Le 18 octobre 1980, cité de la Busserine, dans le nord de Marseille, Lahouari Ben Mohamed, dit « Houari », 17 ans, est tué par un CRS à l’issue d’un simple contrôle routier. Son petit frère Hassan, devenu policier, a enquêté sur sa mort. « L’Obs » l’a rencontré.
A la mort de « Houari », Hassan Ben Mohamed n’avait que 4 ans. « J’ai grandi en ne sachant pratiquement rien de l’histoire de mon frère », raconte-t-il, mi-juillet, au premier étage du centre social des Flamants, dans le nord de Marseille. Pour préserver leur petit dernier, ses parents, qui ont sept autres enfants, l’avaient envoyé quelque temps chez une tante à Nice. A son retour, personne ne lui parle de Lahouari. Jamais. Trop douloureux. Hassan sait seulement que son frère a été tué par un CRS. « Comment et pourquoi, je l’ignorais », précise cet homme de 46 ans, devenu lui-même, vingt ans après le drame, policier.
Une histoire singulière, personnelle et nationale, qu’est venue raviver la mort de Nahel, fin juin, tué par un policier lors d’un contrôle routier après un refus d’obtempérer à Nanterre. « Je me suis dit : “Mais c’est pas vrai, ça se répète !” s’exclame, à ses côtés, Mourad Bekkis, travailleur social et ami d’Hassan. Je me suis revu, du haut de mes 10 ans, sauter du bus et courir vers les Flamants. »
Ce dimanche 19 octobre 1980, c’est la fête de l’Aïd el-Kébir. Mais dans le quartier, tout le monde pleure. « C’était la première fois que je voyais cela, raconte cet homme de 52 ans, avec une émotion intacte. Comme s’il pleuvait des larmes. Pas un habitant ne pleurait pas, même mon grand-père, que je n’avais jamais vu pleurer. Ça m’a marqué à vie. »
La veille au soir, à la Busserine, au pied d’une des tours claires construites une dizaine d’années plus tôt pour accueillir près de 900 logements sociaux, Lahouari Ben Mohamed, 17 ans, dit « Houari », a été tué par un policier, au pistolet-mitrailleur, lors d’un banal contrôle routier.
L’abyssale douleur d’un quartier toujours traumatisé
A l’époque, entre son jeune âge et le silence de sa famille, Hassan ne prend pas la mesure du retentissement de ce drame. La mort de son frère sera un élément déclencheur de la Marche pour l’Egalité et contre le Racisme qui reliera trois ans plus tard Marseille à Paris. Adolescent, dans un livre d’école, il tombe sur la photo d’une personne brandissant le portrait de son frère lors d’une manifestation. Il se tait mais garde précieusement cette unique photo du disparu. Ce n’est qu’en 2010, lorsqu’un journaliste contacte sa famille, qu’il décide d’enquêter.
« Il en savait bien plus que moi sur l’histoire de mon propre frère », dit Hassan Ben Mohamed, qui en tirera un livre, « la Gâchette facile » (en collaboration avec Majid el Jarroudi, éd. Max Milo, octobre 2015).
Il contacte policiers, témoins et habitants, fouille dans les archives… Quatre ans de recherches qui le plongent dans l’abyssale douleur de ses proches et d’un quartier toujours traumatisé. Certains sont intarissables, d’autres ne peuvent en parler sans s’effondrer.
Deux policiers de la CRS 53, présents ce soir-là aux côtés de celui qui a tué Houari, acceptent de le rencontrer. « Trente-cinq ans après, il n’y avait aucune contradiction dans les déclarations des uns et des autres », souligne le Marseillais, qui parvient à reconstituer cette soirée où tout a basculé.
Samedi 18 octobre 1980. Après le dîner, Lahouari descend faire un tour. « Tu rentres avant 22 heures », lui lance sa mère, Fatma. En bas, il croise Zahir, le frère de son copain Djamel. Zahir a 19 ans, le permis et une Renault 12 rouge quasi neuve. Il embarque Houari et Djamel à l’arrière, son ami Cherif à l’avant. La nuit tombe. L’autoradio diffuse « Upside Down », le tube de Diana Ross.
Vers 21 heures, quatre CRS en mission de sécurisation en cette veille de l’Aïd les arrêtent. Vérifications des papiers du véhicule et du conducteur. Armé d’un pistolet-mitrailleur MAT 49, un CRS de 23 ans, plus nerveux que les autres, lance : « Attention les jeunes, je ne sais pas si c’est le froid, mais ce soir j’ai la gâchette facile ! »
Agité, il va jusqu’à fouiller la boîte à gants avec le canon de son arme. Puis Lahouari, qui n’a sur lui qu’un paquet de cartes à jouer. Tout est en règle. Zahir peut repartir. Mais, alors que les autres CRS s’éloignent, celui qui tient le pistolet-mitrailleur ouvre le feu sur Lahouari, toujours assis à l’arrière, et le tue de deux balles dans la tête, à bout portant.
« La France nous a trahis ! »
Le lendemain, le maire de Marseille, Gaston Defferre, sonne chez les Ben Mohamed. « Il nous avait promis que ce crime ne resterait pas impuni », expliquera plus tard Farida Ben Mohamed à son petit frère Hassan.
Inculpé pour « homicide involontaire » et placé sous mandat de dépôt, le CRS, révoqué de la police peu après, est d’abord jugé en mai 1983 devant le tribunal correctionnel de Marseille. Il varie dans ses déclarations, dit d’abord s’être senti en danger, puis assure que « le coup est parti tout seul ».
Il ne convainc pas la présidente, qui déclare son tribunal incompétent à juger « des tirs manifestement délibérés ». Direction les assises pour un « homicide volontaire ». Une victoire pour les Ben Mohamed et leur avocat marseillais, Gilbert Collard. Quatre ans plus tard, le 23 septembre 1987, le procès de l’ancien CRS, en liberté provisoire depuis six ans et demi, s’ouvre à Aix-en-Provence. La défense plaide l’accident.
L’avocat général aussi. « Malgré son rôle d’accusateur public, malgré les faits, malgré l’expertise psychiatrique, malgré les dépositions accablantes des collègues de Taillefer [le policier, NDLR], malgré les aveux même du criminel, [André Viangalli] défend la thèse de l’accident ! » écrit la journaliste Chantal de Rudder dans les colonnes du « Nouvel Observateur ». Selon lui, le CRS n’a pas voulu tirer.
Quand il requiert deux ans de prison, la mère de Houari et une de ses sœurs quittent l’audience en larmes. Dans la soirée, le verdict tombe : dix mois de prison dont quatre avec sursis. « La France nous a trahis ! » hurle la mère de Houari à la sortie. Impossible alors de faire appel d’un verdict de cour d’assises. C’est l’indignation.
« On a peur de comprendre qu’à Aix il était socialement difficile de condamner un policier français pour la mort d’un jeune Arabe », écrit dans « Libération » Laurent Joffrin, pour lequel « cette décision de justice est une parfaite injustice ».
Pour les Ben Mohamed, c’est la double peine. « Ma mère a toujours dit que mon frère était mort deux fois : le soir du contrôle et le soir du verdict », raconte Hassan, qui apprend bien plus tard que le policier, en sus, a été amnistié.
En 1986, Malik Oussekine
Agée de 87 ans, Fatma Ben Mohamed vit toujours aux Flamants. Dès le lendemain de la mort de Houari, elle était sur la Canebière avec d’autres mères. En 1987, elle se rend à Paris avec son mari pour dénoncer le matraquage à mort du jeune Malik Oussekine un an plus tôt par deux « voltigeurs » de la préfecture de police.
« On pouvait se permettre, à l’époque, de tuer un Arabe en toute impunité, lâche Hassan. Mon frère s’inscrit malheureusement dans cette partie de l’histoire de la France. » Mais il est convaincu que la société a évolué.
« La même affaire serait traitée différemment aujourd’hui, j’y crois, assure-t-il. Et, même si les faits ne sont pas exactement les mêmes dans le cas du jeune Nahel, alors que le policier était mis en examen pour “homicide volontaire”, le ministre de l’Intérieur et le président ont assez rapidement marqué leur détachement. »
« J’ai grandi en pensant que les policiers étaient tous des racistes et qu’il ne fallait surtout pas que je m’en approche », poursuit-il. Il a ensuite changé d’avis : à la fin des années 1990, Hassan Ben Mohamed, d’abord chauffeur routier, est devenu policier (il est actuellement en disponibilité).
Arrivé d’Algérie en 1965, son père, Ahmed, ouvrier, voulait qu’il fasse son service militaire. Alors à sa mort, en 1998, Hassan s’y décide. C’est là qu’on lui parle des postes d’adjoint de sécurité (aujourd’hui appelés « policiers adjoints »).
« Devenir policier, je m’y suis d’abord refusé. Puis je me suis dit : “Pourquoi pas ? Peut-être que je peux faire changer un peu les mentalités.” Si, dans une patrouille, un policier n’est pas blanc, cela se passera sans doute différemment. Au pire, je prendrai la place d’un raciste. »
Reste à obtenir l’assentiment de sa mère, qui accuse le coup. « Elle en a parlé avec mes frères puis m’a dit : “Si tu veux, mais pas CRS.” » Ce sera le commissariat de la cité Félix-Pyat, dans le 3e arrondissement de Marseille, puis la BAC (brigade anti-criminalité) à Paris, avant un retour en commissariat, toujours dans la capitale, où il vit.
Longtemps, le policier Ben Mohamed ne révèle pas qui il est. Il tente une fois, quand il croise un ancien de la CRS 53 : « Ça l’a scotché, on n’en a plus parlé. » Quand il publie son livre, en 2015, il informe sa supérieure, qui, elle non plus, n’en revient pas. « Elle m’a lancé : “Et vous finissez dans la police ?” »
La rencontre avec l’ancien policier
Hassan Ben Mohamed décrit à ses proches, surpris, l’esprit de camaraderie et la solidarité des policiers, si semblables aux valeurs du quartier. « Finalement, de quoi est mort Lahouari ? conclut-il dans son livre. Du climat raciste de l’époque ? De l’héritage de la guerre d’Algérie et de la décolonisation ? De l’incompétence et de la haine d’un CRS 53 ? De la malchance ? » Lui n’a jamais utilisé son arme.
« Ouvrir le feu est la hantise de tout policier, on n’a qu’une fraction de seconde pour décider. »
Soumis à son devoir de réserve, il ne s’étend pas davantage sur son métier. Son enquête ne l’a pas laissé indemne, mais l’a « allégé d’un poids ».
Comment toutefois tourner la page sans contacter le CRS qui a tué son frère ? « Pour moi, il était le diable », dit Hassan, qui se décide finalement à l’appeler. L’ancien policier accepte immédiatement de le rencontrer. Un moment compliqué. D’emblée, l’homme refuse d’évoquer les faits, insiste sur le « cauchemar » que fut cette affaire pour sa famille et lui, se défend de tout acte raciste.
L’ancien CRS blêmit quand Hassan lui apprend ce que sa mère vient alors de lui avouer : le lendemain de la mort de Houari, deux inconnus se sont présentés chez ses parents. « Ils ont dit à mon père qu’ils avaient des contacts aux Baumettes et que, s’il le voulait, le CRS était mort. » « La justice fera son travail », leur répond Ahmed Ben Mohamed en refusant. « Je voulais qu’il sache que s’il était toujours vivant, c’était grâce à mon père. »
Après la mort de Nahel, un supermarché Aldi tout près des Flamants a été pillé puis incendié, un car et des Abribus ont été détruits. « A l’époque, je m’attendais à des émeutes, les politiques craignaient le pire, reprend Mourad Bekkis, l’ami d’Hassan. Mais pas du tout. Plusieurs amis de Houari avaient même eu cette réaction géniale de répondre par le théâtre, avec la pièce “Ya oulidi”, “Mon fils” en arabe, qu’ils avaient créée à l’ancien centre social des Flamants et jouée en mars 1981 au Théâtre du Merlan devant une salle comble. »
Trente ans plus tard, ceux qui y avaient participé l’ont rejouée, continuant ainsi à faire vivre la mémoire de Houari et du quartier. Son frère Hassan y veille particulièrement. Avec diverses actions puis l’association Flamants Rise, qu’il a ensuite créée, il organise notamment des rencontres avec des policiers.
« Les petits adorent », assure Hassan en montrant sur son téléphone des photos d’enfants essayant des casques. Elles ont lieu à côté de l’ancien stade de foot, détruit lors du projet de réhabilitation du quartier, et qui portait le nom de Houari. La plaque a été sauvée in extremis des débris. Hassan en a vite revissé une autre :
« A la mémoire de Lahouari Ben Mohamed, décédé le 18 octobre 1980. “Plus jamais ça !” »
Hassan aimerait que la rue qui passe devant prenne le nom de son frère. Et qu’on cesse, comme après la mort de Nahel, d’« opposer systématiquement deux camps » : « Peut-être pourrait-on proposer à des acteurs sociaux de patrouiller avec des policiers, dans certaines conditions, pour qu’ils comprennent mieux leurs problématiques, et vice versa ? » avance-t-il.
Il pense souvent à ce qu’ont enduré ses parents. Quand il s’est plongé dans le dossier judiciaire de son frère, y découvrir pour la première fois sa carte d’identité l’a bouleversé. Au lendemain de sa mort, leur père l’avait portée en main propre à l’hôtel de police : « Il leur avait dit : “Vous la vouliez, je crois.” Et la leur avait donnée. »
Par
https://www.nouvelobs.com/justice/20230904.OBS77684/lahouari-ben-mohamed-tue-a-17-ans-par-un-crs-a-marseille-on-pouvait-se-permettre-a-l-epoque-de-tuer-un-arabe-en-toute-impunite.html
Attention, ce soir j’ai la gâchette facile ! » : en 1980, Lahouari, 17 ans, mourait tué par un policier
ARCHIVE. Dans cet article paru dans « le Nouvel Observateur » en 1987 et intitulé « Bavure : un meurtre sans assassin », le magazine revenait sur la mort, sept ans plus tôt, du jeune Lahouari Ben Mohamed, tué par un CRS, Jean-Paul Taillefer, lors d’un contrôle routier. La famille s’est battue pendant sept ans et attendait beaucoup de ce procès. Verdict : dix mois de prison dont quatre avec sursis, et une loi d’amnistie qui permettra au meurtrier de ressortir libre.
Devant les caméras avides, après l’énoncé du verdict de la cour d’assises d’Aix-en-Provence, elle a poussé un cri immense comme un appel au secours : « La France nous a trahis ! » Le 24 septembre, sept ans après l’assassinat de son fils Houari par un CRS excité [Jean-Paul Taillefer, NDLR], la justice refusait à Fatma Ben Mohamed l’apaisement qu’elle attendait avec une irréprochable patience. Sept ans d’un deuil impossible qu’une sentence inique rend impossible à jamais. Quelle mère au monde pourrait s’y résigner ?
Au cours d’un contrôle injustifié dans une cité marseillaise, Jean-Paul Taillefer éclate la tête de Houari d’une rafale de PM [pistolet-mitrailleur, NDLR] à bout portant. Parce qu’il était contrarié. Qu’il avait peur. Qu’il était nerveux. Qu’il possédait un flingue. Le véhicule dans lequel le jeune Ben Mohamed était assis venait pourtant de recevoir la permission de repartir. « Attention ! avait ricané l’homme à l’uniforme. Ce soir, j’ai la gâchette facile. » Le juge d’instruction concluait à un homicide involontaire par maladresse, imprudence et inobservation des règlements.
Un crétin, président d’une quelconque commission de sécurité, enfonçait le clou : « De toute façon, tout ça, c’est de la graine de voyou. » Aucun service de police n’avait jamais entendu parler d’aucun membre de la famille Ben Mohamed. Mais qu’importe ! Le meurtrier sortait de détention provisoire au bout de trois mois et l’affaire était portée au tribunal correctionnel entre une histoire d’assurances et un vol de Mobylette.
Pour les Ben Mohamed commencent alors sept ans de bataille. Leurs seules armes : le respect de la loi et la dignité. Leur seul appui : la cité des Flamants (un de ces ghettos marseillais des quartiers nord qui chatouillent la parano des « braves gens ») qui les porte à bout de bras. Ils réussissent à obtenir des magistrats du tribunal correctionnel qu’ils se déclarent incompétents pour juger Taillefer. Puis la cour d’appel d’Aix et la Cour de Cassation en font autant. Qu’un flic assassin soit traduit devant la cour d’assises pour le meurtre d’un Arabe – ce qu’on appelle ordinairement une bavure – dans cette région de France, ce n’est plus une évidence. C’est devenu une victoire de la démocratie !
« La vie de mon fils vaut moins que celle d’un chien »
Mais dans le prétoire l’avocat général décide qu’il faut tempérer cet égalitarisme qui ne correspond pas à la réalité sociale locale. Et malgré son rôle d’accusateur public, malgré les faits, malgré l’expertise psychiatrique, malgré les dépositions accablantes des collègues de Taillefer, malgré les aveux mêmes du criminel, il défend la thèse de l’accident ! Le jury accorde carrément les circonstances atténuantes : dix mois de prison dont quatre avec sursis pour Jean-Paul Taillefer, qui, bénéficiant d’une loi d’amnistie, est désormais entièrement libre de ses mouvements. « Maintenant, s’indigne Me Pons de Poli, représentante de la Ligue des Droits de l’Homme, nous savons qu’il y a deux catégories de Français : ceux qui sont protégés par le pouvoir et ceux qui ont le teint basané. »
Dans son HLM des Flamants, Fatma Ben Mohamed ne crie plus. Ne pleure plus. Son beau visage est immobile. Sa voix reste feutrée. Mais ses tempes et sa gorge battent la chamade : « Ce n’était pas un voyou… Il avait 17 ans… Je leur faisais confiance… Mais ils me l’ont tué une seconde fois… » Inlassablement, elle répète l’intolérable irruption du malheur. Dans la maison impeccablement tenue, les petits-enfants que les frères et sœurs de Houari lui ont donnés écoutent silencieusement leur grand-mère. Des voisins viennent l’assurer de leur sympathie. Des journalistes entrent et sortent. Le téléphone sonne sans arrêt. Mais inlassablement, Fatma répète à qui lui demande l’intolérable déni de justice :
« La vie de mon fils vaut moins que celle d’un chien… J’ai peur pour tous les jeunes qui ont la figure d’un Maghrébin… C’est pour ça que je ne me tairai jamais… Raconter le mal, la folie… »
Samedi dernier, Fatma la discrète, qui ne sortait d’ordinaire que pour aller faire ses courses, se place en tête de la manifestation qui arpente les trottoirs de la Canebière. Sans une larme, refusant les bras qui s’offrent pour la soutenir, elle marche pour l’exemple. Et elle exhibe son désespoir terrible et silencieux comme celui des mères de la place de Mai sur le bitume argentin. Sur sa robe, elle a accroché une cible.
Le combat par les voies légales
Pendant ce temps, les jeunes des quartiers nord distribuent des tracts et font signer des pétitions pour obtenir une révision du procès. Tant pis si Gilbert Collard, l’avocat des Ben Mohamed [élu député européen en 2019 après avoir rejoint le Front national en 2017, et avant de rejoindre Eric Zemmour en 2022], leur répète depuis plusieurs jours qu’elle est légalement impossible. Vox populi, vox Dei. Ils ne veulent pas l’accepter. « Il faut continuer, s’exclame naïvement Messaoud, 21 ans et l’accent de Pagnol. Il se peut que la justice se rattrape… Ça m’angoisse, ce mort qui n’a pas droit à un assassin. Dire que personne n’a tué Houari, c’est comme dire que tout le monde était d’accord pour qu’il meure ! C’est l’intégration des beurs qu’on assassine. »
Aidés par SOS-Racisme et Me Collard, les jeunes préparent un livre noir de l’instruction. « Pour démonter mécanisme par mécanisme tous les rouages de ce simulacre de justice. » Pas une soirée sans réunion dans le centre social des Flamants : « Faut empêcher l’oubli », décrète Djamel. De nombreuses associations ont rejoint le comité de soutien à la famille Ben Mohamed. Drifa, 30 ans, la sœur de Houari, relève la tête à nouveau après le choc du verdict : « Je renvoyais tout le monde dos à dos. Et puis, j’ai lu la presse. Les journalistes n’avaient pas le droit de critiquer une décision de justice. Et pourtant, ils l’ont fait ! Même “le Quotidien de Paris”… » Drifa ne renonce pas à la démocratie : « Je suis bien placée pour savoir que la violence est la pire des solutions. » Et le combat continue par les voies légales…
Le 18 octobre, septième anniversaire de la mort de Houari, Me Gilbert Collard déposera une plainte contre l’Etat français au nom de la famille Ben Mohamed. « L’Etat, déclare le jeune avocat, doit assumer sa part de responsabilité dans la manière dont il forme ses fonctionnaires. C’est pourquoi nous engageons une action en responsabilité civile contre lui. »
Même si l’on accepte la thèse du « regrettable accident » défendue par le parquet, le ministère de l’Intérieur devra quand même répondre de ses critères de recrutement. Qui a-t-il engagé pour veiller sur notre sécurité ? A qui a-t-il confié le privilège exorbitant de porter un fusil-mitrailleur et de représenter l’autorité ? A « un grand émotif et un grand immature… incapable de maîtriser son agressivité dans une situation délicate… qui n’aurait jamais dû être CRS ». Telles sont les conclusions présentées par l’expert-psychiatre au cours du procès d’Aix. Comment s’est défendu Jean-Paul Taillefer ? En imputant la cause du drame à son inexpérience : « Je n’avais tiré que deux fois avec ce type d’arme au cours de mon stage chez les CRS. », affirmait-il pendant l’audience. Incompétent et incapable.
Combien de Taillefer la police compte-t-elle encore dans ses rangs ?
Par Chantal de Rudder
Publié le 4 septembre 2023 à 9h00
https://www.nouvelobs.com/justice/20230904.OBS77691/attention-ce-soir-j-ai-la-gachette-facile-en-1980-lahouari-17-ans-mourait-tue-par-un-policier.html
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