Plusieurs scandales secouent l’économie algérienne. La Sonatrach et la Sonelgaz totalisent à elles seules pas moins de 15 milliards de dollars détournés. Un véritable séisme politique qui met le président Bouteflika à rude épreuve.
L’Algérie
est secouée, ces derniers temps, par un immense scandale de corruption
dont l’épicentre éclabousse, de plein fouet, le pouvoir central. On
devine aisément que le trésor des “Ali Baba” d’Alger ne peut être que la
manne providentielle des hydrocarbures. Le poumon économique du pays,
98% des recettes en devises. Deux sociétés nationales sont mises à
l’index, la Sonatrach, pour la prospection et la production; et
Sonelgaz, pour la distribution; à quoi il faut ajouter le projet de
méga-infrastructure de l’autoroute Est-Ouest.
Entre ces trois éléments d’un même ensemble qui fonctionne sur le mode
des vases communicants, la mère nourricière n’est autre que la
Sonatrach, ordonnatrice, pourvoyeuse de fonds et de bien d’autres
choses. Chacun sait que la Sonatrach, un mastodonte qui emploie 125.000
personnes pour un bénéfice net de 9,2 milliards de dollars, en 2008, est
la chasse gardée du clan présidentiel et la mamelle de l’Algérie.
Normal qu’elle soit aux premières loges des révélations spectaculaires
de la dernière décade de janvier 2010.
Au début de l’éclatement de l’affaire, le ministre de l’Énergie et des
Mines, Chakib Khalil, a tenté de colmater les brèches et de limiter les
dégâts. Même attitude préventive de son collègue de l’Équipement, Amar
Ghoul, superviseur de la fameuse autoroute. Les deux compères du
gouvernement Ahmed Ouyahia ont même désigné des avocats pour défendre
“l’intégrité morale et la droiture sans reproche” des dirigeants de la
Sonatrach.
Peine perdue. L’opération de cantonnement, qui devait se terminer
par un étouffement dans l’œuf, n’a pas pris. Des fuites organisées ont
été savamment distillées, des documents ont circulé; la presse
algérienne en a fait son sujet de prédilection. Étalé sur la place
publique, le scandale a pris des proportions nationales. Plus moyen pour
les gouvernementaux de jouer les sapeurs pompiers. Volte-face. Les
avocats pressentis se retirent en bloc, le 28 janvier 2010.
Vraisemblablement une directive venue d’en haut.
Un roman de série noire
Mieux, la Sonatrach, première entreprise publique du pays, se constitue partie civile contre ses propres cadres, dont le Pdg, Mohamed Meziane. Celui-ci, ainsi que ses collaborateurs impliqués, devront désormais assurer leur propre défense, voire assumer les faits établis qui leur seraient reprochés. On baigne dans l’ambiance d’un roman de série noire où la réalité de la concussion politico-financière dépasse la fiction. Les chiffres en jeu sont mirobolants; à donner le tournis aux plus professionnels de la corruption de haut vol. À partir d’un seuil minimum de 10% de commissions et de petits à-côtés, “universellement admis”, le montant de détournement de fonds publics serait, selon la presse algérienne, de 18 milliards de dollars, pour la période 2004-2009, au titre du programme de relance du Président de la république, dont le coût s’élève à 180 milliards de dollars. Comme s’il y avait une bourse des valeurs de la malversation, celle-ci est rigoureusement indexée sur le marché des changes. Avec des projections que l’on peut difficilement qualifier de fantaisistes.
Des prédateurs apparatchiks
Ainsi, le pactole de la corruption quasi-officielle, entre
responsables algériens et partenaires étrangers, avoisinerait “à peine”
les 15 milliards de dollars, au terme de la finalisation du même plan de
relance, 2010-2014, estimé à 150 milliards de dollars. Un manque à
gagner substantiel, à fendre le cœur des moralisateurs fragiles, vu la
baisse tendancielle du prix du baril de pétrole et du m3 de gaz. L’un
dans l’autre, la dette extérieure du Maroc rien qu’en pots de vin.
Toujours est-il que, même dans ces milieux-là, les temps sont durs. À
croire que la crise mondiale a touché également les magots planqués de
ci de là, en Europe et Outre-Atlantique.
Comment comprendre qu’un pays d’une trentaine de millions d’habitants,
dont une bonne partie crève la dalle, manifeste son mal-vivre et ne
songe qu’à passer de l’autre côté de la Méditerranée, puisse laisser
filer sa principale, voire son unique, richesse nationale, au profit
d’une poignée de prédateurs apparatchiks?
Ce processus a une histoire, des rapports de cause à effet et des
protagonistes connus. Tout a commencé avec le coup d’État du 19 juin
1965, conduit par Houari Boumedienne. Ce n’était pas uniquement une
prise de pouvoir, mais une mise sous camisole administrative de
l’appareil économique et des ressources du pays.
En osmose avec Bouteflika
Ce fut l’invite au festin des fauves. Les proches, parmi les caciques à
l’affut, mais aussi les tout derniers venus, ne s’en sont pas privés.
Des personnages comme Abdeslam Belaïd ou Sid Ahmed Ghozali (futur
Premier ministre) ont tenu, depuis la direction de la Sonatrach, la
tirelire de l’État et le porte-monnaie de la ménagère algérienne. Ils
avaient une suite à l’année dans les grands palaces des capitales du
monde et tenaient tables ouvertes. Ils travaillaient en osmose avec un
certain Abdelaziz Bouteflika, ministre flamboyant des Affaires
étrangères.
Dès son arrivée au pouvoir, en 1979, par un consensus mou, Chadli
Benjedid a, certes, essayé de mettre de l’ordre dans cette rapine
organisée. Il a même menacé de traduire en justice quelques uns de ces
illustres serviteurs de l’État qui ont mis l’État à leur service. Il fut
rattrapé par le retour au galop d’un naturel inscrit dans les gènes de
la lutte pas seulement pour le fauteuil du palais présidentiel d’Al
Mouradia, mais pour tous les pouvoirs, particulièrement le tiroir-caisse
des hydrocarbures. Abdelhamid Ibrahimi, Premier ministre dans les
années 1980, a d’ailleurs évalué la corruption institutionnelle, sous
Benjdid, à 27 milliards de dollars, soit 10% (toujours le même taux,
sans plus) du volume total des importations; à savoir 270 milliards de
dollars.
En somme, de Boumedienne à Bouteflika, l’État algérien n’est pas
réductible à un pouvoir central, il est, en même temps, le maître
d’œuvre, celui qui passe commande, le payeur, l’ordonnateur, le
contrôleur à tous les niveaux et, parfois sinon souvent, le bénéficiaire
des projets et programmes objets de marchés publics. Le mot est lâché,
“marchés publics”. C’est la poule aux œufs d’or d’une économie sous
tutelle administrative très rapprochée. C’est aussi le noeud gordien de
cette corruption sous couleurs bananières, hors tropiques, et sous le
regard complaisamment intéressé des plus hauts commis de l’État.
Saignée à blanc
Le mot qui revient le plus dans une presse algérienne déchaînée est “le gré à gré” dans la passation de contrats d’intérêt général, au détriment de l’appel d’offres classique et concurrentiel.Le cas de la société Brown Roots and Condor (BRC) est montré en exemple. Une entreprise mixte avec une participation algérienne à hauteur de 51% par le biais de la Sonatrach (49%) et le Centre de recherche nucléaire de Draria (11%); le reste appartenant au groupe américain Halliburton. Le rôle de BRC s’est limité à jouer les intermédiaires, avec des marges bénéficiaires atteignant les 65% et des prix multipliés par 20. Ce qui lui a permis d’engranger la bagatelle de 2,1 milliards d’euros sur quarante et un marché de gré à gré. Autre exemple, le recours abusif aux bureaux d’études étrangers, pour la réalisation de tel ou tel ouvrage d’infrastructure. Une importation de services qui a, récemment, atteint le chiffre faramineux de 11 milliards de dollars.
Bref, des paquets de billets verts comme s’il en pleuvait. Après
quarante-huit ans d’indépendance, l’Algérie s’est dotée de toutes les
structures requises pour protéger ses ressources et défendre ses
intérêts dans son commerce avec l’étranger. Alors pourquoi toutes ces
largesses qui saignent à blanc tout un pays et sa population? Il n’y a
qu’une réponse possible, les préposés à la veille sur l’intérêt public y
ont personnellement intérêt. Il s’est ainsi constitué une nomenklatura
qui a mis en coupe réglée l’économie algérienne et fait main basse sur
ses richesses naturelles. Au-delà des discours lyriques sur le
révolutionnarisme tiers-mondiste, l’Algérie n’a donc pas de leçons à
donner aux autres.
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