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Tipaza: la merveilleuse -
Toi qui m’accueillis sur le chemin de Cherchell.
Oui m'offrit:
Tes Splendeurs bercées par une eau amoureuse Te baignant tendrement.
Les mosaïques lumineuses chargées de souvenir
Ces tessons de vaisselle romaine éparpillés là,
Et le premier chauffage central imaginé par les ingénieurs romains.
Le calme et Ta sérénité immuables dans l'assurance de Ton charme.
Sous la garde attentive du Chenoua que je ne connaissais pas encore.
Tipaza: Tu m'as fait sentir la douceur de ce pays, de ses habitats, de ses habitants.
C'est Toi qui m'as dis de mener une guerre sage car elle était fratricide.
Je T'ai obéi, dès la fin de ma formation d'officier cherchellois.
J'ai connu de grands moments à la découverte de Ton fier peuple.
Et ceux-là mêmes sans nom patronymique portant seul un prénom comme un pavois.
Ainsi je me suis efforcé de Te faire honneur en protégeant mes soldats contre eux-mêmes
Leur faisant partager mes émerveillements et découvertes structurantes.
Hier encore je parlais de Toi à des amis anglais, en évoquant cette idiote de guerre sur ton sol.
Bien sûr, je T'amènerai la femme que j'aime, mes jeunes nouvelles amies de Ton pays
Oui damnent correspondre avec un futur septuagénaire.
Je voudrais aussi faire découvrir Ta beauté a mes enfants, et mes petits-enfants.
Qu'ils sachent comme Tu es belle, que le paradis existe sur cette terre d'Afrique.
Oui! C’est certain, je Te reverrai, car Tu participes à la grandeur de Ton pays
Mon beau souvenir!.
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Gabriel - Aix les bains en Savoie. France
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"Le
plus "grec" des sites archéologiques de l'Algérie par la présence de la
mer qui brise et mêle son écume à l'envol des pigeons sauvages, ou
bien, lisse et heureuse, étreint les promontoires, tandis que, dragon
de légende, monte et s'étire à l'horizon la haute et puissante échine
du Chenoua.
Mais
aussi un des sites les plus spécifiques de l'Afrique antique : la
romanité y a sa large part et a finalement imposé son uniforme : forum
et basilique, temples et théâtres, églises et baptistère; cependant la
vie et la culture ont ici commencé tôt, avec les navigateurs et les
marchands phéniciens, dont les fouilles révèlent encore de nouvelles
traces, avec les dynasties berbères des royaumes maurétaniens, pour
lesquelles le "Tombeau de la Chrétienne", tout proche, témoigne
orgueilleusement.
Ruines romantiques, blotties sous les pins et
les oliviers, ou dressées vers le ciel sur les falaises, les vestiges
antiques de Tipasa racontent avec une persuasive douceur le mûrissement
réussi d'une civilisation issue d'influences diverses, sur ces rives
fortunées de l'Afrique méditerranéenne."
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Serge Lancel, Membre de l'Institut - Directeur des fouilles de Tipasa - 1967
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Je suis retourné à Tipasa.
Et de nouveau retrouvé cette paix à nulle autre pareille. Le Chenoua,
était toujours là, dominant de son imposante masse, la courbe de la mer
et la plage étirée le long de ses pieds. J'ai parcouru de nouveau ces
chemins connus. Passant devant la grande nécropole avant d'arriver au
village lui-même, et la basilique de Sainte Salsa qu'il me fallait
admirer dans le soleil du soir, mes pas m'ont conduite devant le grand
amphithéâtre, devant le théâtre, retrouvant le "decumanus maximus",
voie principale de la cité qui menait jusqu'à Iol Caesarea, puis le
Nouveau Temple et emprunté le "cardo", voie nord-sud qui descend vers
la mer, au nord. Le long du "cardo", s'ouvrent des portes monumentales,
entrées de demeures superbes dont la plus belle est appelée "La Villa
des Fresques", ainsi dénommée parce que l'on y a trouvé des fragments
du décor peint qui ornait les murs.
Plus à l'ouest se trouve une
maison dans laquelle on a retrouvé quatre cuves profondes et de grandes
jarres (dolia), des canalisations et un égoût qui se jette dans la
crique. Ce pourrait être une salerie de poissons ou encore à une
fabrique de "garum", sauce à base de poissons et d'aromates, utilisée
en grande quantité dans les préparations culinaires de l'époque.
Lentement, savourant le paysage, la lumière, la mer et les armoises
toujours présentes, les petits thermes s'ouvrent aux regards, avec
leurs salles chaudes (caldaria) leurs circulation d'air chaud sous le
sol et dans la double cloison des murs, le frigidarium avec sa piscine
d'eau froide. Remontant vers l'ouest on arrive à la Grande Basilique,
juchée sur un cap, le plus vaste édifice chrétien de cet âge, sur le
sol algérien. J'ai parcouru alors la nécropole devant l'église de
l'Evêque Alexandre et m'arrêtant longuement mes regards se sont portés
sur le Chenoua, l'interrogeant, comme s'il pouvait donner réponse à mes doutes, gardien de tant de secrets que nous lui avons tous confiés.
Retour
au hasard des pas, des chemins, guidée par la lumière au travers des
oliviers et des pins vers la Nymphée. Fontaine publique, en
demi-cercle, où l'eau coulait pour les habitants de la cité en
plusieurs endroits comme des sources consacrées aux divinités des eaux.
Restaient encore des colonnes de marbre bleu entre lesquelles l'eau
jaillissait pour venir dans le dernier bassin où l'on puisait. En sont
les témoins ces entailles profondes dans la margelle. Ma respiration
était à l'image des lieux : calme et sereine emplie de tous ces parfums
exacerbés dans la chaleur de la fin du jour. On ne peut pas résister à
cette atmosphère qui cache quelque chose de divin.
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Jacques HURE - Africa - Journal
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Au printemps, Tipasa est habité par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. A certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorrne. A peine, au fond du paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller s'accroupir dans la mer.
Nous arrivons par le village qui s'ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre d'été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des villas; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris bleus. Toutes les pierres sont chaudes. A l'heure où nous descendons de l'autobus couleur de bouton d'or, les bouchers dans leurs voitures rouges font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les habitants.
A gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d'entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs.
Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l'étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l'amour et du désir. Nous ne cherchons pas de leçons, ni l'amère philosophie qu'on demande à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. Pour moi, je ne cherche pas à y être seul. J'y suis souvent allé avec ceux que j'aimais et je lisais sur leurs traits le clair sourire qu'y prenait le visage de l'amour. Ici, je laisse à d'autres l'ordre et la mesure. C'est le grand libertinage de la nature et de la mer qui m'accapare tout entier. Dans ce mariage des ruines et du printemps, les ruines sont redevenues pierres, et perdant le poli imposé par l'homme, sont rentrées dans la nature. Pour le retour de ces filles prodigues, la nature a prodigué les fleurs. Entre les dalles du forum, l'héliotrope pousse sa tète ronde et blanche, et les géraniums rouges versent leur sang sur ce qui fut maisons, temples et places publiques. Comme ces hommes que beaucoup de science ramène à Dieu, beaucoup d'années ont ramené les ruines à la maison de leur mère. Aujourd'hui enfin leur passé les quitte, et rien ne les distrait de cette force profonde qui les ramène au centre des choses qui tombent.
Que d'heures passées à écraser les absinthes, à caresser les ruines, à tenter d'accorder ma respiration aux soupirs tumultueux du monde! Enfoncé parmi les odeurs sauvages et les concerts d'insectes somnolents, j'ouvre les yeux et mon coeur à la grandeur insoutenable de ce ciel gorgé de chaleur. Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa mesure profonde. Mais à regarder l'échine solide du Chenoua, mon coeur se calmait d'une étrange certitude. J'apprenais à respirer, je m'intégrais et je m'accomplissais. Je gravissais l'un après l'autre des coteaux dont chacun me réservait une récompense, comme ce temple dont les colonnes mesurent la course du soleil et d'où l'on voit le village entier, ses murs blancs et roses et ses vérandas vertes. Comme aussi cette basilique sur la colline Est : elle a gardé ses murs et dans un grand rayon autour d'elle s'alignent des sarcophages exhumés, pour la plupart à peine issus de la terre dont ils participent encore. Ils ont contenu des morts; pour le moment il y pousse des sauges et des ravenelles. La basilique Sainte-Salsa est chrétienne, mais chaque fois qu'on regarde par une ouverture, c'est la mélodie du monde qui parvient jusqu'à nous : coteaux plantés de pins et de cyprès, ou bien la mer qui roule ses chiens blancs à une vingtaine de mètres. La colline qui supporte Sainte-Salsa est plate à son sommet et le vent souflle plus largement à travers les portiques. Sous le soleil du matin, un grand bonheur se balance dans l'espace.
Bien pauvres sont ceux qui ont besoin de mithes. Ici les dieux servent de lits ou de repères dans la course des journées. Je décris et je dis : "Voici qui est rouge, qui est bleu, qui est vert. Ceci est la mer, la montagne, les fleurs." Et qu'ai-je besoin de parler de Dionysos pour dire que j'aime écraser les boules de lentisques sous mon nez? Est-il même à Déméter ce vieil hymne à quoi plus tard je songerai sans contrainte : "Heureux celui des vivants sur la terre qui a vu ces choses." Voir, et voir sur cette terre, comment oublier la leçon? Aux mystères d'Éleusis, il suffisait de contempler. Ici même, je sais que jamais je ne m'approcherai assez du monde. Il me faut être nu et puis plonger dans la mer, encore tout parfumé des essences de la terre, laver celles-ci dans celle-là, et nouer sur ma peau l'étreinte pour laquelle soupirent lèvres à lèvres depuis si longtemps la terre et la mer. Entré dans l'eau, c'est le saisissement, la montée d'une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère - la nage, les bras vernis d'eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles; la course de l'eau sur mon corps, cette possession tumultueuse de l'onde par mes jambes - et l'absence d'horizon. Sur le rivage, c'est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d'os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l'eau, le duvet blond et la poussière de sel.
Je comprends ici ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. Il n'y a qu'un seul amour dans ce monde. Étreindre un corps de femme, c'est aussi retenir contre soi cette joie étrange qui descend du ciel vers la mer. Tout à l'heure, quand je me jetterai dans les absinthes pour me faire entrer leur parfum dans le corps, j'aurai conscience, contre tous les préjugés, d'accomplir une vérité qui est celle du soleil et sera aussi celle de ma mort. Dans un sens, c'est bien ma vie que je joue ici, une vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant. La brise est fraîche et le ciel bleu. J'aime cette vie avec abandon et veux en parler avec liberté: elle me donne l'orgueil de ma condition d'homme. Pourtant, on me l'a souvent dit : il n'y a pas de quoi être fier. Si, il y a de quoi : ce soleil, cette mer, mon coeur bondissant de jeunesse, mon corps au goût de sel et l'immense décor où la tendresse et la gloire se rencontrent dans le jaune et le bleu. C'est à conquérir cela qu'il me faut appliquer ma force et mes ressources. Tout ici me laisse intact, je n'abandonna rien de moi-même, je ne revêts aucun masque: il me suffit d'apprendre patiemment la difficile science de vivre qui vaut bien tout leur savoir-vivre.
Un peu avant midi, nous revenions par les ruines vers un petit café au bord du port. La tète retentissante des cymbales du soleil et des couleurs, quelle fraîche bienvenue que celle de la salle pleine d'ombre, du grand verre de menthe verte et glacée ! Au-dehors, c'est la mer et la route ardente de poussière. Assis devant la table, je tente de saisir entre mes cils battants l'éblouis-sement multicolore du ciel blanc de chaleur. Le visage mouillé de sueur, mais le corps frais dans la légère toile qui nous habille, nous étalons tous l'heureuse lassitude d'un jour de noces avec le monde.
On mange mal dans ce café, mais il y a beaucoup de fruits - surtout des pèches qu'on mange en y mordant, de sorte que le jus en coule sur le menton. Les dents refermées sur la pèche, j'écoute les grands coups de mon sang monter jusqu'aux oreilles, je regarde de tous mes yeux. Sur la mer, c'est le silence énorme de midi. Tout être beau a l'orgueil naturel de sa beauté et le monde aujourd'hui laisse son orgueil suinter de toutes parts. Devant lui, pourquoi nierais-je la joie de vivre, si je sais ne pas tout renfermer dans la joie de vivre? Il n'y a pas de honte à être heureux. Mais aujourd'hui l'imbécile est roi, et j'appelle imbécile celui qui a peur de jouir. On nous a tellement parlé de l'orgueil : vous savez, c'est le péché de Satan. Méfiance, criait-on, vous vous perdrez, et vos forces vives. Depuis, j'ai appris en effet qu'un certain orgueil... Mais à d'autres moments, je ne peux m'empêcher de revendiquer l'orgueil de vivre que le monde tout entier conspire à me donner. À Tipasa, je vois équivaut à je croi et je ne m'obstine pas à nier ce que ma main peut toucher et mes lèvres caresser. Je n'éprouve pas le besoin d'en faire une oeuvre d'art, mais de raconter ce qui est différent. Tipasa m'apparait comme ces personnages qu'on décrit pour signifier indirectement un point de vue sur le monde. Comme eux, elle témoigne, et virilement. Elle est aujour-d'hui mon personnage et il me semble qu'à le caresser et le décrire, mon ivresse n'aura plus de fin. Il y a un temps pour vivre et un temps pour témoigner de vivre. Il y a aussi un temps pour créer, ce qui est moins naturel. Il me suffit de vivre de tout mon corps et de témoigner de tout mon coeur. Vivre Tipasa, témoigner et l'oeuvre d'art viendra ensuite. Il y a là une liberté.
Jamais je ne restais plus d'une journée à Tipasa. Il vient toujours un moment où l'on a trop vu un paysage, de même qu'il faut longtemps avant qu'on l'ait assez vu. Les montagnes, le ciel, la mer sont comme des visages dont on découvre l'aridité ou la splendeur, à force de regarder au lieu de voir. Mais tout visage, pour être éloquent, doit subir un certain renouvellement. Et l'on se plaint d'être trop rapidement lassé quand il faudrait admirer que le monde nous paraisse nouveau pour avoir été seulement oublié.
Vers le soir, je regagnais une partie du parc plus ordonnée, arrangée en jardin, au bord de la route nationale. Au sortir du tumulte des parfums et du soleil, dans l'air maintenant rafraîchi par le soir, l'esprit s'y calmait, le corps détendu goûtait le silence intérieure qui naît de l'amour satisfait. Je m'étais assis sur un banc. Je regardais la campagne s'arrondir avec le jour. J'étais repu. Au-dessus de moi, un grenadier laissait pendre les boutons de ses fleurs, clos et côtelés comme de petits poings fermés Qui contiendraient tout l'espoir du printemps. Il y avait du romarin derrière moi et j'en percevais seulement le parfum d'alcool. Des collines s'encadraient entre les arbres et, plus loin encore, un liséré de mer au-dessus duquel le ciel, comme une voile en panne, reposait de toute sa tendresse. J'avais au coeur une joie étrange, celle-là même qui naît d'une conscience tranquille. Il y a un sentiment que connaissent les acteurs lorsqu'ils ont conscience d'avoir bien rempli leur rôle, c'est-à-dire, au sens le plus précis, d'avoir fait coincider leurs gestes et ceux du personnage idéal qu'ils incarnent, d'être entrés en quelque sorte dans un dessin fait à l'avance et qu'ils ont d'un coup fait vivre et battre avec leur propre coeur. C'était précisément cela que je ressentais: j'avais bien joué mon rôle. J'avais fait mon métier d'homme et d'avoir connu la joie tout un long jour ne me semblait pas une réussite exceptionnelle, mais l'accomplissement ému d'une condition qui, en certaines circonstances, nous fait un devoir d'être heureux. Nous retrouvons alors une solitude mais cette fois dans la satisfaction.
Maintenant, les arbres s'étaient peuplés d'oiseaux. La terre soupirait lentement avant d'entrer dans l'ombre. Tout à l'heure, avec la première étoile, la nuit tombera sur la scène du monde. Les dieux éclatants du jour retourneront à leur mort quotidienne. Mais d'autres dieux viendront. Et pour être plus sombres, leurs faces ravagées seront nées cependant dans le coeur de la terre.
A présent du moins, l'incessante éclosion des vagues sur le sable me parvenait à travers tout un espace où dansait un pollen doré. Mer, campagne, silence, parfums de cette terre, je m'emplissais d'une vie odorante et je mordais dans le fruit déjà doré du monde, bouleversé de sentir son jus sucré et fort couler le long de mes lèvres. Non, ce n’était pas moi qui comptais, ni le monde, mais seulement l'accord et le silence qui de lui à moi faisait naître l'amour. Amour que je n'avais pas la faiblesse de revendiquer pour moi seul, conscient et orgueilleux de le partager avec toute une race, née du soleil et de la mer, vivante et savoureuse, qui puise sa grandeur dans sa simplicité et debout sur les plages, adresse son sourire complice au sourire éclatant de ses ciels.
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Albert Camus - Noces à Tipasa 1936
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