Selon la Garde nationale tunisienne, 789 corps de migrants ont été repêchés en mer, dont 102 Tunisiens au cours des six premiers mois de l’année.
Par L'Obs avec AFP
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Une embarcation de migrants, près de Malte, le 17 mai 2022. (VALERIA FERRARO / ANADOLU AGENCY VIA AFP)
Près de 800 migrants tentant de rallier clandestinement l’Europe sont morts noyés au large de la Tunisie au cours des six premiers mois de l’année, a indiqué ce jeudi 27 juillet le porte-parole de la Garde nationale tunisienne, Houcem Eddine Jebabli. Selon cette source, « 789 corps de migrants ont été repêchés en mer, dont 102 Tunisiens, les autres étant des étrangers et des personnes non identifiées. »
Du 1er janvier au 20 juin, 34 290 migrants ont été interceptés et secourus, dont 30 587 « étrangers », en majorité originaires d’Afrique subsaharienne, contre 9 217 personnes interceptées ou sauvées sur la même période de 2022 (dont 6 597 étrangers), a précisé Houcem Eddine Jebabli. C’est près de quatre fois plus.
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Les unités de gardes-côtes ont mené 1 310 opérations durant les six premiers mois de 2023, soit plus de deux fois le nombre (607) recensé en 2022, a-t-il encore indiqué.
Plus de 80 000 passages en 2023 contre 33 000 en 2022
La Tunisie, dont certaines portions du littoral se trouvent à moins de 150 km de l’île italienne de Lampedusa, enregistre régulièrement des départs de migrants, originaires le plus souvent d’Afrique subsaharienne.
Selon Rome, plus de 80 000 personnes ont traversé la Méditerranée et sont arrivées sur les côtes de la péninsule italienne depuis le début de l’année, contre 33 000 l’an dernier sur la même période, en majorité au départ du littoral tunisien et de Libye.
La Méditerranée centrale, entre l’Afrique du Nord et l’Italie, est la route migratoire la plus dangereuse au monde en 2023, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), qui recense plus de 20 000 morts depuis 2014.
Le 22 juin, une semaine après le naufrage au large du Péloponnèse d’un chalutier parti de Libye ayant fait au moins 82 morts et des centaines des disparus, une embarcation de migrants partie de Sfax en Tunisie a chaviré au large de Lampedusa, faisant une quarantaine de disparus.
Des centaines de migrants ont été expulsés de Sfax, deuxième ville de Tunisie, à la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet. Depuis le coup de force du président Saied, les tentatives de départs de Tunisiens désespérés par la crise économique frappant ce pays du Maghreb, se poursuivent à un rythme soutenu.
En Tunisie, le thermomètre affiche ce lundi des valeurs entre 6 à 10 degrés au-dessus des normales de saison. En Algérie voisine, les autorités sont en alerte à la canicule.
24.07.2023,
Pour échapper à la chaleur, les habitants passent la journée à la mer, comme ici à La Goulette, dans la banlieue de Tunis.
Alors qu’au Maroc et en Libye, les températures sont plutôt conformes aux normales saisonnières, la Tunisie va frôler lundi, même dans le nord du pays plus tempéré, les 50 °C. Soit 6 à 10 degrés de plus que les températures habituelles pour la période. Cette canicule inédite provoque des coupures de courant et oblige des familles à dormir sur les plages.
En Algérie voisine, les autorités sont en alerte, avec des pics pouvant atteindre 48°C localement dans cinq préfectures de l’est: Jijel, Skikda, Annaba, El Tarf et Guelma, placées en «vigilance orange». À la suite de cette «vague de chaleur sans précédent», le groupe énergétique public Sonelgaz a dit avoir enregistré, dimanche, un pic de consommation de 18’697 mégawatts. Les climatiseurs sont devenus hors de prix (plus de 500 euros contre 300 auparavant) ou introuvables.
Coupures de courant
À Tunis, la température a atteint les 40 °C en matinée lundi, et grimpera même jusqu’à 49 °C en milieu d’après-midi. Ces températures anormales pour un mois de juillet ont provoqué des délestages électriques dans certaines régions ces derniers jours, décidés par la compagnie publique Steg.
La canicule, qui dure depuis début juillet, a affecté la performance du réseau électrique, obligeant la Steg à procéder à de brèves coupures aux heures de forte consommation. Le 10 juillet, un record de consommation d’électricité a été atteint à 4692 mégawatts, à cause d’une utilisation intensive de la climatisation.
Ceux qui n’ont pas de clim’ dorment sur la plage
Des Tunisiens des quartiers populaires, souvent dépourvus d’air conditionné, viennent le soir dormir sous des tentes sur les plages de Carthage ou La Marsa, au nord de Tunis. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Tunisiens ironisent sur le pic de chaleur attendu ce lundi, comparant la Tunisie à un «kanoun», brasero traditionnel. D’autres ont publié des prières pour que la vague de chaleur qui dure depuis plus de deux semaines prenne fin.
En Algérie, la vague de chaleur a ravivé les craintes quant au déclenchement d’incendies après deux étés dévastateurs. En mai, l’Algérie a annoncé avoir acheté un bombardier d’eau et en avoir loué six autres, procédant aussi à l’aménagement de pistes d’atterrissage pour hélicoptères dans dix préfectures en plus de la mobilisation de drones anti-incendies. Selon le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, jusqu’à présent les incendies qui se sont déclarés dans des forêts, récoltes ou oasis, «ont tous été maîtrisés».
À Tunis, la température a atteint les 40 °C en matinée lundi, et grimpera même jusqu’à 49 °C en milieu d’après-midi. Ces températures anormales pour un mois de juillet ont provoqué des délestages électriques dans certaines régions ces derniers jours, décidés par la compagnie publique Steg.
La canicule, qui dure depuis début juillet, a affecté la performance du réseau électrique, obligeant la Steg à procéder à de brèves coupures aux heures de forte consommation. Le 10 juillet, un record de consommation d’électricité a été atteint à 4692 mégawatts, à cause d’une utilisation intensive de la climatisation.
Ceux qui n’ont pas de clim’ dorment sur la plage
Des Tunisiens des quartiers populaires, souvent dépourvus d’air conditionné, viennent le soir dormir sous des tentes sur les plages de Carthage ou La Marsa, au nord de Tunis. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Tunisiens ironisent sur le pic de chaleur attendu ce lundi, comparant la Tunisie à un «kanoun», brasero traditionnel. D’autres ont publié des prières pour que la vague de chaleur qui dure depuis plus de deux semaines prenne fin.
En Algérie, la vague de chaleur a ravivé les craintes quant au déclenchement d’incendies après deux étés dévastateurs. En mai, l’Algérie a annoncé avoir acheté un bombardier d’eau et en avoir loué six autres, procédant aussi à l’aménagement de pistes d’atterrissage pour hélicoptères dans dix préfectures en plus de la mobilisation de drones anti-incendies. Selon le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, jusqu’à présent les incendies qui se sont déclarés dans des forêts, récoltes ou oasis, «ont tous été maîtrisés».
Pour son second roman L’Odeur d’un homme, après L’Île aux mères, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, auteure franco-tunisienne, est psychiatre et addictologue. Tout en sondant et diagnostiquant l’univers de l’émigration et de ses difficultés, elle travaille aussi sur les troubles psychiques des femmes en dépendance de l’alcool.
Quel fil relie la médecine à la fiction romanesque ? D’emblée l’évidence s’impose car il s’agit de parler et de témoigner de la souffrance humaine mais aussi du moyen de retrouver l’équilibre intérieur, le droit au bonheur, à l’épanouissement. On ne guérit pas seulement avec le serment d’Hippocrate mais aussi avec les mots qui ont leur chemin pour toucher les cœurs et panser les blessures.
C’est dans cette direction de se retrouver au plus profond de son être, que s’inscrit ce roman où l’olfactif a un pouvoir non seulement secret et immense mais apaisant et libérateur. Un pouvoir de guérison et de joie de vivre. D’ailleurs le titre de l’ouvrage L’Odeur d’un homme claque comme un fouet au vent. Même s’il y a un sillage de déjà vu, entendu ou lu. Et ce n’est guère hasard, si en exergue de cette narration, on retrouve cette phrase de Patrick Suskind, maître en l’alchimie des odeurs : « Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs. »
Pour un préambule, c’est clair, l’écrivaine avance les pions de toutes les sensations du pouvoir de l’odorat pour tisser la trame d’une histoire et la charpente des personnages qui portent en eux non seulement des nostalgies refoulées, des souvenirs soigneusement camouflés mais aussi les parfums tenaces d’une terre, d’un pays, d’une végétation, d’un ciel, d’une mer, d’une révolution…
Inès, femme apparemment comblée, professionnellement et conjugalement, du bord paradisiaque du Lac Leman dans une paisible Suisse de carte postale et du haut lieu musical de Verbier pour ses escapades culturelles, n’en pince pas moins pour sa Tunisie originelle. Pour ce minuscule hameau de Béja où elle est née fille d’un patriarche du village. Remettre les pieds en ces lieux, comme un retour aux sources, après une longue expatriation, semble relever du défi.
Cette Tunisie où « La Révolution du Jasmin » (encore une trace olfactive évidente !) a éclaté en 2011 mais que beaucoup préfèrent aussi appeler « La Révolution de la dignité » n’a pas tenu ses promesses… Dans cette post-période révolutionnaire, Inès n’hésite plus entre deux rives car sa vie, sans qu’elle s’en rende compte, va prendre un virage décisif. La rencontre avec Youssef, son ami d’enfance, cravache son sang et ses sens. Une rencontre déterminante qui lui restitue toute la force du désir de vivre pleinement, intensément.
Cet homme, gardien des odeurs de l’enfance, ouvre la voie à un horizon nouveau. Pour un destin où les racines, non seulement sont les garants de l’espoir d’un lendemain meilleur pour un pays meurtri par des années de dictature, mais aussi toutes les fragrances du thym, du romarin ainsi que les bruits des cortèges des peuples et des civilisations (berbères, grecs, phéniciens, romains, byzantins) qui ont traversé et rempli ses espaces… Avec lui, il y a le partage du passé et l’appel au futur pour destin qui se construit dans l’authenticité, sans déracinement. D’ailleurs c’est dans le fabuleux site archéologique de Bulla Regia que se noue l’histoire inattendue des deux amants sous le regard complice, loin de tout mauvais œil, d’une Vénus marine, généreuse dispensatrice d’amours voluptueux et de délicieux plaisirs.
À travers une plongée au cœur de la société tunisienne, pour scanner toutes les strates d’un peuple confronté au désarroi de vivre (l’immolation par le feu du légumier ambulant Mohammed Bouazziz n’est guère un incident anodin), ce livre, d’une discrète poésie, est une analyse subtile d’un petit mais important pays à la pointe de l’Afrique du Nord. Livre où le sensuel et le sensorial se mêlent intimement aux intermittences du cœur, aux remous de la politique, aux préoccupations de l’identité, de l’émigration, de l’appartenance à deux mondes avec une palette de divers colonialismes, aux phénomènes culturels, à la richesse des civilisations qui résonnent encore en ces lieux.
Écrite dans une langue française colorée, émaillée de dialogues vifs révélant l’état d’esprit des nombreux personnages qui hantent ces pages, cette fabulation, tirée de la réalité tunisienne migratoire, jette une lumière éclairante sur la mosaïque d’influences, de traditions et la quête humaine pour l’authenticité d’une vie.
Inès, le personnage phare de L’Odeur d’un homme aura suivi, par-delà quelques tâtonnements, la célèbre citation : « Va là où ton cœur te porte. » Ainsi le lecteur découvre-t-il une fabuleuse Tunisie au cœur d’une auteure qui rend un vibrant hommage à sa terre natale !
L’Odeur d’un homme de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Éditions du Pont 9, 2023, 208 p.
OLJ / Par Edgar DAVIDIAN, le 06 juillet 2023 à 00h00
Ce village situé au nord de Sfax n’est qu’à 150 km de Lampedusa. Un point de départ à haut risque pour les migrants subsahariens qui tentent de rallier l’Europe. Dimanche, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large des côtes tunisiennes ; une personne a été tuée et une dizaine d’autres sont portées disparues.
Des migrants subsahariens attendent un train pour Tunis à la gare de Sfax, le 5 juillet 2023. HOUSSEM ZOUARI / AFP
Après cinq heures de mer, Yannick pose finalement pied sur la terre ferme. Mais du mauvais côté de la Méditerranée. Ce Camerounais de 30 ans, avec des dizaines d’autres migrants subsahariens, vient, jeudi 6 juillet, d’être intercepté par les garde-côtes tunisiens au large d’Ellouza, petit village de pêcheurs à 40 km au nord de Sfax. Envolés les 2 500 dinars (800 euros) que lui a coûtés la traversée vers Lampedusa (Italie).
Sur la plage, une unité de la
garde nationale est déjà en poste pour les accueillir. Les agents tentent de contenir les quelques villageois, curieux, venus assister au débarquement. Hommes, femmes, enfants et nourrissons sont ainsi contraints de quitter leur bateau de fortune, devant des spectateurs amusés – ou au moins habitués – et face à une police sur les nerfs. Un gendarme, tendu, prend son téléphone pour demander des renforts. « Vous nous laissez seuls, personne n’est arrivé », reproche-t-il à son interlocuteur. « C’est tous les jours comme ça, plusieurs fois par jour », maugrée-t-il en raccrochant.
Les uns après les autres, les migrants quittent le bateau. « Venez ici. Asseyez-vous. Ne bougez pas », crient les agents des forces de l’ordre qui retirent le moteur de l’embarcation de métal et éloignent les bidons de kérosène prévus pour assurer la traversée d’environ 150 km qui séparent Ellouza de Lampedusa. Migrants subsahariens, villageois tunisiens et agents de la garde nationale se regardent en chien de faïence. Dans l’eau, le petit bateau des garde-côtes qui a escorté les migrants surveille l’opération. La présence inattendue de journalistes sur place ne fait qu’augmenter la tension. Yannick, accompagné de son frère cadet, s’inquiète. « Est-ce qu’ils vont nous emmener dans le désert, ne les laissez pas nous emmener », supplie-t-il.
Violents affrontements
Depuis une semaine, des centaines de migrants subsahariens ont été chassés de Sfax vers une zone tampon désertique bordant la mer, près du poste frontière avec la Libye de Ras Jdir. D’autres ont été expulsés à la frontière algérienne. Ces opérations font suite aux journées d’extrême tension qui ont suivi la mort d’un Tunisien, lundi 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens, selon le porte-parole du parquet de Sfax.
Trois hommes, de nationalité camerounaise, d’après les autorités, ont été arrêtés. Dans la foulée, des quartiers de Sfax ont été le théâtre de violents affrontements. Des Tunisiens se sont regroupés pour s’attaquer aux migrants et les déloger de leur habitation. Yannick et son petit frère faisaient partie des expulsés. Les deux hommes ont fui la ville au milieu de la nuit, parcourant des dizaines de kilomètres à pied pour se réfugier dans la « brousse », près d’Ellouza.
La région de Sfax est depuis devenue le théâtre d’un étrange ballet. Toute la journée et toute la nuit, dans l’obscurité totale, des groupes de migrants subsahariens errent sur les routes communales entourées de champs d’oliviers et de buissons. « A chaque fois, quelques personnes étaient chargées des courses, de l’eau et un peu de nourriture. Il fallait transporter le tout à pied sur plusieurs kilomètres », raconte Yannick. Lui et son petit frère de 19 ans ont dormi deux nuits dehors, avant que leur grande sœur, qui a réussi à rejoindre la France des années auparavant, ne leur paie leur traversée, prévue le 6 juillet à midi.
« Commerçants de la mort »
Ce jour-là, près du port d’Ellouza, Hamza, 60 ans, repeignait son petit bateau en bois bleu et blanc. Ce pêcheur expérimenté ne cache pas son émotion face au drame dont son village est le théâtre. Lui-même a dû s’improviser pêcheur de cadavres depuis quelque temps. Des corps sans vie se coincent parfois dans ses filets. « Une fois, j’ai trouvé la moitié du corps d’une femme mais elle était dans un état de décomposition tel que je n’ai pas trouvé par où la tenir. Je l’ai laissée là. Je n’ai pas pu dormir pendant des jours », dit-il, la voix tremblante.
Dimanche 9 juillet, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large de cette région : une personne est morte et une dizaine d’autres sont portées disparues. En plus des cadavres, les épaves des bateaux métalliques qui servent à la traversée des migrants déchirent souvent les filets des pêcheurs. « Je n’ai pas les moyens de racheter des filets tous les mois », regrette Hamza.
Le long de la côte autour d’Ellouza, les bateaux métalliques échoués et rongés par la rouille sont innombrables. Ces bateaux, de « très mauvaise qualité » selon le pêcheur, sont construits en quantités importantes et coûtent moins cher que ceux en bois, les pneumatiques ou les barques en plastique qui servaient auparavant à la traversée. « Ce sont des commerçants de la mort », accuse Hamza en pointant aussi bien les passeurs que les politiques migratoires européennes et les autorités tunisiennes.
Lire aussi :Article réservé à nos abonnés Au large de la Tunisie, les naufrages de migrants se succèdent :
« Je retenterai ma chance »
La Commission européenne a annoncé en juin le déblocage de 105 millions d’euros « pour lutter contre les passeurs [et] investir dans le contrôle maritime des frontières par les Tunisiens », sans compter la coopération bilatérale venant de Paris ou Rome. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, durant le premier semestre, près de 30 000 migrants sont arrivés à Lampedusa en provenance de Tunisie.
Sur les rochers recouverts d’algues, des centaines de pneus de voiture, servant à amarrer les navires, jonchent la côte. Depuis la falaise, on aperçoit le corps en début de décomposition d’un migrant. Un autre à quelques mètres. Et puis un autre encore, en contrebas, devenu squelette. Personne n’a cherché à les enterrer, ni à savoir qui ils étaient. Ils font partie des « disparus » en mer. Des chiens rôdent. Le paysage est aussi paradisiaque qu’infernalDébarqué vers 17 heures, Yannick sera finalement relâché sur la plage avec son groupe. « C’est grâce à vous, si vous n’étiez pas restés, ils nous auraient embarqués et emmenés à la frontière », assure-t-il. Le soir même, avec son frère, ils ont parcouru à pied les dizaines de kilomètres qui séparent Ellouza de Sfax. Cette fois dans l’autre sens. Après être arrivé à la gare ferroviaire à 3 heures du matin, Yannick a convaincu un vieil homme de leur acheter des tickets pour Tunis.
Ils sont finalement arrivés sains et saufs dans la capitale. « Il faut que je trouve du travail mais la situation est plus acceptable ici », dit-il. Malgré cette expérience, Yannick est toujours convaincu qu’un avenir meilleur l’attend de l’autre côté de la Méditerranée. « Quand j’aurai l’argent, je retenterai ma chance, promet-il. Retourner au pays n’est pas une option. »
Par Monia Ben Hamadi(Ellouza (Tunisie), envoyée spéciale)
Alors que le régime du président Kaïs Saïed peine à trouver un accord avec le Fonds monétaire international, la Tunisie voit plusieurs dirigeants européens — notamment italiens et français — voler à son secours. Un « soutien » intéressé qui vise à renforcer le rôle de ce pays comme garde-frontière de l’Europe en pleine externalisation de ses frontières.
C’est un fait rarissime dans les relations internationales. En l’espace d’une semaine, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, aura effectué deux visites à Tunis. Le 7 juin, la dirigeante d’extrême droite n’a passé que quelques heures dans la capitale tunisienne. Accueillie par son homologue Najla Bouden, elle s’est ensuite entretenue avec le président Kaïs Saïed qui a salué, en français, une « femme qui dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas ». Quatre jours plus tard, c’est avec une délégation européenne que la présidente du Conseil est revenue à Tunis.
Accompagnée de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du premier ministre néerlandais Mark Rutte, Meloni a inscrit à l’agenda de sa deuxième visite les deux sujets qui préoccupent les leaders européens : la stabilité économique de la Tunisie et, surtout, la question migratoire, reléguant au second plan les « valeurs démocratiques ».
UN PACTE MIGRATOIRE
À l’issue de cette rencontre, les Européens ont proposé une série de mesures en faveur de la Tunisie : un prêt de 900 millions d’euros conditionné à la conclusion de l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI), une aide immédiate de 150 millions d’euros destinée au budget, ainsi que 105 millions pour accroitre la surveillance des frontières. Von der Leyen a également évoqué des projets portant sur l’internet à haut débit et les énergies vertes, avant de parler de « rapprochement des peuples ». Le journal Le Monde, citant des sources bruxelloises, révèle que la plupart des annonces portent sur des fonds déjà budgétisés. Une semaine plus tard, ce sont Gérald Darmanin et Nancy Faeser, ministres français et allemande de l’intérieur qui se rendent à Tunis. Une aide de 26 millions d’euros est débloquée pour l’équipement et la formation des gardes-frontières tunisiens.
Cet empressement à trouver un accord avec la Tunisie s’explique, pour ces partenaires européens, par le besoin de le faire valoir devant le Parlement européen, avant la fin de sa session. Déjà le 8 juin, un premier accord a été trouvé par les ministres de l’intérieur de l’UE pour faire évoluer la politique des 27 en matière d’asile et de migration, pour une meilleure répartition des migrants. Ainsi, ceux qui, au vu de leur nationalité, ont une faible chance de bénéficier de l’asile verront leur requête examinée dans un délai de douze semaines. Des accords devront également être passés avec certains pays dits « sûrs » afin qu’ils récupèrent non seulement leurs ressortissants déboutés, mais aussi les migrants ayant transité par leur territoire. Si la Tunisie acceptait cette condition, elle pourrait prendre en charge les milliers de subsahariens ayant tenté de rejoindre l’Europe au départ de ses côtes.
Dans ce contexte, la question des droits humains a été esquivée par l’exécutif européen. Pourtant, en mars 2023, les eurodéputés ont voté, à une large majorité, une résolution condamnant le tournant autoritaire du régime. Depuis le mois de février, les autorités ont arrêté une vingtaine d’opposants dans des affaires liées à un « complot contre la sûreté de l’État ». Si les avocats de la défense dénoncent des dossiers vides, le parquet a refusé de présenter sa version.
L’ALLIÉ ALGÉRIEN
Depuis qu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs, le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a transformé la Tunisie en « cas » pour les puissances régionales et internationales. Dans les premiers mois qui ont suivi le coup de force, les pays occidentaux ont oscillé entre « préoccupations » et compréhension. Le principal cadre choisi pour exprimer leurs inquiétudes a été le celui du G 7. C’est ainsi que plusieurs communiqués ont appelé au retour rapide à un fonctionnement démocratique et à la mise en place d’un dialogue inclusif. Mais, au-delà des proclamations de principe, une divergence d’intérêts a vite traversé ce groupement informel, séparant les Européens des Nord-Américains. L’Italie — et dans une moindre mesure la France — place la question migratoire au centre de son débat public, tandis que les États-Unis et le Canada ont continué à orienter leur communication vers les questions liées aux droits et libertés. En revanche, des deux côtés de l’Atlantique, le soutien à la conclusion d’un accord entre Tunis et le FMI a continué à faire consensus.
La fin de l’unanimité occidentale sur la question des droits et libertés va faire de l’Italie un pays à part dans le dossier tunisien. Depuis 2022, Rome est devenue le premier partenaire commercial de Tunis, passant devant la France. Ce changement coïncide avec un autre bouleversement : la Tunisie est désormais le premier pays de départ pour les embarcations clandestines en direction de l’Europe, dans le bassin méditerranéen. Constatant que la Tunisie de Kaïs Saïed a maintenu une haute coopération en matière de réadmission des Tunisiens clandestins expulsés du territoire italien, Rome a compris qu’il était dans son intérêt de soutenir un régime fort et arrangeant, en profitant de son rapprochement avec l’Algérie d’Abdelmadjid Tebboune, qui n’a jamais fait mystère de son soutien à Kaïs Saïed. Ainsi, en mai 2022, le président algérien a déclaré qu’Alger et Rome étaient décidées à sortir la Tunisie de « son pétrin ». Les déclarations de ce type se sont répétées sans que les autorités tunisiennes, d’habitude plus promptes à dénoncer toute ingérence, ne réagissent publiquement. Ce n’est pas la première fois que l’Italie et l’Algérie — liées par un gazoduc traversant le territoire tunisien — s’unissent pour soutenir un pouvoir autoritaire en Tunisie. Déjà, en 1987, Zine El-Abidine Ben Ali a consulté Rome et Alger avant de déposer le président Habib Bourguiba.
L’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir en octobre 2022 va doper cette relation. La dirigeante d’extrême droite, élue sur un programme de réduction drastique de l’immigration clandestine, va multiplier les signes de soutien au régime en place. Le 21 février 2023, un communiqué de la présidence tunisienne dénonce les « menaces » que font peser « les hordes de migrants subsahariens » sur « la composition démographique tunisien ». Alors que cette déclinaison tunisienne de la théorie du « Grand Remplacement » provoque l’indignation, — notamment celle de l’Union africaine (UA) — l’Italie est le seul pays à soutenir publiquement les autorités tunisiennes. Depuis, la présidente du Conseil italien et ses ministres multiplient les efforts diplomatiques pour que la Tunisie signe un accord avec le FMI, surtout depuis que l’UE a officiellement évoqué le risque d’un effondrement économique du pays.
CONTRE LES « DIKTATS DU FMI »
La Tunisie est en crise économique au moins depuis 2008. Les dépenses sociales engendrées par la révolution, les épisodes terroristes, la crise du Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’ont fait qu’aggraver la situation du pays.
L’accord avec l’institution washingtonienne est un feuilleton à multiples rebondissements. Fin juillet 2021, avant même la nomination d’un nouveau gouvernement, Saïed charge sa nouvelle ministre des Finances Sihem Namsia de poursuivre les discussions en vue de l’obtention d’un prêt du FMI, prélude à une série d’aides financières bilatérales. À mesure que les pourparlers avancent, des divergences se font jour au sein du nouvel exécutif. Alors que le gouvernement de Najla Bouden semble disposé à accepter les préconisations de l’institution financière (restructuration et privatisation de certaines entreprises publiques, arrêt des subventions sur les hydrocarbures, baisse des subventions sur les matières alimentaires), Saïed s’oppose à ce qu’il qualifie de « diktats du FMI » et dénonce une politique austéritaire à même de menacer la paix civile. Cela ne l’empêche pas de promulguer la loi de finances de l’année 2023 qui reprend les principales préconisations de l’institution de Bretton Woods.
En octobre 2022, un accord « technique » a été trouvé entre les experts du FMI et ceux du gouvernement tunisien et la signature définitive devait intervenir en décembre. Mais cette dernière étape a été reportée sine die, sans aucune explication.
Ces dissensions au sein d’un exécutif censé plus unitaire que sous le régime de la Constitution de 2014 trouvent leur origine dans la vision économique de Kaïs Saïed. Après la chute de Ben Ali, les autorités de transition ont commandé un rapport sur les mécanismes de corruption du régime déchu. Le document final, qui pointe davantage un manque à gagner (prêts sans garanties, autorisations indument accordées…) que des détournements de fonds n’a avancé aucun chiffre. Mais en 2012, le ministre des domaines de l’État Slim Ben Hmidane a avancé celui de 13 milliards de dollars (11,89 milliards d’euros), confondant les biens du clan Ben Ali que l’État pensait saisir avec les sommes qui se trouvaient à l’étranger. Se saisissant du chiffre erroné, Kaïs Saïed estime que cette somme doit être restituée et investie dans les régions marginalisées par l’ancien régime. Le 20 mars 2022, le président promulgue une loi dans ce sens et nomme une commission chargée de proposer à « toute personne […] qui a accompli des actes pouvant entraîner des infractions économiques et financières » d’investir l’équivalent des sommes indument acquises dans les zones sinistrées en échange de l’abandon des poursuites.
La mise en place de ce mécanisme intervient après la signature de l’accord technique avec le FMI. Tandis que le gouvernement voulait finaliser le pacte avec Washington, Saïed mettait la pression sur la commission d’amnistie afin que « la Tunisie s’en sorte par ses propres moyens ». Constatant l’échec de sa démarche, le président tunisien a préféré limoger le président de la commission et dénoncer des blocages au sein de l’administration. Depuis, il multiplie les appels à un assouplissement des conditions de l’accord avec le FMI, avec l’appui du gouvernement italien. Le 12 juin 2023, à l’issue d’une rencontre avec son homologue italien, Antonio Tajani, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken s’est déclaré ouvert à ce que Tunis présente un plan de réforme révisé au FMI.
Encore une fois, les Européens font le choix de soutenir la dictature au nom de la stabilité. Si du temps de Ben Ali, l’islamisme et la lutte contre le terrorisme étaient les principales justifications, c’est aujourd’hui la lutte contre l’immigration, devenue l’alpha et l’oméga de tout discours politique et électoraliste dans une Europe de plus en plus à droite, qui sert de boussole. Mais tous ces acteurs négligent le côté imprévisible du président tunisien, soucieux d’éviter tout mouvement social à même d’affaiblir son pouvoir. À la veille de la visite de la délégation européenne, Saïed s’est rendu à Sfax, deuxième ville du pays et plaque tournante de la migration clandestine. Il est allé à la rencontre des populations subsahariennes pour demander qu’elles soient traitées avec dignité, avant de déclarer que la Tunisie ne « saurait être le garde-frontière d’autrui ». Un propos réitéré lors de la visite de Gérald Darmanin et de son homologue allemande, puis à nouveau lors du Sommet pour un nouveau pacte financier à Paris, les 22 et 23 juin 2023.
Pour les passionnés d’histoire, aucun doute : le grand général carthaginois Hannibal, malgré ses innombrables exploits, a été défait à Zama par Scipion l’Africain. Cette défaite a précipité la fin de la deuxième guerre punique et la chute de Carthage. Une version contestée aujourd’hui par l’écrivain tunisien Abdelaziz Belkhodja, preuves à l’appui.
L’histoire de cette rivalité est fameuse. On y croise une flotte puissante, des éléphants, des hommes valeureux, des intérêts contraires et des trahisons. Héros carthaginois incontesté et populaire de la deuxième guerre punique, celle où tout s’est joué, Hannibal, assurent les historiens, aurait été défait par le général romain Scipion l’Africain durant la célèbre bataille de Zama.
C’est du moins la version qui a prévalu à ce jour. Jusqu’à ce que, précisément, sa passion pour Hannibal conduise l’écrivain et éditeur Abdelaziz Belkhodja sur d’autres pistes. S’appuyant notamment sur les travaux de l’historien allemand Theodor Mommsen et du professeur de psychologie et historien américain Yozan D. Mosig, l’auteur tunisien n’hésite pas à évoquer, dans sa biographie d’Hannibal, ce qu’il appelle « le mensonge de Zama ». Relevant de nombreuses invraisemblances, et des paradoxes, il affirme qu’Hannibal n’a pas été défait à Zama. Et que cette bataille n’a pas été, contrairement à ce qu’on croit savoir depuis plus de deux millénaires, une victoire romaine.
Abdelaziz Belkhodja : En 203 av. J.-C., une sorte de paix des braves entre les oligarques de Carthage et le Sénat romain a été signée sans qu’Hannibal en soit informé. Cette date marque, à mon sens, la véritable fin de la guerre. La paix arrangeait tout le monde, aussi bien les Romains, qui ne voulaient plus d’Hannibal sur leur territoire, que Carthage, qui craignait son populisme et ne voulait pas qu’il revienne triomphant.
On ne le dira jamais assez : la République carthaginoise comme la République romaine sont des régimes hostiles au populisme et aux personnalités trop populaires, d’autant que les Barca, la famille d’Hannibal, n’ont même pas cherché à se faire plébisciter. Ils étaient appréciés pour leur faits d’armes et leur très grand respect de la Constitution carthaginoise.
Cette notoriété exceptionnelle les a mis en conflit avec le Sénat, qui voyait d’un mauvais œil leur influence grandissante. Au point qu’après la guerre des mercenaires, un procès monté de toutes pièces a entravé l’ascension d’Hamilcar, père d’Hannibal, qui était près d’accéder au pouvoir. Il a alors claqué la porte de Carthage pour fonder Alicante et fédéré les peuplades espagnoles. L’ironie de l’histoire veut que ce territoire carthaginois d’Espagne ait largement contribué à reconstituer la richesse et la puissance de Carthage.
La meilleure définition des Barca, c’est : un esprit de haut niveau, un sens aigu du patriotisme et une fidélité à Carthage. Quand l’Espagne carthaginoise a été un appui financier de la métropole, Hannibal a pris le pouvoir et Rome a ensuite déclaré la guerre. À ce moment-là, Hannibal avait déjà acquis une stature extraordinaire qui lui permettait de transmettre son message politique axé sur la liberté des peuples, la dignité de leurs dirigeants et une fédération méditerranéenne. Autour d’Hannibal, qui n’avait pas de mercenaires, tous se battaient pour leur liberté. Dans son aventure italienne, il a fini par créer un mouvement politique qui devait aboutir au réformisme à Carthage.
Tout cela a contribué à ce qu’il soit craint bien plus que Rome par les oligarques. La guerre n’ayant pas eu lieu à Carthage, la défaite d’Hannibal en Italie leur importait peu. Ils décidèrent d’arrêter la guerre sans rappeler Hannibal sur le territoire carthaginois, alors que Scipion, lui, y était présent. Une situation qui interroge car Hannibal aurait pu mettre fin aux menées de Scipion, dit l’Africain. Hannibal n’était pas dupe : Tite-Live rapporte qu’il avait compris que l’objectif des sénateurs était de l’éliminer.
Comment en arrive-t-on au mensonge de l’historien Polybe ?
Il intervient durant une période de décadence, pendant laquelle les familles romaines qui prétendaient à un rôle politique devaient mettre en avant leurs ancêtres. C’était le cas du petit-fils de Scipion, dit l’Émilien, qui avait des visées politiques. Mais comme son aïeul Scipion n’avait pas atteint la gloire attendue, puisque Carthage avait conservé ses forces et que son général n’avait pas été vaincu, l’Émilien a entrepris, avec Polybe, une réécriture de l’histoire. Pour faire de Scipion le vainqueur de la guerre face à Hannibal, ce qui lui conférait un prestige qui rejaillissait sur toute sa descendance.
Polybe et lui ont inventé Zama. On est sûr de la localisation de toutes les batailles de Hannibal, sauf de celle de Zama ! Si vraiment elle avait été une telle victoire, les Romains auraient au moins laissé une trace, un monument pour marquer le lieu, ou elle serait évoquée dans un écrit. Mais il n’en est rien. Tout cela n’a été rapporté qu’après la destruction de Carthage. L’histoire qui prévalait avant ne nous est pas parvenue, mais on sait que Polybe a remanié son livre après s’être assuré que la destruction des autres cités avait effacé les traces des récits antérieurs.
Vous dites que l’archéologie étaye votre théorie, de quelle façon ?
« Dans cette apparente distorsion entre le témoignage des textes et celui de l’archéologie, s’ouvre une de ces béances qui donnent souvent quelque vertige à l’historien de l’Antiquité », a écrit fort justement l’archéologue spécialiste d’Hannibal, Serge Lancel. Il me semblait paradoxal qu’on laisse une cité défaite par un lourd conflit, comme Carthage, développer un port militaire. C’est comme si, après la Seconde Guerre mondiale, on avait laissé aux Allemands les moyens de fabriquer une bombe atomique.
Or le port de Carthage s’est développé et, par sa configuration, il n’est destiné qu’à la guerre. Ce n’est pas un port de mouillage mais un port de réparation de navires de guerre, d’une capacité de 220 embarcations. S’il y avait eu un traité de paix en 201 av. J.-C., cette implantation n’aurait pu être conservée, d’autant que la marine était l’arme suprême de l’époque.
La datation du port, dans les années 1990, introduit une donnée nouvelle et confirme qu’il est postérieur au traité de 201. On ne peut nier que cela interroge. La seule explication est que la source principale – soit le texte de Polybe – n’est pas fiable. On sait qu’il y a eu des ouvrages plus anciens sur Hannibal mais il n’en est rien resté. Il s’agit ni plus ni moins que d’une censure, et la vérité réémerge après un oubli de cinq siècles.
Cette datation est-elle le seul élément qui étaye votre théorie ?
Un faisceau d’indices va dans le même sens. Par exemple, le fait que Hasdrubal Gisco, général carthaginois proche du Sénat, ait invité Scipion à Carthage… en pleine guerre, après leur rencontre à Siga, dans l’actuelle Algérie. C’est quand même assez incroyable. Et quand Polybe parle de Scipion, il vante son intelligence et son sens de la stratégie. Pourtant, personne à Rome ne l’acceptait ou ne le soutenait. Comment est-ce possible s’il venait de battre Hannibal ? On sait aussi qu’Hannibal, prisonnier, n’a pas participé au défilé triomphal organisé pour le vainqueur dans les rues de Rome, et il se dit que c’est un signe de la mansuétude de Scipion. La réalité, c’est que Hannibal n’a jamais été fait prisonnier ! Scipion était un grand politique, mais aussi un fieffé manipulateur et un menteur. Sans compter qu’ensuite un procès aurait été fait à Scipion au sujet du traité de paix, mais là encore il n’en subsiste aucune trace.
S’agit-il uniquement d’une réécriture de l’histoire au profit de Scipion ?
Réévaluer ce qui s’est passé après 203 av. J.-C. m’a aussi permis d’éclairer mon approche. Hannibal est resté général, a reconstruit Carthage, lui a redonné sa puissance et sa richesse, pour ensuite devenir président de la République. Pourquoi un homme dans sa position prendrait-il ensuite la fuite, lui qui était demeuré en Italie jusqu’à ce que le Sénat lui ordonne de revenir ? Hannibal n’a pas fui : il a rejoint Antiochos III, roi séleucide, lorsque ce dernier a commencé à avoir des frictions avec Rome. Ensemble, ils avaient un plan qui donne toute sa pertinence au développement du port de Carthage : attaquer l’Italie en la prenant en tenailles, l’un par l’Adriatique, l’autre à partir de la Grèce.
La conclusion qui s’impose est que le prétendu traité signé avec Rome n’existait pas, ce qui explique que Carthage a pu conserver son armée et sa flotte, et aussi qu’Hannibal n’a pas été pourchassé et ramené à Rome pour être exhibé lors du triomphe de Scipion. Au niveau politique, Rome, à l’aube de sa domination mondiale, ne pouvait pas accepter que la ville qui a engendré Hannibal et qui représentait la liberté et le fédéralisme puisse survivre. Il lui fallait éliminer ce modèle pour imposer son intérêt. Période trouble, rivalités et bisbilles, mais aussi un aveuglement politique ont conduit Carthage à une fin tragique.
À vous écouter, on a l’impression que Hannibal était un dirigeant étonnamment moderne et éclairé !
La vision carthaginoise du monde, ou, si j’ose dire, hannibalienne du monde est attestée par un texte, le traité de confédération, dans lequel même Rome est invitée à abandonner son impérialisme et à rejoindre la fédération méditerranéenne. Une invitation qu’Hannibal lance après la bataille de Cannes, sa plus grande victoire. Aujourd’hui, au regard de notre situation dans le monde, on aspire à une forme de multilatéralisme très similaire.
Finalement, de quoi ce que vous qualifiez de mensonge concernant Zama est-il le signe, ou le symptôme ?
C’est avant tout de la manipulation et de la réécriture de l’histoire. Encore une fois, la version du dominant est imposée, et on prend soin de détruire ou d’effacer toutes les autres sources. Une grande partie de l’histoire du monde, notamment celle qui a été écrite au siècle des Lumières ou à l’époque coloniale, doit être revue. En Asie du Sud-Est et en Amérique du Sud, le processus est en cours depuis longtemps. Mais le Maghreb est à la traîne.
A l’aube de ce nouveau jour, dans la douce quiétude de mes lieux, j’ai rendez-vous avec une nouvelle page.
L’idée première qui me vient, est d’aller ce jour vers un sujet léger. En cela, je tiens compte des remarques de l’un des miens.
Il ne manifeste pas de désaccords de fond quand à la manière dont j’aborde divers sujets.
Mais il trouve, qu’au matin, par trop souvent, je plombe l’ambiance.
Alors, me suis-je dit, allons, en cette belle journée qui s’annonce, vers un peu de légèreté.
C’est ainsi que je musarde sur le fil d’actualité du réseau.
Question de légèreté, il me faudrait faire grande abstraction d’une actualité, elle, plutôt lourde, voire pesante.
A moins de trouver refuge dans une forme d’indifférence nombriliste, c’est raté pour ce qui est de ma première intention primesautière.
Elles et ils étaient, selon les rares médias à traiter l’évènement, quelques 750 femmes, hommes et enfants, entassé-e-s sur une coque de noix.
Au large des côtes de Grèce, cette embarcation de fortune, a chaviré.
Les secours sont parvenus à porter assistance à quelques 150 naufragé-e-s.
Les autres sont port-é-e-s disparu-e-s….
Très vraisemblablement noyé-e-s.
Leurs morts ne doit strictement rien à une quelconque fatalité.
L’enchaînement infernal des causes de cette nouvelle hécatombe est bien là pour signifier que rien, au départ, ne peut être ignoré des causalités.
Cependant, dans le monde égotique des petits blancs, domine une indifférence de tous les instants.
Pendant que sur les flots de la même mer, croisent de gigantesques navires de croisière, s’agitent des amateurs de paddles et de jets-skis, d’autres passent de vie à trépas, dans un quasi anonymat.
ENGLOUTI-E-S.
Ils payent le prix fort d’une addition qui n’est pas la leur.
Leurs contrées d’origine sont la proie de phénomènes parfaitement identifiés.
Dévastation écologique, destructuration totale de leurs modes de vie pour cause de mondialisation néo-libérale, guerres qui font la fortune des trafiquants d’armes privés et étatiques, pillages en règles des matières premières.
Pour que le monde des petits blancs puisse consommer à l’envi,
LA condition est que se maintienne un ordre aussi inégal que profondément injuste.
Toujours dans le même temps de cette actualité galopante, un média local, nous donne à apprendre, que le parc automobile des véhicules sans permis, s’élève en Corse à quelques 5000 unités. Le prix moyen de ces engins étant de 12000 euros.
Advient-il aux acheteurs et utilisateurs de ces gadgets, que leurs engins engloutissent des matières premières dont leur pays ne dispose absolument pas ?
A l’évidence sûrement pas. Seule une frénésie démente les anime.
La même qui les conduit sans vergogne, a consommer les téléphones cellulaires derniers cris, sans se préoccuper une seconde, de l’origine des matériaux qui les composent.
Et l’on peut tout autant évoquer ces modes vestimentaires aux prix exorbitants, dont la production mobilise des petites mains, qui elles, outre les ravages en matière d’environnement, sont férocement exploitées.
Alors non, ce matin, je ne peux me résoudre à une quelconque légèreté. Et si tel était le cas, alors serait aussi engloutie cette conscience aiguë qui me permet de ne pas sombrer à mon tour dans les flots putrides de l’indifférence.
Je ne peux me résoudre non plus à camper dans une confortable posture d’indigné se donnant bonne conscience.
A la violence de ce système, les palinodies bêlantes de tous les faux-culs, ne valent guère mieux que les déjections immondes de l’extrême droite.
Avec les modestes moyens qui sont les miens, j’écris pour lutter.
C’est ça, ou être englouti sous les flots de ce maelstrom qui broie impitoyablement des vies pour que perdure la domination du monde des petits blancs.
Oeuvre Zor
SERGE VANDEPOORTE
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EXIL
Oeuvre Zor
Tunisie : trois morts et au moins 12 disparus dans le naufrage de trois bateaux de migrants
Trois embarcations de migrants ont fait naufrage au large de la Tunisie, a déclaré jeudi un magistrat du tribunal de Sfax. Le bilan est pour l'instant de trois morts et au moins 12 disparus, et 152 personnes ont pu être secourues.
Le naufrage de trois bateaux de migrants a fait trois morts et au moins 12 disparus au large de la Tunisie, a déclaré jeudi 22 juin un magistrat du tribunal de Sfax. La garde-côtes a secouru 152 autres personnes au large de Sfax, a ajouté le juge Faouzi Masmoudi.
600 migrants vont mourir à bord de ce navire surchargé
Le sous-marin d'OceanGate parti explorer l'épave du Titanic (Photo by Ocean Gate / Handout/Anadolu Agency via Getty Images)
Des voix s'élèvent pour pointer du doigt l'aide déployée pour retrouver le sous-marin, contrastant avec l'absence d'aide fournie aux migrants en détresse en Méditerranée.
5 personnes sont mortes
Un navire français équipé d'un robot sous-marin dérouté spécialement sur place, des avions des gardes côtes américains, deux avions canadiens... Le compte à rebours était lancé pour tenter retrouver le sous-marin parti explorer l'épave du Titanic avec cinq personnes à son bord, et alors que les réserves d'oxygène à bord arrivaient à épuisement jeudi 22 juin vers 11 heures… mais elles étaient mortes bien avant.
Des moyens colossaux ont été déployés pour tenter de retrouver le sous-marin et de sauver les cinq passagers dont trois touristes ayant dépensé 250000 dollars chacun (229000 euros environ)… le prix d’une maison, mais c’est rien pour des milliardaires.
Indignation du PCF à Laurent Berger
Une course contre la montre qui suscite une large couverture médiatique et qui intrigue. Mais les moyens mis en oeuvre font grincer des dents plusieurs observateurs, de Laurent Berger au PCF en passant par David Cormand, député européen EELV.
Un contraste saisissant avec l'aide envoyée
en Méditerranée
"C'est normal d'essayer de sauver les personnes dans ce sous-marin. Mais quand on voit que notre société est en capacité de mettre des moyens techniques impressionnants, pour sauver dans l'urgence ce sous-marin, alors qu'à côté de chez nous, en Méditerranée, des centaines de personnes meurent parce qu'on ne leur vient pas en aide c'est terrible", déplore le député européen David Cormand en écho notamment au déploiement spéciale du robot "Victor 6000", qui appartient à l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), un établissement public à caractère industriel et commercial sous la tutelle du ministère de la Transition écologique et du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation.
On estime que plus de 1000 personnes ont perdu la vie en mer Méditerranée depuis le début de l'année, dont au moins 600 la semaine dernière lors de naufrages d'embarcations.
"Il y a une déshumanisation des réfugiés
qui ne sont plus que des chiffres"
"Ces morts en Méditerranée, ce n'est pas parce qu'on ne leur vient pas en aide, c'est pire, c'est parce qu'on organise leur non secours, avec l'obstruction aux navires humanitaires, qu'on stigmatise en les accusant d'agir avec la complicité des passeurs, ou en déléguant à la Libye le contrôle des frontières de l'UE", poursuit David Cormand pour poursuivre la comparaison avec le déploiement important de moyens pour retrouver le sous-marin parti explorer l'épave du Titanic.
Un contraste saisissant de moyens mis en oeuvre révélateur d'une évolution de la société, estime le député : "On a quelque part intériorisé que toutes les vies n'ont pas la même valeur, on s'identifie davantage à des vies, qu'à d'autres. Il y a une déshumanisation des réfugiés, qui ne sont plus que des chiffres. L'empathie est en train de nous quitter, à l'image de la minute de silence demandée à l'Assemblée nationale mais qui a été refusée", s'alarme le député européen.
Yaël Braun-Pivet rajoute de la honte à la honte
La présidente de l’Assemblée nationale empêche une minute de silence.
La Présidente de l'Assemblée nationale de France, Yaël Braun-Pivet. Crédit photo: CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
La présidente de l’Assemblée nationale en France, Yaël Braun-Pivet, a empêché, mardi, la tenue d’une minute de silence proposée par le député LFI (La France Insoumise), Aymeric Caron, en hommage aux migrants disparus au large de la Grèce la semaine dernière.
Après une courte prise de parole, l’élu de gauche a voulu marquer le coup en initiant ce temps de recueillement, suivi par de très nombreux députés, et ministres, dont la Première ministre Élisabeth Borne, avant une intervention de la présidente de l’Assemblée nationale.
Depuis le perchoir, Yaël Braun-Pivet, s’est dite "désolée" de devoir s’y opposer, après avoir assuré que ce sujet aurait dû être discuté durant "la conférence des présidents".
"Je ne vois pas en quoi l’improvisation de ce moment empêchait l’union", lui a répondu Aymeric Caron avant de souligner l’attitude contradictoire de la présidente de l’Assemblée.
Yaël Braun-Pivet "prétend que les questions au Gouvernement n’étaient pas le lieu pour rendre hommage aux 600 exilés morts la semaine dernière en Méditerranée. Pourtant, il y a quelques mois, dans le même contexte, elle avait accepté une minute de silence lancée par Sandrine Rousseau. Deux poids, deux mesures, en fonction de la nature des victimes", a-t-il déploré.
Pas plus tard que le 8 juin dernier, la présidente de l’Assemblée nationale avait elle-même interrompu les débats sur la réforme des retraites pour faire observer une minute de silence improvisée après l’attaque au couteau qui venait de faire 6 blessés à Annecy, dans le sud-est de la France.
http://www.micheldandelot1.com/
Des centaines de migrants sur un bateau, au large du Péloponnèse. Dans une autre mer, cinq richissimes passagers partis explorer l'épave du Titanic dans un sous-marin. Les deux coulent. Ces deux histoires tragiques, à quelques jours d'intervalle, ont suscité une réaction aux antipodes des autorités et des médias. Pourquoi?
D’un côté, une mobilisation rapide, internationale, menée sur plusieurs jours pour tenter de retrouver le Titan et surtout, ses cinq passagers. De l'autre côté, un bateau de migrants en détresse laissé à lui-même pendant des heures, qui a chaviré le 14 juin. Près de 750 adultes et enfants, originaires de pays pauvres ou déchirés par la guerre, se trouvaient à bord, mais seuls 104 passagers ont survécu. Au moins 82 corps ont été repêchés jusqu'alors.
Après la visite de la Première ministre italienne, les défenseurs des droits humains s’inquiètent de sa connivence avec le président tunisien en matière de politique migratoire.
La Première ministre italienne Giorgia Meloni et le président tunisien Kaïs Saïed à Tunis le 6 juin 2023. (TUNISIAN PRESIDENCY VIA AFP)
Après la visite de la Première ministre italienne, les défenseurs des droits humains s’inquiètent de sa connivence avec le président tunisien en matière de politique migratoire.
« Vous dites tout haut ce que les autres pensent tout bas. » La courte phrase prononcée par le président tunisien Kaïs Saïed sur le perron du palais de Carthage lors de l’accueil de la Première ministre italienne Giorgia Meloni, mardi 6 juin, a eu l’effet d’un coup de tonnerre chez les défenseurs des droits humains tunisiens. En cause, l’inquiétante complicité des deux dirigeants ultraconservateurs en matière de politique migratoire. Une politique « uniquement répressive », déplorent les associations comme Terre pour tous, qui vient en aide depuis plus de dix ans aux familles des disparus en mer.
Son président, Imed Soltani, manifestait ce même mardi à Tunis avec des militants de son ONG, pour la plupart les mères de jeunes hommes partis dans des embarcations de fortune et disparus en mer depuis. Imed Soltani dénonce les accords bilatéraux conclus entre son pays et l’Italie. Ils ont « fait de la Méditerranée un cimetière pour notre peuple », dit-il. Selon le Forum tunisien pour les Droits économiques et sociaux, au moins 534 personnes ont disparu ou perdu la vie au large des côtes tunisiennes en tentant de rejoindre l’Europe au cours des cinq premiers mois de l’année. Pour le militant, « l’accord signé avec l’Italie en 2011, renouvelé par Kaïs Saïed en 2020, visant à empêcher par la force les Tunisiens de quitter le pays, est inutile. Ce n’est pas la police qui mettra un terme à la volonté des Tunisiens de fuir ».
La dirigeante d’extrême droite italienne est venue, officiellement,promettre son soutien à la Tunisie dans les négociations que le pays mène avec le Fonds monétaire international (FMI). Mais les défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent des exigences italiennes monnayées en contrepartie en matière de lutte contre l’immigration. En mai, Rome avait déjà débloqué une enveloppe de 10 millions d’euros et livré une cinquantaine de véhicules de police afin de « lutter contre les trafiquants d’êtres humains ».
« La pire crise depuis une génération »
La situation économique tunisienne est catastrophique. L’Etat, endetté à hauteur de 80 % de son PIB, est menacé de faillite en raison de plusieurs remboursements d’emprunts qui arrivent à échéance. Chômage élevé (16,1 % au premier trimestre 2023, 40,2 % chez les 15-24 ans), accroissement des inégalités, aggravation du taux de pauvreté (un tiers de la population)… « Les Tunisiens sont confrontés à la pire crise depuis une génération », affirme l’Organisation de Coopération et de Développement économiques (OCDE) dans son dernier rapport.
Une crise renforcée par les incertitudes politiques depuis que le président Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021. Associées aux progrès limités en matière de réformes structurelles, elles freinent la confiance des investisseurs étrangers. Ainsi, le FMI a conditionné l’octroi d’un nouveau prêt de près de 2 milliards de dollars (1,8 milliard d’euros) à des réformes économiques ainsi qu’à la levée de certaines subventions étatiques sur les produits de base. Or Kaïs Saïed, qui a affirmé ne pas vouloir se soumettre aux « diktats » de l’institution, refuse de mettre en place la moindre mesure. Il est soutenu par une partie de la population, déjà confrontée à des pénuries chroniques de produits alimentaires, qui ne supporterait pas de voir les subventions supprimées.
Face à ces difficultés, Rome, désormais premier partenaire commercial de Tunis devant Paris, offre donc son soutien. Car l’Italie redoute plus que tout autre pays européen un effondrement économique de la Tunisie, susceptible de déclencher un afflux encore plus grand de migrants sur ses côtes.
Chaque année, des dizaines de milliers de Tunisiens et Subsahariens en quête d’une vie meilleure tentent la traversée, notamment vers l’île italienne de Lampedusa située à seulement une centaine de kilomètres des côtes tunisiennes. Leschiffres explosent : selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les Réfugiés (HCR), 51 000 migrants ont gagné l’Italie par la mer depuis le 1er janvier – contre 20 000 sur la même période en 2022 –, dont plus de 26 000 au départ de la Tunisie. Or le succès électoral de Giorgia Meloni, élue à l’automne 2022, reposait notamment sur sa promesse de réduire drastiquement les arrivées à Lampedusa et en Sicile.
« Idéologie xénophobe »
Les défenseurs des droits humains s’inquiètent donc de l’influence possible de Rome sur la politique migratoire de Kaïs Saïed. Près de trente ONG tunisiennes et italiennes, dont le Forum tunisien pour les Droits économiques et sociaux et la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, ont publié un communiqué commun pour dénoncer la nouvelle entente entre les deux Etats. Les associationsrefusent une politique uniquement fondée sur des logiques sécuritaires et contestent « le traitement inhumain que les migrants, dont de nombreux Tunisiens, subissent dans les centres » de transit italiens. Elles s’inquiètent également de « l’idéologie xénophobe » qui sous-tend cette politique des deux côtés de la Méditerranée.
Car Giorgia Meloni n’est pas la seule à tenir des discours racistes. Le président tunisien a lui-même eu ces derniers mois des propos haineux envers les populations subsahariennes, évoquant des « hordes » d’immigrés clandestins dont la présence serait, selon lui, source de « violence et de crimes ». Il considère qu’il existerait une « entreprise criminelle » qui viserait à « changer la composition démographique » du pays. Des propos complotistes dignes des théoriciens européens du « grand remplacement » qui ont d’ores et déjà été suivisd’une augmentation des actes de violences envers les Subsahariens en Tunisie.
Jamais les migrants sub sahariens n’ont été aussi nombreux à tenter de traverser la Méditerranée, a déclaré sur RFI le patron de Frontex, l’organisation européenne de régulation de l’immigration: plus 300% par rapport à l’année dernière. Près de 40000 auraient tenté la traversée de la Méditerranée
La Tunisie est un des points de passage privilégiés par cet exode. Des embarcations fragiles d’un nouveau type, d’après Frontex, sont construites sur le sol tunisien, le cout du passage qui s’élève à 400 euros par migrant est à la baisse. Les Corps affluent dans la morgue de Sfax, près de deux cent pour les six premiers mois de 2023.Dans la vidéo tournée par Mondafrique, nous découvrons comment le port luxuriant de Zarzis, à quarante kilomètres de la frontière libyenne, est un des points de départ d’une émigration massive de Tunisiens vers l’Italie ou la France.
Les jeunes Tunisiens sont aussi concernés que les migrants sub sahariens ne sont pas les seuls concernés. La plupart s’embarquent depuis l’île de Kerkena, à quelques kilomètres de la grande ville de Sfax, ou du port de Zarzis, où nous nous sommes rendus.
Mondafrique retrouvé des images d’archives sur le départ du premier chalutier bourré de clandestins qui quitte la Tunisie peu après le départ en 2011 du dictateur tunisien vers l’Arabie Saoudite.
PARIS-MAGHREB. Tous les quinze jours, une histoire qui résonne d’un côté de la Méditerranée à l’autre. Aujourd’hui, entretien avec Habib Kazdaghli, historien et universitaire tunisien, après l’attentat contre la synagogue de la Ghriba, à Djerba.
Après la fusillade contre la synagogue de la Ghriba, à Djerba, le 9 mai au soir, qui a fait cinq morts – deux pèlerins juifs, dont un Franco-Tunisien, et trois membres des forces de sécurité –, les autorités tunisiennes ont dénoncé une attaque « criminelle » mais se sont gardées de la qualifier de « terroriste » ou de lui conférer une dimension antisémite. En France, en revanche, le parquet national antiterroriste, compétent du fait de la nationalité française de l’une des victimes, a ouvert « une enquête du chef d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste ».
Décryptage avec Habib Kazdaghli, historien et universitaire tunisien, spécialiste de la communauté juive religieuse du pays.
Vous étiez à la synagogue de la Ghriba, à Djerba, au moment de l’attentat, le 9 mai.
Habib Kazdaghli Oui. Je fais tous les ans le déplacement à Djerba, au moment du pèlerinage de la Ghriba avec mes étudiants. Nous organisons la veille une journée d’étude, des visites des différents lieux de culte (église, mosquée et synagogue) et ensuite nous assistons aux festivités. C’est un moment de fête très spécial, car toutes les composantes de la communauté juive tunisienne dispersée dans le monde se retrouvent à Djerba. Ce soir-là, nous venions de sortir de la synagogue avec mes étudiants et nous montions dans le bus, quand nous avons entendu les coups de feu, à 50 mètres de là. Au début, nous avons pensé qu’il s’agissait de pétards. Mais, lorsque les coups de feu se sont prolongés, j’ai demandé à tout le monde de se mettre à plat ventre, de se cacher sous les sièges du bus et d’attendre…
C’est la troisième fois que cette synagogue est visée...
En 1985, un policier, qui gardait les lieux, avait tiré à l’intérieur, tuant 5 personnes dont 4 juifs. En 2002, c’est un attentat revendiqué par Al-Qaida [exécuté avec un camion-citerne bourré d’explosifs, NDLR] qui avait fait 21 morts : les victimes étaient alors en majorité des touristes, allemands, puisque la synagogue de Djerba est un lieu touristique [14 touristes allemands, cinq Tunisiens et deux Français avaient été tués]. Mais c’est la première fois que le rassemblement de juifs au moment du pèlerinage est visé. Ce pèlerinage a une haute valeur symbolique et sentimentale aussi bien pour la communauté juive qui vit dans le pays que celle qui réside à l’étranger. C’est aussi un rendez-vous annuel qui marque le démarrage de la saison touristique.
Le président tunisien Kaïs Saïed n’a pas voulu qualifier cette attaque d’acte terroriste et antisémite.
Contrairement aux autres attaques contre le musée du Bardo, la station balnéaire de Sousse ou la ville de Bengardane [en 2015 et 2016], vite désignées comme terroristes par les autorités, le président a fait le choix cette fois-ci de qualifier l’attaque de « criminelle ». Ni le président ni le ministre de l’Intérieur n’ont fait le déplacement à Djerba, seul le ministre du Tourisme s’est rendu sur les lieux. Comme si le gouvernement n’était tétanisé que par une seule chose : l’impact sur la saison touristique ! Dans n’importe quel autre pays, après une tragédie pareille, le président serait venu sur place. Le tueur, un garde national, a visé des juifs, en choisissant le moment du pèlerinage de la Ghriba, et les trois collègues tués l’ont été car ils étaient un obstacle : il voulait assassiner le maximum de juifs. Pourquoi se cacher derrière les mots ? Toute cette communication est incompréhensible et mérite une meilleure transparence. Dédaignant Djerba, le président a préféré se rendre dans la banlieue de l’Ariana, proche de Tunis, où se trouve sa maison familiale, en évoquant le fait que ses grands-parents avaient caché des juifs…
« Les juifs s’abritaient dans la maison de mon grand-père et aujourd’hui ils viennent me taxer d’antisémitisme. Nos frères palestiniens se font massacrer tous les jours ! Et personne ne réagit ! », a déclaré Kaïs Saïed, le 13 mai, lors de sa visite à l’Ariana, dans une vidéo qu’il a rendue publique.
En avril, le conseil scientifique de la faculté des lettres de l’université de La Manouba a en effet décidé de bloquer l’attribution du titre de « professeur émérite » en raison de votre participation à un colloque scientifique à Paris aux côtés d’universitaires israéliens.
Je regrette qu’on soit descendu aussi bas au sein de la faculté dont j’ai été le doyen de 2011 à 2017 et où j’ai passé trente-quatre ans… Je précise qu’ils ne peuvent pas me retirer ce titre car je ne l’ai pas encore obtenu ! Le titre de « professeur émérite » est accordé aux universitaires à la retraite comme moi par le conseil des universités présidé par le ministre de l’Enseignement supérieur. En fait, il s’agit d’un processus qui ne tient compte que de critères académiques et non politiques. J’ai présenté mon dossier et j’attends aujourd’hui la réponse de monsieur le Ministre. Toute cette cabale est partie d’une capture d’écran d’un internaute, qui, au vu du programme du colloque, a décidé de m’épingler comme « rabbin de la normalisation » – c’est-à-dire un militant pour la normalisation des relations avec Israël. Il a lancé la polémique sur les réseaux sociaux. Sans même me contacter, le conseil scientifique de l’université a publié un communiqué pour condamner ma présence à ce colloque : consternant. Comme je suis spécialiste de l’histoire des juifs et d’autres communautés, des fanatiques nationalistes arabes et des dogmatiques d’extrême gauche m’accusent souvent d’être un « normalisateur des relations avec l’ennemi sioniste » comme ils disent. Alors que je suis un historien ! Quoi de plus légitime et normal que de participer à un colloque international sur l’histoire des juifs de Tunisie, quand c’est votre spécialité… Ce n’est pas la première fois que je suis ciblé par ce type de campagne, mais j’avais toujours été soutenu par les instances universitaires, y compris quand j’ai été attaqué par des salafistes parce que je m’opposais au port du niqab.
Et ça recommence avec l’annulation du colloque à Monastir [prévu le 11 mai au surlendemain de l’attaque de Djerba], sans aucune raison officielle, qui devait honorer la mémoire de Clément Cacoub, le grand architecte juif tunisien du palais présidentiel, devenu aujourd’hui musée Bourguiba. Après l’attentat, cet événement aurait pourtant pu être une occasion de réaffirmer l’importance de notre héritage pluriel. De redire aux juifs tunisiens qu’ils sont nos compatriotes, nos frères, et qu’ils font partie de l’histoire de la Tunisie, alors que je constate aujourd’hui, à l’école, un vide mémoriel. Mais on nous a signifié que l’événement était annulé.
Y a-t-il une résurgence de l’antisémitisme en Tunisie ?
Je ne crois pas. Oui, l’assaillant a visé la même synagogue vingt ans après l’attentat d’Al-Qaida. Oui, les pèlerins juifs ont été pris pour cible. Cependant, en toute objectivité, je pense qu’on est loin de ce qui s’est passé en France, de la tuerie de l’école juive de Toulouse [en mars 2012] à l’attentat de l’Hyper Cacher [à Paris, en janvier 2015]. Il n’y a pas d’hostilité envers la communauté juive qui vit paisiblement à Djerba, où je me rends au moins deux fois par an. Et puis, aujourd’hui, il n’y a plus qu’un millier de juifs en Tunisie… Contre 120 000 après la Seconde Guerre mondiale et 100 000 au moment de l’indépendance en 1956. C’était une communauté très visible, très influente. C’est un peu la nostalgie de cette ère-là que le pèlerinage de la Ghriba fait revivre tous les ans, des moments de nostalgie et des pans de cette Tunisie riche et plurielle.
Pourquoi la communauté juive a-t-elle quasiment disparu de Tunisie ?
Il y a eu une première vague de départ en Israël après la Seconde Guerre mondiale (estimée à 25 000 personnes entre 1948 et 1954). Après l’indépendance, une partie des juifs tunisiens, qui avaient obtenu la nationalité française, ont décidé de partir en France. Puis vient la crise de Bizerte en 1961 [un conflit militaire entre la France et la Tunisie autour d’une base navale qui a causé des centaines de morts, surtout côté tunisien – Jean Daniel, fondateur de « l’Obs », avait alors été blessé par les tirs de l’armée française]. Elle provoque un conflit de loyauté et pousse beaucoup de juifs à quitter la Tunisie. Mais la grande cassure s’opère en 1967. A la suite de la guerre des Six-Jours, des émeutes antisémites éclatent dans tous les pays arabes. Lors du pogrom de Tunis, des magasins juifs sont pillés, la synagogue est incendiée. Après ces événements, la communauté a été réduite comme peau de chagrin et s’est concentrée notamment à Djerba, d’où l’importance symbolique de l’île et du pèlerinage de la Ghriba.
OLJ / Par Edgar DAVIDIAN, le 06 juillet 2023 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1342555/parfums-damour-et-de-tunisie.html
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