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Les résultats de cette fâcheuse expédition furent singulièrement assombris par la malveillance des ennemis personnels du maréchal et par la haine des partis contraires au gouvernement; on alla jusqu’à dire que la moitié de l'armée fut perdue et que, dès ce moment, la France ne devait plus compter sur sa domination en Algérie. La vérité est que pendant les dix-sept jours que dura cette courte campagne, l’armée avait perdu quatre cent cinquante-sept hommes, dont deux cent dix-neuf tués ou morts à la suite de blessures; cent soixante-quatre morts de froid, de faim ou de fatigue; soixante-quatorze égarés, c’est-à-dire tombés de lassitude ou de maladie sur la route et décapités par les Arabes. Sur un effectif de huit mille sept cent soixante-six hommes, c’était environ le vingtième qui avait succombé au milieu des pluies, des gelées, et des escarmouches continuelles.
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Or, il n’y a pas de combats, dit le maréchal Clausel dans ses Explications, où « la proportion ne soit plus grande entre la perte et le nombre d’hommes engagés. » Cela est vrai; mais il faut ajouter que les hôpitaux de Bône et d’Alger se virent encombrés de malades ; et « il en périt un si grand nombre, dit le commandant Pélissier, qu’on peut bien porter la perte totale dans cette expédition à près de deux mille hommes. » Ces chiffres si douloureusement expressifs démontrent assez que la véritable cause de l'insuccès fut l’imprévoyance. L’époque choisie, l’insuffisance du matériel et des vivres, devaient nécessairement amener le dénouement fatal auquel nous venons d’assister. Pour en espérer un autre, il fallait être en proie à de bien étranges illusions ou compter sur une grande faveur de la fortune. Or, en Algérie moins qu’ailleurs, un général ne doit jamais rien livrer au hasard.
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Le 4 décembre, le corps expéditionnaire fut dissous, et les régiments qui en faisaient partie regagnèrent leurs divisions respectives ou furent dirigés vers la France. Quelques jours après son retour de Constantine, le maréchal avait jugé à propos de se rendre à Paris, afin de calmer par sa présence les anxiétés de l’opinion publique et de se trouver en mesure de conjurer l’orage qui le menaçait. Mais sa prévoyance se trouva en défaut : car, le 12 février, le maréchal fut remplacé par le lieutenant général comte Damrémont.
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Cette disgrâce lui fut d’autant plus sensible que le gouvernement annonçait hautement l’intention de venger promptement l’échec de Constantine. En ôtant le commandement ait maréchal, on l’empêchait de prendre sa revanche, on lui enlevait la douce satisfaction de faire oublier lui-même son insuccès; aussi s’écriait-il dans l’excès de sa douleur. « On a laissé une carrière de victoires trébucher sur un revers, sans vouloir lui laisser cueillir un dernier laurier; on a pensé sans doute que j’étais assez tombé pour m’empêcher de me relever. Non, non, je me relève, moi, je me relève pour rentrer, la tête haute, dans mes foyers ! Je me relève ! Et sur le seuil de cette maison paternelle où je retourne, je poserai entre moi et la calomnie ma vieille épée de combat ! » Pourquoi le maréchal ne s’en est-il pas tenu à cette noble protestation ? Pourquoi, dans son mémoire justificatif, nous a-t-il forcé à lire tant de récriminations ? Pourquoi surtout s’est-il oublié jusqu’à imputer l’insuccès de la campagne à des désordres commis par quelques malheureux soldats tourmentés par la faim ? Lui seul devait assumer la responsabilité des fautes commises, car à lui seul serait revenue toute la gloire du succès; ses accusations intempestives lui portèrent préjudice dans l’opinion publique. Nous ne sommes plus aux temps de Carthage où un général devait revenir vainqueur, sous peine d’être traîné au supplice la France comprend toutes les situations, la France a toujours de puissantes sympathies pour le courage malheureux.
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Cependant, on doit le reconnaître, cette seconde administration du maréchal Clausel ne fut pas sans résultats avantageux pour la patrie; sa présence en Afrique avait relevé le moral des soldats, et son habileté militaire a étendu sur plusieurs points la domination. Le maréchal s’était aussi vivement occupé des intérêts de la colonie; il entretenait une correspondance active avec les divers foyers d’émigration, afin de faire arriver à Alger des capitaux et des cultivateurs. Malheureusement, n’ayant point de système de colonisation arrêté, il laissa faire des concessions de terre à tous venants, sans s’inquiéter si ceux qui les obtenaient se trouvaient en mesure de les exploiter, ce qui rarement avait lien; alors la spéculation s’emparait des lots adjugés, et le prix exagéré qu’elle leur attribuait éloignait les véritables colons. Cependant on en vint bientôt à des procédés plus rationnels on diminua autant que possible l’importance des lots et on engagea la colonisation dans les voies de la petite culture, celle qui convient le mieux dans le territoire si accidenté de l’Algérie. Pour atteindre ce but, l’administration s’occupa avec sollicitude de l’établissement d’un cadastre régulier, et fit l’inventaire exact de tous les biens domaniaux ou habous. Le maréchal Clausel s’occupa aussi d’organiser définitivement les gardes nationales d’Afrique: il comprit dans leurs cadres tous les Européens, âgés de dix-huit à soixante ans, qui étaient établis dans les villes que a France occupait; et, par un sentiment de prévoyance politique que tout le monde comprendra, il réserva aux gouverneurs la faculté d’y admettre certaines catégories d’indigènes. Enfin, sous son autorité s’accomplirent les premiers travaux d’agrandissement du port d’Alger, ainsi que la restauration des aqueducs de cette ville, qui tombaient en ruines. MM. Le Pasquier, Vallette de Chevigny et Bresson, intendants civils, le secondèrent tour à tour dans cette partie de son administration. Mais tous ces services furent sans poids dans la balance du ministère; la disgrâce du maréchal était définitive, et il eut la douleur de voir accomplir par d’autres la conquête qu’il avait depuis si longtemps méditée.
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