.
De la situation & de la disposition de la ville d’Alger
.
.
La ville d’Alger, capitale du royaume de ce nom, où réside perpétuellement la cour avec le gros de la milice, est l’âme du gouvernement, & toute la force de l’Etat.
Cette ville est selon l’opinion la plus probable, celle à qui Juba II père de Ptolémée donna le nom de Jol ou Julia Cesaria, en reconnaissance des bienfaits qu’il avait reçus de l’empereur César Auguste; l’on trouve encore actuellement dans le revers de quelques médailles des empereurs Claude & Antonin, une ville avec le nom de Julia Cesaria. Vers la fin du VIIe siècle les arabes s’emparèrent de la Mauritanie césarienne, & se faisant un plaissir & une gloire d’abolir le nom romain, changèrent le nom de cette ville, & lui donnèrent celui d’Algezaïr qui signifie en langue arabe l’île, parce qu’il y avait une île devant la ville, dont on s’est servi pour former le port qu’on y voit à présent.
Cette ville est entre le pays de Tenes & celui de Bougie, baignée de la mer Méditerranée du côté du nord..Elle est bâtie sur le penchant d’une colline jusqu’au bord de la mer. Elle forme, un parfait amphithéâtre, aucune maison ne borne la vue. Sa forme est celle d’une voile de vaisseau, lorsqu’on l’approche ; les terrasses qui sont toutes bien blanchies en rendent la vue toute particulière, & l’on dirait en la découvrant, que c’est une blanchisserie où l’on a étendu du linge.
.
Ses rues sont si étroites qu’à peine deux personnes y peuvent aller ensemble commodément, le milieu étant plus bas que les côtés, qui forment une espèce de parapet par où l’on passe. On y trouve un grand nombre de chameaux, de chevaux, de mulets, & d’ânes chargés, pour lesquels il faut se ranger, & se coller contre les maisons au premier avertissement. La rencontre des soldats turcs est encore plus fâcheuse, car on doit leur céder le pas, & attendre qu’ils soient passés, pour éviter toute querelle avec eux, à cause de leur brutale fierté.
Il n’y a qu’une rue assez large, qui va d’un bout de la ville à l’autre, de l’orient à l’occident. Elles est plus grande en certains endroits où sont les boutiques des principaux marchands, & où se tient tous les jours le marché des grains & des denrées qui s’y consomment.
On a disposé les rues si étroites, selon l’opinion commune, pour n’u être pas incommodé de l’ardeur du soleil, mais l’on voit clairement que les tremblements de terre qui y sont assez fréquents y ont aussi contribué, puisque presque toutes les façades des maisons y sont étayées les unes avec les autres par des chevrons qui croisent la rue. On en sentit de violentes secousses pendant neufs mois dans l’année 1717. tous les habitants abandonnèrent la ville, & il n’y resta que le Divan ou les officiers de l’État auprès du dey & dans son palais. Tous les chemins étaient pleins de tentes où campaient les pauvres habitants, qui n’avaient pas de biens de campagne, & la misère y fit périr beaucoup de monde. Il y eut une demi-lieue de terrain auprès de la ville, où les maisons de campagne furent abattues par les différentes secousses, & le terrain bouleversé.
.
.
.
.
Les édifices de la ville d’Alger
.
.
Les murailles de la ville ont les fondements & le bas en pierre de taille, & le haut de brique. Elles ont environ 30 pieds dans leur plus grande élévation du côté de la terre, & 40 du côté de la mer. La ville est entourée de vieilles tours carrées, qui font partie des murailles. Il y a un ancien fort dont le rempart fait partie de la ville, qu’on appelle Alcazar, où l’on a toujours garnison, & qui est le seul qu’on y avait lorsque les arabes la possédaient. Une muraille sépare ce fort de la ville. Les fossés ont environ 20 pieds de largeur & sept pieds de profondeur.
.
Il n’y a point d’eau douce dans la ville, & quoique chaque maison y ait une citerne, on en manque très souvent à cause de la rareté des pluies. Autrefois les habitants étaient obligés d’en envoyer chercher à la campagne pour remplir leurs citernes, mais en 1611 un maure de ceux qui avaient été chassés d’Espagne, ayant vu une belle source sur une colline auprès du château de l’empereur, à un bon quart de lieue de la ville, proposa au dey de faire conduire cette eau dans la ville. Ce projet fut exécuté, en faisant un aqueduc, & par le moyen de plusieurs tuyaux, on donna de l’eau à plus de cent fontaines qu’on construisit tant dans la ville qu’à la campagne. Tous les tuyaux aboutissent à un réservoir, qui est au bout du môle, où tous les bâtiments de mer font leur eau avec beaucoup de commodité. A chaque fontaine il y a une tasse ou gobelet attaché, pour le besoin des passants.
.
Il y a cinq portes, qui sont toujours ouvertes depuis la pointe du jour jusqu’au soleil couchant. La porte de la marine ou du môle est à l’orient. L’on y voit à l’entrée cinq cloches, qui ont été prises dans la ville d’Oran en 1708. Les turcs les y gardent pour trophée de cette conquête, qui leur est véritablement d’une très grande importance, tant pour mettre le pays en sûreté, que pour le profit qu’ils en retirent.
La porte de Babbazira est un peu plus au sud de celle de la marine & a issue dans le port. Elle est nommée communément la porte de la pêcherie, à cause que les pêcheurs y tiennent leurs bateaux. En dedans il y a un chantier où l’on construit des vaisseaux.
La porte Neuve ou de Babaxedit au sud sud¬ouest, conduit au château de l’empereur.
La porte de Babazoun est au midi. C’est sur les remparts tout près de cette porte où l’on fait les exécutions. L’on y pend les malfaiteurs, & l’on y jette aux crocs qui sont attachés à la muraille de distance ne distance, les voleurs de grand chemin.
La porte de Babalouet est au septentrion. Au dehors de cette porte sont les cimetières des chrétiens & des juifs & le lieu de leurs supplices, lorsqu’ils sont jugés dignes de mort.
.
Il y a quatre forts autour de la ville, du côté de la terre: le plus considérable est le château de l’empereur, commencé par les troupes de l’empereur Charles V en 1541 & achevé & fortifi é par Hassan pacha en 1545. il est situe au sud-ouest de la ville, sur une montagne qui le domine avec tous ses dehors.
Le château neuf, qu’on appelle communément le château de l’étoile, est un fort heptagone sur une colline au sud-ouest de la ville qui y fut bâti par le même Hassan, & perfectionné par ses successeurs, à cause que les troupes espagnoles s’étaient logées sur cette colline & y avaient dressé une batterie.
Les deux autres sont les forts de Babazon & de Babeloeuet, vis-à-vis & tout près des portes de même nom ; mais ils sont de peu de conséquence.
Au sud-est de l’entrée du port, sur la pointe du cap Matifou qui forme la rade, à deux lieues de distance ou environ, il y a un fort de vingt pièces de canon nommé le fort de Matifou. C’était un fort ruiné qui avait resté des débris de la ville qu’on appelait autrefois Metafou. Il fut rebâti, parce que les galères de France lors du bombardement de 1685, mouillèrent dans une anse qui est sous ce cap.
Le long du rivage du côté de l’ouest, il y a deux autres petits forts. A demi-lieue de la ville est le fort des anglais de douze pièces de canon. Il fut construit & nommé tel, parce que des navires anglais étant en calme le long de cette côte, en sondant trouvèrent un mouillage & donnèrent l’ancre à peu de distance de la terre, étant en paix. Mais cela fit présumer aux algériens, que leurs ennemis pourraient y faire un débarquement, & se rendre maîtres de la campagne.
L’autre fort est à une demie-lieue de celui des anglais, bâti sur une pointe ou petit cap nommé la pointe Pescade, à cause que les bateaux pêcheurs vont s’amarrer dans une anse qui est sous cette pointe. Il y a quatre pièces de canon & garnison comme dans tous les autres. Il fut construit sur cette pointe, parce qu’une galère étrangère se mit pendant la nuit dans l’anse qui est entre les rochers, pour être à l’abri d’un coup de vent, & se sauva en plein jour & à la vue des algériens.Tous ces forts ne tiendraient pas beaucoup, si on pouvait faire un débarquement de bonnes troupes & d’artillerie, parce qu’ils sont dominés par des terrains élevés. Les fortifications les plus considérables sont à l’en-trée du port, qui se défend déjà assez par sa situation, & par le danger où les vaisseaux sont exposés dans la rade & sur la côte, lorsque le vent est tou¬jours très violent, & donne une grosse mer.
.
Le port est artificiel de 15 pieds dans sa plus grande profondeur. On a joint à la terre ferme une petite île ou rocher pour former ce port, par un môle d’environ 500 pas géométriques, qui va nord-est & sud-ouest. On en a pratiqué un autre sur le même rocher, presque aussi long que le premier, situé nord & sud, qui couvre la port. A l’angle de ces deux môles il y a une hale quarrée, au milieu de laquelle est une cour aussi carrée avec des balustrades & quatre fontaines qui servent pour les ablutions lorsque l’heur de la prière est annoncée. Aux quatre côtés règne un banc de pierre couvert de natte. C’est là où s’assemblent tous les jours l’amiral & les officiers de marine & du port. Il y a au bas & tout le long du môle une espèce de quai, où les bâtiments à rames vont s’amarrer & où l’on charge & décharge.
Du côté du nord du rocher est le fort du fanal, où il y a une lanterne assez élevée qu’on allume pour guider les bâtiments qui arrivent pendant la nuit. Il y a trois belles batteries de canons de fonte. Au sud de ce fort il y en a une autre pour défendrel’en-trée du port, & des batteries du nord au sud très bien situées. Il y a en tout quatre vingt pièces de canons de 36, 18 & 12 livres de balle, dont la plupart proviennent d’une victoire que les algériens remportèrent sur les tunisiens en l’année 1617. il y en a aussi quelques-uns aux armes de France, que les français abandonnèrent à Gigery en 1664. outre cela il y a six petites pièces de canon en batterie sur un boulevard près de la porte du môle qui domine le port.
Sur le môle nord & sud il y a quelques magasins pour l’armement des vaisseaux & pour les marchandises des brises, & un chantier de cons¬truction fort étroit.
Les bâtiment sont les uns sur les autres dans le port, & usent beaucoup de câbles pour s’y mainte¬nir pendant l’hiver. Lorsqu’il vente du nord qui est le traversier de la rade, la mer fait un grand ressac dans le port, & fait quelquefois briser les bâtiments les uns contre les autres. Comme le grand môle est exposé directement au nord, pour empêcher qu’il ne soit emporté par les furieux coups de mer qui roule avec impétuosité sur un banc de sable qui règne tout le long de ce môle en dehors du port, on est obligé de faire travailler pendant toute l’année les esclaves du deylik à une carrière de pierre dure qui est près de la pointe de Pescade, & à porter ces pierres & les jeter dans la mer tout le long du môle pour le garantir. La mer emporte peu à peu les rochers qu’on y jette, mais on a toujours soin de les remplacer.
.
On voit dans la ville dix grandes mosquées & cinquante petites ; trois grands collèges ou écoles publiques, & une infinité de petites pour les enfants ; & cinq bagnes pour y loger & enfermer les esclaves du deylik ou gouvernement. Ces bagnes sont de grands & vastes bâtiments, sous la direction d’un gardien bachi ou gouverneur chef, qui a des officiers sous ses ordres, auxquels il remet le soin du détail & des revues, & qui lui rendent compte de tout ce qui se passe dans ces maisons. Nous en parlerons plus amplement dans la suite.
.
Les maisons d’Alger sont bâties de pierre & de brique, assez fortes & ordinairement carrées. Il y a une cour pavée au milieu, carrée & grande à proportion de la maison. Autour de cette cour il y a quatre galeries où sont les appartements bas. Au¬dessus de ces galeries, soutenues par des colon¬nes il y en a quatre de même, soutenues aussi par des colonnes. Les portes des chambres, qui sont ordinairement presque de la hauteur de la galerie touchent au plancher qui est fort haut. Elles sont à deux battants. Il y a de petites fenêtres à côté qui donnent fort peu de jour, celui de la porte étant suffisant. Ces galeries soutiennent une terrasse, qui sert ordinairement de promenade aux hommes & aux femmes, & pour étendre & faire sécher le linge. Plusieurs y font un petit jardin pour s’y occuper & s’y récréer. A un côté de la terrasse il y a ordinairement un petit pavillon pour y travailler à l’abri des injures de l’air, & pour y observer ce qui se passe du côté de la mer ; car la plus grande attention des algériens est d’observer si leurs corsaires revien¬nent avec des prises.
Les cheminées n’ont rien de défectueux à la vue. Elle sont ménagées pour être placées à chaque côté sur la terrasse en dôme & bien blanchies. Elles font même un ornement. Les chambres ne prennent du jour que par la cour. Il n’y a sur la rue que quelques petites fenêtres grillagées, pour donner du jour aux chambres des provisions & à celles des domestiques, qui sont ménagées à côté du grand escalier, & qui n’y communiquent point. On a soin de blanchir toutes les années tout le dedans des maisons & les terrasses.
Il y a plusieurs maisons très belles, qui n’ont pourtant aucune apparence par dehors. Ce sont celles qu’ont fait bâtir les pachas & les deys. Il y en a plusieurs qui sont pavées de marbre du haut en bas, dont les colonnes qui soutiennent les galeries sont aussi de marbre, & dont les lambris sont d’une sculpture fine ; peinte & dorée.
.
Il n’y a ni place ni jardin dans la ville, de sorte qu’on peut presque aller par toute la ville de terrasse ne terrasse, où l’on tient toujours une échelle pour monter & descendre dans celles des maisons voisines, lorsqu’on veut voisiner le soir à la fraîcheur, y ayant des maisons plus hautes les unes que les autres, comme partout ailleurs. Mais quoi-qu’il y ait cette facilité d’aller dans les maisons qui sont toujours ouvertes par le haut, on n’y découvre jamais de voleurs ; parce qu’une personne incon¬nue trouvée dans une maison est punie de mort, comme il a été observé au chapitre des mœurs & des coutumes.
.
L’on compte environ cent mille habitants dans la ville, y comprises 5000 maisons ou familles juives originaires de Barbarie, sans compter les chrétiens.
.
En 1650 on construisit cinq bâtiments, ou corps de logis, très beaux, qu’on appelle cafferies. Ce sont les casernes pour loger les soldats turcs, qui ne sont point mariés. Ils y sont logés de trois en trois dans une chambre spacieuse, proprement, & bien servis par des esclaves que le deylik donne à cet effet, parmi lesquels il y en a qui sont uniquement pour nettoyer & entretenir ces maisons. Il y a des fontaines dans les cours de ces bâtiments, pour faire des ablutions avant leur Salat ou prière. Dans chaque caserne on loge 600 soldats. Ceux qui sont mariés (& ce ne sont ordinairement que les renégats) logent où ils veulent à leurs frais, & sont exclus des casernes du gouvernement. Il en sera plus amplement parlé dans le chapitre de la milice.
.
Il y a quatre fondouks ou auberges en langage Franc. Ce sont de grands corps de logis apparte¬nant à des particuliers, où il y a plusieurs cours, des magasins & des chambres à louer. Les marchands turcs de Levant, ou autres qui viennent avec des marchandises à Alger, vont loger dans ces fondouks, où ils ont toutes les commodités nécessaires pour leur commerce. Les soldats aussi, qui ne veulent pas loger dans les casernes, y prennent des chambres à leurs dépens.
.
.
.
.
.
.
Les commentaires récents