CIA, indics et rapports confidentiels :
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Soutien du CIA, présence de mouchards, conflit avec le MNA sont parmi les aspects les plus intéressants de documents inédits que publie, à partir d'hier, Médiapart sur la guerre d'Algérie.
Une compilation de plusieurs notes de synthèse de la Sûreté nationale française, dont faisaient partie les Renseignements généraux, qui ont été rédigées au long de l'année charnière 1961. Ces notes, explique le journal en ligne, ont été adressées, à l'époque, au ministre de l'Intérieur, Roger Frey, au Premier ministre, Michel Debré, et au président de la République, Charles de Gaulle. Ces rapports confidentiels concoctés par les RG renseignent sur l'attention toute particulière que portait la Sûreté nationale aux activistes de la Fédération de France du FLN. Ces documents lèvent un pan du voile sur la guerre secrète menée par les Renseignements généraux contre le Front de libération nationale en métropole. «La septième wilaya» est alors sous le microscope des services de police français, renseignant au jour le jour le pouvoir exécutif sur l'évolution de la guerre d'Algérie sur le sol français. Pourtant, ces rapports restent étrangement épurés de toute mention à des actes de torture, de menaces ou de chantage pour extorquer des informations et ne fait aucune allusion aux morts d'Octobre 1961. Présentés dans un ordre chronologique, la note du 4 juillet 1961 sur la journée du 5 juillet, «anniversaire de la prise d'Alger », soupèse les risques d'une possible extension en métropole des manifestations en faveur de l'indépendance qui doivent être organisées le lendemain en Algérie par le FLN. Les RG se veulent rassurants en observant qu'en France, la Confédération Générale des Travailleurs ne soutient que «prudemment toute action de masse des Algériens en faveur de l'autodétermination et contre le partage », mais s'inquiètent, en revanche, d'une éventuelle «action terroriste » de l'Organisation spéciale (OS), le bras armé du FLN. La note du 20 octobre 1961 revient sur les manifestations du 17 octobre sans pour autant mentionner la féroce répression policière qui a fait près de 300 morts à Paris. Des manifestations pacifiques organisées par le FLN contre le couvre-feu imposé depuis peu aux Algériens de France entraînent un déchaînement de violence policière sans précédent, faisant de cette date la manifestation la plus meurtrière dans une démocratie occidentale après la Seconde Guerre mondiale. La Sûreté nationale voit dans ces manifestations «le début d'une action d'ensemble, où l'organisation, maintenant en partie découverte, va s'engager à fond pour démoraliser l'opinion publique et créer un climat «favorable» à l'ouverture des négociations ». Les renseignements généraux s'alarment quant à ce fameux «coup de boutoir final» évoqué dans le premier rapport général de la Fédération, saisi sur Ben Bella en octobre 1956. Toujours sur la journée du 17 octobre, la note du 24 octobre 1961 évalue le degré de mobilisation de la «masse musulmane algérienne de métropole ».
En effet, la police redoute de nouvelles démonstrations de force du FLN, qui impose «une discipline de fer » aux immigrés algériens. La note reparle de ce coup de boutoir sous forme d'une «action d'envergure» menée par le FLN. «Tout arrêt partiel ou généralisé des actions rebelles », prédisent les policiers à la fin de leur rapport, ne serait qu'une «manœuvre tactique toute provisoire que le FLN ne manquerait pas de mettre à profit pour combler, sur les plans idéologique, territorial et paramilitaire, les lacunes de son organisation ». Une dizaine de jours plus tard, une note datée du 4 novembre 1961, sur la journée du 1er novembre, anniversaire du déclenchement de la lutte armée, inspire de l'inquiétude aux forces de police. Vigilants, ils préviennent que «le calme qui a marqué la commémoration du 7e anniversaire de la rébellion ne doit pas être interprété comme marquant une quelconque régression de l'empreinte frontiste sur les travailleurs algériens de métropole». La note souligne la «cotisation exceptionnelle» parmi les travailleurs et la «mobilisation silencieuse » qui se poursuit. Jamais publiés jusqu'ici, ces documents proviennent de vieux dossiers longtemps sous scellés au ministère de l'Intérieur. Confiés, dans un premier temps, à Benjamin Stora au début des années 1980, ils ont été redécouverts par le journaliste Laurent Chabrun, auteur d'un ouvrage sur la lutte des services de renseignement français contre le FLN (La Guerre de l'ombre, Jacob-Duvernet). La lecture de ces notes et de l'ouvrage de Laurent Chabrun fait également découvrir le suivi très précis, par les policiers, des rivalités et règlements de comptes au sein de la communauté algérienne de France, entre le MNA et le FLN. Une guerre dans la guerre qui fit environ 4.000 morts, selon les historiens. Ces documents éclairent aussi sur l'état d'esprit des services de renseignement avant le 17 octobre 1961. Paranoïa, peur des attentats, l'envie latente de venger la cinquantaine de policiers tués depuis 1958, date de la prise de contrôle de la Fédération de France par le FLN, racisme et adhésion aux thèses ultra de l'Algérie française sont présents parmi les forces de police. On découvre aussi, dans «La Guerre de l'ombre», l'étonnement des services de renseignement français face au soutien bienveillant dont semble alors bénéficié le FLN de la part de la CIA à travers l'aide de Washington à l'UGTA.
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par Moncef Wafi
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A cinquante ans de distance, ces rapports confidentiels attestent tout d’abord de l’attention méticuleuse que portaient, au sein de la Sûreté nationale, les policiers des Renseignements généraux (RG) aux indépendantistes algériens installés en France, et plus particulièrement au puissant FLN. Ils montrent qu’à défaut de pouvoir prédire l’issue du confit, le pouvoir exécutif était copieusement renseigné au jour le jour sur l’évolution de la mouvance indépendantiste.
Ces documents prouvent aussi que les RG, et plus généralement la Sûreté nationale, disposaient d’indicateurs et d’informateurs au sein du FLN et dans la communauté franco-algérienne. L’usage de la menace, du chantage et de la torture, courants à l’époque, n’est – toutefois – pas mentionné dans ces rapports.
Ces notes de la Sûreté nationale montrent, enfin, qu’au lendemain de leur répression sanglante par la police parisienne du préfet Maurice Papon, les services de renseignement, très alarmistes, ont présenté à l’exécutif les manifestations du 17 octobre 1961 comme « le début d’une action d’ensemble », et prévenu que le FLN veut « démoraliser l’opinion publique et créer un climat favorable à l’ouverture des négociations ». La guerre s’est bel et bien déplacée à Paris.
1. Note du 4 juillet 1961 sur la journée du 5 juillet, « anniversaire de la prise d’Alger »
La Sûreté nationale soupèse, dans cette note du 4 juillet 1961, les risques d’une possible extension en métropole des manifestations en faveur de l’indépendance qui doivent être organisées le lendemain en Algérie par le FLN, à l’occasion de l’anniversaire de la prise d’Alger par les troupes françaises, le 5 juillet 1830.
A la veille des manifestations, les policiers des services de renseignement se veulent rassurants en observant qu’en métropole, la CGT ne soutient que « prudemment toute action de masse des Algériens en faveur de l’autodétermination et contre le partage ». La Sûreté nationale s’inquiète, en revanche, d’une éventuelle « action terroriste » en métropole de l’Organisation spéciale (OS), le bras armé du FLN.
« Démoraliser l’opinion publique »
2. Note du 20 octobre 1961 sur les manifestations du 17 octobre
Pas un mot, dans ce rapport de synthèse de la Sûreté nationale daté du 20 octobre 1961, sur la répression féroce, trois jours plus tôt, par la police parisienne, des manifestations pacifiques du 17 octobre organisées par le FLN contre le couvre-feu imposé depuis peu aux Algériens de France. Un déchaînement de violence policière qui, sur plusieurs jours, a fait environ 300 morts à Paris au sein de la communauté algérienne, et qui est aujourd’hui considéré comme la manifestation ayant fait le plus de victimes dans une démocratie occidentale après la Seconde Guerre mondiale.
Pour la Sûreté nationale, la question est ailleurs. « Les manifestations de masse conduites par le FLN à Paris sont le début d’une action d’ensemble, où l’organisation, maintenant en partie découverte, va s’engager à fond pour démoraliser l’opinion publique et créer un climat « favorable » à l’ouverture des négociations », écrivent les hommes du renseignement.
« Par leur ampleur et leur persistance, les manifestations organisées par le FLN font penser que la Fédération de France s’estime en mesure de donner ce « coup de boutoir final » dont parlait le premier rapport général de la Fédération, saisi sur Ben Bella en octobre 1956″, s’alarment les policiers.
Une ligne dure, qui ne tient pas compte de l’aspiration des peuples à la liberté, et présente le FLN en parti d’extrémistes, insensible aux avancées du pouvoir gaulliste.
« La masse musulmane algérienne »
3. Note du 24 octobre 1961 sur la journée du 17 octobre
Une semaine après les manifestations du 17 octobre 1961, la Sûreté nationale évalue le degré de mobilisation de la « masse musulmane algérienne de métropole ». Les policiers craignent de nouvelles démonstrations de force du FLN, qui impose « une discipline de fer » aux immigrés algériens, et pour « montrer, quel que soit le prix de la démonstration, que le « peuple algérien » est un peuple libre et que le FLN est son meilleur représentant ».
Les RG de la Sûreté nationale alertent, par ailleurs, l’exécutif sur une possible « action d’envergure qui serait une sorte de dernier coup de boutoir » contre la France. Toujours l’alarmisme.
« Tout arrêt partiel ou généralisé des actions rebelles », prédisent les policiers à la fin de leur rapport, ne serait qu’une « manœuvre tactique toute provisoire, que le FLN ne manquerait pas de mettre à profit pour combler, sur les plans idéologique, territorial et paramilitaire, les lacunes de son organisation ».
La « collecte » du FLN en métropole
4. Note du 4 novembre 1961 sur la journée du 1er novembre, anniversaire de la « rébellion »
Chaque date anniversaire du début de l’insurrection algérienne (ce que les policiers nomment « la rébellion »), le 1er novembre 1954, est surveillée de très près.
« Le calme qui a marqué la commémoration du 7e anniversaire de la rébellion ne doit pas être interprété comme marquant une quelconque régression de l’empreinte frontiste sur les travailleurs algériens de métropole », prévient la Sûreté nationale dans une note du 4 novembre 1961.
Une « mobilisation silencieuse » se poursuit, prévient la note, et les collectes du FLN ont rapporté une « cotisation exceptionnelle » parmi les travailleurs.
« Le maintien de la pression frontiste et le fatalisme constant d’une masse musulmane lasse des exactions, mais toujours soumise aux consignes frontistes, n’autorisent donc pas à penser que les travailleurs algériens se déroberont si un nouvel appel à l’action directe, assorti de l’habituel recours à la rigueur et aux sanctions, leur est lancé dans un proche avenir », écrivent les policiers. Ceux-ci semblent toujours osciller entre pessimisme sincère et alarmisme calculé.
L’obsession du « péril rouge »
La lecture de ces notes et de l’ouvrage de Laurent Chabrun fait également découvrir le suivi très précis, par les policiers, des rivalités et règlements de comptes au sein de la communauté algérienne de France, entre le MNA et le FLN. Une guerre dans la guerre qui fit environ 4.000 morts, selon les historiens.
Les documents de la sûreté nationale éclairent aussi l’état d’esprit des services de renseignement avant le 17 octobre 1961. Une ambiance de paranoïa dans laquelle se mêlent intimement la peur des attentats, l’envie latente de venger la cinquantaine de policiers tués depuis 1958, un sentiment de racisme sous-jacent, et souvent une entière adhésion aux thèses ultra de l’Algérie française. Un cocktail dangereux, qui explique peut-être la série d’assassinats d’Algériens non élucidés, que les historiens attribuent pour partie à des policiers de l’époque.
On découvre aussi, dans La Guerre de l’ombre l’étonnement des services de renseignement français face au soutien bienveillant dont semble alors bénéficier le FLN de la part de la CIA. Malgré le soutien du bloc de l’Est aux mouvements indépendantistes, les Etats-Unis ont en effet aidé le syndicat algérien UGTA, créé par le FLN. Le calcul était, semble-t-il, de miser sur l’émergence de la démocratie dans les anciennes colonies en voie d’émancipation afin d’accroître l’étendue et l’influence du « monde libre » face à l’URSS et ses satellites.
L’auteur insiste aussi sur la focalisation, à l’époque, des policiers des RG et de la Sûreté nationale sur le « péril rouge » : obsédés par la menace communiste, ils ont encore une vision bipolaire et manichéenne du monde. En pleine guerre froide, muni de cette unique grille de lecture, ils semblent avoir du mal à saisir les ressorts profonds des mouvements de décolonisation, et à comprendre l’évolution des différentes formes de nationalisme qui s’opère sous leurs yeux.
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17 octobre 1961 : la nuit oubliée
A l’occasion du cinquantième anniversaire du massacre du 17 octobre 1961, marches, livres, expositions, reviennent sur ce drame longtemps occulté. Un webdocumentaire également, « Le 17 octobre 1961, la nuit oubliée », en libre-accès sur le Net, lui est consacré. Un film signé Olivier Lambert et Thomas Salva, dont l’ambition dépasse le cadre du documentaire : l’idée est de créer une plate-forme interactive autour de la mémoire de cet évènement. D’autres manifestations commémoratives sont prévues aujourd’hui. Avec le même dessein : la reconnaissance officielle de ce massacre par la France.
17 octobre 1961. Des milliers d’Algériens musulmans ont répondu à l’appel du Front de libération nationale (FLN) algérien à manifester à Paris contre le couvre-feu discriminatoire qui leur est imposé. La répression sera sanglante. Sur ordre du préfet de police Maurice Papon, les forces de l’ordre vont passer à tabac les manifestants. D’autres seront jetés dans la Seine. Des centaines d’Algériens trouveront la mort cette nuit-là. Dans l’indifférence la plus totale. Dès le lendemain, un « mensonge d’état »se met en place. Les autorités françaises évoquent un règlement de compte entre Algériens.
" Les morts sans sépulture de la Seine nous interpellent"
50 ans plus tard, grâce aux travaux d’historiens français et algériens, la vérité a été rétablie. Mais la France n’a toujours pas reconnu, officiellement, sa responsabilité dans ce massacre. Un des épisodes les plus sombres de l’histoire française qui reste un des obstacles à la normalisation des relations entre la France et l’Algérie. « Les morts sans sépulture de la Seine nous interpellent. Leur combat pour une Algérie libre n’a pas eu la reconnaissance du pays dont les dirigeants ont minimisé longtemps leur rôle dans l’accélération du mouvement pour l’indépendance. Ces morts ont été instrumentalisés et ignorés par les pouvoirs français et algérien en fonction de stratégies différentes mais qui se rejoignent dans la coupable amnésie, cette nuit noire du 17 octobre 1961. Paix à leurs âmes », peut-on lire dans le quotidien algérien L’Expression. Le temps de la reconnaissance est venu signe l’éditorialiste d’El Watan : « Cinquante ans après la manifestation pacifique du 17 octobre 1961 des Algériens de Paris et sa répression par la police française, le temps est peut-être venu de lever les tabous, les non-dits, les simplifications et instrumentalisations de l’histoire. Les demandes de reconnaissance symbolique s’adressent autant à l’Etat français qu’algérien. La mémoire de ces événements est aussi bien française qu’algérienne. N’est-il pas temps que l’Etat français rende justice aux victimes de la colonisation en faisant acte de reconnaissance officielle de son passé en Algérie ? Bien que l’exigence de reconnaissance ne soit pas de même nature ni de même niveau pour l’ancienne puissance coloniale et pour l’ex-pays colonisé, l’Algérie, qui s’apprête à célébrer le cinquantième anniversaire de son indépendance, ne doit-elle pas prendre possession, sans exclusive, de tous les événements, faits et moments forts qui ont jalonné son combat pour le recouvrement de sa souveraineté nationale ? »
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