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Le dey est le maître absolu du pays. Il gouverne généralement tout le royaume, récompense & punit à son gré, ordonne les camps & les garnisons, dispose des emplois & des grâces, & ne rend compte de sa conduite à personne. Il a pourtant dans ce haut rang, bien des mesures à garder, pour éviter les fréquentes & dangereuse révolutions, que produit l’inconstance d’une milice féroce, difficile à contenir, & au gouvernement de laquelle, il faut user d’une extrême rigueur, ou de beaucoup de bonté, selon les occasions. C’est pourquoi il faut qu’un dey soit irréprochable dans sa conduite, & qu’il prenne sur soi avec hardiesse les événements bons ou mauvais, sans être agité par les réflexions sur l’avenir.
L’élection d’un dey, suivant les constitutions du pays, se doit faire par la voix générale des soldats. Lorsque cette place se trouve vacante par la mort ou la fuite de celui qui l’occupait, toute la milice qui se trouve alors dans Alger, s’assemble dans la maison du roi.
L’aga de la milice, général de l’infanterie, demande à haute voix qui elle veut élire pour dey. Alors chacun peut donner sa voix, & nommer celui qu’il croit le plus digne de gouverner. S’il n’est pas généralement approuvé, il est refusé. On en nomme un ou plusieurs autres à haute voix, & lorsqu’un est agréé, ils s’écrient tous ensemble, en le revêtant d’un cafetan & en le portant bon gré ou mal gré sur le siège royal, « à la bonne heure. Ainsi soit-il. Que Dieu lui accorde », en le nommant par son nom; « félicité & prospérité, à la bonne heure. Ainsi soit-ilf ». Le cadi ou juge de la loi lui lit un moment après tout haut, quelles sont se obligations, dont le précis est, que Dieu l’a appelé au gouvernement du royaume & de la guerrière milice : qu’il est en place pour punir les méchants & faire jouir les bons de leurs privilèges : qu’il doit entretenir exactement la paye, employer tous ses soins pour la prospérité du pays, fixer le prix des denrées pour le bien des pauvres & autres chose semblables.
Après quoi tous lui baisent la main, & lui promettent fidélité & soumission. Une heure ou deux est tout le temps qu’il faut pour une grande cérémonie, dont toute la splendeur consiste en quelques coups de canon qu’on tire des forteresses.
Il faut pourtant observer, que le choix d’un dey se fait rarement sans trouble & sans massacre, y ayant toujours différentes cabales sur ce sujet.
Comme tous les turcs de la milice d’Alger sont sans distinction habiles à être deys ou chefs du gouvernement, il y en a toujours quelques-uns plus ambitieux que les autres, qui font des partis parmi les plus mutins & les plus intéressés, pour tuer celui qui est en place, sur divers prétextes & en promettant à ses satellites les premières charges de l’état. Lorsqu’un de ces partis peut tenir la chose secrète, jusqu’à ce qu’il puisse entrer bien uni dans la maison du roi, le dey étant sur son siège, il est tué à coups d’armes à feu ou de poignards.
Le chef de ce parti est mis aussitôt en sa place par ses adhérents, qui le revêtent du cafetan tout sanglant, dont ils dépouillent le mort, & crient à haute voix ; « prospérité à untel que Dieu a voulu appeler au gouvernement du royaume & de la guerrière milice d’Alger » ; sans que les officiers du Divan qui sont présents, osent remuer, de peur que la cabale ne soit plus forte qu’eux ; car alors ils seraient sûrs de périr, s’ils voulaient lui résister. Ils vont au contraire sur le champ baiser la main au nouveau dey, & après eux la milice ; chacun craignant de perdre la vie. Car il est assez ordinaire que lorsqu’un turc se fait dey par une voie semblable, il fait étrangler tous les officiers du Divan, lorsqu’ils sont opposés à son entreprise, ayant déjà promis les places vacantes à ceux de sa cabale. Il ne laisse d’anciens officiers que ceux qui lui ont aidé par leurs avis, ou autrement, & à ceux qui ne se sont pas attachés particulièrement à la personne du dey précédent.
Ali dey élu au mois de juin 1710 & qui parvint au deylik par la mort cruelle d’Ibrahim dey surnommé le fou, fit étrangler noyer ou massacrer 1700 personnes dans la premier mois de son règne.
Il jugea à propos de se défaire de quelques esprits remuants, amis du défunt, qui auraient nécessairement vengé sa mort aux dépens de Ali. Mais cette exécution ayant déplu à plusieurs personnes, les mécontents prirent de là prétexte de former plusieurs cabales, que Ali dey eut le bonheur de détruire, avant qu’elles eussent le temps d’exécuter leur dessein.
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Ibrahim dey fut massacré pour avoir voulu séduire la femme de Mahmoud raïs, renégat portugais, qui commande actuellement un vaisseau de 22 canons nommé la galère hollandaise. Il est à propos de raconter ici le fait, pour faire voir combien un dey tout puissant en un sens, est chancelant sur son trône rempli d’épines.
Ce dey parvint au gouvernement dans le mois de mai 1710. Il aimait beaucoup les femmes & se hâta de faire valoir son autorité pour prendre des plaisirs illicites, qui ne sont pardonnés par personne dans ce pays. Il se faisait informer par son confident, des maisons où il y avait de jolies femmes, & lorsque les maris étaient en mer ou en campagne, il allait secrètement à une heure indue chez elles. Il se rendait maître des esclaves par l’argent qu’il leur faisait distribuer, & par les menaces qu’il leur faisait s’ils parlaient. Il trouva peu de cruelles, soit par crainte ou par obéissance. Mais malheureusement pour lui, à peine goûtait-il le fruit criminel de ses intrigues, qu’il trouva sa perte. Ayant appris que la femme de Mahmoud raïs, qui était alors en course, était une jeune & aimable personne, il se rendit chez elle de la même manière qu’il avait accoutumé de faire. Il trouva un esclave nègre & fort laid, à qui le mari avait commis la garde des portes de sa maison. Cet esclave trembla à la vue du dey. Il se prosterna à ses pieds, & ayant reçu de l’argent, il le laissa monter à l’appartement de la femme, qui effrayée de voir un turc chez elle, se mit à crier. Les esclaves chrétiennes accoururent & furent toutes étonnées lors qu’Ibrahim se nomma. Il fit une démonstration des plus tendres à la femme de Mahmoud, à laquelle elle répondit par des injures atroces & par des menaces. Le dey déconcerté s’en alla, sans craindre pourtant que cette tentative tirât à aucune mauvaise conséquence. Mahmoud raïs arriva peu de temps après; sa femme lui raconta tout ce qui s’était passé, & lui demanda vengeance de l’affront que le dey avait voulu lui faire pendants son absence. Mahmoud lui répondit, que puisque sa vertu & son devoir avaient triomphé, cela ne pouvait pas lui faire du tort, quand même le dey en parlerait; mais qu’il se garderait bien de divulguer & de faire parade de ces sottises & de risquer de se rendre m….. (mot illisible) ; que ce dey ne se conduisait que par des maximes opposées à la raison & à la prudence, qu’il ne pouvait pas durer longtemps dans son poste, & qu’il valait mieux que ce fussent d’autres que lui qui entreprissent sur sa personne. Sa femme fut outrée d’un discours si modéré, & lui répliqua par des injures qui le piquèrent au vif. Elle lui dit qu’elle croyait avoir épousé un musulman, ou vrai croyant, mais qu’elle n’avait épousé qu’un chrétien, & qu’elle l’obligerait bien de la répudier, s’il ne lui faisait pas raison de cet affront. Elle confit a cette affaire aux femmes de plusieurs raïs ou capitaines de vaisseau, auxquelles elle fit entendre que le dey était un homme sans religion & sans raison ; qu’il se croyait tout permis, qu’il ne se souciait ni des lois, ni du droit des gens; que si l’on souffrait ce crimes & ses folies au commencement de son règne, lorsqu’il serait devenu encore plus le maître, il les prendrait de force pour les déshonorer, & qu’elles seraient toutes ses esclaves. Elles les engagea par ces discours, à contraindre leurs maris de se défaire d’Ibrahim dey. Ils en parlèrent à Mahmoud, & le portèrent à le faire massacrer, lui promettant de le seconder. Mahmoud se rendit & prit la résolution de satisfaire à la fureur de sa femme & de ses confrères, sur les représentations qu’ils lui fi rent que les capitaines corsaires devaient être les plus considérés & les plus respectés de l’État; que c’étaient eux qui en étaient le plus ferme soutien, qui y apportaient le plus grand profit tant en marchandises qu’en esclaves, & qui exposaient leur vie pendant toute l’année. Il le dit à sa femme qui en fut ravie d’aise, & qui l’obligea de se servir du nègre pour porter le premier coup au dey, afin de punir cet esclave de ce qu’il l’avait laissé entrer & monter dans son appartement. L’affaire fut examinée & concertée, & la résolution fut prise de tuer le dey à la première occasion favorable, & le secret fut bien observé.
Un jour que le dey venait de la marine à son palais, suivi des officiers de sa maison & des principaux du Divan, dès qu’il fut entré dans la ville, l’esclave nègre de Mahmoud, qui avait été posté à la porte de la marine avec un fusil chargé, lui tira & le manqua. Le dey pâlit & n’osa pas seulement demander ce que c’était, sachant bien qu’en pareilles occasions il ne peut se confier à personne. Aucun de ceux qui l’accompagnaient n’osa remuer, craignant un mauvais traitement, si les assassins étaient plus forts.
Le dey & sa suite marchèrent toujours, & arrivèrent au Battistan, qui est le marché des esclaves, tout près de sa maison. Le nègre qui avait pris les devants & rechargé son fusil, lui tira un second coup & le manque encore. Le dey & toute sa troupe arrivèrent à la porte du palais, où les conjurés qui suivaient près de lui, sans qu’on les soupçonnât, voyant qu’ils avaient manqué leur coup & que s’ils n’achevaient pas ce qu’ils avaient commencé, ils seraient bientôt découverts & étranglés par ordre du roi, crièrent « Char-Allah » : « Justice de la part de Dieu ». Le dey effrayé entra, sans savoir quel chemin il prendrait. Les conjurés le suivirent de prés, la populace s’y joignit, & l’ayant accusé hautement de ses crimes, on cria confusément qu’il fal¬lait qu’il périt. Ce malheureux prince eut le temps de gagner sa chambre & de s’y enfermer avec deux esclaves chrétiens qui étaient ses pages. Les conjurés vinrent à la porte avec des haches pour l’ouvrir; mais comme la chambre du dey est ordinairement embellie des armes curieuses dont les princes chrétiens lui font présent, comme des fusils & des pistolets à plusieurs coups, il fit en entrant décrocher toutes les armes par ses esclaves. Il tirait par chaque brèche qu’on faisait à la porte, & tuait tous ceux qui se présentaient, & d’autres même qui étaient derrière parmi la foule. Ainsi les conjurés ne pouvant pas tenir & venir à bout de leur dessein, montèrent sur la terrasse, qu’ils dépavèrent au-dessus de la chambre, où ils firent une grande ouverture; & ayant fait apporter des grenades, ils assassinèrent Ibrahim dey, & on en élut un autre sur le champ. C’est ainsi que ce misérable prince finit ses jours, après avoir régné environs un mois. Son cadavre fut insulté & traîné dans les rues, après quoi son successeur lui fit dresser un mausolée, & le fit inhumer selon l’usage.
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Un dey se trouve l’esclave des esclaves. Il marche continuellement sur des épines. Il est dans uns méfiance perpétuelle, & toujours occupé à découvrir des conspirations, & à faire mourir ceux qui en sont accusés ou soupçonnés, quelquefois sans fondement, tant pour détruire les factieux, que pour l’exemple. Mais ce sont des hydres, d’une tête coupée il en naît une infinité : c’est ce qui en a obligé quelques-uns de s’enfuir secrètement dans les montagnes du Couco, & d’aller chercher leur repos dans la solitude. Ils n’en ont pourtant pas toujours les moyens, & ils s’exposent à être massacrés s’ils sont découverts ; parce qu’on suppose d’abord, qu’ils ont fait des concussions, & qu’ils emportent beaucoup d’argent, ou qu’ils l’ont déjà envoyé dans le pays où ils veulent se retirer.
Lorsqu’un dey est tué par son peuple, ses femmes sont dépouillées de tout ce qu’elles ont au delà de leur premier état ; ses enfants sont réduits à la simple paye de soldat, & exclus de toutes les charges de l’État. Mais lorsqu’il meurt de mort naturelle, ce qui est fort rare, il est révéré comme un saint; on n’inquiète aucun des siens, & on lui rend avec distinction les honneurs funèbres. Cet exemple est arrivé, lors de la mort de Ali dey en avril 1718. Pendant sa maladie, & dans le temps qu’on désespéra de sa vie, les officiers de sa maison & du Divan choisirent fort secrètement un d’entre eux pour lui succéder ; & dès le moment que le malade eut expiré, ce qui arriva la nuit du 4 avril, Mehemed dey, qui était alors Cazenadar, ou trésorier de l’État, fut placé sur le siège royal & revêtu du cafetan par les gens de son parti. On ouvrit les portes du palais à l’heure ordinaire, l’on fit tirer le canon, & l’on annonça la mort de Ali & l’élection de Mehemed. Alors tous les officiers, & toute la milice vinrent lui baiser la main, & le féliciter, de même que les consuls étrangers qu’on en fit avertir. Mais on ne s’en tient pas toujours là, & cet exemple en faveur de Mehemet est l’unique. Quelquefois à l’élection d’un dey, il n’est pas plutôt assis sur son trône royal, qu’il est tué par un parti, & celui qu’on amis à sa place tué par un autre. On a vu dans un jour six deys massacrés, & sept élus. On en voit les six mausolées ensemble, qui forment un rond hors de la porte de Bab-el-oued. On ne fait pas plus de difficulté de reconnaître un turc qui s’est fait dey par la force des armes, que celui qui est placé sur le trône malgré ou bon gré, disant que ce qui doit arriver est écrit de tout temps, & n’arrive que par sa volonté éternelle & immuable de Dieu.
Le dey ne sort presque jamais de son palais, mais seulement lors de certaines cérémonies qui sont d’usage, mais fort rares. Ce qu’on appelle la maison du roi, qui est un bâtiment qui appartient à l’État, qu’on pourrait bien appeler la Maison de l’État, est affectée au dey & à son domestique. C’est dans cette maison que l’on règle toutes les affaires du royaume; l’on y rend la justice, & le trésor y est enfermé. Lorsque le dey est marié il a une maison particulière; où il tient ses femmes, ses enfants & ses concubines. Les deys ont à présent perdu l’usage de se marier & d’avoir des concubines, à cause de la jalousie qu’elles engendrées & par leurs dépenses. L’exercice ordinaire du dey est d’être presque tout le jour sur son siège au fonds d’une grande salle au rez-de-chaussée, pour y écouter tout le monde, tant de la ville que du dehors, & rendre la justice sans aucun délai.
Ce siège royal est un banc de pierre garni de briques, couvert d’un tapis de Turquie avec une peau de lion par-dessus. Il s’y rend après la première prière Chaban, qui se fait à la pointe du jour, & il y reste jusqu’à la seconde prière nommée Dobor, qui se trouve plus ou moins vers midi selon la saison. Il monte alors dans sa chambre, y fait sa prière, & dîne seul ou avec quelqu’un de ses meilleurs amis. Dès qu’il a dîné il retourne à son siège, où il reste jusqu’à la prière de Lazhar, qui est la troisième prière, & se rencontre aussi plus ou moins près de quatre heures du soir, suivant la saison de l’année. Alors il remonte dans sa chambre, fait sa prière, se récrée au bruit d’un tambour d’une grandeur démesurée & d’une musette; après quoi il soupe, s’entretient familièrement avec quelques-uns de ses amis & se couche de fort bonne heure. Pendant tout le temps qu’il demeure à son poste, les quatre grands hojasou Cogias, ses secrétaires d’État, sont assis à sa droite dans un bureau & tout près de lui, pour exécuter ses ordres sur le champ. Ils tiennent chacun entre les mains les registres dont ils sont chargés de vérifier ce que le dey ordonne. Le trésorier de l’État, le bachaoux, les chaoux & le truchement de la maison du roi sont toujours auprès du dey, & aucun ne sort pour vaquer à ses affaires tant que le dey est sur son siège. Là il règle, ordonne, décide généralement de toutes choses, excepté des affaires de religion qui doivent être réservées au Cadi, chacun, depuis le plus grand de l’État jusqu’au dernier esclave, vient porter au dey ses causes civiles ou criminelles, les explique lui-même sans avocat, ni procureur, ni solliciteur, qu’on ne connaît point dans ce pays, & elles sont décidées sur le champ sans frais & sans appel.
Vis-à-vis la maison du roi il y a une salle, où s’assemblent les plus anciens officiers de la milice; ils se rendent à cette assemblée à l’heure que le dey va à son siège, & n’en sortent que quand il se retire. Sur des bancs près de la porte de la maison du roi, sont assis d’autres anciens officiers des troupes, qui y restent aussi longtemps que le dey est sur son siège; tellement que lorsqu’il a besoin de quelqu’un pour donner des ordres, il les a sous sa main, & les particuliers trouvent aussi ceux qui leurs sont nécessaires, & on n’a aucune peine pour les chercher, ce qui est d’une grande commodité.
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Voici le préambule des traités faits entre cette régence & les puissances étrangères :
« Au nom de Dieu miséricordieux, louange au Dieu & roi éternel, & grâces soient rendues à ce roi des rois qui est tout puissant & créateur du monde. Le très honoré, très puissant, très illustre & très magnifique Mehemed fils d’Assein, ayant été par la permission du Dieu très haut maître des destinées, élu dey & gouverneur du royaume & ville guerrière d’Alger, du consentement unanime des soldats invincibles & grands du pays, chef de la loi, ministres, Divan, peuples & habitants &c. »
Le dey qui gouvernait au commencement de cette année s’appelait Mehemed fils d’Assein. Il était âgé d’environ 36 ans, d’une grande taille, gros & vigoureux. Il ne savait ni lire, ni écrire. Il gardait dans sa jeunesse des bœufs en Égypte, & il avait conservé une grande brutalité. Il n’avait jamais été marié, & il occupait la charge de cazenadar, ou trésorier de l’État. Il fut élu au commencement du mois d’avril 1718.
Le 18 mai 1724 ce même Mehemed pacha dey étant allé selon sa coutume se promener à la marine, y visita tous les châteaux. En entrant dans la ville sur les dix heures du matin, il fut assassiné par cinq ou six turcs qui l’attendaient en dedans de la porte d’une caserne, devant laquelle il fallait qu’il passât, étant située au-dessus même de la porte de la marine. Un turc qui était sur la terrasse de cette caserne lui tira un coup de fusil. Ce fut un signal pour ceux qui étaient en embuscade, lesquels en se montrant à la porte firent leur décharge sur le dey, qui tomba sans pouvoir prononcer une parole. Les gardes qui l’accompagnaient se dispersèrent, & les assassins tuèrent encore un chaoux & un écrivain, qui étaient parents du dey, & coururent à la maison du roi pour s’en emparer & y proclamer un dey de leur parti. Heureusement le cazenadar, ou trésorier de l’État, qui était de la compagnie du dey les y avait devancés, quoique blessé à la tête d’un coup de sabre, & avait engagé les noubagis ou gardes de la porte de prendre leurs armes, & de proclamer un dey de leur parti. Il le firent en obligeant l’aga des spahis, intime ami du défunt, de prendre sa place. A peine fut-il sur le siège du dey revêtu du cafetan, que les assassins se présentèrent devant la porte. Les gardes les arrêtèrent en les couchant en joue & les exhortant à se retirer, ne sachant s’ils venaient comme amis ou comme ennemis. Ils ajoutèrent qu’on avait proclamé Abdi aga pour leur dey ; mais ces assassins ayant répondu qu’ils en voulaient un autre, les gardes firent feu, trois furent tués sur la place, & les autres eurent le bonheur de se sauver.
Cette expédition étant faite, on ouvrit les portes de la maison du roi; Abdi aga fut proclamé dey par des chaoux sur la place qui est devant, & d’autres chaoux furent avertir les consuls & les ministres étrangers de cette proclamation. On courut en foule le féliciter, & tout fut tranquille avant la fin du jour, & l’a été depuis ce temps-là.
Abdi aga dey est un homme d’environ 60 ans, qui a passé par les principales dignités du gouvernement. Il a été bey ou lieutenant-général des pays situés au midi, & ensuite général de la cavalerie pendant plusieurs années. Il est plus capable de gouverner & de se faire aimer qu’aucun autre. Il est doux, homme de bien & de bonnes mœurs, ce qu’on remarque d’autant mieux qu’il a succédé à
un dey violent, mais qui a pourtant rendu service au gouvernement, par les fortifications qu’il a fait réparer & augmenter continuellement, depuis qu’il a été en place jusqu’à sa mort tragique
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