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Notre adolescent d’hier a su faire preuve de patience et attendre avec
humilité l’heure d’une nouvelle naissance et le balbutiement d’une
nouvelle clarté. Mais, ce sont aussi ces villes et les déambulations de
notre adolescent qui l’ont aidé à revenir de son exil et l’ont ramené à
lui même.
Notre adolescent est parti depuis des décennies. Il a cherché à enfouir
son Orient éternel et sa marge pour disparaître dans son Autre en
s’immergeant dans une modernité qu’il croyait lointaine et
inaccessible. Il a choisi l’exil à l’autoritarisme et à l’incapacité de
cette marge de le libérer de ses démons. Pendant ces années de
séparation, il a essayé de s’éloigner de ce monde qu’il croyait à
jamais plongé dans les divinités et dans l’évocation de la tradition
des ancêtres. Il a cherché à taire tout ce qui peut lui ramener son
monde jusqu’aux plus petits des détails. Il a cherché à se débarrasser
de ce qui le rétablissait dans sa condition : de ses engagements
politiques, de sa réflexion philosophique et de ses tentatives qu’il
croyaient vaines de certains de moderniser la pensée arabe et
musulmane, des lectures romanesques jusqu’à son intérêt aux nouvelles
expressions esthétiques de la marge. Dans cet effort de rejet conscient
de sa mémoire et de ses souvenirs, il n’a pas oublié les villes et
leurs ombres et pénombres. Lui qui ne pouvait respirer que dans les
dédales des ruelles et des recoins des villes arabes et des médinas, il
a cherché à se débarrasser de ses souvenirs. Il ne retenait plus que le
chaos de ces villes. La crasse et la saleté l’obsédaient. Les bruits
assourdissants et les cris l'accablaient. Le désordre et la confusion
des ruelles l’importunaient. Les présences envahissantes l'agaçaient !
Tout d’un coup il n’avait que ressentiments pour les villes qu’il avait
adorées et qui ont enfanté ses rêves, ses utopies et ses souvenirs !
Pendant de longues années, il a réussi à les oublier et à les rejeter
au fin fond de sa mémoire et de ses souvenirs. Les villes ordonnées du
Nord réussissaient à lui procurer ce besoin d’urbanité ! Ces villes
bien agencées pouvaient satisfaire son besoin d’élégance, de
raffinement et ce brin de dandysme que seules les cités urbaines
pouvaient procurer !
Tout semblait enfoui dans sa mémoire. L’Orient éternel semblait
enseveli et englouti dans cet exil ! Notre adolescent de l’époque
pouvait alors s’immerger dans cette quête sans fin de la modernité et
de l’autonomie de soi ! Tout semblait, ou pensait-il ainsi, que
l’Orient éternel avait définitivement abandonné sa mémoire et ses
souvenirs ! Etait-il peut-être trop confiant dans sa raison qui a
réussi à chasser l’Orient, ses mythes, et ses divinités de son
entendement ? Etait-il trop assuré sur la capacité de sa raison à faire
son deuil de mémoire ? Ne pouvait-il pas imaginer que l’émotion allait
raviver ce que l’entendement avait englouti ? Ne pensait-il pas que la
sensibilité et l'émoi allaient déblayer des souvenirs qu’il avait
réussi à enfouir dans sa mémoire? Il ne pouvait pas imaginer que le
trouble pouvait rallumer une passion qu’il pensait être ensevelie par
des années de travail de la raison de son pouvoir d’entendement ! Il ne
pouvait pas penser que la nostalgie et la mélancolie allaient battre en
brèche ce que le discernement et l’intelligence ont réussi, croyait-il
savoir, à construire et à ériger depuis de longues années !
Mais c’est ce besoin d’Orient, de grâce et de volupté qui a ouvert les
portes de l’exil de notre adolescent et a ramené ses souvenirs d’enfant
qu’il a pensé à jamais perdus par cette obsession de quête du temps du
monde et de l’universel. L’émoi et la sensibilité ont ouvert la voie au
travail de raison qui a finalement discerné dans l’hybridité et le
métissage le lieu de rencontre de l’Occident et de l’Orient. Ce retour
à soi s’est fait à travers l’évocation des villes de son enfance, de
leurs ombres, de leurs pénombres. Dans ses moments de solitude dans ces
grandes villes du Nord, ce sont les ruelles de son enfance qui lui
revenaient, des ruelles étroites et sombres qui invariablement
partaient des mosquées et des souks pour se répandre dans les quartiers
d’habitation. Il se rappelle de ces bandes de gamins qui couraient
partout, de ses ombres blanches de femmes sous leurs « haïks » qui
gardaient leur grâce et une volupté que personne n’a jamais réussi à
leur ôter. Il se rappelle aussi de ces maisons blanches dont les patios
regorgeaient d’histoires. Il se remémore également ses échappées dans
les souks et les odeurs suaves, les couleurs éclatantes et les odeurs
délicates qui provenaient des échoppes. Il se rappelle qu’adolescent il
arpentait les ruelles tard dans la nuit, jusqu’aux premières lueurs du
jour à refaire le monde et à espérer qu’une belle de nuit allait lui
ouvrir sa porte et l’inviter à une nuit d’amour, de charme et
d’envoûtement.
Ce retour à soi et la fin de l’exil ont pris chez notre adolescent les
formes d’une évocation de ses souvenirs et de sa mémoire. La nostalgie
et la mélancolie de l’exil l’ont amené à errer de nouveau dans les rues
de ses villes orientales poussiéreuses et capricieuses. La laideur ne
l’importunait plus ! Il recommençait à aimer cette architecture
hétéroclite et ses populations névrosées qui ne cessaient de brailler
et de s’invectiver les unes les autres ! Il flânait de nouveau dans ces
ruelles sombres et mélancoliques en quête de souvenirs pour lui
rappeler ses rêves d’enfance. Ce retour a entrouvert les portes de
l’exil et de la séparation. Et ce sont l’entendement et la raison qui
finiront par les débrider complètement. Notre adolescent d’hier
observera cette quête quotidienne d’universel dans l’Orient éternel et
dans la marge du monde, une flamme que ne saura éteindre les appels au
retour à l’âge d’or et à la tradition des anciens ! Il a su également
voir ce besoin d’Orient et de marge qui ne cesse de grandir dans les
métropoles d’Occident afin de sortir de l’ennui et de la lassitude de
ces grandes villes du Nord. Ce besoin d’universel saura vaincre cette
envie d’empire et d’hégémonie qui traverse les capitales d’Occident en
périodes de détresse et de misère ! Quête d’universel et besoin
d’Orient se retrouvent dans cette rencontre et cette mixité croissante
qui donne à l’universel les couleurs, les odeurs, la sensualité et la
volupté de l’Orient et de la marge du monde !
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Hakim Ben Hammouda
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