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Quand on se sent perdu au carrefour des certitudes, quand on ne sait plus où donner de la tête, où donner de la voix pour comprendre ces forces agissantes qui nous laissent dans les petits matins de janvier mornes et froids, quand même le timide soleil d’hiver ne réchauffe plus les épidermes endurcis par trop de marasme social et d’incongruité politique, alors surgissent, comme une évidence, les voix puissantes d’autrefois.
Bien sûr la République sonne clairons et trompettes, et toutes les autorités tutélaires y vont de leurs panégyriques. Mais tout cela est mensonger. Qu’est-ce qui fait l’essence d’un être, à travers ses premiers balbutiements, à travers ses maladresses enfantines, ses doutes adolescents et ses chagrins d’adulte ? Que peut-on retenir de ce feu de joie, toujours vif, toujours brûlant, qui symbolise le mieux l’œuvre puissante de ce noble et beau romancier qu’était Albert Camus ?
La justesse des mots avec lesquels cet enfant des rivages indigènes de la Méditerranée posa le premier, dès les années trente, le principe inaliénable de la liberté comme prolongement naturel de la conscience dans ce qu’elle a de plus miséricordieux, résonnera en lui tout au long de son existence à travers plusieurs engagements.
En premier lieu le haut engagement dans la Résistance active, à l’intérieur même du territoire infesté, mêle plusieurs attitudes : les activités clandestines, l’exigence de vérité, le refus de s’abandonner au désespoir et à l’expiation. Tout ceci est magnifiquement mis en lumière dans Le Mythe de Sisyphe et, un peu plus tard, dans L’Homme révolté. Exigeant dans le choix de ses amis Albert Camus aura rêvé toute sa vie de cette franche camaraderie vécue dans la France libre, celle des partisans, avec ce véritable projet chevillé au corps, celui de réinventer la vie et la perception qu’on peut avoir des choses qui nous entourent, aussi futiles soient-elles. En cela Albert Camus a vécu la même expérience tragique que Romain Gary, tous deux exilés dans cette France longtemps fantasmée, il leur faudra plus que du courage et de la témérité pour préserver cette idée innocente : tenir, jusqu’au bout, même dans les flammes de la dévastation…
Mais c’est aussi sa totale complicité dans l’aventure de Combat avec Pascal Pia, son double tutélaire, sa part d’ombres, le frère sans attaches, nihiliste désespéré, qui lui fait prendre conscience que l’exigence de pensée est possible, loin des travestissements de la mode intellectuelle et de la flagornerie. La rencontre avec Jean-Paul Sartre, quand ce dernier n’était pas encore une imposture, fut aussi le liant puissant que permettait la reconnaissance mutuelle, agréable à vivre quand on a à peine trente ans et le monde à dévorer.
Ensuite l’aventure est connue. Inutile de s’attarder sur ce qui s’affiche à longueur d’éditoriaux dans les colonnes des journaux. Ce qui importe maintenant c’est la reconnaissance de la trace invisible mais réelle que nous laisse Albert Camus aujourd’hui, comme une boussole discrète pour mieux trouver notre chemin dans les méandres de ce siècle neuf et métallique, déréglé et déjouant toutes les prévisions.
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Marcellien
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