, les branches à l’origine desquelles des «chaînes de déséquilibre créateurs» engendreraient, à leur tour, des mécanismes suscitant la création de nouvelles branches, lesquelles rétroagiraient sur les précédentes en les stimulant.
Autant dire que l’architecture de ce schéma était fort complexe et sa traduction sur le terrain encombrée d’aléas et d’incertitudes, qui finirent par triompher de la seule bonne volonté de ses exécutants. On doit cependant à la vérité de dire que le président Boumediène a été circonvenu sans intermittence par «Si Abdesslam, la science» sur les aptitudes intrinsèques de notre appareil de production, autant que de nos instituts de recherche et de formation à domestiquer le transfert de technologie, mobiliser une main-d’œuvre hautement qualifiée et choisir, de façon éclairée, entre des industries, toutes très capitalistiques, qui induisaient une forte dépendance technologique.
Ce processus aurait pu être maîtrisé, sur le moyen terme, n’était le refus inepte de Belaïd Abdesslam de faire émerger en Algérie une industrie de sous-traitance. Le président Boumediène n’était pas omniscient, si grand que fût son don d’ubiquité. Il avait en charge d’autres dossiers très lourds : la révolution agraire (comme il a été dit plus haut), la GSE, le devenir de l’école, la généralisation des soins gratuits, le suivi très minutieux des projets de développement de Sonatrach et Sonelgaz, la politique d’équilibre régional, l’arbitrage sans cesse recommencé entre les différents courants et sensibilités idéologico-culturels qu’exacerbait la segmentation des élites (élites arabophones, élites francophones), sans parler de l’écheveau inextricable que constituait la conduite d’une politique étrangère inconditionnellement indépendante, au grand dam des grandes et moyennes puissances irritées par la fonction de directeur de conscience que s’était attribué le président Boumediène, pour bouleverser l’ordre économique mondial.
Il en résulte que le chef de l’Etat algérien avait besoin de s’adosser à des compétences nationales, surtout après qu’il leur ait indiqué la feuille de route. Force est d’admettre que celle-ci n’a pas été suivie par ses collaborateurs qui pensaient que la sortie du tunnel du sous-développement était une opération purement bureaucratique, justiciable d’un pilotage depuis les sommets de l’Etat et que la rente pétrolière allait financer, à l’infini, des projets dispendieux, déconnectés des réalités socio-économiques et culturelles du pays.
Du reste, ces réalités avec lesquelles on avait trop longtemps rusé, ne tardèrent pas à se venger, et déjà du vivant du président Boumediène qui ressentit, alors, cette grimace de l’histoire, comme un véritable crève-cœur. En ce qui concerne l’arabisation qui sera notre troisième et dernier point, le président de la République est bien obligé, en cette fin de l’année 1976, de prendre acte du fait que l’arabisation tous azimuts, fortement impulsée par les ministres Ahmed Taleb Ibrahimi et Boualem Benhamouda était davantage conçue comme une vaste entreprise de défrancisation, qu’elle ne procédait, à la vérité, de la volonté politique de réhabiliter la personnalité arabo-islamique (celle-ci n’étant qu’une des composantes de l’identité algérienne, parmi d’autres, tout aussi prégnantes, comme la berbérité).
Le président Boumediène craint qu’elle ne fasse, tôt ou tard, obstacle à l’épanouissement intellectuel des générations montantes et même qu’elle les enferme dans un ghetto culturel. Il décide, prenant à revers l’ensemble de l’encadrement administratif et pédagogique du vaste secteur de l’éducation, non seulement de mettre un coup d’arrêt à une arabisation largement folklorique (les professeurs du secondaire des lycées de la capitale dispensaient leur enseignement en dehors de tout programme pédagogique et n’étaient jamais inspectés), mais de remettre en selle une francisation du système éducatif qui ne le céderait en rien à l’algérianité de son contenu, ni à l’algérianisation progressive des cadres et des compétences chargés de le faire fonctionner.
Malheureusement, il confia le redressement de l’école algérienne au fougueux Mostefa Lacheraf qui cherchera, en vain, il faut bien le dire, à «désarabiser» l’enseignement, mais à la hussarde, s’aliénant, de ce fait, les nombreuses troupes arabophiles qui supervisaient au sein des académies l’orientation de l’enseignement. On peut regretter la réaction tardive du président Boumediène, dont pourtant les discours officiels ne créditaient pas la langue arabe d’une prédilection particulière pour véhiculer les valeurs du savoir et de la connaissance (il disait souvent «Loughatou achiiri oual gharamiyate»).
Le président Boumediène avait fait des concessions d’autant plus indues au courant conservateur arabo-islamique que notre pays devenu indépendant n’encourait aucune menace sérieuse quant à son identité et sa capacité à préserver les éléments fondateurs de sa personnalité. Toutefois, à la décharge de l’ancien chef de l’Etat, tous les textes de la révolution insistaient sur la réappropriation par les Algériens de la langue arabe et enjoignaient à ceux qui auront en charge la gestion des affaires de l’Etat de veiller à la généralisation de son enseignement et à sa maîtrise par tous les enfants du pays. Ce maximalisme doctrinal, qui aurait dû être confronté aux contraintes objectives du terrain, se justifiait à l’époque de la colonisation où l’identité du peuple algérien avait été mise sous le boisseau ; il n’avait plus sa raison d’être, au regard des ambitions affichées pour l’Algérie par le président Boumediène de devenir une puissance régionale. Il finit par l’admettre, mais seulement une année et demie avant sa maladie, ce qui permettra à ses successeurs, otages du courant islamo-baâthiste, de revenir sur cette amorce du bilinguisme.
Dans les limites restreintes assignées à cet hommage au président Boumediène, il a fallu faire ressortir l’essentiel : sa légitimité historique acquise au travers des responsabilités éminentes qu’il exerça à la tête du FLN/ALN et, notamment, de l’EMG dont l’ANP sera en grande partie l’héritière. Il fallait également faire justice des accusations portées contre lui, en ce qui concerne la révolution agraire, l’industrialisation et l’arabisation.
Le volet relatif à la politique étrangère de l’Algérie a été délibérément occulté faute de place. Pour finir, le lecteur doit savoir que le président Boumediène était conscient des échecs de sa politique qu’il voulait très volontariste, au point parfois de faire croire à l’observateur que pour lui, la société algérienne était manipulable à discrétion (au sens positif du terme), ce qui l’a conduit à sous-estimer les résistances du corps social à une adhésion sans réserve au socialisme. Il s’était également rendu compte que pour construire un Etat exemplaire, il fallait choisir des collaborateurs exemplaires, et ce ne fut pas toujours le cas. Mais, lorsqu’il décide, vers mi-juin 1978, de nettoyer les écuries d’Augias, pour faire repartir l’Algérie du bon pied, les premiers symptômes de la pathologie morbide, qui devait l’emporter six mois plus tard, sont au rendez-vous de son destin.
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