“Je recommande au voyageur sensible, s’il va à Alger, d’aller boire de l’anisette sous les voûtes du port,de manger le matin, à la Pêcherie, du poisson fraichement récolté et grillé sur des fourneaux à charbon; d’aller écouter de la musique arabe dans un petit café de la rue de la Lyre dont j’ai oublié le nom; de s’asseoir par terre à six heures du soir au pied de la statue du duc d’Orleans(ce n’est pas pour le duc, c’est qu’il y passe du monde et qu’on y est bien) ; d’aller déjeuner au restaurant Padovani qui est une sorte de dancing sur pilotis, au bord de la mer, où la vie est toujours facile; de visiter les cimetières arabes, d’abord pour y rencontrer la paix et la beauté, ensuite pour apprécier à leur valeur les ignobles cités où nous remisons nos morts; d’aller fumer une cigarette rue des Bouchers dans la Kasbah, au milieu des rates,foies, mésentères, et poumons sanglants qui dégoulinent de toutes parts(la cigarette est nécessaire, ce moyen âge ayant l’odeur forte).
Albert Camus, l’Eté
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