L’alliance entre les talibans et les Etats-Unis :
de 1994 jusqu’au 11 septembre 2001.
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Jean-Charles Brisard, Guillaume Dasquié, ” Ben Laden, la vérité interdite “, Folio Gallimard.
Ce livre génial raconte l’alliance entre les talibans et les Etats-Unis de 1994 jusqu’au 11 septembre 2001.
Ce livre génial raconte pourquoi les Etats-Unis ont envahi l’Afghanistan en novembre 2001.
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1 - Prologue
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L’entretien se déroule dans les salons de l’hôtel Plaza à New York,
lieu sombre et austère, comme la vie de ceux qui, dans l’ombre, mènent
le combat contre le terrorisme. En cette fin de mois de juillet 2001,
je retrouve John O’Neill, ancien coordinateur de la lutte
antiterroriste aux États-Unis, devenu numéro du FBI à New York chargé
de la sécurité nationale. À 50 ans, après avoir voué la moitié de sa
vie au FBI, il avait rejoint le bureau de New York, le « flagship
office » du FBI, convoité par tous les agents.
J’avais rencontré John O’Neill à Paris lors d’un dîner dans le Marais.
À la table occupée quelque temps plus tôt par Hillary Clinton et
Madeleine Albright lors de leur dernier passage en France, nous avions
réuni une « table des chefs » avec le directeur adjoint de la DST,
responsable de la lutte antiterroriste, et l’ancien chef de la section
antiterroriste du Parquet de Paris Alain Marsaud.
New York était devenu le territoire de John O’Neill, sa chasse gardée.
Il en connaissait tous les recoins, du Steak house historique, au China
Club en passant par Little Italy et les bars fréquentés par les
cinéastes. Le suivant dans la ville, on aurait pu croire qu’il en était
le concepteur et le propriétaire. En tous lieux il était reçu comme un
ami, connu de tous et aimé de tous.
Il n’était jamais « off duty », et jonglait sans cesse entre son
téléphone cellulaire et son Palm Pilot comme pour se rappeler à sa «
mission ». Occasion aussi de reparler de « nos affaires ».
John O’Neill était un rebelle dans un univers où l’administration
prenait le pas sur l’action. Chargé de l’ensemble des enquêtes sur les
actes terroristes de l’organisation Al-Qaeda, il s’était rendu au Yémen
après l’attentat contre le destroyer USS Cole qui avait fait 17 morts
parmi les membres d’équipage, le 12 octobre 2000 dans le port d’Aden,
pour fustiger l’attitude d’obstruction des diplomates… américains. Des
divergences profondes étaient apparues au fil de l’enquête entre les
diplomates du Département d’État et les enquêteurs du FBI, les premiers
souhaitant ménager la susceptibilité du régime yéménite pour obtenir un
assouplissement politique, les seconds animés par la volonté d’élucider
rapidement les responsabilités dans l’attentat. Deux visions, deux
cultures qui ne pouvaient cohabiter.
Après les premières frictions au sujet du port d’armes des agents du
FBI et la remise aux autorités américaines de suspects qualifiés de «
seconds couteaux », la lutte débuta en février et culmina en juillet
2001 avec l’intervention de l’ambassadeur américain au Yémen, Barbara
Bodine, pour empêcher l’entrée sur le territoire yéménite de John
O’Neill et de son équipe, les « Rambos » comme les qualifiaient les
autorités yéménites. Pourtant selon John O’Neill, le PBI avait en main
tous les éléments permettant de mettre en cause les réseaux d’Ossama
Bin Laden dans cet attentat.
Cet épisode rappelait la lutte que se livrèrent le conseiller pour la sécurité nationale et le Secrétaire d’Etat américain, à l’époque Henri Kissinger, pour le contrôle de la politique de sécurité dans les années 70, avec en point d’orgue une mise en tutelle des organes opérationnels par les diplomates, contribuant à scléroser l’appareil d’Etat.
Dans l’ambiance décalée du China Club, au sommet d’un building
surplombant tout Manhattan, John O’Neill commença à raconter ses passes
d’armes avec l’ambassadeur américain, ses déceptions devant
l’impuissance feinte ou avérée du Département d’État, et surtout les
enjeux liés à Ossama Bin Laden. Pour lui, tout venait de l’Arabie
Saoudite, tout pouvait être expliqué et élucidé à travers ce prisme.
« Toutes les réponses, toutes les clés permettant de démanteler
l’organisation d’Ossama Bin Laden se trouvent en Arabie Saoudite », me
dira-t-il en soulignant « l’impuissance de la diplomatie américaine à
obtenir quoi que ce soit du roi Fahd » concernant les réseaux
terroristes. La raison? Une seule: les intérêts pétroliers. Cette seule
explication pouvait-elle empêcher les États-Unis d’enquêter sur l’un
des principaux réseaux terroristes dans le monde? Oui, pour la simple
et bonne raison que l’administration américaine s’était en quelque
sorte auto-dissuadée d’utiliser l’enquête comme moyen de pression sur
ses amis saoudiens.
Lors des investigations sur l’attentat contre les installations
militaires de Dharan le 25 juin 1996 qui fit 19 morts parmi les soldats
américains, John O’Neill se rendit lui même en Arabie Saoudite pour
obtenir du roi Fahd la coopération des autorités. Peine perdue; les
services de renseignement saoudiens interrogeaient seuls les principaux
suspects, tandis que le FBI était relégué à la collecte des indices
matériels pour faire avancer l’enquête.
S’agissant des relations entre l’organisation Al-Qaeda et l’Arabie
Saoudite, les conclusions du rapport sur « L’environnement économique
de la famille Bin Laden » ne l’étonnèrent qu’à moitié, et il confirma
que des liens étroits subsistaient en juillet 2001 avec le royaume,
contrairement aux affirmations publiques des uns et des autres. Sur le
sujet, il se montra néanmoins très pessimiste sur les chances de voir
les choses évoluer positivement, mettant en cause la direction très «
politique » du FBI dans ce domaine comme sur le plan intérieur.
Venant de l’un des meilleurs spécialistes de ces questions aux
États-Unis, les révélations de John O’Neill éclairent d’un jour cynique
les enjeux liés à Ossama Bin Laden. On découvre que les intérêts de la
lutte antiterroriste passent dans l’ordre des priorités après la
«raison d’État ». C’est essentiellement par dépit et parce qu’il savait
que rien ne viendrait altérer sa foi que John O’Neill a quitté le FBI
au mois d’août 2001 pour prendre ses nouvelles fonctions de directeur
de la sécurité… du World Trade Center.
Le 11 septembre 2001, il assistait à une réunion consacrée à la
sécurité des tours jumelles lorsque le premier avion percuta le
bâtiment. En professionnel, il en sortit pour appeler les secours et
coordonner l’arrivée de la police, avant de regagner le bâtiment pour
aider à l’évacuation des occupants, comme pour sauver ces milliers de
New-Yorkais qui lui étaient si familiers. Il alla vers son funeste
destin.
Le témoignage de John O’Neill reste aujourd’hui une pièce essentielle du puzzle de la lutte contre le terrorisme. Il met en lumière les deux principales pierres d’achoppement de l’Occident face à ces réseaux: le pétrole et ses enjeux géostratégiques; l’Arabie Saoudite et ses ambitions religieuses et financières.
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