assibah Bedreddine est une jeune Algérienne qui étudie à l’Athens Drive Magnet High School de la Caroline du Nord. Établie aux États-Unis depuis l’âge de quatre ans, elle visite cet été, pour la première fois, l’ancien quartier de son père, Astoria. La culture islamique qui frappe de son empreinte cette rive new-yorkaise cause à Nassibah le mal du pays.
Se souvenant de l’Algérie et de la terre de ses ancêtres, la Kabylie, elle raconte dans un article paru sur le site de la Radio publique de la Caroline du Nord (WUNC 91.5) le combat de sa famille et d’elle-même contre l’assimilation culturelle. Un concept qui veut la déposséder de son identité pour la revêtir d’une autre qui n’est pas la sienne. Voici son récit…
Le mal du pays…
Cet été, j’ai visité New York pour la première fois. Ancien résident de Big Apple, mon père était mon guide touristique désigné.
Il a immigré d’Algérie aux États-Unis en 1997, alors qu’il n’avait que 19 ans. New York a été le premier endroit où il a vécu avant de s’installer en Caroline du Nord.
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La partie du voyage que j’ai préféré a été de découvrir son ancien quartier d’Astoria, dans le Queens… Cependant, en me promenant dans les rues du quartier, je me suis retrouvé aux prises avec un problème qui me préoccupe depuis longtemps : le mal du pays.
La culture musulmane, et donc aussi algérienne, qui persévère à Astoria est une culture que j’ai perdue depuis mon retour aux États-Unis, à l’âge de 4 ans.
Elle me manque… Terriblement.
Le choc culturel…
Je me souviens avoir vécu à Alger et en Kabylie. C’est en Kabylie que vit mon peuple, les Amazighs, les « hommes libres ». Je me rappelle avoir parlé la darja… Ma sœur aussi, elle se le rappelle. La perte de cette langue s’est transformée pour nous deux en une sorte d’éloignement de notre patrie.
Passer des montagnes algériennes aux plaines côtières de la Caroline du Nord a représenté un choc culturel majeur pour ma sœur et moi. Nous avons troqué le couscous contre le pain de maïs, la tisane contre le thé sucré, le darja contre l’anglais et le hijab contre le harcèlement.
Après notre arrivée aux États-Unis, j’ai bénéficié d’une année tampon avant de commencer la maternelle. J’ai employé ce temps pour me familiariser avec une culture qui m’était étrangère. Ma sœur n’a pas eu ce luxe. Elle a été directement propulsée dans les écoles américaines. Elle parlait un anglais approximatif et avec un accent. Son hijab la rendait encore plus visible. En quatrième année, des brutes l’ont poursuivie dans la cour de récréation et l’ont poussée d’une plate-forme. Elle s’est fracturé le poignet.
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Nous étions contraintes de privilégier la culture américaine à la culture algérienne avec laquelle nous avions grandi. Notre entourage, qu’il s’agisse de nos pairs ou de nos enseignants, essayait de faire de nous de « bonnes » musulmanes. Des musulmanes prêtes à cacher les parties d’elles-mêmes qui leur faisaient peur. Toutefois, nous n’étions pas effrayants. Ils étaient ignorants.
J’ai commencé alors à réaliser que l’assimilation culturelle, loin d’incarner une étape naturelle du processus d’intégration, — était un mécanisme de survie. Cette obligation de s’assimiler à la culture occidentale ne constitue cependant pas un fait nouveau au sein de ma famille.
Le combat pour l’identité…
Mon grand-père a grandi pendant la colonisation. Sous la domination française, la population indigène de mon pays a été dépouillée de ses terres, ghettoïsée et forcée de renoncer à sa religion pour obtenir la citoyenneté française…
Les Français ont mis en œuvre ce qu’ils ont appelé le « Plan Constantine ». Ils espéraient qu’en développant l’infrastructure de l’Algérie, ils pourraient justifier leur occupation du pays. Une partie de ce plan consistait à enseigner aux enfants algériens le français au lieu de leur langue maternelle, de gré ou de force…
Même après l’indépendance de l’Algérie en [1962], la langue et la culture ancestrales de ma famille demeuraient toujours menacées. Les tensions ethniques entre les Berbères et la majorité arabe du pays se sont accrues. Et de nombreuses lois ont été mises en place pour empêcher l’utilisation du tamazight. En tant que kabyle-berbère, mon père a été contraint d’abandonner la langue avec laquelle il avait grandi.
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Il raconte : « Dans les années 70, je m’en souviens bien que je fus très jeune, lorsque je discourais avec ma mère dans le bus, elle me disait : “Chut… En silence. Essaie de ne pas parler en berbère”. Parce que vous savez, les gens vous regarderaient d’un air qui disait : “Pourquoi parles-tu en berbère ?” »
L’esprit de résistance…
Pendant la révolution, mes grands-parents ont résisté aux tentatives d’assimilation culturelle des Français. Ils ont transmis cet esprit à mon père après la révolution. Et lui, à son tour, il me l’a inculqué.
Il explique : « Vais-je vous demander de vous assimiler et d’abandonner votre identité pour que vous puissiez survivre ici ? Absolument pas. Je vous engage plutôt à prendre le chemin inverse. Je vous le répète depuis votre tendre jeunesse. Vous êtes différentes. Si vous devenez comme eux ou s’ils vous forcent à rentrer dans le moule qu’ils vous ont façonné, vous n’êtes plus rien. À partir de cet instant, ils ont le contrôle. »
Je sais maintenant que l’assimilation culturelle n’est pas le fruit du hasard. C’est un processus encouragé par les individus et les institutions, par les brutes des cours de récréation et le colonialisme de peuplement. Un processus auquel ma famille résiste depuis plus de trois générations.
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Si notre combat semble héréditaire, cet esprit de résistance l’est tout autant. C’est un esprit que j’aspire à garder vivant aujourd’hui.
https://www.algerie360.com/le-combat-dune-algerienne-aux-usa-contre-lassimilation-culturelle/
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