Jusqu’au bout d’un engagement politique
Elle était là à la prison de Barberousse au plus fort de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie dans les années 1956.
Avec ses frères et sœurs de prison, elle avait scandé à l’aube du fin fond de sa noire cellule « Tahyia El-Djazair ! » lorsque Fernand Iveton, Mohamed Ouennouri, Mohamed Lakhneche, furent acheminés dans les sombres couloirs de la guillotine. Fernand avait dit ces paroles prémonitoires comme pour convaincre ses sœurs de combat qu’il fallait coûte que coûte aller jusqu’au bout de leur engagement politique, le grand jour de la victoire contre le colonialisme oppresseur allait arriver : « La vie d’un homme compte peu. Mais je sais que l’Algérie sera libre et indépendante ». Aujourd’hui cette sinistre guillotine est exposée au Musée du Maqam Ech Chahid, elle est là comme un ultime rappel des grands sacrifices humains accomplis par des militants de la première heure pour que l’Algérie demeure un Etat fort et souverain.
Ces idées courageuses qui signent le pacte secret des révolutionnaires algériens étaient loin d’être vaines dans l’esprit des combattants. Elles sonnaient - replacées dans ce contexte de guerre - le glas d’un mouvement qui a soulevé dans une foi inébranlable tout un peuple contre son oppresseur de toujours.
L’ouvrage qui se présente comme un entretien-fleuve qui a nécessité pratiquement une année d’entrevues pour des enregistrements entièrement consacrés à la moudjahida algérienne Annie Steiner, est à la fois un hommage et un témoignage poignant qui recueille les paroles d’une grande résistante qui a épousé la cause d’un peuple dont elle était issue au point d’en faire le parcours de toute une vie.
L’auteure Hafida Ameyar qui est notre consœur au journal Liberté a déjà publié un livre en 2001 chez Casbah Editions intitulé Sahara occidental, que veut l’ONU ? Elle nous revient avec cette publication récente qui a vu le jour grâce à l’Association « Les amis de Abdelhamid Benzine » en brossant le portrait d’une militante algérienne d’origine européenne née le 7 février 1928 à Hadjout (ex-Marengo) dans la wilaya de Tipaza.
« Issue d’une famille de pieds-noirs depuis au moins trois générations du côté de son père, la jeune Annie a grandi dans un milieu protégé de fonctionnaires. Fille unique, elle ne manquait de rien et ne connaissait donc ni la misère ni les difficultés matérielles qui frappaient, à l’époque, la majorité des Algériens.
Elle aurait pu être une enfant gâtée, mais ses parents qui travaillaient dans deux secteurs importants - la santé et l’éducation -, ont veillé de très près à lui donner une éducation un peu sévère et à lui transmettre certaines valeurs. »
Le 1er novembre 1954, Annie Fiorio-Steiner est une jeune femme de 25 ans. Bien qu’elle ne soit inscrite dans aucun parti politique ni association, elle est à un âge assez mûr pour s’engager de manière réfléchie et décisive. Elle sera toute sa vie du côté de ceux qui ont applaudi pour « L’Algérie algérienne » et veut s’engager tout de suite au FLN.
Celle dont le père avait une très bonne connaissance de la langue arabe était l’amie d’un autre militant, Jean Sénac. Elle acceptera - ce qui est tout à son honneur - tous les sacrifices pour cette lutte. Elle sera un agent de liaison du FLN et subira l’enfermement dans six prisons, un univers carcéral où elle se fond avec les autres moudjahidate mais aussi où elle côtoie des détenues de droit commun, de sévères gardiennes, des Français de France, des Corses et des religieuses : « Les militantes apprendront à composer avec tout ce beau monde, à transcender leurs différences politiques, culturelles et ethniques, surtout à donner sens à leur identité de destin et donc à leur combat commun. »
Dans cette interview qui est un témoignage d’une femme sous l’emprise d’un tourment encore vivace, la journaliste a su transcrire les différents états d’âme entre émotion et colères dans lesquels se trouvait la militante. On y lit surtout le message sous-jacent de ceux qui ont participé à la guerre de libération nationale à l’adresse des jeunes générations.
Ceux qui, à l’image d’Annie Steiner, se sont engagés jusqu’au bout de leurs idées au prix de déchirures dans les relations familiales puisque notre moudjahida a connu le divorce avec son mari suisse, avec les membres de la famille et même la douloureuse séparation avec ses deux filles : Edith et Ida.
Cette femme d’exception qui garde intact son engagement pour un peuple dont elle revendique l’appartenance, est une Algérienne comme une autre qui a traversé toutes les époques. On peut la croiser au détour d’une rue d’Alger dans l’un des immeuble du centre-ville, le sourire radieux, elle qui a conservé dans toute son humilité de moudjahida une foi en un combat libérateur et émancipateur et qui reste fidèle à ses convictions aujourd’hui encore.
Lynda Graba
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