.
Albert Camus est l'un des auteurs dont on parle le plus en ce moment.Un film intitulé sobrement "Camus" lui a été dédié le 6 janvier 2010 sur France 2.
Albert Camus, un écrivain «riche de ses seuls doutes » .
Le réalisateur Laurent Jaoui a choisi pour son opus intitulé Camus de porter sur l'écrivain le regard des femmes de sa vie. Procédé judicieux pour éviter de tomber dans la chronologie routinière des biopics. Et le mythe de l'homme à femmes se vérifie à travers une vie qui aura été marquée par quatre femmes essentielles: Francine, épousée en 1940, Maria Casarès, «l'Unique», la comédienne Catherine Sellers, qui interprète en 1956 Requiem pour une nonne, de Faulkner, et Mi, la jeune Danoise restée anonyme, qu'il a rencontrée en 1957 et qui fut son dernier amour.
Le tout bercé par les figures de sa
grand-mère et de sa mère analphabète. Ce sont là plusieurs regards
croisés sur le parcours d'une homme vu à travers le prisme de l'intime.
On est vite mis dans l'ambiance du Don Juan, qui rejoint ici le Sisyphe
heureux tant clamé par l'auteur ou encore d'autres figures comme
Prométhée ou Dionysos. On découvre alors un Camus complexe et ambigu. A
la fois égoïste et grand humaniste, lâche et intègre. On passe du Camus
intime à travers ses amours adultérines, sa femme neurasthénique, ses
amis, Michel et Jeanine Gallimard, au Camus public, révolté, qui reçoit
le Nobel de littérature, s'exprime sur l'Algérie française et dénonce
les camps de travail en URSS.
Le film retrace surtout les dix dernières années, les plus romanesques, de la vie de l'écrivain, une décennie de doutes et de gloire internationale.Une période en noir et blanc, bipolaire, exempte de nuances, où le philosophe est pris dans la tourmente. Avec cette fantaisie des scénaristes, prémonitoire du tragique accident, lorsque le médecin reproche à l'écrivain, tuberculeux et fumeur invétéré: «Tu es comme un homme qui conduirait sa voiture le pied au plancher.» Et Camus meurt accidenté le 4 janvier 1960 sur la route reliant Avignon à Paris. Et, dans la foulée des hommages, Albert Camus, le journalisme engagé, diffusé le 7 janvier sur France 5, vient jeter plus d'éclairage sur l'engagement d'un homme de son temps, concerné par le sort de l'humanité, qui ne croit pas changer le monde, mais qui pense que l'on peut aider l'homme à ne pas se désagréger complètement. Mais un film sur Camus n'est qu'un énième prétexte pour revenir sur le combat d'un homme pressé. Un auteur doublé d'un philosophe qui estimait que la charge de l'écrivain est motivée par un double devoir, «le refus de mentir sur ce que l'on sait» et «la résistance à l'oppression».
Au nom de la lutte des classes, de la Guerre froide, de la politique placée au-dessus de la morale, Camus aura marqué le XXème siècle. Et Camus célèbre les vaincus, les morts de la liberté, les sacrifiés de la justice. D'où Les Justes ou encore Caligula, pièces maîtresses qui font écho à La Peste, La Chute ou Le Mythe de Sisyphe et L'Homme révolté. Toutes des œuvres où il tenait la liberté pour «le plus haut et le plus sûr des biens». «Je n'ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d'être, à la ville libre où j'ai grandi». On s'en souvient, c'était une phrase dans le célèbre discours de Stockholm, qu'il prononça après l'obtention de son prix Nobel en 1957. Il y confiait être «riche de (ses) seuls doutes et d'une oeuvre encore en chantier».
Humain, trop humain
Marqués du sceau de l'absurde, autant l'homme que l'œuvre sont teintés d'incompréhension. Camus déroute par son sens aigu de la justice. Une exigence de la vérité relevant du vécu, de soi, qui n'est pas tributaire des contingences.
La plus caractéristique des incompréhensions demeure celle où il déclare à propos de la justesse ou non du combat pour l'indépendance du FLN (le Front de libération nationale) algérien malgré ses actes terroristes: «Si j'avais à choisir entre cette justice et ma mère, je choisirais encore ma mère». Quoi que souvent utilisée hors contexte, cette phrase poursuit encore l'auteur. La véracité historique voudrait que l'on cadre les faits à ce sujet.
Pensée actuelle
Camus vénérait sa mère, qui habitait encore Alger au moment de ce discours. Et Camus n'a jamais milité pour l'indépendance, mais il a toujours dénoncé le système colonialiste, fait d'injustice envers les Algériens.
Dans ses Réflexions sur le terrorisme, il prône la nuance: l'énergie est différente de la violence; la force de la cruauté; et le justicier du terroriste. De la violence, «il faut lui garder son caractère exceptionnel et la resserrer dans les limites qu'on peut», écrit-il. Déjà en 1942, dans Le Mythe de Sisyphe, où il expose sa théorie de l'absurde de la condition humaine, il pose la question des limites. Pour lui, tous les moyens ne sont pas acceptables pour atteindre son but: trouver une cohérence dans la marche du monde.
Pensée on ne peut plus actuelle au regard de ce que traverse le monde en ce début du XXIème siècle: guerres, famines, injustice, terrorisme, clashs des civilisations… comme pour signifier que le combat pour l'humain est semblable au rocher de Sisyphe qui dévale la pente et que le damné se doit de remonter un grand sourire aux lèvres.
A. Najib
Les commentaires récents