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Tout au long du formidable et tumultueux parcours historique de l’Algérie, depuis l’Antiquité, en passant par les époques médiévales, ottomanes, d’invasions coloniales... etc. jusqu’à notre ère contemporaine, et tel que le donnent à constater documents, archives et vestiges divers, il est aisé de constater que la quasi-majorité de ces legs culturels, artistiques et littéraires patrimoniaux divers, d’hier et d’aujourd’hui, témoignent pratiquement dans leur ensemble, non pas de la présence manifeste d’un constant trait identitaire unilatéral d’une unicité culturelle-linguistique et esthétique réductrice déterminée, mais bien au contraire d’une complexe identité plurielle, ou une étroite imbrication de l’ensemble des paramètres culturels identitaires, dialectiquement entremêlés et assimilés, et qui constituent cette synthèse culturelle pluraliste dynamique: caractéristique de l’algérianité, forgée bien évidemment progressivement, dans le temps, au cours du vaillant parcours historique de la nation algérienne et qui n’a pas fini d’affirmer et d’affermir son extraordinaire symbiose culturelle harmonieuse, constellée de ses riches et multiples particularités culturelles complémentaires qui font justement la force de la spécificité de l’identité plurielle algérienne.
L’Algérie, porte en effet, en ses flancs, dans ses cités, comme dans ses peuplements, dans ses modes de vie, jusque dans ses parlers, comme dans son patrimoine culturel et artistique, la marque, le signe, de toutes ces diversités qui se sont fondues en une sorte d’harmonie mosaïcale qui constitue aujourd’hui les traits saillants de la spécificité algérienne de la berbérité (et ses racines africano-amazighes ancestrales), de l’arabité-islamité (et son héritage maghrébo-andalou et spirituel oriental), et de la méditerranéité-modernité et son ouverture audacieuse sur les langues, savoirs et cultures de l’Universalité).
La littérature ou les littératures algériennes d’expressions plurielles autochtones sont naturellement fortement imprégnées de ces multiples caractéristiques culturelles et fondamentales variées, aux indices constatables, aussi loin que l’on remonte dans le temps, dans nombre de multiples oeuvres locales, et ce à commencer par les premières phases d’intégration et d’assimilation historique des divers apports culturels enrichissants, s’enchevêtrant au cours de l’histoire, depuis l’antique héritage ancestral de l’africanité protohistorique, légué par les premières formes de manifestations idéographiques rupestres, ou expressions pictographiques culturelles-artistiques imprégnant les parois rocheuses du Tassili des Ajjer, tels des vestiges-témoins d’une immense galerie d’art à ciel ouvert préhistorique.
Autant d’atouts, multiformes et multidimensionnels d’idéaux sacrés voués à une terre à la fois bénie et honnie: paradoxes consécutifs de la nature des éléments en place, à la fois confrontationnels et pacifistes, constamment sur le qui-vive, et somme de facteurs résultant de l’histoire, parties interdépendantes, en fait, d’un même centre nodal d’un complexe et grandiose ensemble artistico-culturel promoteur et propulseur, tel que le donne à voir l’image-modèle du dynamisme générateur et recréateur d’une galaxie exubérante. Et tel que le suggère également, l’exemple dans la littérature algérienne contemporaine de la structure en spirale de l’intrigue de Nedjma, l’oeuvre géniale de Kateb Yacine, façonnée comme un système solaire au centre duquel la «femme fatale» brille tel un soleil fixe, attirant les satellites qui s’en rapprochent plus ou moins, courant le risque d’être brûlés ou illuminés par l’astre flamboyant. Ou autrement dit, à l’image des personnages multiples, dans l’oeuvre maîtresse de Kateb Yacine, évoluant par rapport au personnage central de Nedjma,, dans un constant attrait fascinant et répulsif à la fois, chaque personnage étant possédé, comme le dit Jean Dejeux, «par le désir arachnéen d’avoir Nedjma pour soi, la fille de la Française juive au père indéterminée qui en font la possession collective de la «tribu des Keblout», qui symbolise aussi l’Algérie déchirée et son identité morcelée, qui, drainant les confluents des fruits de son métissage doit remonter le fil jusqu’aux sources régénératrices pour pouvoir s’affranchir souverainement des jougs oppresseurs et aliénants et reconstituer enfin l’unité originelle des tribus dispersées.
Celle des «frères ennemis» qui s’excluent et s’ignorent, aliénés qu’ils sont, frères rivaux convoitant Nedjma (l’Algérie) chacun pour soi, à l’image des partis politiques d’avant 1954, qui découvrent «leur échec chargé de gloire» et débouchent à leur époque, «sans modèles paternels et qui s’érigent un mythe des ancêtres, sur un pays défloré, tragique, déchiré et impuissant à reconstituer l’unité des tribus dispersées», mais «dans un dernier sursaut historique, le pays se redresse pour chasser le dernier occupant agrippé depuis cent trente ans. Et la forme neuve de la nation naît enfin, fruit de la greffe douloureuse» (Jean Dejeux, in Littérature maghrébine de langue françaises, Ottawa, Editions Naaman 1973, Bibliothèque nationale du Québec, Montréal, Canada).
L’œuvre monumentale de Nedjma enchevêtrant récits mythiques, traditions orales, autobiographie psychologique, dimension spirituelle religieuse populaire, actualité historique, lyrisme, allégories et métaphores littéraires... etc., et qui nécessite donc pour sa saisie globale, et selon spécialistes et critiques-littérateurs, plusieurs approches, entre autres l’approche psycho-sociologique (souvenirs d’enfance de l’auteur, la mère, la cousine-soeur Nedjma...), l’approche socio-historique (Nedjma symbolisant l’Algérie et ses quatre jeunes protagonistes les partis politiques nationalistes d’avant 1954 qui se disputaient entre eux), l’approche autobiographique qui révèle que l’auteur est également au centre de l’oeuvre (représenté par le personnage de Lakhdar), l’approche mythographique recourant au mythe, au folklore et autres, la tradition orale notamment... etc., tout se passe comme si chacune des différentes étapes du roman se référaient directement par quelques signes précis aux trois grandes directions majeures de l’oeuvre romanesque de Kateb, les différentes parties n’étant pas contiguës mais continues. La troisième partie qui boucle le roman se signale particulièrement par ce procédé de «structure en spirale» dont a parlé Kateb, par cette coïncidence de la fin du roman avec son début, ou le retour à l’origine de Nedjma qu’il écrit, peut-être, comme une façon de désigner la troisième tentation katébienne, la plus constante, la plus importante: l’auto-analyse de Nedjma et d’une certaine manière du «Cadavre encerclé» et du «Polygone étoilé». Comme le dit si bien Jean Dejeux, à l’image d’Antée, l’exilé ne sera lui-même et fort que revenu et rattaché au sol natal et il en pourra se réconcilier avec lui-même qu’en retournant au fond de la caverne-matrice de la Terra genetrix: «l’amour d’une mère, dit Kateb, c’est au fond l’amour du pays». Le talent de Kateb est d’avoir ici fondé la patrie en se servant du mythe afin de le réinsérer dans l’histoire. A la fin du roman, et «à l’opposé du retour à l’enfance, à la chaleur du sein maternel et au temps prénatal, se présente l’évasion vers les horizons lointains et étranges (...), le temps ayant fait son oeuvre, la «blessure au coeur» à cause de Nedjma s’étant peu à peu refermée, le poète déraciné géographiquement est sorti du cercle: «Lakhdar s’est échappé de sa cellule» (début et fin de Nedjma).
C’est donc le recouvrement de la liberté pour la poète reprenant l’errance où il retrouve après avoir récupéré Nedjma, c’est-à-dire la patrie, le fondamental. Comme maints littérateurs l’ont dit, Nedjma fonde et cimente le communauté... tournée désormais vers l’avenir: l’étoile solitaire convoitée par les frères-ennemis est devenue «polygone étoilé», c’est-à-dire une nation algérienne de tribus autochtones unifiées dans une patrie souveraine reconquise (le polygone symbolisant l’Algérie indépendante et la multiplicité d’étoiles l’ornant représentant les peuplades ou ethnies réunifiées à l’intérieur d’un même territoires national aux frontières délimitées par le tracé de la carte géographique algérienne à l’aspect d’un polygone convexe).
Cette multiplicité d’étoiles issues de l’étoile-mère Nedjma (l’Algérie) représente, il va sans dire, ses filles qui ont grandi tout comme les fils de ses quatres ex-prétendants: tous naturellement peuvent se prévaloir d’en être les héritiers, mais aucun ne peut s’arroger le droit d’en être l’unique héritier légitime, le seul digne (des descendantes de Nedjma) de se décréter «polygame» en quelque sorte et du coup exclure ses autres frères-concitoyens, faisant ainsi courir le risque au pays de basculer dans une autre aliénation, non moins mutilante et dangereuse que la précédente coloniale, porteuse de graves dérives et schismes culturels-identitaires qui s’excluent et s’affrontent au lieu de s’unir pour le progrès dans la plénitude de la richesse de leurs diversités complémentaires, à l’image du symbole illustratif katébien de l’Unité nationale retrouvée regroupant les diversités culturelles et régionales (ex-tribales) sur l’ensemble d’un territoire délimité et souverain: l’allégorie du «polygone étoilé» faisant clairement allusion à l’Algérie indépendante reconquise. (L’étoile originelle Nedjma) titre, allusif probablement, (au-delà de la cousine de l’écrivain) à l’Etoile Nord-Africaine, précurseur du Mouvement National, c’est-à-dire renvoyant au symbole de l’étoile primitive unitaire (Nedjma) dans le contexte colonial et à l’éclatement en une pluralité d’autres telle une supernovae chassant toutes les zones d’ombres dans le contexte de l’indépendance nationale reconquise, illuminant tout le territoire national souverain: «le polygone étoilé», symbole de la patrie libérée... mais sujette à d’autres problèmes et désillusions: la fosse dans laquelle sont tombés Lakhdar et ses compagnons, forcés à l’exil par la suite...
Comme l’ont attesté d’éminents littérateurs, l’oeuvre mémorable de Kateb Yacine est absolument incontournable, plus que toute autre, dans l’histoire de la littérature algérienne en général, en ce sens qu’elle est fondatrice, «polylangagière» et multidimensionnelle, et rendant compte de façon admirable de l’enchevêtrement, à la fois complexe et interdépendant, des diversités nationales culturelles, linguistiques, patrimoniales... etc., qui se sont agglomérées dans cette «île» (El Djazaier), terre d’élection d’Algérie au visage pareil à celui évoqué, allégorique de Nedjma de Kateb Yacine, qui n’est, somme toute, que le reflet de celui des femmes et des hommes qui la font, aujourd’hui, comme hier au demain dans le futur, dans le continuum du temps, apparemment consacré, des habitudes et des ruptures de la stabilité et de l’errance, de la citadinité et du nomadisme, de la résignation et de la rébellion... etc.
Comme une sorte de fatum, en fait, mais en apparence seulement, car il est incessamment battu en brèche, l’homme de Lettres algérien, pareil au légendaire Sisyphe de Camus, le Nobel natif d’Algérie, réactualisant à chaque fois son combat, changeant et innovant également par-delà les temps nouveaux des nouvelles générations, des cultures renouvelées... etc. Et par-delà les mutations des autres sens de l’esthétique cela s’étend. D’où, en toute logique, le surgissement des nouvelles tendances esthético-artistiques modernes du renouvellement des formes et de la rupture avec les anciens modes, styles et conceptions littéraires classiques consacrées... etc., y compris la prise de distance nette avec le monolinguisme réducteur et tout à fait inopérant par les temps qui courent aujourd’hui de la mondialisation, du plurilinguisme, du métissage littéraire, de l’intertextualité... etc., interpellant l’intercommunicabilité culturelle intra et extra-territoriale, permise notamment par la nouvelle révolution technologique de l’écriture du numérique, introduisant un bouleversement semblable à celui suscité par l’avènement de l’imprimerie dans l’Europe de la Renaissance.
Et en ce qui concerne la ou les littératures algériennes d’expressions plurielles, tout donne lieu à croire que le «boom culturel» qui a eu lieu au début des années vingt du siècle écoulé — à la faveur de l’accès des élites algériennes aux moyens d’impression nouveaux de l’époque —, ce boom-là est en train de se reproduire à nouveau, apparemment, marquant une résurgence culturelle à une autre niveau de l’histoire, dans un contexte général, certes modifié, mais vraisemblablement similaire au point de vue «technino-technologique et médiatique communicationnel». Ce qui augure de belles perspectives pour la littérature algérienne nouvelle, dans toute l’étendue de sa pluralité thématique, esthétique, artistique, langagière, intertextuelle, intratextuelle, véhiculée dans ses trois idiomes usuels, distincts et convergents de l’arabe, du tamazight et du français... sans omettre l’apport inestimable de l’oral dialectal populaire.
Aujourd’hui, il est indéniable que la nouvelle littérature algérienne de graphie plurielle s’est sensiblement diversifiée, quelque quatre décennies après le recouvrement de l’indépendance nationale, opérant notamment la transition vers d’autres formes d’expressions thématiques, littéraires-artistiques, succédant à la littérature de résistance et de combat prônée d’avant 1962: les écrits en langue arabe, en tamazight ou en français ont ainsi résolument pris leurs distances vis-à-vis d’une certaine «littérature des années soixante - soixante-dix, dite d’engagement au service du développement», délaissant les anciens clichés du militantisme «socialiste», de l’influence de l’Orient moyenâgeux, ou des stéréotypes de l’Occident moderniste et autres d’obédience ultra-nationaliste ou régionaliste, pour s’arrimer à une esthétique de plus en plus «socialisée» pour ne pas dire plus «authentique», avec en prime cette heureuse approche synthétique des choses qui se dessine. Et, signe des temps, des auteurs écrivent de plus en plus dans deux langues en même temps, l’arabe et le français, voire trois avec l’essor heureux du roman en tamazight... quoique cette extraordinaire diversité dans les trois langues n’est pas sans comporter visiblement des carences du point de vue esthétique et stylistique où, en bien des cas, la langue spécifique correspondante à la perspective choisie de l’auteur ne semble pas suffisamment forgée: en un mot, la caractéristique du langage romanesque, la technique et stylistique narrative prête à confusion dans certains écrits où le langage de type informationnel, très prolixe, est assimilé au langage littéraire-artistique qui a sa particularité propre. Autrement dit, la dimension créative esthético-artistique avec ses tonalités, lyrique, tragique, épique... etc., fait défaut apparemment.
Ce qui n’empêche pas cette jeune littérature plurielle de marquer des points sur le plan national et international tout autant, avec cette véritable aubaine du multilinguisme dont nombre de nations envieraient à nos auteurs plurilingues.
Plurilinguisme qui n’est en fait, comme on l’a souligné, que le legs patrimonial culturel et civilisationnel immémorial de l’Algérie, à défendre, valoriser et promouvoir, aux côtés du dialectal populaire à parfaire et de l’écrit arabe à moderniser qui reste bien évidemment la langue la plus répandue en Algérie et au Maghreb, représentant le point de jonction commun entre toutes les Algériennes et tous les Algériens (y compris ceux vivant dans l’Hexagone) et qui n’est en aucune manière dérangée par les langues promues du tamazight et du français. De nos jours, la langue arabe témoigne de plus en plus d’un esprit d’audace en puisant dans la langue de l’autre tout ce qu’elle a de meilleur. Ainsi, comme l’observe Rachid Boudjedra, «la presse arabe a toujours été très rapide à récupérer des termes anglais en les gardant tels quels ou en les arabisant d’une façon efficace (...), les mots: «tabou», «routine», «cadre», «cliché», etc., ont été introduits dans le dictionnaire arabe, et ce, bien avant les premières tentatives faites en Europe pour introduire des mots ramenés par les pieds-noirs ou par les immigrés maghrébins».
Les langues «fortes», nous dit Boudjedra, ce sont justement ces langues qui ont affronté d’autres langues fortes, coexisté avec elles et en ont adopté une partie du vocabulaire et certaines structures grammaticales: «Ainsi, nous constatons que la langue arabe qui est une langue qui s’est répandue très loin de son terreau originel, s’est métissée avec beaucoup de succès avec les langues des peuples que l’Islam a conquis. C’est ainsi que nous retrouvons dans Lissan Al Arab d’Ibnou Mandhour Al Ifriqui, des milliers de mots empruntés au grec, au latin, au persan, au turc, et à certaines autres langues indo-européennes. Ce fut là le coup de génie de la langue arabe qui, au sortir de la péninsule Arabique, n’était pas cette formidable machinerie qui a permis les plus grandes découvertes scientifiques et les plus grandes créations artistiques.
«Au début, fut le verbe». Cette affirmation biblique a été mise à profit par les linguistes arabes et particulièrement par Ibnou Mandhour dont le lexique phénoménal a été longtemps refusé par les pouvoirs politiques et académiques de l’époque. Cet homme a lui-même été méprisé et réprimé méchamment par les inévitables clercs transformés en chiens féroces pour laisser la langue arabe végéter dans les sérails autoritaires et dans la bouche des poètes laudateurs des rois et des khalfes (...) Les Arabes, comme les Espagnols, se sont métissés avec les populations qu’ils ont conquises et ils se sont mariés avec les femmes autochtones. La langue arabe, dès l’apparition du pouvoir omeyyade, a eu ce génie de récupérer la langue de l’autre. «Avec les Abbassides, et en particulier avec El Maa’moun qui créera la première institution de traduction dans l’histoire de l’humanité (Dar al Hikma), une nouvelle vision du monde va se développer dans une coexistence linguistique, scientifique et artistique réellement universelle» (In article: La langue, l’esprit et le snobisme, supplément Arts et Lettres d’El Watan du jeudi 11 Mai 2006).
La langue arabe qui était apte donc à relever les défis évolutifs de la science, du progrès et du renouvellement des langages en général, s’était heurtée historiquement aux blocages des pouvoirs autarciques moyenâgeux, d’une part, et au refoulement des forces d’occupations coloniales d’autre part. Mais aujourd’hui, à l’ère des décolonisations, et après l’expérience éprouvante des premières années d’indépendance, la langue arabe semble bel et bien mise sur orbite, au diapason des transformations modernes actuelles, et ce d’une façon toute particulière, dans le domaine des sciences et arts du langage, où l’esthétique classique de l’écriture d’antan n’en finit pas d’être bouleversée de fond en comble, comme le donnent à voir les textes littéraires d’une Ahlam Mosteghanemi, Waciny Laredj, Merzak Bagtache, Amine Zaoui, Tahar Ouettar, Rachid Boudjedra, Bachir Mefti, Abdelkader Hamid, Yasmina Salah... etc. Et signe des temps, cette littérature de graphie arabe est de plus en plus prisée, comptant un lectorat de plus en plus ascendant, surtout dans les milieux estudiantins où elle gagne de plus en plus du terrain - à l’échelon national et maghrébin en général - parallèlement aux autres littératures algériennes de graphies berbère et française témoignant de la pluralité et des richesses de la culture et les arts algériens en général.
Les générations d’aujourd’hui semblent ainsi saisir l’opportunité qu’offre l’avantage du multilinguisme à l’heure de la mondialisation et la quasi-nécessité donc de l’apprentissage des langues, notamment l’anglais et le français, sans que cela puisse être interprété comme une forme de minorisation de la langue arabe autochtone, ou de l’autre langue nationale tamazight réémergente. Bien au contraire, il s’agit ici seulement de toujours s’ouvrir audacieusement sur l’universel tout en renforçant le référent identitaire et culturel de l’idiome ou des idiomes locaux tributaires de notre culture multidimensionnelle arabo-berbéro-musulmane et africo-méditerranéenne. Le multilinguisme, ou bilinguisme, l’Algérie à vrai dire, y recourt depuis belle lurette déjà, à commencer par les technocrates des sphères dirigeantes, et les intellectuels aussi bien arabographes, francographes qu’amazighographes, qui semblent avoir saisi que la confrontation, aujourd’hui, se fait essentiellement sur le terrain de la compétition et de la concurrence littéraire et scientifique productives. Ce qui augure de belles perspectives pour la littérature algérienne plurielle, en principe, et lui permettrait de dépasser, sans doute, la phase difficile qu’elle traverse actuellement, aux lendemains de la sombre décennie 90 qui a laissé des traces de traumatismes indélébiles comme en témoignent la texture probante de la littérature dans les trois langues dite de l’»urgence»...
Aujourd’hui, à l’ère du cyberespace et des technologies multilingues du numérique de la civilisation scientifique planétaire multipolaire qui s’annonce, la langue devient moins un fondement ou gage de souveraineté qu’un instrument de communication pour le progrès et la science, comme le soulignent maints linguistes et anthropologues. Et ce, à plus forte raison lorsqu’elle intervient dans un contexte particulier de sous-développement, exigeant le recours de toutes les potentialités de recours disponibles, notamment l’apport capital des idées innovatrices et créatrices dans les multiples champs modernes de la science, la technique, la culture, les arts et lettres... etc., en usant précisément de l’atout des langues étrangères. Autrement dit, l’Algérie a tout à gagner à promouvoir et moderniser l’arabe, le tamazight aux côtés du français, de l’anglais... etc., dans sa dynamique de développement national et processus de réformes et de démocratisation institutionnels.
Atouts qui symbolisent finalement le capital d’acquis nationaux chers de tout un peuple et d’une nation partie prenante d’une zone géographique stratégique au carrefour de l’Orient et de l’Occident, riche et fière de sa diversité culturelle-identitaire plurilinguistique interdépendante de l’»arabité-berbérité-islamité» audacieusement ouverte sur l’universel. Comme l’exhalent si bien les personnages typiques des diverses textures du terroir, et des voix autres des plumes d’auteurs divers de la littérature algérienne plurielle, d’ici et d’ailleurs: littérature qui, longtemps après avoir tourné autour du cercle du Même et de l’Autre, a su casser, au détour du parcours de maturation, la dialectique circulaire du Même et de l’Autre, pour dire, comme l’écrit Abdelkader Djeghloul, «une autre violence, d’autres violences internes qui font littéralement imploser le Même et induisent une nouvelle dialectique, celle du dévoilement de l’envers du décor de la modernisation accélérée de l’Algérie» (in ouvrage «de Hamdane Khodja à Kateb Yacine», chapitre Pour un regard national ! Editions Dar El Gharb, Oran - Algérie 2004).
Ce qui annonce peut-être la mutation à venir de la littérature algérienne d’expression plurielle qui, rompant avec l’esthétique classique d’une manière générale, est en train de rejoindre, de l’avis des spécialistes-littérateurs, le giron mondial des thématiques transfrontières, «transidentitaires» et communicationnelles de la République Universelle des Arts et des Lettres à l’image de Assia Djebar, désormais l’immortelle Académicienne, Rachid Boudjedra à l’oeuvre mondialement connue, Yasmina Khadra, auteur de l’oeuvre primée et acquise récemment par Hollywood (l’Attentat), Nina Bouraoui, très lue en Occident et de plus en plus traduite ailleurs (Une vie heureuse), ou encore l’oeuvre méritoire en arabe d’une certaine Ahlam Mosteghanemi qui fait sensation dans le monde arabo-musulman, y compris en Europe et en Amérique où elle est traduite et sollicitée par les médias... C’est dire que certains écrivains algériens et maghrébins en général, ont su dans leur travail âpre sur la modernisation du texte littéraire, renouer parallèlement, par des voies mystérieuses, avec la veine katébienne, cas de figure exceptionnelle qui n’a jamais été aussi moderne, ce qui explique du reste les difficultés de son dépassement...
D’une manière générale, comme le déclarera la jeune romancière Nadjet Ghaouti (née à Oran, ayant vécu surtout au Maroc et résidant actuellement en France où elle vient de publier un roman appréciable «Nour», Ed. Lattès, Paris 2006), à propos de la littérature maghrébine en général: «(...) Sans renier mes origines, je fais en sorte qu’elles ne soient pas un prétexte pour écrire, ou une sorte de paysage permanent dans mes récits, parce que à la longue je trouve cela harassant. Il y a certains écrivains qui en ont fait ce que j’appellerais des «rigoles infinies d’écriture», à toujours dire les mêmes choses de la même manière. Je crois qu’on n’est pas artiste quand on ne peut pas se renouveler.
On est juste «atteint». Le rapport avec la littérature maghrébine, c’est qu’à mon sens, au même titre que la littérature espagnole, québécoise et j’en passe, elle doit pouvoir quitter le Maghreb, traverser l’Atlantique à la nage, ou parcourir l’Afrique à pied. La géographie doit être friable. Et l’écriture fait partie des choses qui peuvent majestueusement l’émietter» (in El Djazair News, Entretien dans volet hebdomadaire en français «Algérie news des livres» du jeudi 9 mars 2006). La romancière Leïla Merouane ajoutera pour sa part, dans ce même journal à propos des perspectives de la littérature algérienne dans ses trois langues, «Je situe la littérature algérienne dans un contexte universel: si nous arrivons, nous, romanciers algériens à atteindre une majorité de lecteurs dans le monde, nous pouvons alors prétendre à l’universel comme n’importe quel écrivain qui écrit dans sa langue ou non. Tels que Kafka, Nabokov, Conrad, etc».
Propos clairs, traduisant, on ne peut plus, la volonté des écrivains et artistes créateurs algériens et maghrébins en général d’aller de l’avant, de rompre avec l’esthétique classique consacrée pour tenter le renouvellement des langages et des thématiques, plus en adéquation avec les nouvelles réalités de l’ère transfrontière du «cyberespace» et de la mondialisation multiculturelle et multilangagière, avec cette volonté ferme d’y faire concourir la note spécifique algérienne tout naturellement.
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par Med Ghriss
In Le Quotidien d'Oran
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