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Il est 13h50. Une Facel-Véga FV3B traverse Pont-sur-Yonne en direction de Paris. Au volant, Michel Gallimard. Assis à ses côtés, Albert Camus. Serrées à l'arrière du coupé, la femme et la belle-fille de Gallimard, Jeanine et Anne. Ils viennent de quitter Sens où ils s'étaient arrêtés pour déjeuner à l'Hôtel de Paris et de la Poste. Ils étaient partis la veille de Lourmarin en Provence où ils avaient passé le réveillon du 31. Camus n'aimait pas voyager en voiture mais il avait accepté de remonter par la route dans la puissante Facel de Gallimard, laissant sa femme et ses enfants faire le trajet en train...
Au kilomètre 88, peu avant Villeneuve-la-Guyard, Gallimard perd brutalement le contrôle de la voiture, probablement suite à une crevaison lente du pneu arrière gauche. Gallimard semble avoir senti la voiture flotter et aurait tenté de ralentir sans freiner, mais il se déporta sur la droite, mordant sur l'accotement. Le véhicule partit en travers et heurta un premier platane puis s'enroula autour d'un deuxième arbre, ce qui arracha littéralement tout l'avant de la voiture et projeta le moteur à plus de 30 mètres...un choc effroyable, une vitesse forcément excessive...
Tous les occupants furent éjectés du véhicule sauf le malheureux Camus tué sur le coup. Michel Gallimard, gravement touché, décèdera à l'hôpital une semaine plus tard. Jeanine et Anne, plus légèrement blessées, survécurent à l'effroyable accident. Quand au chien des Gallimard qui était également dans la voiture, il ne fut jamais retrouvé...
Une chapelle ardente fut mise en place à la Maire de Villeblevin distante d'environ deux kilomètres du lieu du drame, où le corps de l'écrivain fut déposé afin d'y être veillé toute la nuit. On retrouvera dans sa sacoche les 144 feuillets du "Premier homme", un roman que l'auteur a consacré à la mère et qui ne paraîtra qu'en 1994.
Un banal accident de la circulation de plus ? Pas tout à fait. L'émotion suscitée par le drame est immense. La disparition de Camus, âgé de seulement 47 ans, suscite une grande tristesse jusqu'en Algérie, sa terre natale. L'auteur de 'L'homme révolté", "La Peste" ou encore "L'étranger" avait reçu le Prix Nobel de Littérature trois ans plus tôt en 1957, et avait marqué les esprits par ses prises de positions profondément humanistes, sa réflexion philosophique et politique sur la condition humaine, sa modestie et son style impeccable, alors même qu'il avait connu la misère et avait failli arrêter ses études au CM2.
Cela fait 50 ans, jour pour jour, en ce lundi 4 janvier 2010, que Camus nous a quittés. Et c'est parce qu'il incarnait à la fois le bouillonnement culturel de ces années 50 que nous aimons tant, les valeurs d'humanisme que nous partageons, mais aussi le destin parfois tragique lié à ces grande Routes de France, que nous avons commémoré aujourd'hui sa disparition.
Nous nous sommes donc rendus sur les lieux de l'accident à l'initiative de Thierry Dubois que nous avons suivi le long de cette Nationale 6 (anciennement Nationale 5 jusqu'à Joigny) qu'il connaît si bien.
Le Rendez-vous avait été fixé Carrefour de l'Obélisque à 9h30. Nous étions une dizaine à avoir bravé le froid polaire en ce matin de janvier (-8°C). Après un rapide café, nous nous sommes engouffrés dans nos quatre véhicules, une Facel-Véga FV3B similaire à celle de Gallimard, une impressionnante Facel-Véga Excellence 4 portes, une Rolls Royce Silver Shadow ainsi que ma fidèle DS 1958...
Heureusement, un soleil radieux a rapidement fait son apparition et nous accompagna toute la journée, donnant au paysage cette luminosité d'hiver si particulière...
Après avoir traversé Le Petit Fossart puis Le Grand Fossard et Villeneuve-la-Guyard, nous nous arrêtons sur le lieu de l'accident. Un moment d'émotion, alors que le soleil inonde de lumière les champs alentours. La route est là, toute proche, désormais déserte mais malgré tout si dangereuse, surtout si l'on se projette au début des années 60 alors que la vitesse était libre, les véhicules de plus en plus rapides et puissants à l'image de cette Facel-Véga FV3B, et la sécurité active et passive inexistante.
Nous nous dirigeons alors vers Sens après un arrêt à Pont-sur-Yonne. Nous ne déjeunerons pas à l'Hôtel de Paris et de la Poste qui était fermé mais à quelques dizaines de mètres, à l'Assiette, où Olivier Sorin, Président de l'Amicale Facel-Véga, avait préparé un court texte en hommage à l'écrivain. Nous repartons ensuite dans le sens inverse pour nous arrêter à Villeblevin, où un monument a été érigé à la mémoire de Camus. Le temps de se recueillir et d'immortaliser l'instant avec quelques photos et nous reprenons la route direction Fontainebleau puis Paris.
Ce fut une magnifique journée. L'occasion d'un hommage sincère, d'une virée digne de l'école buissonnière en ce jour de rentrée des classes, l'occasion aussi de retrouver cette route que nous aimons et redoutons à la fois, ces grands espaces hostiles et amicaux qui nous transportent et nous rassemblent, ces paysages immuables mais à chaque fois différents, cette route que nous prenons sans la posséder et qui est à la fois itinéraire et destination...
Arrêt à Pont-sur-Yonne
Facel FV3B
Facel-Véga FV3B dans un paysage hivernal
Sur la route
Km 88 direction Paris, lieu de l'accident
Arrêt Km 88Arrêt Km 88
Au cimetière de Lourmarin de la tombe où est enterré Albert Camus.
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Vidéo de l'accident :
http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/I09335535/mort-d-albert-camus.fr.html
http://citropersoboulot.typepad.com/mon_weblog/2010/01/4-janvier-1960-route-nationale-5.html
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