Les États-Unis occupent des dizaines de milliers d’agents à s’informer, supputer, analyser, manipuler, en somme à réfléchir. La CIA, qui compte au total 220.000 agents, dispose d’une conséquente section « d’analystes ». La Maison Blanche, le Département d’État et le Pentagone emploient les spécialistes des meilleurs cabinets privés de conseil en stratégie[i],
Une chronique de Xavier Houzel
Les présidents américains successifs ne se lassent pas non plus d’écouter des dizaines de gourous. Les plus célèbres et les plus doctrinaires d’entre eux ont été leurs secrétaires d’État Henry Kissinger et Hillary Clinton. Les deux conseillers ont été les plus assidus à la sécurité nationale américaine furent Zbigniew Brzezinski et son successeur Anthony Lake. Des professeurs comme John Ikenberry de l’Université de Princeton et les inépuisables chroniqueurs de la revue Foreign Affairs complètent ce lot d’influenceurs
Dans les écrits de chacun de ces conseilleurs, nous découvrons ce qui mène le monde jusqu’au conflit russo-ukrainien qui n’échappe point à cette règle.
Henry Kissinger, la volte face
Le plus prestigieux des glossateurs américains, tel le Zadig de Voltaire, est allé de désillusion en désillusion. Il a fait, le 18 janvier 2023, une volte-face qui n’en est pas une en déclarant : Avant cette guerre, j’étais opposé à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN parce que je craignais que cela ne provoque exactement le processus que nous connaissons maintenant , a-t-il répété dans une vidéo. Maintenant que le processus a atteint ce niveau, l’idée d’un Kiev neutre n’a plus de sens.
Dans l’équipe du président Richard Nixon, Kissinger avait une profonde connaissance du vieux continent et de ses tiraillements[iii]. Il a participé à la mise en œuvre de la politique de détente avec l’Union soviétique. Il a négocié le Traité SALT I, qui limitait le nombre de bombes nucléaires des deux superpuissances. En vertu de la Doctrine Nixon, dite « triangulaire », qu’il a contribué à formuler, les États-Unis laissent chaque pays se charger de sa propre sécurité, mais peuvent apporter une défense grâce à leur parapluie nucléaire si cela est demandé ou nécessaire.
Pour Henry Kissinger, cette posture est toujours restée « la bonne », parce que la seule possible, mais à condition que l’arme nucléaire ne prolifère pas.
Hillary Clinton, « la smart diplomacy »
L’émergence de la Chine a généré des inquiétudes telles qu’il était difficile de ne pas découvrir, le 13 janvier 2009, dans le discours d’investiture de la secrétaire d’État Hillary Clinton inaugurant « la smart diplomacy »[iv], des signaux inquiétants. La marge de manœuvre politique des États-Unis, disait-elle, est devenue d’autant plus réduite que la Chine est maintenant une puissance commerciale qui impose le respect, et dont les consommateurs américains ne peuvent plus se passer[v].
Unrapport de 2008 (Global Trends 2025) duNational Intelligence Council(NIC) notait alors que les États-Unis ne seront plus que l’un des principaux acteurs sur la scène internationale, même s’ils resteront le plus puissant.
L’unipolarité ,née de l’après-guerre froide, était-elle dèja menacée ?
Zbigniew Brzeziński, l’encerclement de la Russie
Après les attentats du 11 septembre 2001, Znigniew Brzezenski a actualisé (en 2004) son ouvrage « Le Vrai Choix » (The Choice : global domination or global leadership, paru chez Basic Books). Il y défendit le dogme selon lequel l’amélioration du monde et sa stabilité dépendaient du maintien de l’hégémonie américaine. Toute puissance concurrente était dès lors considérée comme une menace pour la stabilité mondiale.
Contrairement à l’avis du président George W. Bush, qui professait un « hégémonisme unilatéral exclusif», un « leadership américain » pouvait seul sauver le monde du chaos, mais un tel objectif ne pouvait être atteint que sous réserve d’une coopération avec l’Europe ! La phrase culte de Brzezenski est la suivante : Sans l’Europe, l’Amérique est encore prépondérante mais pas omnipotente, alors que sans l’Amérique, l’Europe est riche mais impuissante.
Lui-même et son successeur Anthony Lake parviendront à convaincre le président Clinton d’étendre l’OTAN vers l’Est pour refouler et encercler la Russie, l’objectif étant de prévenir la collusion et demaintenir la dépendance sécuritaire parmi les vassaux, de garder les tributaires dociles et protégés, et d’empêcher les barbares de se regrouper. Whaoooh ! Le verdict était sans appel. Mais il était indécent.
Encore que le Dollar devait conserver, dans une telle perspective, sa position de première monnaie de réserve mondiale, ne serait-ce que par rapport à l’Euro. C’est ainsi que que les États-Unis garantissaient la valeur de leur monnaie par un usage modéré de la planche à billet.
Cela impliquait aussi que la Diplomatie américaine s’abstienne de l’usage systématique des sanctions comme mesure de rétorsion de dissuasion. Or elle fit exactement le contraire.
Dès 2014 face aux sanctions internationales, la Russie entreprit un processus de dé-dollarisation[vi] de son économie.
La fin du monde unipolaire
Pour John Ikenberry et d’autres universitaires peu convaincus de la politique étrangère menée sous l’Administration Bush, le “moment unipolaire” des États-Unis allait inévitablement vers sa fin. Si l’affrontement du XXIe siècle devait avoir lieu entre les États-Unis et la Chine, la Chine aurait l’avantage. Si cet affrontement se produisait entre la Chine et un système occidental ravivé, ce dernier triompherait[vii].
« Un souverain ne saurait lever une armée sous le coup d’un mouvement d’humeur et de sentiments de colère ou d’exaspération (… ) Entreprendre une telle action ne doit être que le fait d’intérêts sereinement calculés et partagés par les intéressés.
Legénéral Sun Tzu dans le douzième chapitre de « L’art de la guerre »
Fort heureusement, note Joshua Cooper Ramo : l’objectif de la Chine n’est pas de provoquer un conflit, mais de l’éviter[viii]. En l’évitant, Pékin a « tout à gagner » Le général Sun Tzu l’avait noté (voir ci dessus)!
Imaginons le pire !
La présidence d’Obama intervenait dans un environnement d’insécurité en Irak, de guerre en Afghanistan, de crise au Moyen-Orient et de récession économique globale. Vladimir Poutine, qui voyait la démographie russe s’effondrait[xi]. ne pouvait voir sa nation qu’en grand.
Autant de menaces qui éclairent le conflit en Ukraine, qui voit ce monde bipolaire vivre ses derniers vestiges.
[iii] Henry Kissinger : A World Restored: Metternich, Castlereagh, and the Problems of Peace, 1812-1822
[iv] Dans le domaine des relations internationales, le terme de smart power ou la puissance intelligente fait référence à la combinaison des stratégies de soft power et de hard power.Il est défini par le Center for Strategic and International Studies comme « une approche qui souligne la nécessité d’une armée forte, mais aussi d’alliances, de partenariats et d’institutions à tous les niveaux pour étendre l’influence américaine et établir la légitimité du pouvoir américain. »
L’ex-président américain fait l’objet d’une enquête dans une affaire de paiement en 2016 visant à acheter le silence de l’actrice pornographique Stormy Daniels avec laquelle il aurait eu une liaison. Il pourrait être inculpé par la justice
Donald Trump a assuré samedi 18 mars sur son réseau social Truth Social qu’il allait être « arrêté » mardi prochain et a appelé à des manifestations, avant une possible inculpation dans une affaire de paiement en 2016 visant à acheter le silence d’une actrice pornographique avec laquelle il aurait eu une liaison.
Evoquant une « fuite » du parquet des procureurs de l’Etat de New York, pour le district de Manhattan, l’ancien président américain a écrit en lettres majuscules :
« Le candidat du parti républicain très loin devant (ses rivaux à la primaire, ndlr) et ancien président des Etats-Unis d’Amérique va être arrêté mardi de la semaine prochaine. Manifestez, reprenez notre nation ! »
Les procureurs new-yorkais enquêtant sur Donald Trump ont entendu mercredi l’ancienne star du porno Stormy Daniels, dans le cadre de leurs investigations pour décider d’une inculpation de l’ex-président soupçonné de lui avoir versé des pots-de-vin, selon l’avocat de l’actrice.
Ce dossier pourrait en effet valoir à Donald Trump, 76 ans, également visé dans d’autres affaires judiciaires, de devenir le premier ex-président américain inculpé au pénal. Cela pourrait compliquer sa course à l’investiture républicaine pour la présidentielle de 2024.
L’avocat de l’actrice, Clark Brewster, a indiqué sur Twitter que sa cliente avait rencontré les procureurs à la demande du parquet de Manhattan.
« Stormy a répondu aux questions et a donné son accord pour se rendre disponible comme témoin ou pour de plus amples investigations si besoin », selon lui.
L’actrice qui affirme avoir eu une liaison avec Donald Trump, a ensuite remercié dans un tweet son avocat pour son soutien et « notre combat qui se poursuit pour la vérité et la justice ».
L’enquête porte sur le versement en 2016 de 130.000 dollars par Michael Cohen, l’avocat personnel de Donald Trump, à Stormy Daniels - Stephanie Clifford de son vrai nom - pour acheter son silence sur cette relation présumée.
Le versement avait eu lieu deux semaines avant le scrutin présidentiel, remporté par le républicain contre la démocrate Hillary Clinton.
Des charges criminelles ?
L’affaire avait éclaté en 2018 lorsque Stormy Daniels avait affirmé avoir eu une relation sexuelle avec Donald Trump il y a une douzaine d’années.
Michael Cohen, devenu l’un des pires ennemis de Donald Trump, a témoigné lundi devant un grand jury dans cette enquête liée à un accord de non-divulgation.
L’ancien avocat avait été condamné, après avoir plaidé coupable, à trois ans de prison notamment pour avoir orchestré ce paiement en violation des lois sur le financement des campagnes électorales. Il a assuré avoir agi à la demande expresse du candidat républicain, qui l’aurait remboursé une fois arrivé à la Maison Blanche.
Donald Trump a démenti toute liaison avec Stormy Daniels. Lui-même a été invité à témoigner devant le grand jury, ont rapporté plus tôt ce mois-ci le « New York Times » et le « Washington Post », mais devrait refuser selon les estimations. Cette invitation est un signe possible de la volonté des procureurs de le poursuivre.
Selon le « New York Times », Donald Trump pourrait être inculpé pour un délit de fausses déclarations comptables pour dissimuler le paiement à Stormy Daniels.
Ces charges pourraient s’alourdir et devenir criminelles si les procureurs considèrent que le délit visait à cacher une violation des règles de financement des campagnes électorales, avait aussi expliqué le « New York Times ».
Après les révélations des deux journaux, Donald Trump avait déjà dénoncé la semaine dernière sur son réseau Truth Social une « chasse aux sorcières politique visant à faire tomber le candidat en tête, (et ce) de loin, du Parti républicain » à la primaire pour la présidentielle de 2024.
« Je n’ai jamais eu de liaison avec Stormy Daniels », avait-il ajouté.
Donald Trump est visé dans d’autres dossiers, notamment sur son rôle dans l’assaut du Capitole par ses partisans le 6 janvier 2021, ainsi que sur la gestion de ses archives présidentielles.
En Géorgie (Sud), un procureur enquête sur ses efforts avec ses alliés pour changer les résultats de l’élection présidentielle perdue en 2020 et un grand jury a recommandé une série d’inculpations.
Le président américain a effectué, la semaine dernière, une visite surprise en Ukraine avant de se rendre dans la foulée en Pologne. A Kiev comme à Varsovie, Joe Biden a fait des annonces, des annonces d’aides militaires et financières substantielles (500 millions de dollars avant que ce chiffre soit porté à deux milliards de dollars) qui font craindre l’escalade. Mais il est aussi question de la mise en œuvre d’une batterie de sanctions contre la Russie, la dixième série depuis le déclenchement de l’opération militaire spéciale en Ukraine.
Les médias occidentaux ont assuré un large écho médiatique à cette visite qui est intervenue à l’occasion de l’an un du conflit. Avec le même récit que celui porté depuis le début par les Américains, les responsables européens et tous les russophobes : il y aurait d’un côté la grande méchante Russie et, de l’autre, la gentille Ukraine au chevet de laquelle veillent les sympathiques et tout aussi doux bisounours occidentaux. Comme si les deux guerres d’Irak ne sont qu’une légende ; la guerre en Afghanistan n’eut pas lieu ; la dislocation de la Libye et les massacres en Palestine ne sont que le fruit de l’imagination.
En revanche, ce que ni les médias, encore moins les tenants du schème de la pensée traditionnelle occidentale n’ont pas relayé, ni même commenté à la marge, c’est que, en annonçant d’autres mesures d’aides militaires et financières, Joe Biden dit clairement que la guerre ne fait que commencer. Le conflit est appelé à durer, en tout cas tant que l’objectif de cette guerre n’aura pas été encore atteint. Un objectif de plus en plus évident au fil des mois : affaiblir durablement la Russie et porter le territoire de l’OTAN aux seuils des portes de la Russie, quoi qu’il en coûtera à l’Ukraine. L’Occident sera, de toutes les façons, là pour prendre en charge les réparations.
Avec les nouvelles livraisons d’armes, de chars, de munitions, de systèmes antiaériens, de drones, annoncées par les différents pays de l’Union européenne et l’aide financière apportée par les Américains, c’est la preuve que l’option diplomatique en vue d’une sortie rapide de la guerre n’est pas, pour l’heure en tout cas, dans les papiers de la coalition occidentale. Dans l’agenda de cette ligue antirusse, la paix entre la Russie et l’Ukraine n’est pas à l’ordre du jour, s’accordent à dire des observateurs.
Des observateurs aux yeux desquels n’a pas échappé ce fait nouveau : se joue, indique-t-on, au travers de cette guerre par procuration, une nouvelle redistribution des rôles dans une Europe totalement soumise aux désidératas des Américains. L’on parle désormais de la mise en place d’un processus de mentorat visant à faire glisser le leadership européen vers l’Est, au profit de la Pologne, des Républiques baltes et, à terme, de l’Ukraine, au grand dam de l’Allemagne et de la France, les deux plus grands perdants de ce conflit. Avec l’aide américaine, la Pologne ambitionne de devenir la première puissance militaire de l’Union européenne à la place de la France.
C’est dans l’ordre du possible puisqu’au moment où Joe Biden profite de la guerre en Ukraine, en vendant du gaz de schiste et du pétrole aux Européens, redessine les frontières de l’Europe, tandis que le président polonais arme son pays à tour de bras non pas chez les fabricants européens mais chez les Américains, Emmanuel Macron, lui, déambule entre les étals du marché de Rungis, goûtant au passage du bon fromage. Une sortie sur le terrain ayant pour but d’exister médiatiquement après plusieurs semaines d’absence, sans doute en raison du conflit social sur les retraites.
Près d’un an après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le discours occidental dénonçant une attaque « non provoquée » est devenu intenable.
Le président américain Joe Biden reçoit son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky à la Maison-Blanche, le 21 décembre 2022 à Washington (AFP)
l est particulièrement utile de prendre du recul pour analyser la guerre en Ukraine, près d’un an après l’invasion russe.
En février dernier, il semblait tout au moins superficiellement plausible de désigner la décision du président russe Vladimir Poutine d’envoyer des troupes et des chars chez son voisin comme rien moins qu’un « acte d’agression non provoqué ».
Poutine était soit un fou, soit un mégalomane qui tentait de raviver le programme impérial et expansionniste de l’Union soviétique. Sans opposition à son invasion, il allait devenir une menace pour le reste de l’Europe.
Une Ukraine vaillante et démocratique avait besoin d’un soutien sans réserve de l’Occident – et d’un approvisionnement quasi illimité en armes – pour tenir tête à un dictateur voyou.
L’Ukraine est devenue le champ de bataille permettant à Washington de revenir sur les dossiers inachevés de la guerre froide
Mais ce discours semble de plus en plus s’effilocher, du moins si l’on va au-delà des médias de l’establishment – des médias qui n’ont jamais semblé aussi monotones, aussi déterminés à battre le tambour de guerre, aussi amnésiques et aussi irresponsables.
Quiconque conteste les efforts incessants déployés au cours de l’année passée pour intensifier le conflit – qui entraîne un bilan humain et des souffrances incommensurables, fait grimper en flèche les prix de l’énergie, provoque des pénuries alimentaires à l’échelle mondiale et engendre en fin de compte un risque de guerre nucléaire – est accusé de trahir l’Ukraine et de faire l’apologie de Poutine.
Aucune dissidence n’est tolérée.
Poutine est Hitler, nous sommes en 1938 et quiconque cherche à faire baisser la température n’est qu’un adepte de la politique d’apaisement, à l’instar du Premier ministre britannique Neville Chamberlain.
C’est du moins ce qu’on nous dit. Mais le contexte est d’une importance cruciale.
Mettre fin aux « guerres éternelles »
Six mois à peine avant que Poutine n’envahisse l’Ukraine, le président Joe Biden a retiré l’armée américaine d’Afghanistanaprès deux décennies d’occupation. Il s’agissait en apparence de l’accomplissement de sa promesse de mettre fin aux « guerres éternelles » de Washington qui lui coûtaient « tant de sang et d’argent ».
La promesse implicite était que l’administration Biden allait non seulement ramener les troupes américaines des « bourbiers » du Moyen-Orient que représentaient l’Afghanistan et l’Irak, mais aussi veiller à ce que les impôts américains cessent de partir à l’étranger pour remplir les poches de fournisseurs militaires, de fabricants d’armes et de responsables étrangers corrompus. Les dollars allaient être dépensés sur le territoire national pour résoudre les problèmes nationaux.
Mais depuis l’invasion russe, cette hypothèse s’est effondrée. Dix mois plus tard, il semble fantaisiste d’imaginer qu’il y ait eu la moindre intention de la part de Biden.
En décembre, le Congrès américain a approuvé une augmentation colossale du « soutien » essentiellement militaire à l’Ukraine, portant le total officiel à une centaine de milliards de dollars en moins d’un an, avec sans doute beaucoup plus de coûts cachés au public. Ce montant dépasse de loin le budget militaire annuel total de la Russie.
Guerre en Ukraine : vers un « super-combat » d’un nouveau type ?
Lire
Washington et l’Europe déversent en Ukraine des armes toujours plus offensives. Ainsi encouragé, Kyiv pousse de plus en plus le champ de bataille à l’intérieur du territoire russe.
Les responsables américains, tout comme leurs homologues ukrainiens, entendent combattre la Russie jusqu’à ce que Moscou soit « vaincu » ou que Poutine soit renversé, transformant ainsi ce conflit en une nouvelle « guerre éternelle » identique à celle à laquelle Biden venait de renoncer – cette fois-ci en Europe plutôt qu’au Moyen-Orient.
Début janvier, dans le Washington Post, Condoleezza Rice et Robert Gates, deux anciens secrétaires d’État américains, ont appelé Biden à « offrir de toute urgence à l’Ukraine une augmentation considérable de ses fournitures et capacités militaires ». […] Il est préférable [d’]arrêter [Poutine] maintenant, avant que l’on n’exige davantage des États-Unis et de l’OTAN. »
En décembre, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a averti qu’une guerre directe entre l’alliance militaire occidentale et la Russie était une « possibilité réelle ».
Quelques jours plus tard, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été accueilli en héros lors d’une visite « surprise » à Washington. La vice-présidente américaine Kamala Harris et la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ont déployé un grand drapeau ukrainien derrière leur invité, telles deux groupies, pendant qu’il s’adressait au Congrès.
Les législateurs américains ont offert à Zelensky une ovation de trois minutes, plus longue encore que celle accordée à l’autre fameux « homme de paix » et défenseur de la démocratie, le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou. Le président ukrainien s’est fait l’écho de Franklin D. Roosevelt, président américain durant la Seconde Guerre mondiale, en réclamant une « victoire absolue ».
Tout cela n’a fait que souligner le fait que Biden s’est rapidement approprié la guerre en Ukraine en exploitant l’invasion russe « non provoquée » pour mener une guerre américaine par procuration. L’Ukraine est devenue le champ de bataille permettant à Washington de revenir sur les dossiers inachevés de la guerre froide.
Compte tenu du timing, les esprits cyniques pourraient se demander si Biden ne s’est pas retiré de l’Afghanistan non pas pour se concentrer enfin sur le redressement des États-Unis, mais pour préparer son entrée dans une nouvelle arène de confrontation, afin de donner un nouveau souffle à cet éternel scénario américain d’une domination militaire tous azimuts.
Fallait-il « abandonner » l’Afghanistan pour permettre à Washington d’investir son argent dans une guerre contre la Russie dans laquelle il n’y aurait pas de pertes humaines américaines ?
Des intentions hostiles
La réponse qui vient, bien sûr, est que Biden et son administration ne pouvaient pas savoir que Poutine était sur le point d’envahir l’Ukraine. C’était la décision du dirigeant russe, pas celle de Washington. Sauf que…
De hauts responsables politiques américains et des experts des relations américano-russes – de George Kennan à William Burns, actuellement directeur de la CIA sous Biden, en passant par John Mearsheimer et feu Stephen Cohen – avertissaient depuis des années que l’expansion de l’OTAN jusqu’aux portes de la Russie sous l’égide des États-Unis ne pouvait que provoquer une réponse militaire russe.
Poutine avait mis en garde contre ces dangereuses conséquences en 2008, lorsque l’OTAN a soumis pour la première fois l’idée d’une candidature de l’Ukraine et de la Géorgie – deux ex-États soviétiques frontaliers avec la Russie – à une adhésion. Il n’a laissé aucune place au doute en envahissant presque immédiatement la Géorgie, bien que brièvement.
C’est cette réaction « non provoquée » qui a vraisemblablement retardé l’exécution du plan de l’OTAN. Néanmoins, en juin 2021, l’alliance a réaffirmé son intention d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN. Quelques semaines plus tard, les États-Unis ont signé avec Kyiv des pactes distincts en matière de défense et de partenariat stratégique, offrant ainsi à l’Ukraine de nombreux avantages liés à une appartenance à l’OTAN sans en faire officiellement un pays membre.
Entre les deux déclarations de l’OTAN en 2008 et 2021, les États-Unis n’ont cessé de signaler leurs intentions hostiles à l’égard de Moscou et de montrer comment l’Ukraine pourrait contribuer à leur position géostratégique agressive dans la région.
Washington se soucie moins de l’avenir de l’Ukraine que de son objectif consistant à épuiser la force militaire de la Russie tout en l’isolant de la Chine, qui semble être la prochaine cible des États-Unis dans leur quête de domination totale
En 2001, peu après le début de l’expansion de l’OTAN vers les frontières russes, les États-Unis se sont retirés unilatéralementdu traité ABM (« Anti-Ballistic Missile ») de 1972, destiné à éviter une course aux armements entre les deux ennemis historiques.
Libérés du traité, les États-Unis ont ensuite déployé des batteries de missiles dans le périmètre élargi de l’OTAN, en Roumanie en 2016 et en Pologne en 2022. Le discours employé pour couvrir ces mesures était que ces sites étaient purement défensifs et visaient à intercepter tout missile tiré par l’Iran.
Toutefois, Moscou ne pouvait ignorer que ces systèmes d’armement étaient également aptes à une utilisation offensive et que des missiles de croisière à tête nucléaire pouvaient pour la première fois être lancés vers la Russie dans un délai très court.
En 2019, le président Donald Trump a renforcé les inquiétudes de Moscou en se retirant unilatéralement du traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Cela a ouvert la porte aux États-Unis pour lancer une première frappe potentielle sur la Russie avec des missiles stationnés dans les nouveaux pays membres de l’OTAN.
Alors que l’OTAN flirtait une fois de plus avec l’Ukraine au cours de l’été 2021, la capacité des États-Unis à lancer une frappe préventive avec l’aide de Kyiv – et de détruire ainsi la capacité de Moscou à riposter efficacement, tout en brisant sa dissuasion nucléaire – était un danger qui devait vivement préoccuper les décideurs russes.
Le sceau des États-Unis
Cela ne s’est pas arrêté là. L’Ukraine post-soviétique était profondément divisée, tant sur le plan géographique qu’électoral, sur la question de savoir si elle devait se tourner vers la Russie ou vers l’OTAN et l’Union européenne pour préserver sa sécurité et son commerce. Au fil d’élections très serrées, elle a oscillé entre ces deux pôles. L’Ukraine était un pays en proie à une crise politique permanente et à une corruption profonde.
C’est dans ce contexte que s’est produit à Kyiv en 2014 un coup d’État/une révolution qui a renversé un gouvernement élu pour préserver les liens avec Moscou. Un gouvernement ouvertement anti-russe a été installé à sa place. Le sceau de Washington – sous couvert de « promotion de la démocratie » – était un élément omniprésent du changement soudain de gouvernement au profit d’un gouvernement étroitement aligné sur les objectifs géostratégiques américains dans la région.
De nombreuses communautés russophones d’Ukraine – concentrées dans l’est, le sud et la péninsule de Crimée – ont été révoltées par cette prise de pouvoir. Craignant que le nouveau gouvernement hostile installé à Kyiv ne tente de mettre fin à son contrôle historique de la Crimée et du seul port dont dispose la Russie dans les mers chaudes, Moscou a annexé la péninsule.
L’incroyable bluff occidental sur le pétrole et le gaz russes
Lire
D’après un référendum ultérieur, la population locale a soutenu cette décision à une écrasante majorité. Les médias occidentaux ont largement décrit un résultat frauduleux, mais des sondages occidentaux ultérieurs ont laissé entendre que les Criméens le jugeaient fidèle à leur volonté.
C’est toutefois la région orientale du Donbass qui a été l’élément déclencheur de l’invasion russe en février dernier. Une guerre civile a rapidement éclaté en 2014, opposant les communautés russophones de la région à des combattants ultra-nationalistes et anti-russes, originaires pour la plupart de l’ouest de l’Ukraine, parmi lesquels des néonazis décomplexés. Plusieurs milliers de personnes sont mortes au cours des huit années de combats.
Alors que l’Allemagne et la France ont négocié les accords dits de Minsk avec l’aide de la Russie pour mettre fin au massacre dans le Donbass en promettant à la région une plus grande autonomie, Washington a semblé encourager l’effusion de sang.
Les États-Unis ont déversé de l’argent et des armes en Ukraine. Ils ont formé les forces ultranationalistes ukrainiennes et se sont efforcés d’intégrer l’armée ukrainienne dans l’OTAN par le biais de son principe d’« interopérabilité ». En juillet 2021, alors que les tensions s’intensifiaient, les États-Unis ont organisé un exercice naval conjoint avec l’Ukraine en mer Noire, l’opération Sea Breeze, lors de laquelle la Russie a dû tirer des coups de semonce contre un destroyer de la marine britannique qui était entré dans les eaux territoriales de la Crimée.
À l’hiver 2021, comme l’a souligné le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, Moscou avait atteint son « point d’ébullition ». Les troupes russes se sont massées à la frontière ukrainienne dans des proportions sans précédent, signe manifeste que Moscou avait perdu patience face à la collusion de l’Ukraine avec ces provocations orchestrées par les États-Unis.
Le président Zelensky, qui a été élu pour sa promesse de rétablir la paix dans le Donbass mais qui s’est montré incapable de maîtriser les éléments d’extrême droite au sein de sa propre armée, a poussé dans la direction opposée.
Les forces ultra-nationalistes ukrainiennes ont intensifié le bombardement du Donbass dans les semaines qui ont précédé l’invasion. Dans le même temps, Zelensky a fait fermer des médias de premier plan et s’apprêtait à interdire les partis politiques d’opposition et à exiger des médias ukrainiens qu’ils mettent en œuvre une « politique d’information unifiée ». Alors que les tensions montaient, le président ukrainien a menacé de développer des armes nucléaires et de réclamer une adhésion accélérée à l’OTAN, vouée à embourber encore plus l’Occident dans le massacre du Donbass et à intensifier le risque d’une confrontation directe avec la Russie.
Éteindre la lumière
C’est alors, après quatorze années d’ingérence américaine aux frontières de la Russie, que Moscou a envoyé ses soldats – de manière « non provoquée ».
L’objectif initial de Poutine, quoi qu’en aient dit les médias occidentaux, semblait être le plus léger possible étant donné que la Russie lançait une invasion illégale. Dès le départ, la Russie aurait pu mener ses attaques dévastatrices actuelles contre l’infrastructure civile ukrainienne, fermer les voies de communication et éteindre la lumière dans une grande partie du pays. Mais elle semble avoir délibérément évité une campagne de choc et stupeur à l’américaine.
À la place, elle s’est d’abord concentrée sur une démonstration de force. Moscou semble avoir supposé, à tort, que Zelensky aurait reconnu que son pays avait exagéré, qu’il se serait rendu compte que les États-Unis – situés à des milliers de kilomètres – ne pouvaient pas être les garants de sa sécurité et qu’il aurait été contraint de désarmer les ultra-nationalistes qui s’en prenaient aux communautés russes de l’est du pays depuis huit ans.
Ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Du point de vue de Moscou, l’erreur de Poutine n’est pas tant d’avoir lancé une guerre non provoquée contre l’Ukraine que d’avoir trop tardé à l’envahir. L’« interopérabilité » militaire de l’Ukraine avec l’OTAN était bien plus avancée que ce que les planificateurs russes semblent avoir estimé.
Dans une récente interview, l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, qui a supervisé les négociations de Minsk visant à mettre fin au massacre du Donbass, a semblé – bien que par inadvertance – se faire l’écho de cette opinion : les pourparlers ont servi de couverture pendant que l’OTAN préparait l’Ukraine à une guerre contre la Russie.
Beaucoup plus d’argent sera dépensé et beaucoup plus de sang sera versé. Il n’y aura pas de gagnants, à l’exception des faucons néoconservateurs en charge de la politique étrangère qui dominent Washington et des lobbyistes de l’industrie de la guerre qui tirent profit des aventures militaires sans fin de l’Occident
Au lieu d’empocher une victoire rapide et un accord sur de nouvelles dispositions en matière de sécurité régionale, la Russie est désormais engagée dans une guerre par procuration prolongée contre les États-Unis et l’OTAN, où les Ukrainiens servent de chair à canon. Les combats et les pertes humaines pourraient se poursuivre indéfiniment.
Alors que l’Occident est résolu à ne pas rétablir la paix et à expédier des armes aussi vite qu’elles sont fabriquées, l’issue s’annonce sombre, qu’il s’agisse d’une nouvelle division territoriale sanglante de l’Ukraine entre un bloc pro-russe et un bloc anti-russe par la force des armes ou d’une escalade vers une confrontation nucléaire.
Sans l’intervention prolongée des États-Unis, la réalité est que l’Ukraine aurait dû parvenir à un arrangement il y a de nombreuses années avec son voisin beaucoup plus grand et plus fort, tout comme le Mexique et le Canada ont dû le faire avec les États-Unis. L’invasion aurait été évitée. Aujourd’hui, le destin de l’Ukraine ne lui appartient guère. Elle est devenue un pion de plus sur l’échiquier des superpuissances.
Washington se soucie moins de l’avenir de l’Ukraine que de son objectif consistant à épuiser la force militaire de la Russie tout en l’isolant de la Chine, qui semble être la prochaine cible des États-Unis dans leur quête de domination totale.
En parallèle, Washington a atteint un objectif plus large en anéantissant tout espoir de compromis en matière de sécurité entre l’Europe et la Russie, en renforçant la dépendance tant militaire qu’économique de l’Europe vis-à-vis des États-Unis et en poussant l’Europe à s’associer à ses nouvelles « guerres éternelles » contre la Russie et la Chine.
Beaucoup plus d’argent sera dépensé et beaucoup plus de sang sera versé. Il n’y aura pas de gagnants, à l’exception des faucons néoconservateurs en charge de la politique étrangère qui dominent Washington et des lobbyistes de l’industrie de la guerre qui tirent profit des aventures militaires sans fin de l’Occident.
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.
Les opinions exprimées dans cet article n’engagent que leur auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale de Middle East Eye.
Traduit de l’anglais (original) par VECTranslation.
Jonathan Cook is the author of three books on the Israeli-Palestinian conflict, and a winner of the Martha Gellhorn Special Prize for Journalism. His website and blog can be found at www.jonathan-cook.net
Jonathan Cook
Lundi 13 février 2023 - 08:19 | Last update:7 hours 22 mins ago
- Jonathan Cook est l’auteur de trois ouvrages sur le conflit israélo-palestinien et lauréat du prix spécial de journalisme Martha Gellhorn. Vous pouvez consulter son site web et son blog à l’adresse suivante : www.jonathan-cook.net.
L’ancien président, qui s’est lancé dans une nouvelle course à la Maison Blanche pour 2024, n’avait pas fait connaître ses revenus, à l’inverse de tous ses prédécesseurs depuis les années 1970.
Leur publication est un revers supplémentaire pour l’ancien locataire de la Maison Blanche. Les déclarations de revenus de l’ancien président Donald Trump ont été rendues publiques, vendredi 30 décembre, par une commission parlementaire américaine, à l’issue d’une longue bataille judiciaire.
Donald Trump, qui s’est lancé dans une nouvelle course à la Maison Blanche pour 2024, n’avait pas fait connaître ses déclarations au fisc, à l’inverse de tous ses prédécesseurs depuis les années 1970, suscitant de nombreuses questions sur leur contenu.
Donald Trump a vivement dénoncé cette décision dans un communiqué à CBS vendredi, assurant toutefois que ces déclarations « ne font que montrer une fois de plus [sa] réussite ».
Le manque de transparence de Donald Trump, qui a fait de sa richesse un argument de campagne, alimente depuis des années les spéculations sur l’étendue de sa fortune ou sur de potentiels conflits d’intérêts.
Newsletter abonnés
« International »
L’essentiel de l’actualité internationale de la semaine
Un rapport parlementaire distinct sur le fisc américain a par ailleurs montré que ce dernier n’avait pas fait ce qu’il devait faire pendant presque tout le mandat de Donald Trump. « C’est un échec majeur du fisc américain », avait dénoncé le chef de la commission parlementaire chargée du dossier, l’élu démocrate Richard Neal.
Le Monde avec AFP
Publié aujourd’hui à 17h31, mis à jour à 18h54https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/30/etats-unis-les-declarations-de-revenus-de-donald-trump-rendues-publiques-a-l-issue-d-une-longue-bataille-judiciaire_6156120_3210.html.
Depuis l’arrestation en 2008 du célèbre trafiquant d’armes russe, puis sa condamnation en 2012 aux États-Unis à vingt-cinq ans de prison, Moscou n’a cessé de demander sa libération. Il vient d’être échangé contre la basketteuse américaine Brittney Griner.
Qui se cache derrière Viktor Bout, ce « marchand de mort » devenu un véritable mythe dans le milieu des trafics d’armes pendant des décennies ? Depuis son arrestation en Thaïlande en 2008, son extradition aux États-Unis à l’issue de deux ans de bataille diplomatico-juridique et sa condamnation en 2012 à vingt-cinq ans de prison, Moscou cherchait par tous les moyens à le récupérer.
Sa libération, jeudi 8 décembre, en échange de la basketteuse américaine Brittney Griner détenue en Russie depuis de longs mois, ravive des interrogations anciennes sur la véritable profession de cet ancien élève de l’Institut des langues étrangères à Moscou qui, dans sa cellule américaine, gardait une photo de Vladimir Poutine.
Lord of War
Ce moustachu au charisme indéniable, qui a inspiré le héros du thriller hollywoodien Lord of War (2005), avec un Nicolas Cage campant un trafiquant d’armes des plus cyniques, avait toutes les caractéristiques d’un espion professionnel. À Moscou, à l’Institut des langues étrangères, il a formé les officiers de renseignement militaire.
Viktor Bout s’est toujours présenté en simple homme d’affaires. Très vite, multipliant les sociétés écrans pour transporter les armes, il a aidé les hauts gradés soviétiques à se faire de l’argent en bradant le matériel de leurs unités. Profitant de la surabondance d’armes soviétiques abandonnées à la chute de l’URSS, il a alimenté une série de guerres civiles fratricides, notamment en Afrique. De fait, Viktor Bout entretenait des liens avec toutes sortes de groupes rebelles ou d’États voyous – et donc avec les gouvernements qui, en coulisse, les soutenaient.
Pour son commerce, comme pour ses hypothétiques missions politiques, Viktor Bout disposait d’un atout fort, propre aux membres des services d’espionnage : polyglotte, il parle huit langues. Et une autre grande spécialité : les avions militaires. Outre les langues étrangères, Viktor Bout a fait des études d’aéronautique puis rejoint l’armée de l’Air. Plus tard, son commerce des vieux avions soviétiques Antonov et Tupolev fait sa fortune. Il exploite jusqu’à soixante appareils, opérés par des pilotes russes capables de se poser n’importe où.
« Dieu sait la vérité »
Fort de sa propre flotte d’avions-cargos, il livre des armes à travers le monde entier. Un trafic qui n’a pas pu être mené à bien sans relations politiques au plus haut niveau et autres couvertures des services de renseignement. Déjouant les embargos internationaux, Viktor Bout a vendu à tous les mouvements rebelles de la planète, en particulier en Afrique. Mais aussi en Afghanistan où il aurait équipé à la fois les insurgés talibans et leurs ennemis de l’Alliance du Nord pro-occidentale.
En 2008, Viktor Bout finit par être arrêté en Thaïlande, piégé par des agents américains. Il est jugé aux États-Unis pour « soutien aux terroristes », « complot en vue de tuer des Américains », « trafic d’armes et blanchiment d’argent ». Les procureurs réclamaient la perpétuité. Il est finalement condamné à New York en avril 2012 à vingt-cinq ans de prison.
« Je ne suis pas coupable, je n’ai jamais eu l’intention de tuer qui que ce soit, je n’ai jamais eu l’intention de vendre des armes à qui que ce soit », se défend-il alors. Avant d’insister : « Dieu sait la vérité. »
Visiblement, le ministère russe des affaires étrangères connaissait aussi la vérité. Il n’a cessé d’œuvrer pour obtenir son retour en Russie. C’est désormais chose faite.
Benjamin Quénelle, correspondant à Moscou (Russie),
assibah Bedreddine est une jeune Algérienne qui étudie à l’Athens Drive Magnet High School de la Caroline du Nord. Établie aux États-Unis depuis l’âge de quatre ans, elle visite cet été, pour la première fois, l’ancien quartier de son père, Astoria. La culture islamique qui frappe de son empreinte cette rive new-yorkaise cause à Nassibah le mal du pays.
Se souvenant de l’Algérie et de la terre de ses ancêtres, la Kabylie, elle raconte dans un article paru sur le site de la Radio publique de la Caroline du Nord (WUNC 91.5) le combat de sa famille et d’elle-même contre l’assimilation culturelle. Un concept qui veut la déposséder de son identité pour la revêtir d’une autre qui n’est pas la sienne. Voici son récit…
Le mal du pays…
Cet été, j’ai visité New York pour la première fois. Ancien résident de Big Apple, mon père était mon guide touristique désigné.
Il a immigré d’Algérie aux États-Unis en 1997, alors qu’il n’avait que 19 ans. New York a été le premier endroit où il a vécu avant de s’installer en Caroline du Nord.
La partie du voyage que j’ai préféré a été de découvrir son ancien quartier d’Astoria, dans le Queens… Cependant, en me promenant dans les rues du quartier, je me suis retrouvé aux prises avec un problème qui me préoccupe depuis longtemps : le mal du pays.
Astoria, quartier de New-York riche en culture algérienne et islamique.
La culture musulmane, et donc aussi algérienne, qui persévère à Astoria est une culture que j’ai perdue depuis mon retour aux États-Unis, à l’âge de 4 ans.
Elle me manque… Terriblement.
Le choc culturel…
Je me souviens avoir vécu à Alger et en Kabylie. C’est en Kabylie que vit mon peuple, les Amazighs, les « hommes libres ». Je me rappelle avoir parlé la darja… Ma sœur aussi, elle se le rappelle. La perte de cette langue s’est transformée pour nous deux en une sorte d’éloignement de notre patrie.
Passer des montagnes algériennes aux plaines côtières de la Caroline du Nord a représenté un choc culturel majeur pour ma sœur et moi. Nous avons troqué le couscous contre le pain de maïs, la tisane contre le thé sucré, le darja contre l’anglais et le hijab contre le harcèlement.
Le village natal du père de Nassibah Beddredine en Kabylie (Algérie).
Après notre arrivée aux États-Unis, j’ai bénéficié d’une année tampon avant de commencer la maternelle. J’ai employé ce temps pour me familiariser avec une culture qui m’était étrangère. Ma sœur n’a pas eu ce luxe. Elle a été directement propulsée dans les écoles américaines. Elle parlait un anglais approximatif et avec un accent. Son hijab la rendait encore plus visible. En quatrième année, des brutes l’ont poursuivie dans la cour de récréation et l’ont poussée d’une plate-forme. Elle s’est fracturé le poignet.
Nous étions contraintes de privilégier la culture américaine à la culture algérienne avec laquelle nous avions grandi. Notre entourage, qu’il s’agisse de nos pairs ou de nos enseignants, essayait de faire de nous de « bonnes » musulmanes. Des musulmanes prêtes à cacher les parties d’elles-mêmes qui leur faisaient peur. Toutefois, nous n’étions pas effrayants. Ils étaient ignorants.
J’ai commencé alors à réaliser que l’assimilation culturelle, loin d’incarner une étape naturelle du processus d’intégration, — était un mécanisme de survie. Cette obligation de s’assimiler à la culture occidentale ne constitue cependant pas un fait nouveau au sein de ma famille.
Le combat pour l’identité…
Mon grand-père a grandi pendant la colonisation. Sous la domination française, la population indigène de mon pays a été dépouillée de ses terres, ghettoïsée et forcée de renoncer à sa religion pour obtenir la citoyenneté française…
Les Français ont mis en œuvre ce qu’ils ont appelé le « Plan Constantine ». Ils espéraient qu’en développant l’infrastructure de l’Algérie, ils pourraient justifier leur occupation du pays. Une partie de ce plan consistait à enseigner aux enfants algériens le français au lieu de leur langue maternelle, de gré ou de force…
La chahid Ahmed Bedreddine, grand-père de Hassibah mort en 1959 pendant la Guerre de libération nationale.
Même après l’indépendance de l’Algérie en [1962], la langue et la culture ancestrales de ma famille demeuraient toujours menacées. Les tensions ethniques entre les Berbères et la majorité arabe du pays se sont accrues. Et de nombreuses lois ont été mises en place pour empêcher l’utilisation du tamazight. En tant que kabyle-berbère, mon père a été contraint d’abandonner la langue avec laquelle il avait grandi.
Il raconte : « Dans les années 70, je m’en souviens bien que je fus très jeune, lorsque je discourais avec ma mère dans le bus, elle me disait : “Chut… En silence. Essaie de ne pas parler en berbère”. Parce que vous savez, les gens vous regarderaient d’un air qui disait : “Pourquoi parles-tu en berbère ?” »
L’esprit de résistance…
Pendant la révolution, mes grands-parents ont résisté aux tentatives d’assimilation culturelle des Français. Ils ont transmis cet esprit à mon père après la révolution. Et lui, à son tour, il me l’a inculqué.
Il explique : « Vais-je vous demander de vous assimiler et d’abandonner votre identité pour que vous puissiez survivre ici ? Absolument pas. Je vous engage plutôt à prendre le chemin inverse. Je vous le répète depuis votre tendre jeunesse. Vous êtes différentes. Si vous devenez comme eux ou s’ils vous forcent à rentrer dans le moule qu’ils vous ont façonné, vous n’êtes plus rien. À partir de cet instant, ils ont le contrôle. »
Nassibah Bedreddine aspire aujourd’hui à embrasser la carrière de journaliste d’investigation.
Je sais maintenant que l’assimilation culturelle n’est pas le fruit du hasard. C’est un processus encouragé par les individus et les institutions, par les brutes des cours de récréation et le colonialisme de peuplement. Un processus auquel ma famille résiste depuis plus de trois générations.
« Ils sont en train de détruire la planète... La bonne nouvelle, c'est que comme toute créature vivante, la terre possède également un système immunitaire et que tôt ou tard elle se mettra à rejeter les agents porteurs de maladie, telle l'industrie pétrolière. Et avant, espérons-le qu'on finisse comme l'Atlantide et la Lémurie ». Thomas Pinchon.
L'extrême concentration du pouvoir politique dans le bloc socialiste a suscité le déclin du communisme. L'extrême concentration des richesses à l'intérieur de l'Occident va provoquer la chute du capitalisme. L'industrie pétrolière a joué un rôle majeur dans la décomposition des empires coloniaux européens et dans l'émergence de nouveaux empires (les USA et l'URSS) qui vont se rivaliser dans une folle course aux armements. Cette guerre froide va se solder par la victoire des Etats-Unis et l'effondrement de l'empire soviétique. La suprématie des Etats-Unis est assurée par le pétrole et le dollar. Il faut se rappeler qu'en 1973, le président Nixon demanda au roi Faysal d'Arabie Saoudite de n'accepter les paiements des ventes de pétrole qu'en dollars us et de placer les profits excédentaires dans les bons du Trésor américain et en retour, Nixon s'engage à garantir une protection des champs pétroliers saoudiens et cette offre fût étendue à l'ensemble des pays producteurs de pétrole dans le monde. En 1975, tous les membres de l'OPEP ont accepté de ne vendre le pétrole qu'en dollars américains.
C'est contre ce papier que tous les biens et services du monde entier sont évalués et échangés en provenance ou à destination des Etats-Unis. La seule nation qui a l'exclusivité d'imprimer une monnaie internationale en fonction de ses propres besoins. Avec le dollar comme monnaie internationale, Internet comme moyen de communication et l'anglais comme langue internationale, les Etats-Unis dominent le monde. Les Américains représentent 6% de la population mondiale consomment 40% des ressources de la planète. La machine à imprimer des dollars s'affole. Le monde est stupéfait. Depuis sa création, le dollar a perdu 98% de sa valeur. Les Etats-Unis vivent à crédit, un crédit gratuit de surcroît. C'est dans ce contexte qu'est né le pétrodollar venu à la rescousse d'un dollar chancelant. L'étalon pétrole est venu à la rescousse de l'étalon dollar. L'OPEP maintient la stabilité du prix du pétrole, en fixant des quotas de production pour chacun des pays membres.
Le pétrole fut la clé du renouveau européen après la Seconde Guerre mondiale, « les trente glorieuses » et a été un coup d'accélérateur dans la décadence des sociétés arabes et musulmanes. Il a pérennisé les régimes politiques monarchiques et dictatoriaux. Il a assuré la prospérité et la puissance de l'Occident et a desservi les intérêts des peuples. Il sera l'enjeu des guerres fratricides postcoloniales et des manipulations de masse en Afrique et au Moyen-Orient. « Faites-vous miel et les mouches vous mangeront ». Un Américain aurait dit : « Les Etats-Unis d'Amérique n'ont pas d'ennemis éternels ou des amis éternels, ils n'ont que des intérêts éternels ». Ce qui est bon pour les Etats-Unis est bon pour l'humanité toute entière. L'Amérique s'était juré de façonner le monde à son image. Les Etats-Unis consomment 40% des ressources planétaires rares non renouvelables pour réaliser le rêve des Américains qui ne représentent que 06% de la population mondiale.
Ce rêve américain n'est qu'un délire pour le reste du monde. Rêve suscité et entretenu par les médias occidentaux à des fins mercantiles. Là où s'installent des bases militaires américaines, c'est que le pétrole n'est pas très loin. Les guerres nourrissent les ambitions des pays occidentaux. Grâce au pétrole arabe, ils sont sortis victorieux du nazisme, du communisme et du terrorisme. Ils ont compris le rôle considérable joué par le pétrole dans les relations internationales...
Le pétrole provoque des guerres et l'Occident en tire profit tant en amont qu'en aval. Au lieu de créer les conditions de la paix, il réunit les conditions de la guerre. Le renseignement est au cœur de la guerre du pétrole. Il est le dieu de la civilisation moderne et l'argent en est sa manifestation. L'Occident est esclave du pétrole, l'Algérie de son prix, et l'Arabie saoudite des quantités mises sur le marché.
Il est un intérêt stratégique des Etats-Unis de contrôler la production mondiale des hydrocarbures. Ils ont fait de l'augmentation des importations du pétrole africain une question de «sécurité nationale» mobilisant leur diplomatie pour encourager la production dans les pays africains sans considération pour le caractère non démocratique des régimes en place et leur respect des droits humains ». Il suffit de se rappeler la fameuse phrase de Kissinger « le pétrole est une chose trop importante pour le laisser entre les mains des arabes ». Il en a résulté un épuisement des ressources non renouvelables, une restriction des libertés publiques, une corruption généralisée, une démographie galopante, une dépravation des mœurs, une absence d'alternative économique ou d'alternance politique.
Les espoirs que les économistes avaient fondé sur ce modèle de développement ne se sont jamais réalisés d'où un écart entre les programmes politiques et leurs résultats concrets : une politique médiocre et une économie désastreuse. Avec 98% de ses exportations issues du pétrole et du gaz, l'Algérie fait partie des pays les plus dépendants de l'or noir. Un pays « chômé et payé » qui se retrouve sans revenu et sans emploi du jour au lendemain. C'est un coup de masse redoutable aux conséquences imprévisibles. Passer d'une économie rentière à une économie vivrière n'est pas une sinécure.
Il s'agit de prendre conscience de l'échec d'une tentative de développement et de modernisation et d'en tirer les conclusions au plus tôt. C'est pour avoir nié cette évidence que beaucoup de sociétés en cours de modernisation sont devenues vulnérables aux idéologies totalitaires lorsqu'elles cherchaient à se développer, à se moderniser. Car le développement crée l'inégalité, la modernisation l'accentue. Nous sommes théoriquement, politiquement, économiquement et socialement mal préparés aux contradictions et aux incertitudes de la vie sociale moderne.
Avec le temps, les pays marginaux comme l'Algérie contrôleront de moins en moins leurs ressources et leur espace sur la carte géopolitique qui se dessinent dans les états-majors des pays occidentaux. Sur cette carte, les nations faibles n'ont plus de place. La famine sera le critère de sélection biologique dominant. En politique, les gouvernants ne devraient pas être imprévoyants, les hommes politiques ne devraient pas abuser de leur pouvoir. Ils devraient respecter leurs fonctions et être capables d'écouter, d'observer et de comprendre les ressorts de la société qu'ils dirigent. En un mot comme en mille, avoir une vision globale et lointaine eu égard aux enjeux qui se profilent.
La tâche principale d'un gouvernement est d'empêcher qu'une population qui a goûté à la sécurité, au confort et à la facilité de sombrer dans la peur, la famine et le chaos. Car un faible niveau de développement et ou de modernisation n'apporterait qu'amertume et désespoir. La mort certaine du dollar à court ou moyen terme comme monnaie de paiement international annonce peut-être, nous l'espérons, la naissance d'un nouveau monde fait de solidarité et de spiritualité, de bien-être matériel et de confort moral. Une civilisation qui fera passer l'être avant l'avoir, le primat du spirituel sur le matériel. Depuis un siècle, nous brûlons chaque année ce que la terre a mis un million d'années à fabriquer. En fin de parcours, le pétrole n'aura été qu'un mirage dans le désert arabique. Sans pétrole et sans gaz, c'est l'effondrement de la civilisation moderne. C'est la fin du productivisme et du consumérisme. On chasse le naturel, il revient au galop. «++Les villes seront détruites et les déserts seront construits», une prophétie de la tradition musulmane.
Après le sénateur américain du parti républicain de Floride, Marco Rubio, des membres du Congrès américain ont adressé une lettre au Secrétaire d’État, Antony Blinken, à travers laquelle ils lui ont exprimé leur inquiétude quant aux relations entre l’Algérie et la Russie, notamment dans le domaine militaire.
Hier, 27 membres du Congrès américain ont adressé une lettre au Secrétaire d’État, Antony Blinken, pour lui faire part de leurs préoccupations concernant les relations, « toujours croissantes », qui lient l’Algérie et la Russie.
Dans leur lettre, les 27 signataires ont indiqué que « la Russie est le premier fournisseur d’armes pour l’Algérie ». Avec, d’après eux, « un contrat d’une valeur totale de plus de 7 milliards de dollars, signé l’an dernier ».
« L’Algérie, 3ᵉ importateur d’armes russes au monde »
En outre, les 27 membres du Congrès américain ont souligné le fait que « l’Algérie aurait accepté d’acquérir des avions de chasse russes très développés, tels que le Sukhoi 57, que la Russie aurait refusé de vendre à aucun autre pays jusqu’à présent ». Ainsi, poursuivent les contestataires, « ces échanges militaires font de l’Algérie le troisième plus grand importateur d’armes russes dans le monde ».
En s’adressant au Secrétaire d’État, les 27 députés ont rappelé le fait « qu’en 2017, le Congrès avait adopté la loi Countering America’s adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) ». Notant que cette loi « permet au Président américain d’imposer des sanctions contre toute partie s’engageant sciemment dans une transaction importante avec des représentants des secteurs de la défense ou du renseignement du Gouvernement de la Fédération de Russie ».
Pour les 27 députés américains, « le récent achat d’armes entre l’Algérie et la Russie serait clairement considéré comme une transaction importante, en vertu de la CAATSA ». « Pourtant, aucune sanction à votre disposition n’a été élaborée par le Département d’État », ont-ils encore souligné.
Des députés américains appellent à sanctionner l’Algérie
Pour argumenter leur position contre l’Algérie, ces 27 membres du Congrès américain ont expliqué le fait que « la Russie aurait besoin de fonds pour continuer de financer la guerre en Ukraine ». Notamment « après avoir suspendu les livraisons de gaz naturel russe vers les pays européens, ce qui aurait eu un impact sur les revenus de l’État », ont-ils noté.
Ainsi, poursuit les 27 signataires, « il est crucial que le Président Biden et son administration se préparent pour sanctionner ceux qui tentent de financer le Gouvernement russe et sa machine de guerre, à travers l’achat d’équipements militaires ».
« Par conséquent, nous vous demandons de commencer à appliquer immédiatement des sanctions importantes contre les membres du Gouvernement algérien qui ont été impliqués dans l’achat d’armes russes.Les États-Unis doivent envoyer un message clair au monde que le soutien apporté à Vladimir Poutine et les efforts de guerre barbare de son régime ne seront pas tolérés », conclut la lettre des 27 députés américains.
Le sénateur Marco Rubio inquiet des relations entre l’Algérie et la Russie
Dans ce méme contexte, il convient de rappeler que le 15 septembre dernier, le sénateur américain du parti républicain de Floride, Marco Rubio, avait adressé une lettre au Secrétaire Blinken, à travers laquelle « il s’était dit inquiet des achats de matériel de défense en cours entre l’Algérie et la Russie ». Et ce, en saisissant l’occasion pour rappeler aussi la loi « Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act».
En effet, le sénateur du parti républicain avait noté le fait que « l’Algérie figurait parmi les principaux acheteurs mondiaux d’équipements militaires russes », avec « un contrat de plus de 7 milliards de dollars en 2021 ».
À Taïwan débute une nouvelle ère de rivalité militaire sino-américaine
Que cherchait Mme Nancy Pelosi, troisième personnage de l’État américain, en se rendant début août à Taipei ? Un simple coup de publicité ? Ou voulait-elle provoquer Pékin, obligeant M. Joseph Biden et son gouvernement à accélérer le changement de la politique historique des États-Unis ? Celle-ci combine la reconnaissance d’« une seule Chine » et une certaine protection de Taïwan.
Chou Tai-chun. — « Détails triviaux dans l’incident », 2021
Bien avant que l’avion de la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ne touche le sol taïwanais le 2 août dernier, les relations sino-américaines se trouvaient déjà dans une spirale négative. M. Joseph Biden et son gouvernement s’étaient attachés à tisser un réseau d’alliances hostiles pour encercler la Chine ; de son côté, Pékin multipliait les manœuvres militaires agressives en mer de Chine orientale et en mer de Chine méridionale. Il reste que leurs relations bilatérales ne s’étaient pas détériorées au point de rendre impossible tout dialogue de haut niveau sur le changement climatique ou sur d’autres questions vitales. Pour preuve, les présidents Biden et Xi Jinping ont discuté de ces sujets, lors de leur entretien par visioconférence, le 28 juillet.
En fait, la visite de Mme Pelosi a créé une nouvelle faille dans la relation entre les deux puissances, balayant toute perspective de coopération. Ne subsiste qu’une rivalité militaire exacerbée.
Depuis le rétablissement des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine (RPC) en 1978, sous l’administration de James Carter (1977-1981), les dirigeants américains ont toujours adhéré (au moins publiquement) au principe d’une « Chine unique », Taïwan et le continent constituant un seul pays bien que ne dépendant pas nécessairement d’une même entité politique. Ce que résume la célèbre formule adoptée un peu plus tard « Une Chine, deux systèmes ». Dans le même temps, avec le Taiwan Relations Act (TRA) voté par le Congrès en 1979, les États-Unis sont tenus de livrer des armes défensives à Taipei selon ses besoins et de considérer toute tentative chinoise de modifier le statut de l’île par la force comme un fait « extrêmement préoccupant » — une formulation connue pour son « ambiguïté stratégique », dans la mesure où elle ne dit pas clairement si Washington interviendrait ou pas.
Combinés, ces deux préceptes ont jusqu’ici contribué à garantir une forme de stabilité : en laissant supposer l’existence d’un lien intrinsèque entre Taïwan et le continent, le principe d’« une seule Chine » dissuade Pékin de toute tentative précipitée de s’emparer de l’île ; de son côté, l’« ambiguïté stratégique » laisse les Taïwanais comme les Chinois dans l’incertitude sur la réponse américaine en cas de déclaration d’indépendance des premiers ou de projet d’invasion des seconds. De quoi dissuader les uns et les autres de toute prise d’initiative irréfléchie (1).
Degré de tolérance abaissé
Même si les dirigeants américains assurent toujours adhérer à ces deux principes, les plus hauts responsables du gouvernement et du Congrès ont donné l’impression ces derniers mois qu’ils s’en étaient éloignés, au profit d’une politique suggérant l’existence de deux États : la Chine d’une part, Taïwan de l’autre (« one China, one Taïwan ») et en faveur d’une plus grande « clarté stratégique ». M. Biden lui-même y a contribué : interrogé sur Cable News Network (CNN) pour savoir si Washington défendrait Taïwan en cas d’attaque chinoise, il a répondu clairement. « Nous sommes tenus de le faire (2) », a-t-il déclaré, bien que ce ne soit pas la ligne officielle.
Le président comme d’autres dirigeants ont aussi suggéré un changement de politique, en cherchant à obtenir de leurs alliés dans la région — l’Australie, le Japon et la Corée du Sud — qu’ils s’engagent à assister les forces américaines, dans le cas où celles-ci seraient impliquées dans une guerre contre la Chine. De plus, le Congrès a encouragé ce processus en apportant un soutien bipartite aux livraisons d’armes à Taïwan, en y organisant à de nombreuses reprises des visites de délégations de niveau élevé et en projetant de modifier le TRA de 1979 pour en finir avec l’« ambiguïté stratégique », laquelle serait remplacée par un engagement ferme à aider l’île à se défendre (3). La Chine a observé ces développements avec un désarroi grandissant. Pour ses dirigeants — et particulièrement pour M. Xi, qui brigue un troisième mandat de cinq ans au poste suprême de premier secrétaire du Parti communiste et de président de la RPC —, la réunification s’est imposée comme l’objectif ultime de la politique gouvernementale, une condition sine qua non de la « renaissance » nationale (4). « Le peuple chinois, fort de plus de 1,4 milliard de personnes, est déterminé à défendre résolument la souveraineté de la Chine et son intégrité territoriale, a-t-il déclaré à M. Biden lors de leur échange du 28 juillet, selon le communiqué chinois. Nul ne peut s’opposer à la volonté du peuple, et quand on joue avec le feu, on finit par se brûler (5). »
Mme Pelosi savait parfaitement que sa visite ne pourrait conduire qu’à aggraver la situation. Les responsables du Pentagone comme ceux de la Maison Blanche l’ont avertie que l’effectuer à ce moment-là susciterait l’ire des dirigeants chinois et provoquerait d’une façon ou d’une autre une réaction cinglante de leur part. Elle a malgré tout fait le choix de se rendre à Taipei — tout en s’assurant d’attirer au maximum l’attention internationale en faisant planer le doute sur sa visite. On ne peut pas ne pas se dire qu’elle a fait le voyage avec la ferme intention de provoquer et d’accélérer le processus d’inflexion de la politique américaine vers la doctrine « la Chine d’une part, Taïwan de l’autre », avec tous les risques que cela comporte.
Si telle était son intention, son entreprise a largement été couronnée de succès. En dépit des efforts déployés par les responsables de la Maison Blanche pour assurer leurs homologues chinois de la séparation des pouvoirs au sein du système politique américain, Pékin a eu du mal à croire que Mme Pelosi ne représentait qu’elle-même — et non le gouvernement des États-Unis. Aux yeux des dirigeants chinois, cette visite n’est que l’aboutissement d’une campagne conjointe du Congrès et de la Maison Blanche pour répudier le principe d’une seule Chine, un premier pas vers la reconnaissance de Taïwan comme État indépendant. L’administration Biden a bien tenté de sauver la situation en soulignant avec insistance qu’« aucun changement » n’était intervenu dans sa politique, mais ces déclarations n’ont pas semblé convaincre.
Le 10 août, une semaine seulement après le voyage de Mme Pelosi, le Bureau d’information du Conseil des affaires d’État (gouvernement) a publié un nouveau Livre blanc sur « la question de Taïwan », réaffirmant la volonté de Pékin de réaliser la réunification de l’île par des moyens pacifiques, sans exclure le recours à des moyens militaires afin de briser toute résistance de la part des forces indépendantistes taïwanaises ou de leurs soutiens étrangers : « Nous sommes prêts à créer un vaste espace [de coopération] afin de parvenir à une réunification pacifique, mais ne céderons pas le moindre pouce de terrain aux activités sécessionnistes, quelle que soit la forme qu’elles puissent prendre, peut-on lire. La question de Taïwan est une affaire intérieure qui concerne les intérêts fondamentaux de la Chine (…), aucune ingérence extérieure ne sera tolérée (6). »
Les déclarations officielles ont été accompagnées de toute une série d’opérations militaires et diplomatiques, visant à démontrer que les dirigeants avaient abaissé leur degré de tolérance à l’égard des « ingérences extérieures » comme celle de Mme Pelosi. Ils ont haussé le niveau de préparation du pays en vue d’un éventuel blocus de l’île ou même de son invasion si celle-ci s’engageait plus loin dans la voie de l’indépendance. Plusieurs mesures préoccupantes reflètent cette nouvelle position.
• Le 4 août, l’Armée populaire de libération (APL) a tiré onze missiles balistiques DF-15 dans les eaux situées à l’est, au nord-est et au sud-est de Taïwan — ce qui laisse entrevoir son intention d’organiser un blocus en cas de crise ou de conflit. Cinq d’entre eux ont atterri dans la zone économique exclusive du Japon, signe que toute guerre liée à Taïwan pourrait s’étendre rapidement à l’archipel nippon, qui abrite de nombreuses bases militaires américaines (7).
• Le 6 août, des représentants du gouvernement chinois ont annoncé que le dialogue entre les responsables de l’APL et ceux de l’armée américaine visant à prévenir toute confrontation involontaire entre leurs forces navales et aériennes respectives était interrompu. Les discussions sur des questions aussi vitales que le changement climatique et la santé mondiale sont, quant à elles, suspendues (8).
• Le 7 août, plusieurs médias d’État chinois ont annoncé que l’APL mènerait désormais « régulièrement » des exercices militaires à l’est de la ligne médiane du détroit de Taïwan (côté taïwanais), alors que les forces chinoises avaient jusqu’ici principalement mené leurs opérations à l’ouest de cette ligne (côté chinois). De quoi accentuer la pression psychologique sur l’île, tout en se donnant la possibilité d’effectuer des simulations d’une invasion.
Toutes ces mesures ont été qualifiées d’« irresponsables » et de « provocatrices » par les Américains. « Nous ne devons pas prendre en otage la coopération sur des sujets d’intérêt mondial, au nom des divergences entre nos deux pays, a déclaré le secrétaire d’État Antony Blinken lors d’une conférence de presse, à Manille, le 6 août. Les autres [pays] attendent de nous, à juste titre, que nous continuions à travailler sur les questions qui touchent à l’existence et aux moyens de subsistance de leurs peuples tout comme des nôtres (9). »
Malheureusement, les propos de M. Blinken comportent une grande part de vérité. Mais il serait erroné de tenir Pékin pour seul responsable de l’impasse dans laquelle se trouve la relation entre les deux pays. Le secrétaire d’État lui-même a consacré la plus grande partie de l’année dernière à nouer des alliances pour tenter de contenir la montée en puissance de la Chine, et à adresser aux dirigeants chinois des ultimatums sur un large éventail de problèmes internes, tels que la persécution des Ouïgours du Xinjiang ou la répression politique à Hongkong — ultimatums auxquels ils ne pouvaient céder. Certes, M. Blinken a aussi appelé à une coopération accrue en matière de changement climatique, mais toujours dans un second temps. Du point de vue chinois, c’est Washington qui prend en otage les discussions sur les sujets à enjeu crucial pour la planète.
N’est-il pas temps de mettre fin à ce petit jeu consistant à rejeter sur l’autre la responsabilité de la situation, et de reprendre des discussions sur les mesures permettant de réduire le risque d’un conflit violent ? Les États-Unis devraient s’engager à ne plus faire transiter leurs navires de guerre par le détroit de Taïwan, et Pékin à ne pas en franchir la ligne médiane avec leurs forces militaires. S’il est impossible de revenir à l’ère de l’avant-visite de Mme Pelosi, tout doit être fait pour empêcher que cette nouvelle configuration ne dégénère en conflit armé.
Michael Klare
Professeur au Hampshire College, Amherst (Massachusetts). Auteur d’All Hell Breaking Loose : The Pentagon’s Perspective on Climate Change, Metropolitan Books, New York, 2019.
(1) Lire Michael J. Green et Bonnie S. Glaser, « What is the US “one China” policy, and why does it matter ? », Centre d’études stratégiques et internationales, Washington, DC, 13 janvier 2017.
(2) John Ruwitch, « Would the US defend Taiwan if China invades ? Biden said yes. But it’s complicated », National Public Radio (NPR), Washington, DC, 28 octobre 2021, www.npr.org
(3) Cf. Olivier Knox, « Senate looks to update and deepen US-Taiwan relationship », Washington Post, 1er août 2022.
(4) Lire Tanguy Lepesant, « Taïwan, pièce manquante du « rêve chinois » », Le Monde diplomatique, octobre 2021.
(5) « President Xi Jinping speaks with US president Joe Biden on the phone », ministère des affaires étrangères de la RPC, Pékin, 29 juillet 2022.
(6) « The Taiwan question and China’s reunification in the new era », Bureau d’information du Conseil des affaires d’État, Pékin, août 2022.
(7) Sam LaGrone et Heather Mongilio, « 11 Chinese ballistic missiles fired near Taiwan, US embarks USS America from Japan », US Naval Institute News, Annapolis (États-Unis), 4 août 2022.
(8) Vincent Ni, « China halts US cooperation on range of issues after Pelosi’s Taiwan visit », The Guardian, Londres, 6 août 2022.
(9) « Blinken : China should not hold global concerns “hostage” », Associated Press, 6 août 2022.
Les commentaires récents