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L’heure du choix
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l’ancien
Président, du haut de ses 80 ans et une santé de fer, est resté
imperturbable. Il a accepté de donner une contribution à
El Khabar et à Liberté, nous a offert le café et son hospitalité.
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Serein, il affiche un sentiment du devoir bien accompli devant les hommes et l’Histoire.
Justement,
cette histoire qui s’avère se révéler une véritable boîte de Pandore.
Aussitôt ouverte, elle éclabousse, remet de l’ordre dans “l’ordre” des
choses et où les évènements, comme dans un puzzle, trouvent leur place.
L’ancien
Président n’a souhaité aborder que les évènements dont il a été témoin
direct ou acteur. Le reste, il avoue qu’il n’a pas assez d’éléments
pour apporter une analyse ou un jugement. Aussi est-il revenu
longuement sur la zone de l’Est qui lui tient à cœur, le procès
Chaâbani, le suicide de Saïd Abid, le rôle prépondérant des “3 B” ou
encore Ben Bella dont il a décidé la libération contre l’avis de
certains membres du Conseil de la révolution consultés.
À l’aise, il
clarifie certains points, outré qu’on lui fasse porter le chapeau sur
beaucoup de choses quand lui, à sa démission, avait fait vœu de silence.
Par
exemple : sa démission mûrement réfléchie parce qu’il n’était pas
d’accord sur le déroulement futur des évènements, le 5 Octobre fomenté
par une faction du FLN qui “avait le ventre bien pétri” et qui avait
peur de l’ouverture démocratique.
Autant d’autres points ne
dépassant pas l’année de son retrait des affaires publiques qui feront
l’objet d’un livre de mémoires dont la parution est proche.
Ce sera
l’heure du choix et celle de confier aux historiens l’écriture de la
Révolution avec ses faits d’armes et la remise de la pendule à l’heure.
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Par
:Outoudert Abrous
O. A.
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Il
n’est pas dans mes habitudes de répondre à ce qui s’écrit sur moi et
sur la période de ma gestion des affaires de l’État dans la presse
nationale. J’ai sciemment opté pour le silence, non pas pour éviter de
dire la vérité, mais en raison du sens de l’honneur d’être un moudjahid
et ma perception de responsabilité, en tant qu’homme d’État,
m’empêche d’entrer dans des débats autour de questions sensibles qui
prennent, fort malheureusement, chez nous, dans la majorité des cas, le
caractère d’un débat stérile, du verbiage de bas étage, d’un règlement
de comptes et de l’insulte. Ce qui a été publié dans certains
quotidiens nationaux comme articles et comptes rendus sur mon
intervention à El-Tarf devant mes compagnons d’armes de la base Est et
des étudiants du centre universitaire en est la meilleure preuve.
Certes,
je ne blâme pas les correspondants locaux pour les erreurs qu’ils ont
commises dans la transcription des passages de mon intervention, et de
les avoir sortis de leur contexte. C’est peut-être dû au fait qu’ils
n’étaient pas assez informés sur les faits historiques de la révolution
pour la libération. Mais je fus énormément surpris par la violence des
attaques contenues dans certains articles sur ma personne et sur la
période de gestion des affaires de l’État, donnant l’impression que des
ficelles seraient tirées par des parties occultes qui n’ont pas intérêt
à ce que Chadli Bendjedid parle. Et pour mettre un terme au débat à
travers lequel certains voudraient faire croire que Chadli Bendjedid
voudrait brouiller les cartes, ou qu’il voudrait influer sur les
convulsions politiques actuelles, ou qu’il se proposerait comme une
alternative à ce que certains appellent “la crise”, j’estime qu’il est
de mon devoir de préciser les principaux points contenus dans ma longue
intervention à El-Tarf, corriger certaines erreurs et remettre les
questions soulevées dans leur véritable contexte.
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La base de l’est
Il
n’y avait pas d’accord entre les commandants de la zone de Souk-Ahras,
malgré les efforts louables entrepris par Amara Boukelaz pour
concrétiser l’idée de création de la wilaya de Souk-Ahras sur le plan
politique et organique. Les causes de l’échec étaient multiples, dont
les divergences de vues sur les questions de la discipline, les
critères d’accès aux postes de responsabilité et la guerre de
leadership qui était nourrie par des considérations claniques et
régionalistes. Cela a coïncidé avec les préparatifs qui étaient en
cours, durant le premier semestre de 1956, pour la tenue du premier
congrès de la Révolution pour évaluer son parcours et corriger les
erreurs et, surtout, la doter d’un programme politique et d’une
structure organique qui lui éviterait les dangers de la déviation.
L’idée
de tenir une rencontre entre les dirigeants de la Révolution était
soumise à cette époque. C’est Ben Boulaïd qui en fut l’initiateur, mais
sa mort en a voulu autrement. Après les attaques d’août 1955, il a été
convenu de tenir la rencontre dans la zone II. Ali Kafi me l’a confirmé
récemment. El-Mechrouha, dans les monts de Béni Salah, siège du
commandement de Amara Boukelaz, fut choisie pour abriter le congrès, en
raison du fait qu’elle est une zone sûre, au relief accidenté et au
maquis dense, ce qui empêche l’armée française d’y accéder, mais aussi
en raison de sa proximité avec la frontière tunisienne, ce qui permet
aux responsables se trouvant à l’étranger d’y prendre part sans prendre
de risques. Cependant, l’interruption de la communication en a voulu
autrement. Les responsables de la révolution ont préféré tenir le
congrès dans le village d’Ifri dans la vallée de la Soummam.
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Notre délégation au congrès
Amara
Boukelaz n’a pu se déplacer pour rencontrer les responsables de la
révolution, en raison de la situation dangereuse vécue par la région.
Il a alors délégué en juin 1956 Hafnaoui Ramdania et Amar Benzouda pour
expliquer le point de vue des moudjahidine d’El-Kala et de Souk-Ahras
et a envoyé avec eux un rapport détaillé sur la situation politique,
militaire et économique dans la région. Il a demandé au congrès de
s’abstenir de prendre la moindre décision au sujet de Souk-Ahras et
l’envoi d’une délégation pour l’étude de la situation sur place qui a
empiré après le blocus imposé par l’armée française depuis le début de
1955 et la multiplication des opérations de ratissage, ainsi que
l’anarchie créée par les moudjahidine des Nememchas, après leur retrait
vers les monts de Tébessa.
Boukelaz a envoyé une seconde délégation
pour prendre attache avec la direction de l’étranger et l’a chargée de
la même mission. Et, lors du passage de Ramdania et Benzouda par le
nord constantinois, ils ont rencontré Tahar Bouderbala et un autre
responsable, qui pourrait être Ali Kafi. Lorsqu’ils ont su l’objet de
leur mission, ils les ont informés que le congrès s’était tenu et leur
ont demandé de leur délivrer les documents qui étaient en leur
possession pour les transmettre à la direction de la révolution.
Ramdania
et Benzouda sont retournés à Souk-Ahras à la fin du mois de juin. Mais
nous fûmes surpris de la tenue du congrès au mois d’août dans la vallée
de la Soummam sans la participation de la wilaya I après la mort de son
chef, Mustapha Ben Boulaïd, et l’absence de la délégation de
l’étranger, ainsi que l’exclusion de la région de Souk-Ahras. Nous
fûmes également surpris d’apprendre que d’importantes décisions
concernant le devenir de la révolution et de la région de Souk-Ahras
ont été prises par le congrès.
Les congressistes n’ont pu prendre connaissance de notre rapport qui a probablement été caché ou déchiré.
Le
congrès a maintenu Souk-Ahras sous la coupe de la zone II, devenue
wilaya II. Le congrès avait, également, pris des résolutions qui
n’avaient pas fait l’objet d’un consensus, notamment la primauté de
l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire.
Après
notre refus des résolutions du congrès de la Soummam, nous fûmes
accusés d’être des “perturbateurs”. Cette étiquette nous restera collée
longtemps durant. Le comité de coordination et d’exécution (CCE) a
refusé de nous fournir la moindre assistance matérielle après la
demande introduite par Amar Boukelaz. Un véritable blocus économique
nous a été imposé. Les habitants de la région frontalière ont dû fuir
en Tunisie et nous fûmes contraints de compter sur nous-mêmes pour
approvisionner l’armée en nourriture. Nous avons passé six mois à
manger de la souika, qui est un mélange de blé moulu et de caroube
malaxé avec de l’eau fourni aux djounoud comme nourriture. Pour sortir
de cette crise, le commandement a décidé d’exploiter les matières
premières, notamment le lichen. Le commandement a réussi à réunir le
matériel nécessaire pour couper le lichen en faisant appel aux
moudjahidine qui avaient déjà travaillé dans ce secteur. La production
était acheminée, ensuite stockée sur le sol tunisien. Pour être vendue
sur les marchés tunisiens. Amara Boukelaz a réussi à vendre la
cargaison de deux bateaux de lichen à l’Italie, comme il a contacté le
ministre des finances tunisien pour nous exempter d’impôts ; mais le
ministre a refusé. Ces revenus nous ont aidés à améliorer notre
situation économique.
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La rencontre avec Ouamrane
Après
le congrès de la Soummam, Zighoud Youcef a délégué Amar Benaouda pour
superviser les frontières et Brahim Mezhoudi pour mettre fin au
mécontentement régnant à Tébessa. Mais les émissaires n’ont pas usé du
dialogue et de la conviction et ont eu recours à la violence et aux
armes pour imposer les résolutions du congrès de la Soummam. Ils ont
échoué et sont entrés en Tunisie.
Nous avons senti, après le congrès
de la Soummam, l’exclusion et l’isolement, et la déception était grande
au sein des mouadjahidine. Amara Boukelaz a entrepris une vaste
opération de sensibilisation et repris le contact avec les responsables
de l’ALN à Souk-Ahras, Sedrata, Khenchela et les Aurès qui ont tenu une
rencontre en décembre 1956 et tenté, à nouveau, de créer une wilaya
indépendante des wilayas I et II et qui s’appellerait Aïn El-Beïda. Ils
rejetaient les résolutions du congrès de la Soummam en raison de la
non-représentation de toutes les régions, sa contradiction avec la
première trajectoire de la révolution et sa reconnaissance de la
primauté du politique sur le militaire et l’omission de mentionner que
l’Algérie est arabe et musulmane. En outre, ils ont demandé d’exclure
les éléments qui ont continué à travailler en Tunisie, la création
d’une commission composée de toutes les régions pour la communication
et la coordination et l’extradition de Mezhoudi et de Benaouda de la
Tunisie. Ils se sont engagés à transporter les armes aux régions
intérieures et ont renouvelé leur confiance en Ali Mahsas, en tant que
représentant politique et militaire de l’ALN à l’extérieur.
Durant
cette période, nous avons contacté Ahmed Ben Bella qui n’avait pas
accepté les résolutions du congrès de la Soummam. Il a dépêché Ahmed
Mahsas pour prendre attache avec nous, et c’est la première fois que
j’en fis connaissance. Nous lui avons expliqué les efforts que nous
fournissions en matière d’organisation, de recrutement et
d’entraînement avant la création de la base de l’est. Après l’échec de
la mission de Mezhoudi et Benaouda, le comité de coordination et
d’exécution a envoyé, à la fin de 1956, Omar Ouamrane – qui était
désigné, à cette époque, responsable de l’organisation militaire de la
délégation du FLN à l’étranger – en Tunisie pour tenter de remédier à
la situation détériorée en Tunisie et évincer Ali Mahsas et ses
partisans qui refusaient toujours les résolutions du congrès de la
Soummam. Des affrontements ont eu lieu entre les deux clans, obligeant
Bourguiba à intervenir pour mettre fin au conflit. Mahsas a fini par
quitter la Tunisie. À cette époque, Ouamrane a rencontré Amara
Boukelaz et ses lieutenants qui lui ont expliqué la position des
moudjahidine de la région. Boukelaz lui a proposé de tenir une réunion
avec les responsables des sections dans la région. C’est ainsi que nous
avons pris la route, au début de 1957, de Souk Larbâa, dans la région
de Baja et rencontré Ouamrane dans la ferme d’un des petits-fils
d’El-Mokrani.
Amara Boukelaz nous a présenté Ouamrane comme étant
délégué par le comité de coordination et d’exécution pour étudier la
situation de Souk-Ahras sur le terrain. Boukelaz est sorti et n’a pas
assisté à la réunion. Ouamrane nous a exposé les résolutions du congrès
de la Soummam, insistant sur leur caractère national, et évoqué les
grands défis qui attendent la révolution et la nécessité d’unir les
rangs. Il a dit, à la fin, que la création d’une nouvelle wilaya
contredit les résolutions de la Soummam.
Après l’opposition
rencontrée de notre part, il a tenté de nous convaincre de le choisir
comme notre responsable, mais nous avons refusé et nous avons maintenu
notre confiance en nos responsables. La réunion a pris fin la nuit et
nous nous sommes séparés, chacun de son côté. Suite à cela, Ouamrane a
présenté un exposé de sa mission au comité de coordination et
d’exécution, proposant la création d’une organisation spécifique pour
la région.
Boukelaz affirme, dans ses déclarations, qu’“il détient
les documents qui le prouvent, parmi lesquels le document où le comité
de coordination et d’exécution admet que la wilaya de Souk-Ahras
devienne une base d’approvisionnement au statut de wilaya. Il porte la
signature de Ben Khedda, Krim Belkacem et Sâad Dahleb”. Bentobbal n’a
pas signé le document pour une raison simple, qui est son refus de
séparer la région de Souk-Ahras de la wilaya II et ses divergences
profondes avec Amara Boukelaz. Les dirigeants de la wilaya II n’ont pas
avalé l’idée de création de la base de l’est et certains d’entre eux
ont continué jusqu’en 1962 à la considérer comme faisant partie de la
wilaya II. Ainsi est née officiellement la base de l’est. Mais la
décision du comité de coordination et d’exécution est venue consacrer
une réalité qui existait depuis une année auparavant.
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Le complot Lâamouri
Beaucoup
a été dit et écrit au sujet de l’incident de Kef, ou comme l’appellent
faussement certains le “complot des colonels”, et parfois le “complot
Lâamouri”. Beaucoup, y compris ceux qui n’avaient rien à voir, ont
donné leur avis sur ses causes et ses ramifications. Je dois préciser,
de prime abord, que nous, dans la base de l’Est, n’avions jamais
utilisé le mot “complot”. Parce que ce mot, avec ses connotations
péjoratives et ses utilisations politiques, pouvait donner une lecture
erronée au sujet d’un épisode dramatique parmi les épisodes de notre
lutte armée, ou qu’elle dénature l’image de notre Révolution, à travers
sa présentation comme faisant partie des complots ou de renversements.
Tout cela est complètement faux. Parce que j’ai vécu quelques parties
de l’épisode du Kef, que j’ai rencontré quelques membres du
gouvernement provisoire pour négocier avec eux sur le sort de Lâamouri
et ses compagnons avant leur exécution, j’estime qu’il est de mon
devoir d’apporter mon témoignage sur ce sujet.
En réalité, l’affaire
n’était pas une lutte pour le pouvoir ou une lutte d’un clan contre un
autre. L’affaire concernait des divergences profondes sur les méthodes
de commandement de la lutte armée, la façon de gérer politiquement la
Révolution et le choix des dirigeants, c’est-à-dire le sort de la
Révolution de façon générale. Lâamouri, Aouachria et Nouaoura, ainsi
que la majorité des officiers de la Wilaya I et de la base de l’Est
étaient persuadés que la Révolution avait dévié de sa trajectoire
d’origine et qu’il fallait bouger pour y remédier avant que la
situation ne devienne incontrôlable. C’est ainsi qu’a germé l’idée
d’user de la violence contre “les trois B” pour les amener à revenir
sur les décisions prises à l’encontre
de Amar Boukelaz et
Lâamouri, après la dissolution du comité des opérations militaires. Il
nous faut revenir, un peu en arrière, pour mettre l’incident de Kef
dans son contexte véritable, en évoquant le sort de la base de l’Est et
ce qui se tramait, à son sujet dans les coulisses. La base de l’Est,
née dans la douleur et le sang, n’a pas vécu longtemps. Deux ans après
sa naissance douloureuse, elle fut enterrée de façon atroce à la fin de
1958. Le rideau est tombé sur les hauts faits et sacrifices de ses
dirigeants et de ses djounoud.
Le sort réservé à certains de ses
dirigeants a été dramatique, laissant des traces indélébiles dans les
esprits des moudjahidine de la région et sur le cours de la Révolution.
La base de l’Est était le poumon par lequel respirait la Révolution.
C’était son cœur battant. Mais les enjeux qui l’ont entourée depuis sa
création l’ont transformée en une source d’appétits aux politiciens,
aux aventuriers et aux postulants au leadership.
L’année qui a vu le
démantèlement de la base de l’Est était perturbée et dangereuse à
plusieurs niveaux. Ainsi, au niveau de la direction du comité de
coordination et d’exécution, les divergences se sont accentuées entre
ses membres et ont influé, sur le terrain, sur les capacités de combat
de l’armée. Ces divergences sont apparues au grand jour et sont
devenues un secret de Polichinelle, après l’assassinat de Abane Ramdane
à la fin de 1957. Au départ, nous avions cru ce qu’avait écrit le
journal El Moudjahid sur sa mort au champ de bataille, mais nous fûmes
surpris, après une brève période, par la réalité affligeante
d’apprendre que ses compagnons d’armes l’ont entraîné au Maroc pour
l’assassiner. Le choc était terrible dans les rangs des moudjahidine.
Malgré ses divergences avec Abane, Boukelaz a dénoncé, dans une lettre
virulente adressée au comité de coordination et d’exécution, ce lâche
assassinat d’un des symboles de la Révolution et a organisé une journée
de deuil et de protestation à la base de l’Est.
Pendant ce temps-là,
le commandement de l’armée française poursuivait ses plans visant à
isoler l’ALN et l’empêcher de bénéficier d’un soutien de l’extérieur.
Il avait entamé l’application des plans du ministre de la Défense,
André Maurice, et du général Salan. Sur le plan politique, la
stratégie de la Ve République, qui est arrivée au pouvoir grâce à des
extrémistes et une bonne partie des officiers supérieurs, consistait à
faire le double jeu, en alliant les opérations militaires aux
concessions partielles au profit des Algériens.
L’arrivée au pouvoir
de De Gaulle constituera la plus dangereuse période vécue par la
Révolution algérienne. Certains dirigeants politiques ont été trompés
en croyant aux initiatives de De Gaulle, notamment après sa visite en
Algérie en juin 1958, puis son annonce du plan de Constantine. Ce
dernier constituait la carotte. Quant au plan Challes, visant à
anéantir l’ALN à travers l’accentuation des opérations de contrôle et
de ratissage des zones frontalières, il était le bâton. De Gaulle a
couronné sa politique avec sa célèbre proposition de paix des braves
que nous considérions comme une capitulation et l’exclusion de tout
dialogue au sujet du devenir politique de l’Algérie. C’est dans ces
conditions difficiles qu’a commencé la planification pour le
démantèlement de la base de l’Est. La première étape fut franchie
durant la première moitié de 1958 lorsque Krim Belkacem avait pris
précipitamment la décision de créer le comité des opérations militaires
aux frontières est et ouest.
Le but annoncé était de charger ce
comité de diriger l’action armée à l’intérieur, mais ce fut, en
réalité, le début du démantèlement de la base de l’Est et la
liquidation de ses responsables. Les divergences entre “les 3 B” sont
apparues, y compris pour constituer le Comité des opérations militaires
(COM). Boussouf, Krim Belkacem et Bentoubal ont été contraints de
trouver un compromis entre eux pour prendre en compte le principe de
la représentation régionale et celui de la représentation de toutes les
wilayas. Il est devenu clair que le principe de la collégialité du
commandement, sur lequel s’est basée la Révolution depuis son
déclenchement, avait pris les couleurs du terrain et est entré dans le
jeu des équilibres.
Aux frontières ouest fut créé le Comité des
opérations militaires dirigé par Houari Boumediene, imposé par Boussouf
qui lui a désigné comme adjoint le colonel Sadek. Ils supervisaient la
lutte armée dans les Wilayas IV et V. Quant au comité de l’Est, il
était un véritable foyer de divergences et de contradictions
annonciatrices d’une explosion à brève échéance. Rien ne laissait
présager de l’existence des plus simples conditions de coordination et
du travail collégial entre son commandant, Mohamedi Saïd (Wilaya III),
Mohamed Lâamouri (Wilaya I), Amar Benaouda (Wilaya II) et Amara
Boukelaz (base de l’Est ). Le conflit entre Boukelaz et Benaouda avait
atteint son paroxysme. Ce dernier était en négociation avec Bentoubal
pour isoler Boukelaz.
En plus de cela, les troupes venues pour
transporter les armes que le COM était chargé de faire rentrer sur le
sol algérien n’étaient pas habituées à un commandement centralisé et ne
prêtaient allégeance qu’à leurs chefs directs.
Après le départ de
Boukelaz au COM, la direction de la base de l’Est a été revue, et le
commandant Mohamed Aouachria fut nommé à sa tête, alors que le
commandant Chouichi Laissani fut nommé son adjoint. La première région
fut dirigée par le beau-frère de Boukelaz, Resâa Maazouz, aidé par
trois adjoints, au grade de lieutenant, et qui sont Chadli Bendjedid,
Youcef Boubir et Belkacem Amoura, connu sous le nom de Ladhouioui. Des
modifications similaires ont été introduites dans les deuxième et
troisième régions qui sont restées sous le commandement de Abderrahmane
Bensalem et Tahar Zbiri À la fin de septembre de la même année, le CCE,
dans sa réunion au Caire, a pris sa dernière décision avant son
remplacement par le gouvernement provisoire et consistant à annuler le
COM, en accusant ses membres d’incompétence et d’incapacité à exécuter
les décisions de la direction de la Révolution. Accusés
d’incompétence, ces membres ont été injustement sanctionnés. Nous avons
senti, nous les officiers à la base de l’Est, que l’affaire cachait un
complot visant à éliminer nos responsables et à se venger d’eux,
surtout que nous avions remarqué une différence dans les sanctions et
leurs degrés. En effet, les sanctions extrêmes ont été prononcées à
l’encontre des commandants de la Wilaya I et de la base de l’Est, alors
que le CCE s’est contenté de légères sanctions à l’encontre des autres
membres. C’est ainsi que Boukelaz fut dégradé et il fut interdit
d’exercer la moindre activité. Il fut envoyé à Bagdad, et non au
Soudan, comme ce fut rapporté dans certains livres. Lâamouri fut
également dégradé et fut éloigné, lui aussi, vers Djeddah, mais il
n’est pas parti et est resté réfugié en Libye. Tandis que le CCE s’est
contenté d’éloigner Benaouda pour trois mois à Beyrouth. Quant au
premier responsable du COM, Mohamedi Saïd, le premier accusé de la
mauvaise gestion, il fut rattaché au gouvernement au Caire pour être
chargé, un mois après, de diriger la nouvelle organisation :
l’état-major de l’Est.
Ce fut Amara Boukelaz qui poussa Lâamouri à
refuser les décisions du gouvernement provisoire, ou plutôt les
décisions du trio. Mais il tentait de résoudre ces différends par les
voies pacifiques et dans le cadre organique. Mais Lâamouri a préféré
utiliser la force et il a commencé ses démarches pour destituer les
militaires dans le gouvernement provisoire, avec Ahmed Nouaoura, qui
l’avait remplacé à la tête de la Wilaya I, et Mohamed-Tahar Aouachria,
le commandant de la base Est, après Boukelaz…
Le point de
divergence concernait l’accélération de l’entrée de l’armée sur le
territoire national dans les conditions difficiles de l’époque. Mais
Nouaoura et Aouachria ont refusé cet ordre et exigé l’obtention du
commandement des bases des frontières.
cependant Lâamouri, pendant
ce temps-là, planifiait, en coordination avec Mustapha Lekhal, appelé
Palestro, le retour en Tunisie. L’erreur commise par Lâamouri fut la
tenue d’une réunion en Tunisie, au lieu de la base de l’Est où nous
pouvions lui assurer la protection nécessaire, surtout que les chefs
des régions et les djounoud soutenaient ses thèses.
Aouachria avait
entamé une série de rencontres avec nous, dans les première, deuxième
et troisième régions. Les accusations contenues dans ces déclarations
concernaient le gouvernement provisoire qui, selon lui, vivait en
Tunisie dans le luxe et le confort, au moment où les moudjahidine
souffraient du manque d’armes et de munitions, et il avait demandé des
précisions sur l’assassinat de Abane Ramdane.
Krim Belkacem et
Mahmoud Cherif ont appris l’arrivée de Lâamouri à El-Kef, par
l’intermédiaire de Gueram, qui était chargé de le transporter à partir
de la Libye, mais qui était aussi le chauffeur personnel de Krim
Belkacem. Le jour suivant, une réunion s’est tenue, en présence des
officiers de la Wilaya I et de la base de l’Est, dont le commandant
Chouichi Laissani, le colonel Ahmed Nouaoura, Mustapha Palestro, le
commandant Ahmed Draia, Mohamed-Cherif Messaadia, Salah Soufi et le
commandant Belhouchet. La Garde nationale tunisienne avait encerclé
l’immeuble qui abritait la réunion et a interpellé tous les présents.
Ce
fut un coup dur pour nous. Ainsi, quelques jours après, la Garde
nationale tunisienne a commencé à transporter les djounoud algériens
pour nous encercler et nous couper les approvisionnements. Nous nous
sommes retrouvés entre le marteau de l’armée des frontières, sous le
commandement de Ali Mendjeli, et l’enclume de l’armée française. Soit
nous entrons dans une guerre fratricide, soit nous nous livrons à
l’ennemi. Les deux choix étaient amers. Nous avons alors préféré la
solution pacifique dans les cadres organiques.
Après une courte
période, le gouvernement provisoire nous a demandé de venir en Tunisie
pour entendre les comploteurs, comme il les avait appelés. Nous sommes
partis, moi, Abderrahmane Bensalem et Zine Noubli, en compagnie de
Mohamedi Saïd au camp Dan Dan où le groupe était emprisonné. Nous y
avons rencontré Krim Belkacem et Bentobbal, alors que Boussouf était
absent. Nous avons tenté de convaincre les membres du gouvernement
provisoire que la réunion était une simple rencontre consultative pour
remédier à la situation. Mais Krim Belkacem et Bentobbal ont insisté
sur le fait que Lâamouri et son groupe étaient en train de préparer un
coup d’État contre le commandement de la Révolution, au service
d’intérêts étrangers. Nous leur avons demandé de les maintenir en
prison et de ne pas les exécuter. Ils ont accepté, avec la condition
que nous leur remettions le commandant Ahmed Draia qui avait réussi à
échapper au coup de filet de la Garde tunisienne et a rejoint le
territoire national.
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Les déserteurs de l’armée française
Je
voudrais, ici, préciser l’affaire des officiers déserteurs de l’armée
française, pour ne laisser place à aucune mauvaise interprétation. Je
ne considère pas l’appartenance à l’armée française comme une insulte
ou une atteinte à la dignité. Je faisais toujours la distinction entre
celui qui fut contraint, pour une raison ou une autre, d’accomplir son
service militaire au sein de l’armée française, et ceux qui sont connus
comme étant déserteurs de l’armée française qui ont rejoint tardivement
la lutte armée et qui ont été la cause de plusieurs conflits durant la
Révolution. J’avais plusieurs amis qui ont servi cette armée pour,
ensuite, diriger leurs armes contre elle lorsqu’ils ont compris que
l’heure du choix avait sonné et ont fait montre d’abnégation et de
détermination en faisant face à ceux qui les dirigeaient dans les
casernes françaises.
Nous encouragions, depuis le début de la
Révolution, ces djounoud et ces officiers à nous rejoindre. Il y a eu,
effectivement, des désertions célèbres, comme celles de Salem Juliano
et Kara Abdelkader, et l’opération de la caserne de Betiha, siège du
troisième régiment des tirailleurs algériens, qui a été exécutée en
mars 1956 par Abderrahmane Bensalem, Mohamed Tahar Aouachria, Ali
Boukhider et Youcef Latreche.
Ceux-là ont pris d’importantes
quantités d’armes dont la Révolution avait grandement besoin. Ils ont
aidé, par leur expérience acquise, dans la formation et l’entraînement
des moudjahidine, avant de devenir par la suite des officiers
supérieurs dans la base de l’Est et certains sont tombés au champ
d’honneur.
Le général De Gaulle avait tenté d’infiltrer la
Révolution par tous les moyens, conformément à la politique du bâton et
de la carotte. La promotion Lacoste fut la consécration de la stratégie
d’infiltration de
l’ALN. Après la désertion d’un groupe
d’officiers algériens que Krim Belkacem a rattachés à son ministère, et
furent chargés d’appliquer la stratégie du commandant Idir qui n’avait
pas pris en compte les réalités du terrain, et a placé ces officiers à
la tête de bataillons. Mais les moudjahidine les ont refusés et ont
chassé certains d’entre eux. L’instance de la direction du trio à
imposer ces officiers a causé l’éclatement de plusieurs tentatives de
rébellion, à l’instar de la rébellion de djebel Châambi, ou celle de
Hamma Loulou, ou encore la reddition de Ahmed Hambli.
Pour ce qui
concerne Khaled Nezzar, Mohamedi Saïd l’avait envoyé à la première
région dont j’étais responsable en tant que conseiller militaire. Mes
adjoints dans la région l’ont refusé au début. Mais j’ai réussi à les
convaincre de la nécessité de respecter les ordres de la hiérarchie. Il
est resté avec nous, en dépit du fait que nous sachions qu’il
travaillait pour le compte du gouvernement provisoire.
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Le procès de Châabani
C’est
moi qui ai fait avorter la rébellion de Châabani lorsque j’étais
commandant de la Ve Région militaire. J’ai ensuite constitué un
tribunal révolutionnaire pour le juger. Boumediene m’a contacté pour me
dire : “Le président Ben Bella m’a désigné membre de ce tribunal au
côté de Saïd Abid et de Abderrahmane Bensalem.” Boumediene a ajouté :
“Le Président vous demande de le condamner à mort, et si tu ne me crois
pas, contacte le Président dès que tu arrives à Alger et il te dira la
même chose.” J’ai cru Boumediene, car il n’avait pas l’habitude de me
mentir. Je voudrais, ici, rectifier de fausses informations qui ont été
publiées sous forme de témoignages dans la presse nationale selon
lesquelles Ahmed Benchérif, Ahmed Draia et Ahmed Abdelghani étaient
membres de ce tribunal, ce qui est faux.
Le tribunal a été constitué
par les officiers cités ci-dessus et il fut présidé par un juge civil
d’Alger, nommé Zertal. Nous sommes allés à Oran où Châabani était
emprisonné avec un autre groupe de prisonniers politiques à la prison
de Sidi El-Houari, dont Mohamed Khobzi, Mohamed Djeghaba, Hocine Sassi,
Tahar Lâadjal, Saïd Abadou, Ahmed Taleb El-Ibrahimi et d’autres
opposants à Ben Bella.
Le procès n’a pas duré longtemps. Après délibération, Châabani fut condamné à
mort
pour tentative de rébellion contre le pouvoir et d’incitation à la
zizanie au sein de l’armée. Après le prononcé du verdict,
nos
regards se sont croisés, et j’ai été saisi par un sentiment selon
lequel aucun d’entre nous n’était convaincu de cette lourde
sentence.
C’est pourquoi nous avons demandé à Châabani d’introduire une demande
de grâce auprès du président Ben Bella. Il nous a dit, l’air abattu :
“Demandez-le, vous, en mon nom.”
Nous avons chargé Saïd Abid, en
tant que commandant de la 1re Région, de le faire et de prendre attache
avec Ben Bella. Mais Ben Bella a non seulement refusé catégoriquement
notre requête, mais a insisté pour l’application de la sentence telle
que décidée par le tribunal, considérant que le verdict ne pouvait
donner lieu à un pourvoi en appel. Lorsque Saïd Abid nous en a
informés, je lui ai dit : “Demande la grâce en notre nom, nous les
officiers, et dis au Président que Châabani est un moudjahid et un
compagnon d’armes. Tu nous as ordonné de le condamner à mort. Nous
l’avons fait. Et nous croyons qu’il ne le mérite pas. Il te demande à
présent de commuer sa peine de mort en peine de prison.”
Lorsque
Saïd Abid l’a contacté de nouveau, Ben Bella lui a répondu nerveusement
: “Je vous ai dit exécutez-le cette nuit.” Il a insulté Saïd Abid et a
même insulté sa mère, et lui a dit : “Je t’interdis de me contacter une
autre fois”, et il a raccroché. Le 3 septembre, Châabani fut exécuté à
l’aube dans une forêt près de Canastel, en présence des membres du
tribunal. Des membres de la Gendarmerie nationale ont également assisté
à l’exécution. Il y avait une forte présence de la Gendarmerie
nationale. J’ai compris alors qu’ils craignaient qu’on le fasse sortir
avant l’exécution. Après l’exécution, ils ont mis son cadavre dans un
cercueil et a été enterré dans un endroit inconnu.
On m’a dit, par
la suite, que Ben Bella s’apprêtait le lendemain à partir au Caire et
lorsqu’il a lu dans les journaux l’annonce de l’exécution de Châabani,
il s’est écrié : “Dommage ! comment ils ont exécuté un jeune officier
comme Châabani ?”
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Le suicide de Saïd Abid
Après
l’échec du coup d’État de Tahar Zbiri, Saïd Abid fut retrouvé mort dans
son bureau. Des rumeurs avaient circulé, à l’époque, disant qu’un
commando l’aurait assassiné, d’autres accusaient Slimane Hoffmann de
l’avoir exécuté et d’autres rumeurs encore qui circulent dans pareilles
circonstances. Les commandants des bataillons de la Ire Région ont cru
à la rumeur de l’assassinat de Saïd Abid. Ils ont organisé des sit-in
dans les casernes et y ont fermé les portails, interdisant l’accès à
toute personne, annonçant ainsi leur non-reconnaissance du pouvoir en
place.
Boumediene était sage. Il ne s’est pas emporté et n’a pas
fait recours à la force, parce qu’il était conscient de la dangerosité
de la situation. Il a tenté de calmer la situation et m’a contacté pour
me demander de les convaincre de renoncer à ce qu’ils sont en train
d’entreprendre. J’ai réussi à convaincre les commandants des bataillons
de mettre fin à la rébellion et je me suis engagé, avec eux, à enquêter
sur la mort de Saïd Abid.
Je suis allé au domicile de Saïd Abid. Sa
femme m’a raconté les détails de la dernière communication téléphonique
qu’elle a eue avec lui et m’a confirmé qu’il s’est effectivement
suicidé après les pressions exercées sur lui par les partisans de Tahar
Zbiri.
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Par
: Chadli bendjedid
Texte traduit de l’arabe par Azzeddine Bensouiah
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Le système, l’acteur et le témoin
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Dans
une contribution, le président Chadli corrige “ce qui a été publié dans
certains quotidiens nationaux comme articles et comptes rendus” sur son
intervention à la réunion d’El-Tarf et qui serait “la
meilleure preuve” que “les débats autour des questions sensibles
prennent, fort malheureusement, chez nous dans la majorité des cas, le
caractère d’un débat stérile, de verbiage de bas étage et d’un
règlement de compte et de l’insulte”.
L’ancien Président “ne blâme
pas les correspondants pour les erreurs commises dans la transcription”
de son intervention, “du fait qu’ils ne soient pas informés des faits
historiques durant la révolution pour la libération”.
On pourrait
dire : et pour cause ! Tous les régimes ont censuré le discours sur
l’histoire nationale récente qui est aussi l’histoire de la prise de
pouvoir et de son usage.
Autre reproche, l’ex-Président estime que
“la violence contenue dans certains articles sur [sa] personne et sur
la période de gestion des affaires de l’État, [donne] l’impression que
les ficelles seraient tirées par des parties occultes qui n’ont pas
intérêt à ce que Chadli Bendjedid parle”.
Là aussi, à voir comment
“les parties occultes”, mais aussi des parties parfaitement “visibles”,
s’investissent, avec les moyens de l’État, dans la soumission de la
liberté de presse à leur fin de contrôle de la société et des
institutions, on ne devrait pas été surpris de constater la globale
instrumentalisation de la presse, y compris indépendante. Si l’on
exclut les avancées arrachées par les luttes citoyennes et
démocratiques et concrétisées, faut-il le rappeler, par le gouvernement
Hamrouche à la fin de la présidence Chadli, tout le reste n’est que
l’histoire de la gestion autoritaire du message public et de la
répression de la libre opinion.
Dans ce système qui encadre la
société par la répression et le clientélisme produit une presse
globalement sensible et à la carotte et au bâton, il n’est pas étonnant
que les dirigeants d’hier en pâtissent aujourd’hui, comme les maîtres
d’aujourd’hui en pâtiront demain. Tout renvoie au déficit de
construction démocratique qui caractérise l’histoire politique de
l’Algérie indépendante.
Cela dit, la presse libre, ou ce qu’il y a
de libre dans la presse, ne peut que se réjouir du luxe de pouvoir
rapporter le propos d’un acteur d’une telle importance de l’Histoire et
de la vie politique nationales. Quitte à ce qu’il reprenne la parole
pour “rectifier les erreurs, remettre les questions soulevées dans leur
véritable contexte”, comme l’écrit le Président.
Si Chadli a
reprécisé sa narration de faits historiques, il n’a pas abordé dans sa
contribution la question liée à son projet manqué de réforme
constitutionnelle dans le sens d’un “régime parlementaire”. Quel est
donc maintenant le statut de ce propos ni démenti, ni confirmé, ni
rectifié ? Le sujet intéresse trop les Algériens pour qu’un ancien
Président puisse en dire trop ou pas assez.
La connaissance de
l’Histoire ne peut pas servir qu’à honorer les meilleurs et maudire les
pires. Elle se justifie surtout par ce qu’elle aide à concevoir le
futur. Il serait donc dommage que les réponses à des questions
d’histoire servent à éluder les interpellations de l’avenir.
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Par
:Mustapha Hammouche
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Réagissant aux propos tenus à El Tarf par l’ex-président de la république : Nezzar répond à Chadli
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Comme
j’ai eu à le dire et à l’écrire, Chadli ne déroge pas à ses habitudes,
recourant une fois encore à la parentèle (1) dont il n’a cessé d’user
et d’abuser. Pourquoi choisir la wilaya d’El Tarf pour s’adonner comme
il a eu à le faire un certain 20 septembre 1988, et s’engager comme à
l’accoutumée dans une diatribe aussi haineuse que confuse, souvent
décousue et au verbe obscur. Ce pamphlet, en fait, n’a de vérités que
celles-là mêmes qui sont énoncées par lui, croyant à tort qu’il est le
seul à les détenir. Pourquoi maintenant et pas avant ? Pourquoi, pour
l’hommage rendu à Amar Laskri dit Amara Bouglez, certains furent
invités et d’autres intentionnellement oubliés ?
Cette réunion n’était-elle pas orchestrée à l’avance pour, simplement,
donner la parole à Chadli Bendjedid ? D’ailleurs - sauf erreur de ma
part -, aucun compte rendu ne reprend l’hommage rendu par Chadli à la
mémoire de feu Amara Bouglez, ce grand officier de l’ALN, commandant de
la Base de l’Est, connu surtout pour son grand sens de l’organisation.
Chadli s’est surtout distingué par son discours haineux, prenant ses
propres compagnons pour cible. A cette occasion, Chadli s’est distingué
par des invectives et des insultes à mon endroit également.
.
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Dire
de moi que je fus « un espion de la France », c’est s’empêtrer dans ses
contradictions : pourquoi m’avoir alors accepté dans la fonction
d’adjoint militaire de la zone qu’il commandait à l’époque,
c’est-à-dire de mars 1959 à mai 1960, puis sous son commandement
lorsque lui-même était adjoint au commandant Abderrahmane Bensalem, de
1960 à l’Indépendance ? Pourquoi, alors que je ne suis à ses yeux qu’un
transfuge, ne s’était-il pas passé de mes services ? Au contraire, j’ai
grimpé les plus hautes marches sous son commandement puisque, à la mort
de Boumediène, je n’étais que lieutenant-colonel, commandant les
troupes aéroportées. Il est vrai que j’ai bénéficié d’une formation
acquise auprès des Français. Mais, au fait, que faisaient mes
compatriotes ? Vivaient-ils donc sous d’autres cieux ? Le fait est que
nous étions tous logés à la même enseigne. Nous étions tous, qui
militaire qui émigré ; très peu étaient installés à leur propre compte,
commerçants ou cultivateurs, beaucoup, sinon l’immense majorité était
exploitée par les colons, des khemas (2). Je serais bien curieux de
savoir pourquoi Chadli prétend au patriotisme plus que les autres ? En
tout état de cause, l’essentiel pour moi, était d’avoir su profiter de
cette opportunité pour la mettre d’emblée, au sortir de l’école, à la
disposition de la Révolution armée(3). Le patriotisme doit-il être
l’apanage de ceux qui, comme Chadli, ont rejoint, je ne sais dans
quelle circonstance, le maquis avant moi ? Que non ! Car pour lui,
seule l’ancienneté comptait ; cette sempiternelle ancienneté qu’il
aimait à brandir comme certains de ses prédécesseurs l’avaient fait
avant lui. Critère unique, comme s’il s’agissait d’un faire valoir. Il
est vrai aussi que certains de mes compagnons ont eu à rejoindre le
maquis quelque temps avant moi et plus jeunes encore. Combien
sont-ils ? D’autres sont venus après. A-t-il été donné à beaucoup
d’Algériens de militer comme moi, au FLN, alors que je n’avais pas
vingt ans, et de passer quatre années consécutives dans les glorieuses
unités de combat de l’ALN ! (cf. Mémoires de guerre. Editons ANEP)
.
UNE SYMPATHIE POUR LE COMPLOT DES COLONELS
Si servir pendant près de cinq années sans relâche équivaudrait à
rejoindre la Révolution « sur le tard », comme le prétend Chadli, je
suis en droit de me poser la question de savoir à quels motifs répond
ce procès d’intention ? Il se trouve que dans la fonction qui était la
mienne, personne - je dis bien personne ! - n’est en droit de me
reprocher une quelconque ignominie, surtout celle aussi diffamatoire,
« espion de la France », proférée de surcroît par celui qui fut le
premier magistrat du pays. Lesquels propos ont été rapportés par les
journaux El Watan et Le Soir d’Algérie. Ester Chadli serait inutile,
tant le chemin qui mène à l’obtention d’une réparation morale est
tortueux et sans issue. Dire aussi que je rendais compte au GPRA et aux
« 3 B » (c’est-à-dire Krim Belkacem, Abdelhafidh Boussouf et Lakhdar
Bentobal), cela eût été un grand honneur pour moi ! Cette structure
qu’il montre du doigt qu’était le Gouvernement Provisoire de la
République Algérienne ne représentait-elle pas le flambeau de l’Algérie
en guerre ? Les hommes qu’il cite seraient-ils donc des traîtres à la
patrie ? Malheureusement, je n’ai pas eu l’honneur de servir aux côtés
de ces trois héros, car je fus affecté, à ma demande, en zone
opérationnelle par le colonel Si Nacer et n’ai eu à rendre des comptes
qu’à mon chef hiérarchique, Chadli Bendjedid. La rancœur exprimée dans
ce cas précis démontre, si besoin est, sinon son appartenance du moins
sa sympathie pour le complot des colonels qu’il a toujours su
dissimuler. Puisque Chadli s’est voulu didactique, en s’adressant à une
audience composée non seulement de moudjahidine mais aussi d’historiens
et d’étudiants, pourquoi n’a-t-il pas pris le soin de traiter le sujet
des officiers de l’armée française dans son ensemble ? En fait, l’ALN,
puis l’ANP ont connu trois catégories d’officiers formés par les
Français. Il y eut d’abord ceux qui, à partir de 1957, ont rejoint
l’ALN, et ainsi successivement jusqu’en 1961. Si cette catégorie n’a
pris le maquis qu’à partir de 1957, c’est parce que ceux qui en ont
fait partie étaient les premiers à sortir de ces écoles. Une seconde
catégorie était composée de ceux qui, ayant choisi de rester de l’autre
côté de la barrière, étaient sélectionnés par les Français pour
encadrer les éléments appelés à l’époque « Force locale ». Composée de
militaires algériens, elle avait pour mission d’assurer le maintien de
l’ordre jusqu’aux élections. Cette force puisait sa légitimité des
accords d’Evian qui mirent en place un Exécutif chargé de gérer la
période transitoire, installé à Rocher Noir (Boumerdès). Lors de son
déploiement sur le terrain, l’ordre nous fut intimé de procéder au
désarmement des personnels la composant et de les renvoyer dans leurs
foyers. Ils n’opposèrent aucune résistance. Cette force était organisée
en compagnies commandées par des lieutenants. Quelques mois plus tard,
l’ANP, confrontée à des problèmes de formation, quelques-uns parmi ces
lieutenants furent enrôlés dans les rangs de l’ANP, sous le vocable
« d’officiers intégrés ». J’étais commandant des forces terrestres
chargé de l’avancement et du dégagement des cadres, lorsque ce même
Chadli Bendjedid, président de la République, m’ordonna de mettre ces
personnels à la retraite avant terme, ce que je fis, alors que ces
derniers totalisaient une vingtaine d’années de service. Ils
terminèrent leur carrière dans des entreprises nationales. Chadli
confond-il entre ces différentes catégories ?
En ce qui me concerne, je suis de ceux qui appartiennent à la première
catégorie et je ne peux qu’être fier d’avoir tourné le dos à une
carrière pour servir mon pays quand il a eu besoin de ses enfants, n’en
déplaise à Chadli Bendjedid et à tous ceux qui, à un moment ou à un
autre, ont tenté de jeter l’anathème !
.
UN RÈGLEMENT DE COMPTES
Je crois comprendre que tout ceci n’est qu’une occasion pour Chadli
de solder ses comptes avec moi, entre autres. Beaucoup de journalistes
objectifs l’ont compris et n’ont pas manqué de l’exprimer à travers les
colonnes de leurs journaux. Je dis bien règlement de comptes car, en
définitive, c’est bien de cela qu’il s’agit.
Il est vrai que j’ai eu à donner mon point de vue dans mes écrits sur
les périodes difficiles de notre histoire contemporaine, de 1988 à
1992. Comment pouvais-je escamoter le rôle de Chadli, lui dont la
responsabilité s’étala tout au long de ces années et même au-delà.
C’était pour moi un devoir, compte tenu des moments difficiles que les
Algériens ont vécus durant ces années de sang, de rapporter les faits
marquants avec le plus d’honnêteté et de réalisme possibles. Devais-je
adopter la politique de l’autruche alors que j’étais aux premières
loges ? Assurément non. En écrivant sur cette page douloureuse de notre
histoire, je me devais d’apporter mon témoignage sur celui qui fut mon
chef direct pendant longtemps. Je l’ai fait en mon âme et conscience et
ne pouvais éviter de parler des crises sans fin ayant marqué cette
période dont Chadli – qu’on le veuille ou non – est responsable pour
une large part. Je l’ai fait, certes, avec un esprit critique, mais
sans jamais me départir du sérieux que requiert un tel travail de
mémoire et du respect dû à l’homme et à ce qu’il fut. En effet, je suis
tout à fait convaincu que le déballage que croit nous servir Chadli n’a
de but que de mieux diluer ses responsabilités comme il l’a, du reste,
toujours su le faire. J’aurais aimé qu’il me réponde avec autant de
correction que furent mes écrits à son égard. C’eût été son droit le
plus absolu. Malheureusement, à court d’arguments, Chadli s’est confiné
dans des propos amers et violents pleins d’emportements et d’injures.
Dans son intervention à El Tarf, Chadli a cru utile d’accréditer la
thèse de sa désignation par l’armée pour la succession de Boumediène.
Or, à ce propos, qu’il me soit permis d’apporter le témoignage
suivant : je fus approché par des officiers qui me demandèrent de
tenter de convaincre Chadli d’accepter la candidature à la présidence
de la République. Cela s’est passé au moment où j’assurais le
commandement des forces à Tindouf. J’étais en permission à Alger.
Rentré tard chez moi (23h), j’apprends que mon chef d’état-major,
Slimane Bouchareb, avait demandé que fût mis à sa disposition un avion
sanitaire. Ayant compris la gravité de la situation, je me mis
immédiatement en route vers le ministère de la Défense, où des lignes
téléphoniques spécialisées par satellite étaient disponibles à
l’époque. Je tombe nez à nez avec trois compagnons en conciliabule sur
le perron du mess des officiers. Je ne suis guère étonné de les voir
ensemble, car il était fréquent que des officiers s’attardassent pour
discuter, regarder un film ou jouer à la belote. Je leur expose le
motif de ma visite et leur demande de me tenir compagnie le temps que
j’aie Tindouf en ligne. Ces trois officiers sont Mostefa Beloucif,
Rachid Benyellès et Ben Abbas Gheziel, tous trois vivants. Tandis que
je m’éclipse pour demander ma communication téléphonique, ils décident
de me mettre dans la confidence. La communication passée, je reviens
auprès d’eux. Mostefa Beloucif prend alors la parole le premier et me
dit : « Si Khaled, toi qui as bien connu Si Chadli du temps de la
Révolution, ne pourrais-tu pas aller le voir et le persuader de se
présenter comme candidat à la présidentielle. En ce moment, c’est un
pas en avant, un autre en arrière », voulant dire que Chadli se
montrait indécis. Je suis interloqué : « Ah bon ? Vous voyez
sérieusement en Chadli le futur président de la République ? » Surpris
par ma réaction, Mostefa Beloucif renchérit : « Si Khaled, nous
connaissons tous si Chadli, c’est notre frère et il saura être à la
hauteur le moment venu. » Ma réponse est aussi ferme que directe : « Je
ne suis pas du tout convaincu, je n’irai pas le voir ! » J’ajoute : « A
la rigueur, qu’il soit nommé ministre de la Défense, dans l’état actuel
de
notre armée, il pourrait éventuellement assurer sa cohésion. » Lorsque
sa candidature fut rendue officielle par le Comité central du FLN, dont
j’étais membre, mes collaborateurs, m’attendant à la descente d’avion à
Tindouf, m’apostrophèrent sans ménagement : « Mais qu’avez-vous
fait ? », allusion à la désignation de Chadli à la tête du pays (4).
Toujours à ce propos, Chadli s’est proclamé « dauphin de Boumediène ».
Voilà une nouvelle ! Jamais, connaissant fort bien tant le défunt
Boumediène que Chadli, une telle option n’aurait pu être envisagée. A
ma connaissance, la personne pressentie pour être portée au sommet de
l’Etat était le président de la République en poste actuellement.
Chadli ne se serait-il pas laissé manipuler par les défunts Kasdi
Merbah et Abdelmadjid Allahoum, respectivement patron de la SM et chef
du protocole de la présidence de la République, à des fins qui restent
à élucider ? Seize années se sont écoulées depuis le départ de Chadli,
sans que celui-ci ne daigne jamais infirmer les allégations selon
lesquelles il aurait été poussé vers la porte de sortie par les
militaires. Ce silence complice est la brèche à travers laquelle les
partisans du « qui tue qui ? » se sont engouffrés pour semer le doute
dans l’esprit des Algériens et porter le discrédit sur l’institution
militaire occupée à combattre l’hydre terroriste. Pourquoi avoir
attendu si longtemps pour donner la véritable version des faits ? Lui
qui répète sans cesse vouer estime et respect à l’institution dont il
est issu. Mais là aussi, Chadli n’en est pas à sa première escapade. Je
me trouvais à Tarf – encore une fois, un hasard ? –, c’était en 1962.
J’étais adjoint dans le sous-groupement commandé par Chadli, en même
temps que le général à la retraite Kamel Abderrahim et le colonel Ali
Boukhedir. Alors que Chadli était absent depuis deux jours, pour une
raison qui nous échappe à ce jour, nous reçûmes l’ordre de l’état-major
installé à Taoura, ex-Gambetta, de faire diriger deux des trois
bataillons du sous-groupement vers Bou Saâda. A l’époque,
personnellement, je n’avais pas vent de ce qui se tramait. Je ne saurai
que par la suite que Boumediène avait décidé d’engager deux axes de
pénétration, l’un à partir de l’Ouest, l’autre à partir de Bou Saâda,
dans le but d’enfoncer les lignes défensives organisées par les Wilayas
III et IV visant à nous interdire tout accès vers la capitale. Pour
mettre à exécution les instructions ainsi reçues, nous nous mîmes à la
recherche de notre chef, en vain. Les délais de mise en œuvre ayant été
impartis et voyant qu’ils allaient être dépassés, je pris sur moi de
commander les deux bataillons à la tête desquels se trouvaient
Abdelkader Kara et Kadour Bouhrara. Je puis dire aujourd’hui, avec le
recul et connaissant les pratiques de Chadli, que lui savait ce qui se
préparait et a préféré se défiler devant le devoir. Ne pas vouloir
affronter par les armes ses compagnons, c’est tout à son honneur. Or,
il s’agissait simplement d’avoir le courage de le dire ! Pour revenir à
ce qui est supposé être une réponse de Chadli à mes propos parus dans
mes différents livres, je me fais un plaisir de les soumettre à
l’appréciation des citoyens pour qu’ils puissent juger d’eux-mêmes si
ceux-ci méritent qu’on oppose l’injure et la diffamation à la critique
et au débat. Extraits.
« Les quelques membres rescapés d’un Conseil de la Révolution réduit à
sa plus simple expression (la plupart étant d’ailleurs chefs de Région
militaire), contrôlés et chaperonnés par une sécurité au zénith de sa
puissance, avaient mis devant le fait accompli l’ensemble du corps des
officiers en acceptant que Chadli Bendjedid devienne le coordonnateur
de l’armée. Dès lors, le système étant ce qu’il était, Bendjedid se
trouvait à la verticale du fauteuil présidentiel. Seuls quelques
officiers lui étaient favorables. Pour toutes les autorités civiles,
Chadli est adoubé par l’ANP, il deviendra donc sans coup férir,
président de la République.
Chadli, au lieu de s’entourer de vraies compétences en mesure de
l’aider avec efficacité dans sa tâche, ouvrit toutes grandes les portes
de la médiocrité et de l’irresponsabilité. La parentèle arrogante et
corrompue transforma la présidence d’abord en cour puis en sérail. Les
décisions qui engageaient le pays étaient prises dans des cercles
étroits en fonction d’intérêts claniques plutôt qu’au bénéfice du pays.
Il plaça des personnes réputées fidèles à sa personne aux plus hauts
postes de responsabilité de l’Etat, sans égards pour leurs aptitudes à
gérer. L’échec est dû au refus du système politique d’affronter les
pesanteurs inhérentes à la société. Le FLN de la guerre de Libération
nationale, en phase avec la population, n’existait plus. Celui dont
Chadli Bendjedid espérait faire le moteur du renouveau et de la
libéralisation s’était bureaucratisé et sclérosé. Les organisations de
masse sur lesquelles le régime prétendait fonder son assise sociale
étaient le refuge des opportunistes et des candidats à la prébende. La
quiétude de la rue devait déboucher un jour ou l’autre sur des
explosions incontrôlées. Les premières émeutes (Constantine) qui ont
marqué le début de la décennie n’ont pas été analysées à leur juste
signification. Et personne ne dira au Président que le temps pressait.
Soudain, nous fûmes surpris par les événements du 5 Octobre. Au lieu de
les prévoir, le Président, surpris aussi, donna de l’armée pour réparer
ses errements et c’est ainsi que nous fûmes chargés de la sale besogne.
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1988 à 1992, la montée des périls
« Des calculs étroits de pouvoir donnèrent à la mouvance islamiste,
y compris à ceux qui parlaient ouvertement de guerre sainte, le loisir
de prospérer en toute sécurité. Le souci de trouver un contrepoids au
mouvement berbériste et au PAGS (parti de l’avant-garde socialiste)
accusés d’être à l’origine des troubles, amènera les conseillers de
Chadli Bendjedid à préconiser une alliance de fait avec les
fondamentalistes (certains responsables du FLN y seront pour beaucoup).
Le général Mejdoub Lakhal Ayat me disait à l’époque : ’’Ils sont en
train de combattre les berbéristes, mais le mal viendra des islamistes
radicaux car ils se préparent à la violence.’’ L’envoi de centaines de
jeunes en Afghanistan pour prendre part au djihad bénéficia de la
complicité des autorités. Les errements idéologiques constituèrent des
lignes de force qui ont engendré la crise, d’où l’échec à construire un
Etat fort, la ruine économique et le refus des gouvernants d’assumer
leurs responsabilités et de se retirer avant qu’il ne soit trop tard.
Personne ne se rendait compte, ni au sein du parti ni à la présidence,
de la lente et efficace mainmise des intégristes sur des pans entiers
de la société. Ils étaient aidés en cela par le phénomène de la
clochardisation. Alger était devenue un conglomérat de bidonvilles. Le
chômage qui frappe de plein fouet une partie de la population,
notamment les jeunes, fut jetée pieds et poings liés dans les bras des
intégristes. Chadli Bendjedid ne disposait que de la constitution. La
disparition du socle social qui permettait au système de durer et de
prospérer, la cassure du FLN, la débandade de la plupart des
organisations de masse et les compromissions ne permettaient à Chadli,
pour plaire à ses futurs partenaires, de ne donner que sa propre
personne, voulant malgré cet état des lieux rester au pouvoir et
cohabiter avec le FIS. Après le premier tour des élections remportées
par ce même FIS, il préféra se retirer, laissant le soin à l’armée de
faire face aux périls. »
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Par Khaled Nezzar
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Chadli Bendjedid : Ou l'amnésie comme mode d'orientation de la conscience nationale
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La sortie médiatique de l'ancien président, M. Chadli Bendjedid,
suscite légitimement des interrogations. En qualité de simple citoyen
universitaire, je propose ci-après les passages encore inédits de l'un
de mes ouvrages portant sur l'Algérie contemporaine consacrés à
celui-ci et provisoirement intitulé « Démocratie résiduelle et mal
développement en Algérie » (en complément de mon analyse sur la vie
politique et économique de notre pays de l'indépendance à 1980. Cf. mon
livre : Institutions politiques et développement en Algérie). Il va de
soi que, par cette contribution, je n'entends apporter aucune caution
aux tenants de la non limitation du nombre des mandats présidentiels
telle qu'exposée dans la Constitution de 2008 (la Constitution de 1989
octroyée par le régime de notre ex-président ne s'inscrivant pas plus
dans l'alternance au pouvoir). Après sa désignation à la
succession de Boumediène et son intronisation par la direction de
l'armée et du FLN comme candidat unique à la présidence de la
République, une résolution organique du FLN du 14 mai 1980 conféra à
Chadli les pleins pouvoirs afin de restructurer celui-ci. De plus, la
nomination du gouvernement dépendait exclusivement de lui. Enfin, il
renforça son autorité sur l'armée - dont il a été le ministre - par la
reconstitution de l'état-major, ainsi que sur le FLN par la réduction
du BP à sept membres au lieu de dix-sept. Les changements opérés au
niveau du gouvernement et du BP du FLN ont préfiguré la mainmise de
Chadli sur le pouvoir qui a écarté peu à peu ses adversaires réels
(Yahiaoui et Bouteflika) ou potentiels (Abdelghani et Abdesselam). De
même, peu à peu, les membres du Conseil de la révolution (MM. Draïa,
Bencherif, Tayebi Larbi) vont cesser d'occuper des postes ministériels
et ne siègent plus au sein du BP du FLN. La confusion des pouvoirs
était alors à son comble, Chadli ayant été président de la République,
secrétaire général du FLN et ministre de la Défense nationale où il
plaça ses hommes aux postes de directeurs centraux. Ce dispositif fut
complété par l'affectation de ses partisans aux postes importants de
l'ANP (notamment à la tête des régions militaires) et la mise à la
retraite de certains officiers jugés sans doute gênants, le
rattachement de la sécurité militaire à la présidence et le
remplacement au gouvernement des «politiques» par des technocrates lors
de différents remaniements ministériels. Un véritable Etat d'exception.
Pour «Jeune Afrique», il apparaissait comme un apparatchik,
«méditerranéen conservateur et ouvert à la fois, non dénué de tendresse
pour les jouissances terrestres» (1). Pour «Algérie actualité», Chadli
se caractérise par «sa célèbre irrésolution» («c'est la faute à...»).
En outre, pour le même journal, «Chef de l'Etat, Bendjedid ne fit
jamais l'effort d'apprendre les vrais dossiers du pays, de solliciter
l'avis des grands spécialistes qui pouvaient l'éclairer. L'exemple
tragiquement illustrateur de son incompétence est son approche
superficielle du phénomène intégriste». Le même journal ajoute que «Les
drames que connaîtra l'Algérie pendant les trois années qui suivront
octobre 88 naîtront du refus obstiné de Chadli Bendjedid de partir»
(2). Il finit par partir dans les conditions que l'on connaît. En tout
état de cause, le régime de celui-ci va graduellement procéder à une
certaine critique des réalisations de son prédécesseur, tout en
proclamant dans ses discours la continuité et «le changement dans la
continuité». Ainsi, d'abord, il va promouvoir quelques mesures qui vont
frapper l'imagination des Algériens, à savoir : la suppression de
l'autorisation de sortie du territoire national, la libération du
président Ben Bella et l'invitation aux exilés politiques de rentrer.
Parallèlement, il n'aura de cesse d'évacuer de la scène ses adversaires
politiques en leur fabriquant au besoin un procès et de modeler le
personnel civil et militaire de l'Etat afin d'accéder à une clientèle à
sa dévotion lui permettant de mettre en pratique son projet de
libéralisme «spécifique». Aussi, après avoir caractérisé la situation
comme présentant de «grandes réalisations», mais de «profonds
déséquilibres» également, il va procéder au démantèlement de la
politique antérieure, aidée en cela par son équipe dont la langue de
bois ne fut pas le dernier des défauts. Sur les deux pôles de
l'économie algérienne ayant suscité les plus vives controverses, on
peut relever, dans un dossier consacré à l'Algérie, le point de vue de
Abdellatif Benachenhou (économiste et ministre des Finances de
Bouteflika), qui a ainsi résumé la situation (notamment en ce qui
concerne l'industrialisation) : «Ses détracteurs de droite dénoncent le
déficit des entreprises publiques, le fonctionnement du monopole du
commerce extérieur confié au secteur public, la négligence de
l'agriculture, la place subordonnée laissée à l'entreprise privée. Ses
détracteurs de gauche dénoncent l'insuffisance de planification des
investissements, les surcoûts de l'industrialisation et l'autoritarisme
social produit par l'ascension vertigineuse d'une technocratie accusée
d'avoir enterré l'autogestion et de prêter peu d'attention à
l'élévation du niveau de vie des masses populaires» (4). S'agissant de
l'agriculture, l'un des spécialistes algériens de la question, Slimane
Bedrani, pense qu'il y a en Algérie une «boulimie industrialiste».
Aussi, ne saurait-on être étonnés quant à l'affectation des ressources
d'investissement puisque : «La part de l'agriculture, de l'hydraulique
et des pêches dans les investissements publics réalisés tombe de 20,5 %
à 12 % et à 7,4 % respectivement pour les périodes 1967-1969, 1970-1973
et 1974-1977". Toujours est-il que le premier plan quinquennal
(1980-84) consacre à l'agriculture 20 milliards de dinars «soit autant
qu'il avait prévu d'investir pendant les 13 années précédentes» avec la
volonté affichée de «débureaucratisation de l'agriculture, la
restructuration des exploitations autogérées et un intérêt plus grand
au secteur agricole privé» (5).
Langue de bois et slogans
Il n'empêche que la langue de bois continua d'être à l'ordre du jour au
sein de l'élite; ainsi, M. Brahimi, alors ministre de la Planification
et de l'Aménagement du territoire, eut à déclarer à propos du premier
plan quinquennal, qu'»Il constitue un élément stratégique dans le
processus engagé pour le renforcement de l'indépendance nationale et la
lutte du peuple algérien pour la construction du socialisme», pensant
que l'économie algérienne avait besoin d'»un mouvement de
restructuration organique» pour doter les entreprises d'une plus grande
souplesse de fonctionnement dans le cadre d'»une plus large
décentralisation des responsabilités» (6). En réalité, la stratégie de
développement «industrialiste» algérienne offrait déjà à l'analyse ses
contradictions et partant, les difficultés futures de gestion de
celles-ci par la société politique. Ainsi, en est-il de l'appel
inconsidéré aux firmes étrangères qui s'est traduit par une dépendance
technologique, un fort endettement allant crescendo et l'accentuation
des différenciations socio-économiques, avec en prime une disparité
ville campagne à l'origine sans doute de l'exode rural massif et de
l'apparition (semble-t-il) de 6.000 milliardaires; ce qui allait
modifier le jeu d'alliances. De la paysannerie (avec la révolution
agraire) et des ouvriers (avec la gestion socialiste des entreprises),
un glissement graduel va s'opérer vers la bourgeoisie atomisée :
terrienne, industrialiste, commerçante et d'Etat (techno-bureaucratie
issue de l'Administration). Sous Chadli Bendjedid, les
slogans furent : «Vers une vie meilleure» d'abord, «Le travail et la
rigueur» ensuite et «Le compter sur soi» enfin, avec en prime
l'opération de «dégourbisation» de l'habitat précaire. Ce qu'il a été
convenu d'appeler «l'après-pétrole» a commencé alors pour voir
l'Algérie se doter d'un programme où figurent les nouvelles énergies :
solaire, éolienne, géothermique et pourquoi pas nucléaire; en somme,
développer toutes les ressources alternatives. Par ailleurs, le pouvoir
à l'ère de Chadli commença à songer à un nouveau code pétrolier en
sorte que les compagnies pétrolières à réputation internationale
puissent intervenir comme partenaires économiques. En effet, «réalisme»
et «pragmatisme» devinrent les maître-mots depuis la baisse des
recettes pétrolières, les difficultés d'écoulement du gaz et face à la
croissance démographique; d'où l'idée du régime de la «fin du
gigantisme industriel» et l'utilisation d'un secteur privé efficace,
avec comme corollaire le langage de la production et de la productivité
comme nouveau credo économique. Ainsi, le nouveau pouvoir plaide «pour
une économie moderne, l'arrêt des intrusions de la politique dans la
gestion de l'économie et la fin de l'Etat-providence» (Messaoudi
Zitouni, alors ministre des Industries légères). A l'occasion
de l'opération d'enrichissement de la charte nationale, Chadli
Bendjedid a pu dire que : «Notre vision au plan économique, culturel et
social doit aller de pair avec la nouvelle étape, ses données et ses
perspectives... La révolution qui se fige au nom des principes est une
révolution vouée à l'échec et à la déviation» (7), ajoutant qu'il faut
éviter «le repli sur soi, le marasme, la sclérose et le dogmatisme
étouffant». L'austérité était désormais à l'ordre du jour et portait
sur le secteur social, les infrastructures économiques, la
consommation; la dette était alors de l'ordre de 17,8 milliards de
dollars, les créanciers étant la France : 19,50 %, le Japon : 14 %, les
USA : 13,30 % et la RFA : 7,40 %. Aussi, le programme d'investissement
a été révisé. La priorité fut donnée aux projets ne nécessitant pas le
recours à l'étranger; d'où le gel de certains projets inscrits dans le
plan quinquennal tel le métro d'Alger. En matière budgétaire, dans le
cadre de la Loi de finances initiale, les dépenses s'élevaient à 128
milliards de dinars; dans le projet complémentaire, il n'est plus prévu
que 104,5 milliards de dinars. Là aussi, il faut souligner la
dépendance accrue de l'économie algérienne vis-à-vis de l'extérieur :
60 % des besoins en céréales, la quasi-totalité des biens d'équipement,
plus de la moitié des semi-produits nécessaires à l'industrie, la
construction des ¾ des logements par des entreprises étrangères. A cet
effet, des mesures sont préconisées, parmi lesquelles figure le
réaménagement du rôle du secteur privé présent surtout dans le
commerce, l'agro-alimentaire, le tourisme, la confection, les
chaussures tant il est vrai que «son contrôle restait jusqu'en 1982
approximatif; sur 5.000 petites et moyennes entreprises industrielles
privées recensées en 1982, seulement 950 - soit moins d'un cinquième -
avaient reçu un agrément officiel» (8). Par ailleurs,
l'austérité alors à l'ordre du jour a touché les citoyens dans les
domaines suivants : diminution de l'allocation touristique, taxation
des bagages à l'entrée du territoire, coupures d'eau, pénuries en tous
genres, rareté des transports en commun... D'évidence, il y avait là de
quoi inquiéter le régime lorsqu'on sait qu' «en pourcentage, la baisse
des revenus algériens est estimée par certains experts financiers à 45
% pour le gaz et entre 28 et 45 % pour le pétrole» (9). De surcroît, en
1986, le service de la dette (estimé alors à 20 milliards de dollars)
était de 50 % des revenus pétroliers. A cet égard, s'il est possible de
soutenir que «La grande limite de la stratégie suivie au cours des
années 70 aura sans doute été la survalorisation de l'économisme et le
retard de la mutation des mentalités dans leur rapport à l'Etat et à la
culture», peut-on affirmer, en revanche, que : «L'Algérie est en train
de passer du stade de la consommation d'une modernité importée à celui
de la production de sa propre modernité» (10) ? Le problème alors
survalorisé fut la crise agricole. Ainsi, le projet économique initial
(révolution agraire) a consisté en l'installation de coopératives des
paysans sans terre et des khammès sur les terres domaniales et les
terres des grands propriétaires fonciers nationalisés. Depuis, les
années 70 déjà, la consommation nationale est dépendante en céréales,
produits laitiers, matières grasses et sucre. Sous Chadli Bendjedid,
dès 1981, il y eut restructuration des domaines autogérés et des
coopératives, le développement de l'agriculture privée, la levée des
limitations de la propriété foncière fixée par la révolution agraire,
la priorité donnée à l'hydraulique, la valorisation de la steppe et le
développement de la culture sous serre. Cette option devait favoriser
le passage de «l'ère de l'or noir à celle du pétrole vert». Ce qui a,
sans doute, fait dire à Chadli : «Nous nous employons sans relâche,
depuis 1980, et chaque fois avec plus de rigueur et de résolution, à
adapter notre appareil de production et notre organisation économique
aux nouvelles exigences, à la recherche des meilleures performances
économiques et sociales possibles, en comptant sur nos possibilités
propres» (11). .
Notes : 1/ «Jeune Afrique» du 22/1/86; 2/ «Algérie actualité» du 8/10/92; 3/ «Le Monde» du 5/7/82 (Dossier consacré à l'Algérie); 4/ Id. 5/ Id. 6/ Id. 7/ «Le Monde diplomatique» de novembre 82; 8/ «Le Monde» du 7/12/85; 9/ «Bulletin de l'économie arabe» de juillet août 86; 10/ A. Djeghloul, «Le Monde diplomatique» de novembre 86; 11/ «Arabies» de juillet août 88; .
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par Ammar Koroghli
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Huit raisons de ne plus parler de Chadli, Nezzar, etc
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Pourquoi il ne faut pas réagir à ce que dit Nezzar sur ce
qu'a dit Chadli à propos de Benbella autour de Bouteflika ?
Raison une : il ne faut pas se laisser prendre. Ce débat est
comme un os pour ceux qui ont la nostalgie canine de la viande. Et si vous le
suivez trop longtemps, vous finirez comme eux : des gens qui ont fait
l'histoire mais qui l'ont faite avec leurs pieds, sur vos têtes, pendant que
vous teniez votre pantalon. Au mieux, vous finirez comme eux, riches, inquiets
sporadiquement, inutiles et souffrant de marmonnements.
Raison deux : rien de mieux pour faire oublier le présent
et l'avenir que de proposer une rediffusion du passé avec les mêmes acteurs,
mais ridés, acariâtres, menteurs sur leurs dons et méchants comme la rouille.
Faute d'une ENTV capable de nous distraire, on nous sert donc un déterrement de
cadavres et un étalage de linge sale usé comme le tricot de peau d'un masseur
de hammam.
Raison trois : cela ne vous apporte rien. Quand des gens
comme ceux-là se mangent entre eux, cela ne veut jamais dire que vous avez
quelque chose de plus à manger.
Raison quatre : il y a de plus belles histoires
à regarder ou à suivre dans ce pays que d'écouter Chadli expliquer que la
moustache de Nezzar est en plastique. Un Div X coûte 60 dinars. Un VCD, la
moitié. Une antenne parabolique, avec montage compris, coûte 1.200 dinars.
Un démo numérique coûte dans les 2.800 dinars. C'est
beaucoup moins cher que ce que nous a coûté le règne de Chadli, de Nezzar, de
Benbella et de Bouteflika. On peut zapper, stopper le film, changer de
satellite, éteindre la télé et regarder le plafond se transformer en nuage
mental. Mais avec les gens précités, on ne peut rien, ni voir un avenir, ni s'expliquer
utilement le passé.
Raison cinq : il s'agit encore une fois d'une histoire
fausse, inspirée de faits véridiques qui concernent énormément de morts mais si
peu de vivants, qui ne s'en souviennent plus que par les journaux.
Raison six : vous avez chaque matin sûrement mieux à faire
que d'écouter jacasser les cimetières et, de toute façon, on vous racontera la
même chose dans vingt ans sur le règne de Bouteflika et la transformation de
votre pays en une autobiographie (Bouteflika expliquant à Tlemcen que c'est
Zerhouni qui a..., lequel rétorquera que c'est Chakib Khelil qui le premier
a..., etc.).
Raison sept : dans le tas de ce verbiage exponentiel, vous
aurez aussi sûrement remarqué que personne n'a songé à vous présenter ses
excuses ou demandé votre pardon pour la matraque, la SM, le Souk el-fellah, la
plaquette d'oeufs ou l'autorisation de sortie. La réconciliation est toujours à
sens unique : de vous vers vos bourreaux et jamais dans le sens contraire.
Raison huit : si vraiment vous tenez à acheter votre
journal, remonter le temps sur le dos des mules de la ligne Morice et écouter
ces gens-là, intéressez-vous à Zeroual : il ne dit rien, ne se voit nulle part,
n'ouvre plus la bouche. On ne peut faire mieux question d'hygiène et on ne peut
faire mieux pour vous aider à vous concentrer sur votre dur présent national,
forcé à un mariage sans consentement mutuel.
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par Kamel Daoud
6-12-2008
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Enfin le dégel !
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Il
est bon de savoir que nos gouvernants sortent de leurs réserves et se
mettent enfin à aborder ces thèmes-tabous qui jalonnent les phases
pénibles de notre histoire tumultueuse. Pour les chercheurs, c'est là
un encouragement certain pour plus d'objectivité, d'impartialité et de
probité. L'histoire de l'Algérie reste à écrire, en la
transnationalisant peut-être mais plus humblement : en faisant parler
ses acteurs - et de ces derniers : les plus imminents. Cette histoire a
besoin de mises en perspective (économique, politique, culturelle,
militaire...) dans les grands chamboulements qu'a connus le monde
depuis la 1ère Guerre mondiale : la Révolution russe et les différentes
insurrections en Europe, la crise de 29 et l'exacerbation des
nationalismes qui l'une et l'autre ont bloqué toute évolution
raisonnable du système monétaire et financier international sur des
bases saines et justes (et dont aujourd'hui nous payons le prix), les
primo-industrialisations des futurs pays émergents (d'Amérique latine
et l'Asie) et les convulsions nationalitaires (donnant lieu aux luttes
armées) et enfin les Accords de Yalta (la « guerre froide » comme Acte
II de la 2ème Guerre mondiale), la satellisation des pays de l'Europe
centrale et orientale (en 1946) et de l'Asie (à partir de 1949, avec la
Chine populaire).
Cette histoire a aussi à se tourner vers
le monde musulman, vers celui plus étroit : arabe, et vers celui plus
étriqué encore : arabe nord-africain (Egypte, Libye, Tunisie, Maroc et
Algérie). Dans ces vastes terroirs héritiers du Message mohammadien,
l'Algérie est une contrée peu connue. Elle est souvent perçue comme
rebelle et aux influences euro-méditerranéennes fortement marquées.
Même chez nos proches voisins, les « wsatas » (ceux du Maghreb central)
sont considérés : comme ni tout à fait Berbères (au Maroc : les
Berbères constituent 90% de la population alors que chez nous, ils ne
représentent que 30 à 40%) ni tout à fait Arabes. Tellement il est vrai
que les Algériens sont dans leur extrême majorité : plus des Berbères
arabisés que des Arabes d'origine asiatique. Il n'est pas alors
étonnant que la Déclaration fondatrice de la Révolution ait été écrite
en français ou que le Drapeau national ait été conçu par l'épouse du
Père du mouvement national !
Cette transnationalisation de
notre histoire récente - débutant avec l'Etoile Nord-Africaine ou au
plus tard avec le Parti du Peuple Algérien - viserait ainsi à recentrer
les événements singuliers qu'a connus le mouvement national sur ses
toiles de fond réelles : les appartenances aux Mondes musulmans, les
confluences euro-méditerranéennes et les influences des Tiers-mondes en
mouvement.
Il n'est pas, par exemple, possible de comprendre
les solutions adoptées (par l'Algérie indépendante après juillet 1962)
face à l'exode de la population européenne d'Algérie (à partir de
1958-59 et massivement) en 1962 sans renvoyer à tous ses déterminants
transnationaux. Cet Acte de naissance de l'Algérie contemporaine est un
véritable tournant, plus décisif 2 - à mon sens - que le 1er
Novembre... pour les générations nées après Octobre 1988 !
L'insertion de l'Algérie dans l'économie-monde du village planétaire a
depuis des lustres été si forte et si solide qu'il est difficile
aujourd'hui d'expliquer comment a-t-elle réussi à s'isoler dans des
marqueurs identitaires de société bloquée autarcique. Des marqueurs
venant tatouer jusqu'aux plis de sa conscience nationale (et sociale).
Des marqueurs identitaires venant engluer sa personnalité loin des legs
qui, de Saint Augustin (et son péché originel qui a plombé l'Eglise
romaine) à Abane Ramdane (et son option socialiste qui a déstructuré
les droits de propriété dûment enregistrés dans le Cadastre et les
Livres des notaires) en passant par Abdelmoumène (et ses censures et
excommunications des religiosités savantes), ont constitué des
renouveaux révolutionnaires (au sens littéral du terme), c'est-à-dire :
toujours appelant à aller de l'avant, à l'inédit, à l'inconnu. A El
Idjtihad.
En moins de cinquante (50) ans d'indépendance,
notre histoire a été réécrite quelques dizaines de fois. Pour toujours
servir de burnous aux gouvernants du moment. Ces triturations de
l'histoire par les courtisans doivent impérativement cesser :
l'histoire comme la médecine est une affaire de métiers. Aucune
Commission n'a opéré (en chirurgie) un Algérien et aucune Commission
n'écrira l'histoire de tous les Algériens.
1-
Ce texte est ainsi la toute première livraison. Il est une sorte
d'Introduction (inspirée par les propos tenus par le Président
Bendjedid Chadli ce jeudi à El-Tarf ; constatons qu'il déclare : « A la
veille d'octobre 1988, au bout de 12 ans de Présidence (...). » Or de
1979 à 1988, il n'y a pas 12 ans nous lui ferons remarquer, lui, qui
dit : « J'appelle les historiens les vrais à travailler en faisant
preuve de neutralité et d'objectivité ». Mais ce lapsus est très
intéressant... au plan objectif : M. Chadli n'avait-il pas projeté de
remplacer feu Boumediène avant que ce dernier ne décède ? Ce qui nous
mène sur cette piste, outre les péripéties des relations entre ces deux
gouvernants (notamment quand Boumediène avait souhaité voir Chadli «
monter à Alger » et donc quitter la « Base », la 2ème Région
militaire), ce sont plus les dénégations répétées du Président
Bendjedid que quand il affirme: « Je jure que durant cette période, je
n'ai jamais cherché à être chef.
Toutes les responsabilités
que j'ai exercées m'ont été imposées » (souligné par HF) où nous le
croyons. Mais : après « cette période » ?
2-
La Famille révolutionnaire - et pour être tout à fait précis : ceux qui
en restent avec qui il est, pour nous autres intellectuels, très
pénible de discuter aujourd'hui comme nous le faisions naguère avec les
humbles moudjahidine (de la première heure, tous enterrés) - celle donc
retenue par les livres d'histoire (les archives dans les registres, les
réunions, les lettres, les ordres de mission, etc.), et celle des actes
à 2 ou 3 témoins (pour les pensions et autres prébendes), celle en 2009
très minoritaire et celle extrêmement majoritaire - et qui n'a assisté
aux événements marquants que comme « subalterne », « suppléante » ou au
mieux « d'appoint », cette Famille-là ne peut plus transmettre que des
bouts de notre Glorieuse Histoire. Et nous nous devons de lui dire...
franchement.
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par Fouad HAKIKI
6 - 12 - 2008
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Chadli, cet inconnu
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Histoire et
politique sont liées. En Algérie, la première sert la seconde. Chadli serait-il
l'exception qui confirme la règle ?
Chadli Bendjedid
est un homme désarmant de simplicité. Face à ses adversaires, il ne fait guère
d'efforts pour présenter des arguments savants, ni des lectures compliquées de
l'histoire. Bien au contraire, il s'accroche à un argumentaire simple, parfois
rudimentaire, qui donne une force incroyable à sa version des faits. Il ne
cherche guère à réécrire l'histoire à sa manière, ni à en assumer le plus beau
rôle. Cet accent de sincérité donne à ses témoignages une force incroyable,
sans rapport avec les écrits très élaborés de Khaled Nezzar, lesquels sont
visiblement le produit de conseillers ou d'amis et, à ce titre, relèvent plus
de la « com » que du témoignage.
La dernière affaire Chadli-Nezzar a confirmé
ce rapport ambigu entre les deux hommes, qui se sont pourtant côtoyés pendant
quatre décennies. Chadli a rappelé un pan de cette histoire, dont il a été l'un
des acteurs et témoins. Parlant de la base de l'Est, il a défendu
l'indéfendable : la création d'une nouvelle wilaya, autour de cette base, dont
il était l'un des officiers. Fidèle à ses anciens compagnons, Amara Bouglèz et
Lamouri, il présente encore, en 2008, leurs arguments, et montre une réelle
douleur en évoquant le sort tragique des deux hommes. L'organisation des
wilayas, leurs compétences, leur fonctionnement et leurs rapports avec la
direction du FLN-ALN avait été ébauchée en novembre 1954, et affinée par le
congrès de la Soummam. Il s'agit de décisions prises à un niveau central, et
donc difficiles à contester par des officiers de son rang. Le fait de ne pas
avoir participé au congrès de la Soummam ne peut servir d'argument pour se
soustraire aux règles édictées par le congrès de la Soummam, ni pour refuser
les dirigeants qui en sont issus. Mais Chadli s'accroche à la mémoire de ses
compagnons, y compris quand ils commettent des erreurs politiques. Car entre
erreur politique et trahison, il y a un pas que Chadli se refuse à franchir.
Dans l'affaire Chaabani, Chadli fait preuve de la même logique. Il va même plus
loin, en mettant fin aux rumeurs selon lesquels tel haut responsable ou tel
autre aurait participé à l'exécution de l'ancien chef de la wilaya VI. En tant
que chef de région militaire, Chadli assume la responsabilité de la capture de
Chaabani, et reconnaît avoir reçu l'ordre de le faire condamner à mort. Il
s'est plié aux ordres, même s'il a espéré que la condamnation à mort ne serait
pas exécutée.
En tout état de cause, il ne s'y est pas
opposé par les armes, même s'il était convaincu que la décision était injuste.
Est-ce cette ambiguïté qui avait poussé Chadli Bendjedid, au milieu des années
1980, à réhabiliter tous les bannis de l'ère Boumediène, de Ferhat Abbas à Krim
Belkacem, en passant par Mohamed Khider et les autres ?
Pourquoi Chadli a-t-il décidé de se livrer
ainsi ? S'agit-il d'un règlement de comptes ? Ou d'une tentative, de sa part,
d'influer sur le cours des événements, dans la perspective des prochaines
élections présidentielles ? Beaucoup d'explications ont été avancées pour
interpréter cette intrusion brutale d'un homme plutôt discret. Beaucoup
d'explications, sauf peut-être la plus simple, la plus évidente : Chadli Bendjedid
veut simplement dire des choses pour l'histoire, pour la postérité. Il approche
des quatre-vingts ans, et a déjà engagé l'écriture de ses mémoires, annoncées
pour bientôt. En ce sens, son intervention à l'université de Tarf aurait pu
constituer une excellente promotion de ses mémoires. Mais visiblement, l'homme
ne fait pas preuve du même professionnalisme que Khaled Nezzar...
Il sera évidemment difficile de dépouiller
les déclarations de Chadli Bendjedid de tout lien avec l'actualité politique.
D'autant plus que lui-même a parlé de la Constitution qu'il voulait pour
l'Algérie, et a implicitement critiqué le président Abdelaziz Bouteflika pour
le peu de cas qu'il fait de la loi fondamentale du pays.
Mais, comme le relève Addi Lahouari, Chadli
rend compte lui-même comment il a fonctionné dans ce système politique dans
lequel, la Constitution n'est le plus souvent qu'un élément du décor. En
racontant son accession au pouvoir, Chadli a rappelé une évidence, en affirmant
que la décision n'est pas sortie des urnes, mais de la direction de l'armée.
De même, en évoquant le fonctionnement du
pouvoir, il montre que le rapport de forces au sein des appareils militaire et
sécuritaire est plus déterminant que tout le reste.
Sur un autre registre, l'avocat Khaled
Bourayou note que la condamnation et l'exécution de Chaabani ne relèvent pas de
la justice, mais de la décision politique. C'est tout le fonctionnement
institutionnel de l'époque et la responsabilité des hommes qui doivent, dès
lors, être vus autrement.
Mais, Chadli Bendjedid est visiblement un
homme qu'il faut redécouvrir. Ancien chef de région militaire, ancien chef de
l'Etat, il reste peu connu des Algériens. L'image qui en a été longtemps
véhiculée est visiblement fausse. Il suffit de rappeler que, pendant un quart
de siècle, il a été présenté comme un ancien officier de l'armée française,
avec tout ce que cela comporte comme sous-entendus politiques. Ce qui s'est
avéré faux. Etait-ce délibéré ? Qui, quelle force est capable de façonner ainsi l'image d'un chef de l'Etat, et de l'imposer, pendant aussi longtemps ?...par Abed Charef
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