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Arrivé le 6 juin 1836 au camp de la Tafna, le général Bugeaud, à la tête six mille hommes, parcourut d’abord le pays dans diverses directions. Il se rendit successivement à Oran, à Tlemcen, dont il ravitailla la garnison, et rentra au camp après avoir deux fois rencontré et battu l’ennemi. Dans une nouvelle marche sur Tlemcen (6 juillet), il fut attaqué au passage de la Sickak par Abd-el-Kader. Les forces de l’émir s’élevaient à environ sept mille hommes, y compris mille à douze cents fantassins réguliers.
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Profitant du moment où l’armée française débouchait dans la vallée du Sefsif, il voulut la tourner et l’attaquer à la fois en tête et en queue; mais tandis qu’il opérait ce double mouvement, nos bataillons percent son centre et le séparent des ailes. Par cette habile manœuvre les troupes de l’émir furent précipitées dans une espèce d’entonnoir formé par les sinuosités de l’Isser et mis en complète déroute: douze à quinze cents Arabes et Kabyles restèrent sur la place, et cent trente hommes de l’infanterie régulière tombèrent entre nos mains. Ce combat fut sans contredit le coup le plus sensible qu’eût reçu jusque-là Abd-el-Kader; son autorité auprès de plusieurs tribus en demeura ébranlée, l’argent lui manquait, et s’il n’eût reçu quelques secours du Maroc il se serait trouvé dans la plus grande pénurie. Il regagna en toute hâte sa capitale de Mascara; mais ne s’y croyant pas encore assez en sûreté, il forma le projet de centraliser ses forces et ses ressources a Tekedempt, ancienne ville romaine, située à quatre-vingts kilomètres plus loin.
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Le général Bugeaud continua sa marche sur Tlemcen et ravitailla une seconde fois cette brave garnison qui, privée de communications avec ses dépôts de France ainsi qu’avec les réserves d’Alger, avait été obligée de recourir à la plus ingénieuse industrie pour subvenir à ses besoins. Mais, lui aussi, il ne resta pas dans cette ville le temps nécessaire pour y organiser, avec le concours des indigènes, un système de défense capable d’imposer à l’ennemi. Il laissait livrée à elle-même une faible garnison qui, dans ce poste avancé, était plutôt un embarras qu’un auxiliaire; ainsi, cette fois encore, par le défaut de prévoyance, l’heureux coup de main de la Sickack ne produisit qu’une très faible partie des avantages qu'il aurez dû en retirer. A la fin de juillet, le général Bugeaud quitta l’Algérie, et reçut bientôt après, pour prix de sa victoire, le grade de lieutenant général.
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Aucun événement majeur ne signala, du côté d’Oran, le reste de l’année 1836. En août et en novembre, un corps de troupes put, sans avoir à combattre de sérieux obstacles, promener à de grandes distances le drapeau français. Réduit momentanément à l’impuissance, Abd-el-Kader attendait que des circonstances favorables lui permissent de prendre l’offensive.
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A Bougie, on avait depuis longtemps renoncé à tout espoir de pacification. Oulid-ou-Rebah, cheik des Oulad-Abd-el Djibar, que les Français avaient vu tenter avec assez de mauvaise foi des négociations de paix, était mort; son frère Amisiah l’avait remplacé, et mit encore plus de perfidie que lui dans ses rapports: le 4 août il convoqua le commandant de Bougie, M. Salomon de Musis, à une entrevue; ce brave officier, croyant à la bonne foi de celui qui l’appelait, se rendit presque seul à l’endroit indiqué. Amisiah s’y trouvait escorté d’un petit nombre de cavaliers. Après l’échange des premières politesses, on entama, pour la forme, la discussion du traité qui devait intervenir; mais au moment où il s’y attendait le moins. M. Salomon de Musis fut entouré par les gens du cheik et tomba percé de coups ainsi que son secrétaire. Le ministère ne songea pas alors à venger ce lâche attentat; une entreprise autrement considérable absorbait toute son attention.
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Dans les chambres comme dans la presse, la discussion sur la question d’Algérie était vive et animée; mais toutes les attaques reposaient sur des exagérations tellement monstrueuses qu’il fut très facile de les réfuter. On s’en prit surtout aux abus de l’administration; on s’occupa beaucoup moins de la conduite et du résultat des opérations militaires, et on ne s’inquiéta pas du tout du système de colonisation, ou plutôt de l’absence de système qui jusque-là avait prévalu. Comme orateur, le maréchal Clausel ne jeta aucun jour sur la question; mais sa présence, un certain prestige attaché à son nom, rendit l’attaque moins vive et la défense plus assurée. Quelques insinuations perfides, lancées contre son système administratif, ébranlèrent bien quelquefois sa fière attitude, mais il sut maîtriser ces instants de faiblesse. C’est alors que, pour faire diversion, il se décida à annoncer de vastes plans de conquête. Son enthousiasme apparent ou réel excita la fibre belliqueuse de M. Thiers; le premier ministre était émerveillé des plans du maréchal, de ses moyens d’exécution, et surtout de son imperturbable assurance; il se laissa fasciner par l’exagération de son langage et devint l’un de ses plus chauds partisans. Tous les centres de population, tous les points stratégiques devaient être occupés : dans le courant de septembre il faisait la conquête de la province de Tittery; en octobre, il envahissait la province de Constantine, et s’établissait militairement dans sa capitale; puis il pénétrait dans l’intérieur du beylik d’Oran, soumettait toutes les tribus hostiles, et avant la fin de l’année la régence entière était à la France. Pour accomplir tout cela, il ne demandait qu’une armée de trente-cinq mille hommes! Au reste, voici ce que le maréchal disait à ce propos dans une lettre adressée de Paris au général Rapatel à la date du 2 août 1836 :
« Général, un système de domination absolue de l’ex-régence est, sur ma proposition, définitivement arrêté par le gouvernement. Pour le mettre à exécution, je disposerai de 30,000 hommes de troupes françaises, en y comprenant les zouaves et les spahis réguliers ; de 5,000 hommes de troupes indigènes régulières; enfin de 4,000 auxiliaires soldés pendant la durée des opérations sur Constantine. Des ordres vont être en outre donnés par M. le maréchal ministre de la guerre, pour diriger sur Bône une seconde batterie de campagne, quatre pièces de 12, huit pièces de 16, des effets de campement pour 10,000 hommes, des moyens de, transport pour les vivres et les blessés. Enfin, à défaut du nombre nécessaire de chevaux, qu’il serait difficile ou trop dispendieux d’envoyer de France, le gouvernement autorisera l’acquisition des bêtes de somme qui seront indispensables pour assurer le service des transports.
Les opérations qui devront avoir lieu dans chaque province se feront simultanément et de manière à ce que la campagne qui va s’ouvrir atteigne le but définitif qu’on se propose occuper toutes les villes importantes du pays; y placer des garnisons; établir des camps et postes retranchés an centre de chaque province, ainsi qu’aux divers points militaires qui doivent être occupés d’une manière permanente ; masser, sur un point central dans chaque province, des troupes destinées à former une colonne mobile, qui pourra toujours et instantanément se porter d’un point à un autre, en deux ou trois marches au plus, sans bagages considérables, et par conséquent avec une grande célérité. »
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