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Rédigé le 22/08/2023 à 14:23 dans Lejournal Depersonne, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
12 août 2023 à 12h05
Le drame « s’est produit à 2 h (1:00 GMT) à 120 mètres de la plage » de Gabès dans le sud-est de la Tunisie, « où se trouvaient 20 Tunisiens », a indiqué la garde nationale dans un communiqué, en soulignant que 13 ont pu être sauvés.
Les opérations de recherche sont toujours en cours dans le vaste golfe de Gabès, caractérisé par de forts courants marins, pour trouver d’autres survivants, selon la même source. « Deux corps ont été repêchés, celui d’un jeune de 20 ans et l’autre d’un bébé » d’âge non déterminé, a précisé la garde nationale. « Une enquête a été ouverte par le tribunal » de Gabès pour « déterminer les circonstances du drame », selon le communiqué.
Plus de 1 800 personnes, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), ont péri depuis janvier dans des naufrages en Méditerranée centrale (entre l’Afrique du nord et l’Italie), la route migratoire la plus meurtrière au monde. Plus du double de l’an passé.
Le dernier naufrage connu au large des côtes tunisiennes a fait 11 morts et 44 disparus, près du port de Sfax (centre-est), avaient annoncé des sources judiciaires le 7 août. Seuls deux des migrants, tous originaires d’Afrique subsaharienne, avaient pu être secourus.
Douze corps avaient été retrouvés pendant le week-end dernier sur une plage au nord de cette ville, la deuxième de Tunisie (située à environ 140 km au nord de Gabès), sans que la justice puisse immédiatement dire s’ils étaient liés au naufrage de Sfax.
Sfax est cette année l’épicentre des tentatives de traversées de la Méditerranée au départ des côtes tunisiennes, distantes, à leur point le plus proche, d’environ 130 kilomètres de l’île italienne de Lampedusa.
Les départs de migrants africains ont connu une accélération après un discours, le 21 février, du président tunisien Kaïs Saïed dénonçant l’arrivée de « hordes de migrants » clandestins venus, selon lui, « changer la composition démographique » de son pays.
Et en juillet, beaucoup d’autres ont décidé de tenter la traversée après que des centaines d’Africains ont été chassés de Sfax, suite à la mort d’un Tunisien le 3 juillet dans une rixe entre migrants et habitants.
Plus de 2 000 autres Africains ont été au même moment « expulsés » par les forces de sécurité tunisiennes vers des zones désertiques et inhabitées aux frontières avec la Libye, à l’est, et l’Algérie, à l’ouest, selon des sources humanitaires à l’AFP. Un total de 27 personnes sont mortes dans le désert tuniso-libyen, et 73 autres sont portées disparues, selon ces sources humanitaires.
Plus de 95 000 migrants sont arrivés depuis le début de l’année sur les côtes italiennes, selon Rome, plus du double par rapport à la même période de 2022, en provenance de Tunisie et de Libye.
Au 20 juin, la garde nationale tunisienne a dit avoir intercepté sur six mois 34 290 migrants, en majorité d’Afrique subsaharienne, contre 9 217 sur la même période de 2022.
Depuis début août, « en seulement 10 jours », les unités de la garde nationale basées à Sfax ont intercepté « à peu près 3 000 migrants dont 90 % sont des Subsahariens et 10 % des Tunisiens », a indiqué jeudi le commandant Mouhamed Borhen Chamtouri, à une équipe de l’AFP embarquée pendant 24 heures sur une vedette de la garde nationale.
Des milliers de Tunisiens prennent aussi la mer chaque année à la recherche d’une vie meilleure en Europe. Ils représentent depuis le début de l’année la quatrième nationalité parmi les arrivants en Italie, derrière les Ivoiriens, les Guinéens et les Égyptiens.
Agence France-Presse et La rédaction de Mediapart
Rédigé le 12/08/2023 à 10:00 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
10 août 2023
Migrants retrouvés dans le désert entre la Tunisie et la Libye par les garde-frontières libyens.
Les températures, dépassant souvent les 40 degrés Celsius, ont transformé ce paysage en un défi insurmontable pour les exilés qui ont été abandonnés ici. Les images troublantes montrent des hommes, des femmes et même des enfants cherchant désespérément refuge et assistance dans ce désert, point d’orgue d’une campagne d’arrestation et d’expulsion menée par la Tunisie.
Depuis la ville de Sfax, un point de départ populaire pour ceux tentant de se rendre en Europe, les migrants ont été conduits par les autorités à la frontière avec la Libye et abandonnés dans une région isolée, sans eau ni nourriture. Les gardes-frontières ont témoigné de ces scènes tragiques, montrant des migrants épuisés, désorientés et en quête de secours.
Les images de ces migrants en difficulté ont suscité une réaction internationale. Le chef de l’ONU, Antonio Guterres, a vivement critiqué les « expulsions » de migrants d’Afrique subsaharienne et a appelé à une approche plus humaine. « Nous sommes profondément préoccupés par l’expulsion de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile de Tunisie vers les frontières avec la Libye, et aussi avec l’Algérie”, s’insurge le porte-parole adjoint du secrétaire général des Nations unies.
D’après l’ONG Human Rights Watch, au moins « 1.200 ressortissants subsahariens » ont alors été « expulsés » par les forces de sécurité tunisiennes aux frontières avec la Libye à l’est, et l’Algérie à l’ouest. Le Croissant rouge tunisien en a par la suite mis à l’abri plus de 600 à Ras Jedir, zone tampon séparant Tunisie et Libye, et environ 200 du côté algérien.
Cependant, les autorités tunisiennes semblent déterminées, mettant en avant des préoccupations liées à la sécurité et à la stabilité. Au début de l’année, le président Kaïs Saïed affirmait que l’immigration relevait d’un « plan criminel pour changer la composition du paysage démographique » du pays. Des propos applaudis par une partie de la population.
En juillet, la mort d’un Tunisien lors d’affrontements entre migrants et habitants à Sfax, la deuxième ville de Tunisie, a provoqué une vague de violence qui a fait au moins 30 blessés, dont des femmes et des enfants. Selon un médecin : « Certains ont été jetés de terrasses, d’autres agressés avec des sabres. »
Face à la crise, les rappeurs BigFlo & Oli ont décidé de « reporter » un concert à Carthage pour protester contre la situation des migrants coincés entre la Tunisie et la Libye. Quelques jours plus tôt, Gims avait annoncé l’annulation d’un concert prévu à Djerba, afin de protester contre « la détresse insoutenable » dans laquelle se trouvent les migrants.
10 août 2023
https://www.lecourrierdelatlas.com/au-moins-25-migrants-morts-decouverts-dans-le-desert-tunisien/
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Rédigé le 10/08/2023 à 15:23 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
La décision du président Kaïs Saïed d’expulser massivement des migrants subsahariens coûte la vie à des dizaines d’entre eux, dont cette mère et sa fille, retrouvées mortes dans le désert.
L’image a fait le tour du monde : Fati Dosso, 30 ans, et Marie, 6 ans, une mère et sa fille retrouvées mortes dans le désert à la frontière entre la Tunisie et la Libye. Elle incarne le sort fait aux migrants subsahariens sous le feu d’une campagne raciste orchestrée dans les coulisses même de la présidence. Les situations décrites par de nombreux témoins sont épouvantables.
Traqués, humiliés, tabassés, dépouillés, incarcérés arbitrairement, des centaines de migrants vivent le quotidien de la terreur, particulièrement dans la ville portuaire de Sfax, à environ 270 kilomètres de Tunis. Ils sont conduits à la frontière tuniso-libyenne puis abandonnés dans le désert. Ceux qui y parviennent tentent désespérément de survivre dans des camps de fortune avec l’aide modeste du Croissant-Rouge libyen, quand elle est disponible.
La suite sur https://assawra.blogspot.com/2023/08/tunisie-fati-et-marie-victimes-de-la.html
Roland RICHA
Abonné·e de Mediapart
3 AOÛT 2023
https://blogs.mediapart.fr/roland-richa/blog/030823/tunisie-fati-et-marie-victimes-de-la-politique-raciste-de-kais-saie
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Rédigé le 04/08/2023 à 20:47 dans Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
par Pascal Corazza, 17 juillet 2023
Petit pays, à l’honneur au dernier festival du film de La Rochelle (FEMA), la Tunisie compte en revanche un nombre important de cinéastes, notamment des femmes, auxquelles le FEMA a rendu hommage cette année. Le départ forcé du tout-puissant Zine el-Abidine Ben Ali (2011) a provoqué « une explosion culturelle, une forte envie de parler de tout, après tant d’années d’oppression », selon Henda Haouala, maîtresse de conférences à l’Université de Tunis (1). Une oppression qui prenait le nom de censure côté cinéma, et qui sous Habib Bourguiba et Zine el Abidine Ben Ali voyaient des films être coupés et d’autres interdits (2). C’est dire si les pionnières Salma Baccar (Fatma 75, 1976) et Nejia Ben Mabrouk (La Trace, 1982) d’abord, Moufida Tlatli (Les Silences du Palais, 1994), Kalthoum Bernaz (Keswa, le fils perdu, 1997) et Raja Amari (Satin rouge, 2002) ensuite, ont joué avec les règles pour poser les jalons sur lesquels la génération suivante a bâti. « Le cinéma est un art, une suite logique, une construction qui se fait et doit se faire », estime Salma Baccar, dont le film Fatma 75 (1976), un docu-fiction très novateur resté censuré pendant 40 ans, était forcément politique : sous forme d’un exposé, l’étudiante Fatma y rend hommage aux femmes de l’histoire du pays puis rappelle que la Tunisienne jouit en 1975 (la loi sur le droit à l’avortement date de 1973, deux ans avant la loi Veil) d’une liberté sans égale en Afrique (Code du Statut Personnel, 1956, instaurant plus d’égalité hommes-femmes au lendemain de l’Indépendance). Plus classique, Les Silences du palais (1994) n’en est pas moins féministe — la mort de sa réalisatrice Moufida Tlatli, en 2021, a donné à Sophie Mirouze, responsable du festival, l’idée de ce gros plan sur le cinéma de ce pays. Le film montre une servante redoutant d’exposer sa fille aux abus de l’aristocrate dont elle-même est la maîtresse. Éminemment politique aussi l’alors scandaleux Satin Rouge (2002), où l’héroïne s’émancipe de son rôle de mère au foyer en découvrant la danse et le cabaret. « Je ne voulais pas dénoncer, mais partir de l’intime, de la confrontation de Lilia avec l’extérieur, la voir franchir les frontières qu’elle avait elle-même intériorisées », explique Raja Amari. Frontières que Ferid Boughedir, réalisateur tunisien des années 1990, voyait dans les « terrasses (…), le no man’s land entre la rue, qui appartient aux hommes, et les maisons, qui sont le territoire des femmes » (3).
« Je crois que nous avions plus de liberté alors, parce que nous, artistes, étions très forts pour nous opposer à la censure », estime Nadia El Fani en se rappelant le jour où elle a couru vers Nouri Bouzid (L’homme de cendres [1986]) pour l’arrêter avant qu’il ne coupe sa pellicule, après qu’ils avaient réussi à faire plier le pouvoir de Ben Ali. En revanche, cette militante dont le courage force le respect et qui a parlé la première en Tunisie de l’homosexualité féminine dans Pour le plaisir (1990) s’est heurtée, alors que le Printemps arabe venait de naître, à une virulente levée de boucliers de la rue. Dans Ni Allah ni maître (2011) elle dit être athée et promeut la laïcité, déclenchant des réactions d’une violence rare et des menaces de mort — elle raconte ce combat contre la fatwa, doublé de sa lutte contre son cancer du sein dans Même pas mal (2012). « Je suis restée sept ans sans retourner en Tunisie pour éviter la prison », dit-elle — le pouvoir balbutiant ayant utilisé la colère populaire (vague de haine sur les réseaux sociaux, cinémas où son film était projeté attaqués, manifestations dans les rues) dans le but de la poursuivre pénalement. Pour Dora Bouchoucha, la productrice qui a accompagné la plupart des réalisatrices présentées à La Rochelle (4) « il y avait au-delà de la censure une forme d’autocensure qui empêchait les cinéastes de faire des films politiques. Et puis les anciens ne laissaient pas émerger les jeunes. Qui ont fini par s’affranchir de la vision du monde de leurs aînés. Je voyais des scénarios mal ficelés mais libres, frais, innovants, je savais que ce cinéma-là allait décoller ». En 2012, elle produit C’était mieux demain, d’Hinde Boujemaa, qui suit au plus près Aida, une femme qui pense profiter du changement pour trouver un toit et récupérer ses enfants, avant de déchanter, et se rendre compte que pour elle, la révolution ne changera rien. Prise directe des événements ou faits divers, les réalisatrices s’emparent du réel. En 2014, Kaouther Ben Hania — l’invitée principale du festival de La Rochelle — reprend le dispositif du docu-fiction pour se lancer sur les traces du Challat de Tunis, un dingue qui en 2003 circulait à moto pour entailler au rasoir les fesses des femmes jugées « provocantes ». Dans La Belle et la meute (2017), elle raconte cette fois le combat — toujours tiré d’une histoire vraie — d’une femme qui cherche à déposer plainte à la police pour un viol — ce sont des flics qui viennent de la violer... « Jusque-là les réalisatrices montraient des femmes sous l’angle du désir, de l’intime, estime l’universitaire Henda Houala. Avec La Belle et la meute, c’est affirmer tout haut et à tous : mon corps m’appartient ! » L’adultère, autre forme de violence, reste illégal en Tunisie et passible d’une peine de cinq ans de prison. Dans Noura rêve (2019), d’Hinde Boujemaa, Noura ne peut pas vivre avec l’homme qu’elle aime car son époux, truand incapable d’assumer son rôle de père, menace de la dénoncer.
L’actrice qui interprète Noura, Hend Sabri (elle est la fille des Silences du Palais de Moufida Tlatli), grande star du cinéma arabe, incarne trois ans plus tard l’histoire vraie d’Olfa, dans Les filles d’Olfa, dont les filles aînées sont parties rejoindre Daesh en 2016. Nour Karoui et Ichraq Matar jouent, elles, les filles aînées d’Olfa, aux côtés des jeunes sœurs (les vraies protagonistes, elles). Un seul acteur incarne tous les rôles masculins — le père absent, le beau-père incestueux, le flic stupide, voire le patriarcat et le pouvoir tout entier. Lors d’une scène où il interprète le beau-père, l’acteur (Majd Mastoura) demande à parler à la réalisatrice Kaouther Ben Hania hors caméra, comme si l’exploitation du fait divers lui posait soudain un problème d’éthique. Si cette dernière « voulait un rapport direct au réel, parce que le reenactment (reconstitution historique) ne (l)’intéresse pas », son dispositif lui échappe quand les actrices sortent de leur rôle pour devenir des thérapeutes. Par exemple, quand Ichraq Matar (incarnant Ghofrane, la fille aînée partie épouser un islamiste) explique à la mère, Olfa : « Elles ont trouvé le moyen de te dominer avec la religion et avec Dieu. Elles ont inversé le rapport de force ». Ou quand Hend Sabri explique à Olfa que les mères transmettent inconsciemment ce qu’elles ont vécu dans leur propre jeunesse « C’est l’essence de l’art que d’être cathartique, une thérapie, nous dit l’actrice. Sortir de soi pour mieux se voir ».
« Ces histoires de parité sont une insulte faite à la femme. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité du projet. Et puis le patriarcat est un problème presque dépassé en Tunisie. La vraie problématique aujourd’hui est la situation socio-économique et la place des jeunes. »
Faut-il pour autant y voir un portrait des dégâts du patriarcat sur Olfa et ses filles ? Les hommes, eux, ne sont pas devant la caméra. « Je pense qu’il est dangereux et contre-productif de ne voir la femme que comme une victime, poursuit Hend Sabri. La femme tunisienne est forte. Et puis elle élève son fils, elle éduque son mari. C’est complexe ». Des sujets de femmes, portés par des réalisatrices du même sexe, et aussi par un moment où convergent un mouvement issu du cinéma (#MeToo) allié à une politique européenne visant à promouvoir les femmes dans l’audiovisuel (la campagne CharactHer par exemple). Ce qui leur permettrait de « rafler tous les prix des grands festivals dernièrement », comme le note le producteur Nadim Cheikhrouha ? « Ces histoires de parité sont une insulte faite à la femme, s’agace la productrice Dora Bouchoucha. Ce qui m’intéresse, c’est la qualité du projet. Et puis le patriarcat est un problème presque dépassé en Tunisie. La vraie problématique aujourd’hui est la situation socio-économique et la place des jeunes. » Il faut dire qu’après avoir espéré que le Printemps arabe ne s’enlise pas en Tunisie comme en Libye, en Syrie ou en Égypte, la mainmise sur tous les pouvoirs en 2021 de Kaïs Saïed, le Président tunisien, laisse un goût amer à beaucoup. Pour les voir évoluer, ces jeunes, il faut se tourner vers des réalisatrices nées au mi-temps des années 1980, comme Erige Sehiri. Son film Sous les figues (2021), tourné avec des acteurs amateurs dans la campagne de Kesra, est à la fois un moment de grâce et un regard sur la société plus profond qu’il n’y paraît. Comme lorsque deux jeunes femmes discutent de Firas, dont l’une est éprise. Son amie lui dit qu’elle a de la chance, qu’il est ouvert, mais l’autre lui répond qu’elle le veut plus conservateur, plus fermé, pour le façonner comme elle l’entend. « Nous ne vivons pas le patriarcat à chacune de nos respirations, estime la réalisatrice qui a grandi à Lyon avant d’aller vivre en Tunisie, juste après la révolution. J’ai voulu montrer, dans un jardin d’Eden, avec ce fruit si symbolique, des rapports hommes-femmes nuancés, de jeunes qui savent aussi comment le monde est, autour d’eux ».
Leyla Bouzid a fait le trajet inverse en quittant Tunis pour étudier à la Sorbonne, mais bouscule aussi les clichés dans Une histoire d’amour et de désir (2021), où Farah, étudiante tunisienne extravertie venue étudier à Paris, désire Ahmed, un fils d’immigré algérien plus timide, qui la repousse. « Les étudiants, à Paris m’ont parfois paru moins épicuriens que leurs homologues tunisiens », se souvient la réalisatrice avec malice. Dans À peine j’ouvre les yeux (2015), elle montre une jeune musicienne critique envers la dictature de Ben Ali, et dont la mère, qui veut la protéger en l’empêchant de critiquer le régime au travers des textes de ses chansons, en vient à l’encourager, comme si elle adhérait finalement à la transition en marche. « La femme tunisienne est un moteur de la société, pas une victime, affirme L. Bouzid. Et dans la société en mutation, la masculinité souffre tout autant ». Elle nous invite à voir des films d’hommes, comme ceux de Youssef Chebbi, Medhi Ben Attia, Mehdi Barsaoui ou encore Mohamed Ben Attia, qui trente ans après L’homme en cendres, de Nouri Bouzid (le père de Leyla) montre, avec Hedi un vent de liberté (2015), un homme se soustrayant à un destin tout tracé par d’autres — dont sa mère. « J’ai voulu creuser le côté homme démissionnaire, élevé par des femmes courageuses, explique Mohamed Ben Attia. Comme s’il leur disait foutez-moi la paix, je n’arriverai jamais à être à la hauteur, à être là où vous m’attendez. L’homme est bousculé parce que dépassé. Les vieux modèles sont dépassés. Il faut trouver un compromis. Que les femmes prennent leur place dans l’espace public et que les hommes trouvent la leur au sein du foyer, qu’ils apprennent à être plus démonstratifs, moins pudiques, dans leurs sentiments. » D’autres thèmes sont également subversifs. L’homosexualité reste un tabou. Le film Le fil (2009), de Mehdi Ben Attia, avec Claudia Cardinale (qui a passé son enfance à Tunis, où elle est née) aborde le sujet mais a été interdit en Tunisie. Aborder frontalement la religion (« on ne touche pas au sacré », reconnaît un réalisateur) reste aujourd’hui impensable, ou bien par un biais : avant Les Filles d’Olfa, Fleur d’Alep (2016) de Ridha Béhi – avec Hend Sabri – ou encore Mon cher enfant (2018) de Mohamed Ben Attia, montraient déjà les ravages du départ d’un enfant attiré par les mirages du djihad et de Daesh. Dans un autre registre, Un divan à Tunis (2019), de Manele Labidi est à coup sûr subversif — il n’a pas été apprécié de tous les Tunisiens —, autant qu’il est drôle et original : l’arrivée d’une psy d’origine tunisienne qui débarque de Paris avec son savoir né dans la bourgeoisie autrichienne va révéler quelque chose du pays, qui se cherche entre modernité et passé prégnant (la bureaucratie inepte, la corruption, l’absence de perspectives pour la jeunesse). « Je préfère qu’on parle de moi comme d’une réalisatrice, pas comme d’une femme, arabe, ou je ne sais quelle autre case », prévient Manele Labidi, en plein tournage de son second long-métrage.
Comme elle, Sonia Ben Slama a grandi en France, et fera à coup sûr partie, avec M. Labidi. L. Bouzid et E. Sehiri, des réalisatrices à suivre. Son film Machtat (2023) présenté à Cannes dans la programmation de l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) vient in fine rappeler que certaines femmes, dans les campagnes où les petites villes loin de la capitale, n’ont d’avenir que dans le mariage — celles que Sonia Ben Slama a filmées vivent à Mahdia, à deux cents kilomètres au sud de Tunis —, mariage qu’elles louent par ailleurs — et c’est là toute l’ironie et l’intelligence sensible de ce film. Pas de cérémonie sans les traditionnelles « Machtat », ces femmes qui célèbrent les unions en chantant — Fatma, la mère, dont le mari est mort ; Najeh, fille aînée divorcée ; et Waffeh, mariée à un mari violent —, mais qui vivent une tragédie dans leur propre vie conjugale. Najeh veut se recaser, entre l’envie d’y croire — bercée par les soap operas venus de Turquie — et son instinct qui sent que celui qui la charme au téléphone la mène aussi en bateau. Waffeh fuit son mari et se réfugie chez sa mère avec ses enfants, tout en envisageant de marier sa fille de 17 ans à un homme de 41. « Se poser la question de l’inclination de son cœur est un luxe », rappelle Sonia Ben Slama. Les hommes ne sont à nouveau pas devant la caméra, mais on devine leur présence, surtout celle des frères, qui pèse, dans l’ombre. Comme si, quand même, la question du patriarcat n’était pas encore un combat d’arrière-garde.
(Les propos cités proviennent d’entretiens menés avec l’auteur).
Les films de Kaouther Ben Hania au festival de La Rochelle (du 1er au 9 juillet) : Le Challat de Tunis (doc, 2013) ; Zaineb n’aime pas la neige (doc, 2016) ; La Belle et la meute (2017) ; L’Homme qui a vendu sa peau (2020) ; Les Filles d’Olfa (doc, 2023).
Les autres films : Les Silences du palais Moufida Tlatli (1994) ; Satin rouge Raja Amari (2002) ; Noura rêve Hinde Boujemaa (2019) ; Sous les figues Erige Sehiri (2022) ; Une histoire d’amour et de désir Leyla Bouzid (2021) ; Un divan à Tunis Manele Labidi (2019) ; Machtat Sonia Ben Slama (doc, 2023).
par Pascal Corazza, 17 juillet 2023
https://blog.mondediplo.net/le-cran-des-tunisiennes
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Rédigé le 31/07/2023 à 11:04 dans Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
Selon la Garde nationale tunisienne, 789 corps de migrants ont été repêchés en mer, dont 102 Tunisiens au cours des six premiers mois de l’année.
Près de 800 migrants tentant de rallier clandestinement l’Europe sont morts noyés au large de la Tunisie au cours des six premiers mois de l’année, a indiqué ce jeudi 27 juillet le porte-parole de la Garde nationale tunisienne, Houcem Eddine Jebabli. Selon cette source, « 789 corps de migrants ont été repêchés en mer, dont 102 Tunisiens, les autres étant des étrangers et des personnes non identifiées. »
Du 1er janvier au 20 juin, 34 290 migrants ont été interceptés et secourus, dont 30 587 « étrangers », en majorité originaires d’Afrique subsaharienne, contre 9 217 personnes interceptées ou sauvées sur la même période de 2022 (dont 6 597 étrangers), a précisé Houcem Eddine Jebabli. C’est près de quatre fois plus.
Les unités de gardes-côtes ont mené 1 310 opérations durant les six premiers mois de 2023, soit plus de deux fois le nombre (607) recensé en 2022, a-t-il encore indiqué.
La Tunisie, dont certaines portions du littoral se trouvent à moins de 150 km de l’île italienne de Lampedusa, enregistre régulièrement des départs de migrants, originaires le plus souvent d’Afrique subsaharienne.
Selon Rome, plus de 80 000 personnes ont traversé la Méditerranée et sont arrivées sur les côtes de la péninsule italienne depuis le début de l’année, contre 33 000 l’an dernier sur la même période, en majorité au départ du littoral tunisien et de Libye.
La Méditerranée centrale, entre l’Afrique du Nord et l’Italie, est la route migratoire la plus dangereuse au monde en 2023, selon l’Organisation internationale des migrations (OIM), qui recense plus de 20 000 morts depuis 2014.
Le 22 juin, une semaine après le naufrage au large du Péloponnèse d’un chalutier parti de Libye ayant fait au moins 82 morts et des centaines des disparus, une embarcation de migrants partie de Sfax en Tunisie a chaviré au large de Lampedusa, faisant une quarantaine de disparus.
Un climat de plus en plus ouvertement xénophobe se propage en Tunisie depuis que le président Kais Saied, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021, a pourfendu en février l’immigration clandestine.
Des centaines de migrants ont été expulsés de Sfax, deuxième ville de Tunisie, à la suite d’affrontements ayant coûté la vie à un Tunisien le 3 juillet. Depuis le coup de force du président Saied, les tentatives de départs de Tunisiens désespérés par la crise économique frappant ce pays du Maghreb, se poursuivent à un rythme soutenu.
Rédigé le 27/07/2023 à 21:31 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
En Tunisie, le thermomètre affiche ce lundi des valeurs entre 6 à 10 degrés au-dessus des normales de saison. En Algérie voisine, les autorités sont en alerte à la canicule.
24.07.2023,
Pour échapper à la chaleur, les habitants passent la journée à la mer, comme ici à La Goulette, dans la banlieue de Tunis.
Alors qu’au Maroc et en Libye, les températures sont plutôt conformes aux normales saisonnières, la Tunisie va frôler lundi, même dans le nord du pays plus tempéré, les 50 °C. Soit 6 à 10 degrés de plus que les températures habituelles pour la période. Cette canicule inédite provoque des coupures de courant et oblige des familles à dormir sur les plages.
En Algérie voisine, les autorités sont en alerte, avec des pics pouvant atteindre 48°C localement dans cinq préfectures de l’est: Jijel, Skikda, Annaba, El Tarf et Guelma, placées en «vigilance orange». À la suite de cette «vague de chaleur sans précédent», le groupe énergétique public Sonelgaz a dit avoir enregistré, dimanche, un pic de consommation de 18’697 mégawatts. Les climatiseurs sont devenus hors de prix (plus de 500 euros contre 300 auparavant) ou introuvables.
À Tunis, la température a atteint les 40 °C en matinée lundi, et grimpera même jusqu’à 49 °C en milieu d’après-midi. Ces températures anormales pour un mois de juillet ont provoqué des délestages électriques dans certaines régions ces derniers jours, décidés par la compagnie publique Steg.
La canicule, qui dure depuis début juillet, a affecté la performance du réseau électrique, obligeant la Steg à procéder à de brèves coupures aux heures de forte consommation. Le 10 juillet, un record de consommation d’électricité a été atteint à 4692 mégawatts, à cause d’une utilisation intensive de la climatisation.
Des Tunisiens des quartiers populaires, souvent dépourvus d’air conditionné, viennent le soir dormir sous des tentes sur les plages de Carthage ou La Marsa, au nord de Tunis. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Tunisiens ironisent sur le pic de chaleur attendu ce lundi, comparant la Tunisie à un «kanoun», brasero traditionnel. D’autres ont publié des prières pour que la vague de chaleur qui dure depuis plus de deux semaines prenne fin.
En Algérie, la vague de chaleur a ravivé les craintes quant au déclenchement d’incendies après deux étés dévastateurs. En mai, l’Algérie a annoncé avoir acheté un bombardier d’eau et en avoir loué six autres, procédant aussi à l’aménagement de pistes d’atterrissage pour hélicoptères dans dix préfectures en plus de la mobilisation de drones anti-incendies. Selon le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, jusqu’à présent les incendies qui se sont déclarés dans des forêts, récoltes ou oasis, «ont tous été maîtrisés».
À Tunis, la température a atteint les 40 °C en matinée lundi, et grimpera même jusqu’à 49 °C en milieu d’après-midi. Ces températures anormales pour un mois de juillet ont provoqué des délestages électriques dans certaines régions ces derniers jours, décidés par la compagnie publique Steg.
La canicule, qui dure depuis début juillet, a affecté la performance du réseau électrique, obligeant la Steg à procéder à de brèves coupures aux heures de forte consommation. Le 10 juillet, un record de consommation d’électricité a été atteint à 4692 mégawatts, à cause d’une utilisation intensive de la climatisation.
Des Tunisiens des quartiers populaires, souvent dépourvus d’air conditionné, viennent le soir dormir sous des tentes sur les plages de Carthage ou La Marsa, au nord de Tunis. Sur les réseaux sociaux, beaucoup de Tunisiens ironisent sur le pic de chaleur attendu ce lundi, comparant la Tunisie à un «kanoun», brasero traditionnel. D’autres ont publié des prières pour que la vague de chaleur qui dure depuis plus de deux semaines prenne fin.
En Algérie, la vague de chaleur a ravivé les craintes quant au déclenchement d’incendies après deux étés dévastateurs. En mai, l’Algérie a annoncé avoir acheté un bombardier d’eau et en avoir loué six autres, procédant aussi à l’aménagement de pistes d’atterrissage pour hélicoptères dans dix préfectures en plus de la mobilisation de drones anti-incendies. Selon le ministre de l’Intérieur, Brahim Merad, jusqu’à présent les incendies qui se sont déclarés dans des forêts, récoltes ou oasis, «ont tous été maîtrisés».
Rédigé le 24/07/2023 à 10:29 dans Algérie, changements climatiques , Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
D.R.
Pour son second roman L’Odeur d’un homme, après L’Île aux mères, Fatma Bouvet de la Maisonneuve, auteure franco-tunisienne, est psychiatre et addictologue. Tout en sondant et diagnostiquant l’univers de l’émigration et de ses difficultés, elle travaille aussi sur les troubles psychiques des femmes en dépendance de l’alcool.
Quel fil relie la médecine à la fiction romanesque ? D’emblée l’évidence s’impose car il s’agit de parler et de témoigner de la souffrance humaine mais aussi du moyen de retrouver l’équilibre intérieur, le droit au bonheur, à l’épanouissement. On ne guérit pas seulement avec le serment d’Hippocrate mais aussi avec les mots qui ont leur chemin pour toucher les cœurs et panser les blessures.
C’est dans cette direction de se retrouver au plus profond de son être, que s’inscrit ce roman où l’olfactif a un pouvoir non seulement secret et immense mais apaisant et libérateur. Un pouvoir de guérison et de joie de vivre. D’ailleurs le titre de l’ouvrage L’Odeur d’un homme claque comme un fouet au vent. Même s’il y a un sillage de déjà vu, entendu ou lu. Et ce n’est guère hasard, si en exergue de cette narration, on retrouve cette phrase de Patrick Suskind, maître en l’alchimie des odeurs : « Notre langage ne vaut rien pour décrire le monde des odeurs. »
Pour un préambule, c’est clair, l’écrivaine avance les pions de toutes les sensations du pouvoir de l’odorat pour tisser la trame d’une histoire et la charpente des personnages qui portent en eux non seulement des nostalgies refoulées, des souvenirs soigneusement camouflés mais aussi les parfums tenaces d’une terre, d’un pays, d’une végétation, d’un ciel, d’une mer, d’une révolution…
Inès, femme apparemment comblée, professionnellement et conjugalement, du bord paradisiaque du Lac Leman dans une paisible Suisse de carte postale et du haut lieu musical de Verbier pour ses escapades culturelles, n’en pince pas moins pour sa Tunisie originelle. Pour ce minuscule hameau de Béja où elle est née fille d’un patriarche du village. Remettre les pieds en ces lieux, comme un retour aux sources, après une longue expatriation, semble relever du défi.
Cette Tunisie où « La Révolution du Jasmin » (encore une trace olfactive évidente !) a éclaté en 2011 mais que beaucoup préfèrent aussi appeler « La Révolution de la dignité » n’a pas tenu ses promesses… Dans cette post-période révolutionnaire, Inès n’hésite plus entre deux rives car sa vie, sans qu’elle s’en rende compte, va prendre un virage décisif. La rencontre avec Youssef, son ami d’enfance, cravache son sang et ses sens. Une rencontre déterminante qui lui restitue toute la force du désir de vivre pleinement, intensément.
Cet homme, gardien des odeurs de l’enfance, ouvre la voie à un horizon nouveau. Pour un destin où les racines, non seulement sont les garants de l’espoir d’un lendemain meilleur pour un pays meurtri par des années de dictature, mais aussi toutes les fragrances du thym, du romarin ainsi que les bruits des cortèges des peuples et des civilisations (berbères, grecs, phéniciens, romains, byzantins) qui ont traversé et rempli ses espaces… Avec lui, il y a le partage du passé et l’appel au futur pour destin qui se construit dans l’authenticité, sans déracinement. D’ailleurs c’est dans le fabuleux site archéologique de Bulla Regia que se noue l’histoire inattendue des deux amants sous le regard complice, loin de tout mauvais œil, d’une Vénus marine, généreuse dispensatrice d’amours voluptueux et de délicieux plaisirs.
À travers une plongée au cœur de la société tunisienne, pour scanner toutes les strates d’un peuple confronté au désarroi de vivre (l’immolation par le feu du légumier ambulant Mohammed Bouazziz n’est guère un incident anodin), ce livre, d’une discrète poésie, est une analyse subtile d’un petit mais important pays à la pointe de l’Afrique du Nord. Livre où le sensuel et le sensorial se mêlent intimement aux intermittences du cœur, aux remous de la politique, aux préoccupations de l’identité, de l’émigration, de l’appartenance à deux mondes avec une palette de divers colonialismes, aux phénomènes culturels, à la richesse des civilisations qui résonnent encore en ces lieux.
Écrite dans une langue française colorée, émaillée de dialogues vifs révélant l’état d’esprit des nombreux personnages qui hantent ces pages, cette fabulation, tirée de la réalité tunisienne migratoire, jette une lumière éclairante sur la mosaïque d’influences, de traditions et la quête humaine pour l’authenticité d’une vie.
Inès, le personnage phare de L’Odeur d’un homme aura suivi, par-delà quelques tâtonnements, la célèbre citation : « Va là où ton cœur te porte. » Ainsi le lecteur découvre-t-il une fabuleuse Tunisie au cœur d’une auteure qui rend un vibrant hommage à sa terre natale !
L’Odeur d’un homme de Fatma Bouvet de la Maisonneuve, Éditions du Pont 9, 2023, 208 p.
Rédigé le 16/07/2023 à 17:43 dans Littérature, Livres, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
Ce village situé au nord de Sfax n’est qu’à 150 km de Lampedusa. Un point de départ à haut risque pour les migrants subsahariens qui tentent de rallier l’Europe. Dimanche, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large des côtes tunisiennes ; une personne a été tuée et une dizaine d’autres sont portées disparues.
Des migrants subsahariens attendent un train pour Tunis à la gare de Sfax, le 5 juillet 2023. HOUSSEM ZOUARI / AFP
Après cinq heures de mer, Yannick pose finalement pied sur la terre ferme. Mais du mauvais côté de la Méditerranée. Ce Camerounais de 30 ans, avec des dizaines d’autres migrants subsahariens, vient, jeudi 6 juillet, d’être intercepté par les garde-côtes tunisiens au large d’Ellouza, petit village de pêcheurs à 40 km au nord de Sfax. Envolés les 2 500 dinars (800 euros) que lui a coûtés la traversée vers Lampedusa (Italie).
Sur la plage, une unité de la
garde nationale est déjà en poste pour les accueillir. Les agents tentent de contenir les quelques villageois, curieux, venus assister au débarquement. Hommes, femmes, enfants et nourrissons sont ainsi contraints de quitter leur bateau de fortune, devant des spectateurs amusés – ou au moins habitués – et face à une police sur les nerfs. Un gendarme, tendu, prend son téléphone pour demander des renforts. « Vous nous laissez seuls, personne n’est arrivé », reproche-t-il à son interlocuteur. « C’est tous les jours comme ça, plusieurs fois par jour », maugrée-t-il en raccrochant.
Les uns après les autres, les migrants quittent le bateau. « Venez ici. Asseyez-vous. Ne bougez pas », crient les agents des forces de l’ordre qui retirent le moteur de l’embarcation de métal et éloignent les bidons de kérosène prévus pour assurer la traversée d’environ 150 km qui séparent Ellouza de Lampedusa. Migrants subsahariens, villageois tunisiens et agents de la garde nationale se regardent en chien de faïence. Dans l’eau, le petit bateau des garde-côtes qui a escorté les migrants surveille l’opération. La présence inattendue de journalistes sur place ne fait qu’augmenter la tension. Yannick, accompagné de son frère cadet, s’inquiète. « Est-ce qu’ils vont nous emmener dans le désert, ne les laissez pas nous emmener », supplie-t-il.
Depuis une semaine, des centaines de migrants subsahariens ont été chassés de Sfax vers une zone tampon désertique bordant la mer, près du poste frontière avec la Libye de Ras Jdir. D’autres ont été expulsés à la frontière algérienne. Ces opérations font suite aux journées d’extrême tension qui ont suivi la mort d’un Tunisien, lundi 3 juillet, tué dans une rixe avec des migrants subsahariens, selon le porte-parole du parquet de Sfax.
Trois hommes, de nationalité camerounaise, d’après les autorités, ont été arrêtés. Dans la foulée, des quartiers de Sfax ont été le théâtre de violents affrontements. Des Tunisiens se sont regroupés pour s’attaquer aux migrants et les déloger de leur habitation. Yannick et son petit frère faisaient partie des expulsés. Les deux hommes ont fui la ville au milieu de la nuit, parcourant des dizaines de kilomètres à pied pour se réfugier dans la « brousse », près d’Ellouza.
La région de Sfax est depuis devenue le théâtre d’un étrange ballet. Toute la journée et toute la nuit, dans l’obscurité totale, des groupes de migrants subsahariens errent sur les routes communales entourées de champs d’oliviers et de buissons. « A chaque fois, quelques personnes étaient chargées des courses, de l’eau et un peu de nourriture. Il fallait transporter le tout à pied sur plusieurs kilomètres », raconte Yannick. Lui et son petit frère de 19 ans ont dormi deux nuits dehors, avant que leur grande sœur, qui a réussi à rejoindre la France des années auparavant, ne leur paie leur traversée, prévue le 6 juillet à midi.
Ce jour-là, près du port d’Ellouza, Hamza, 60 ans, repeignait son petit bateau en bois bleu et blanc. Ce pêcheur expérimenté ne cache pas son émotion face au drame dont son village est le théâtre. Lui-même a dû s’improviser pêcheur de cadavres depuis quelque temps. Des corps sans vie se coincent parfois dans ses filets. « Une fois, j’ai trouvé la moitié du corps d’une femme mais elle était dans un état de décomposition tel que je n’ai pas trouvé par où la tenir. Je l’ai laissée là. Je n’ai pas pu dormir pendant des jours », dit-il, la voix tremblante.
Dimanche 9 juillet, une nouvelle embarcation a fait naufrage au large de cette région : une personne est morte et une dizaine d’autres sont portées disparues. En plus des cadavres, les épaves des bateaux métalliques qui servent à la traversée des migrants déchirent souvent les filets des pêcheurs. « Je n’ai pas les moyens de racheter des filets tous les mois », regrette Hamza.
Le long de la côte autour d’Ellouza, les bateaux métalliques échoués et rongés par la rouille sont innombrables. Ces bateaux, de « très mauvaise qualité » selon le pêcheur, sont construits en quantités importantes et coûtent moins cher que ceux en bois, les pneumatiques ou les barques en plastique qui servaient auparavant à la traversée. « Ce sont des commerçants de la mort », accuse Hamza en pointant aussi bien les passeurs que les politiques migratoires européennes et les autorités tunisiennes.
La Commission européenne a annoncé en juin le déblocage de 105 millions d’euros « pour lutter contre les passeurs [et] investir dans le contrôle maritime des frontières par les Tunisiens », sans compter la coopération bilatérale venant de Paris ou Rome. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, durant le premier semestre, près de 30 000 migrants sont arrivés à Lampedusa en provenance de Tunisie.
Sur les rochers recouverts d’algues, des centaines de pneus de voiture, servant à amarrer les navires, jonchent la côte. Depuis la falaise, on aperçoit le corps en début de décomposition d’un migrant. Un autre à quelques mètres. Et puis un autre encore, en contrebas, devenu squelette. Personne n’a cherché à les enterrer, ni à savoir qui ils étaient. Ils font partie des « disparus » en mer. Des chiens rôdent. Le paysage est aussi paradisiaque qu’infernalDébarqué vers 17 heures, Yannick sera finalement relâché sur la plage avec son groupe. « C’est grâce à vous, si vous n’étiez pas restés, ils nous auraient embarqués et emmenés à la frontière », assure-t-il. Le soir même, avec son frère, ils ont parcouru à pied les dizaines de kilomètres qui séparent Ellouza de Sfax. Cette fois dans l’autre sens. Après être arrivé à la gare ferroviaire à 3 heures du matin, Yannick a convaincu un vieil homme de leur acheter des tickets pour Tunis.
Ils sont finalement arrivés sains et saufs dans la capitale. « Il faut que je trouve du travail mais la situation est plus acceptable ici », dit-il. Malgré cette expérience, Yannick est toujours convaincu qu’un avenir meilleur l’attend de l’autre côté de la Méditerranée. « Quand j’aurai l’argent, je retenterai ma chance, promet-il. Retourner au pays n’est pas une option. »
Par Monia Ben Hamadi(Ellouza (Tunisie), envoyée spéciale)
https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/07/10/a-ellouza-port-de-peche-tunisien-la-mort-l-errance-et-les-retours-contraints-des-migrants-qui-revent-d-europe_6181249_3212.html
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Rédigé le 10/07/2023 à 00:02 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
Alors que le régime du président Kaïs Saïed peine à trouver un accord avec le Fonds monétaire international, la Tunisie voit plusieurs dirigeants européens — notamment italiens et français — voler à son secours. Un « soutien » intéressé qui vise à renforcer le rôle de ce pays comme garde-frontière de l’Europe en pleine externalisation de ses frontières.
C’est un fait rarissime dans les relations internationales. En l’espace d’une semaine, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, aura effectué deux visites à Tunis. Le 7 juin, la dirigeante d’extrême droite n’a passé que quelques heures dans la capitale tunisienne. Accueillie par son homologue Najla Bouden, elle s’est ensuite entretenue avec le président Kaïs Saïed qui a salué, en français, une « femme qui dit tout haut ce que d’autres pensent tout bas ». Quatre jours plus tard, c’est avec une délégation européenne que la présidente du Conseil est revenue à Tunis.
Accompagnée de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et du premier ministre néerlandais Mark Rutte, Meloni a inscrit à l’agenda de sa deuxième visite les deux sujets qui préoccupent les leaders européens : la stabilité économique de la Tunisie et, surtout, la question migratoire, reléguant au second plan les « valeurs démocratiques ».
À l’issue de cette rencontre, les Européens ont proposé une série de mesures en faveur de la Tunisie : un prêt de 900 millions d’euros conditionné à la conclusion de l’accord avec le Fonds monétaire international (FMI), une aide immédiate de 150 millions d’euros destinée au budget, ainsi que 105 millions pour accroitre la surveillance des frontières. Von der Leyen a également évoqué des projets portant sur l’internet à haut débit et les énergies vertes, avant de parler de « rapprochement des peuples ». Le journal Le Monde, citant des sources bruxelloises, révèle que la plupart des annonces portent sur des fonds déjà budgétisés. Une semaine plus tard, ce sont Gérald Darmanin et Nancy Faeser, ministres français et allemande de l’intérieur qui se rendent à Tunis. Une aide de 26 millions d’euros est débloquée pour l’équipement et la formation des gardes-frontières tunisiens.
Cet empressement à trouver un accord avec la Tunisie s’explique, pour ces partenaires européens, par le besoin de le faire valoir devant le Parlement européen, avant la fin de sa session. Déjà le 8 juin, un premier accord a été trouvé par les ministres de l’intérieur de l’UE pour faire évoluer la politique des 27 en matière d’asile et de migration, pour une meilleure répartition des migrants. Ainsi, ceux qui, au vu de leur nationalité, ont une faible chance de bénéficier de l’asile verront leur requête examinée dans un délai de douze semaines. Des accords devront également être passés avec certains pays dits « sûrs » afin qu’ils récupèrent non seulement leurs ressortissants déboutés, mais aussi les migrants ayant transité par leur territoire. Si la Tunisie acceptait cette condition, elle pourrait prendre en charge les milliers de subsahariens ayant tenté de rejoindre l’Europe au départ de ses côtes.
Dans ce contexte, la question des droits humains a été esquivée par l’exécutif européen. Pourtant, en mars 2023, les eurodéputés ont voté, à une large majorité, une résolution condamnant le tournant autoritaire du régime. Depuis le mois de février, les autorités ont arrêté une vingtaine d’opposants dans des affaires liées à un « complot contre la sûreté de l’État ». Si les avocats de la défense dénoncent des dossiers vides, le parquet a refusé de présenter sa version.
Depuis qu’il s’est arrogé les pleins pouvoirs, le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a transformé la Tunisie en « cas » pour les puissances régionales et internationales. Dans les premiers mois qui ont suivi le coup de force, les pays occidentaux ont oscillé entre « préoccupations » et compréhension. Le principal cadre choisi pour exprimer leurs inquiétudes a été le celui du G 7. C’est ainsi que plusieurs communiqués ont appelé au retour rapide à un fonctionnement démocratique et à la mise en place d’un dialogue inclusif. Mais, au-delà des proclamations de principe, une divergence d’intérêts a vite traversé ce groupement informel, séparant les Européens des Nord-Américains. L’Italie — et dans une moindre mesure la France — place la question migratoire au centre de son débat public, tandis que les États-Unis et le Canada ont continué à orienter leur communication vers les questions liées aux droits et libertés. En revanche, des deux côtés de l’Atlantique, le soutien à la conclusion d’un accord entre Tunis et le FMI a continué à faire consensus.
La fin de l’unanimité occidentale sur la question des droits et libertés va faire de l’Italie un pays à part dans le dossier tunisien. Depuis 2022, Rome est devenue le premier partenaire commercial de Tunis, passant devant la France. Ce changement coïncide avec un autre bouleversement : la Tunisie est désormais le premier pays de départ pour les embarcations clandestines en direction de l’Europe, dans le bassin méditerranéen. Constatant que la Tunisie de Kaïs Saïed a maintenu une haute coopération en matière de réadmission des Tunisiens clandestins expulsés du territoire italien, Rome a compris qu’il était dans son intérêt de soutenir un régime fort et arrangeant, en profitant de son rapprochement avec l’Algérie d’Abdelmadjid Tebboune, qui n’a jamais fait mystère de son soutien à Kaïs Saïed. Ainsi, en mai 2022, le président algérien a déclaré qu’Alger et Rome étaient décidées à sortir la Tunisie de « son pétrin ». Les déclarations de ce type se sont répétées sans que les autorités tunisiennes, d’habitude plus promptes à dénoncer toute ingérence, ne réagissent publiquement. Ce n’est pas la première fois que l’Italie et l’Algérie — liées par un gazoduc traversant le territoire tunisien — s’unissent pour soutenir un pouvoir autoritaire en Tunisie. Déjà, en 1987, Zine El-Abidine Ben Ali a consulté Rome et Alger avant de déposer le président Habib Bourguiba.
L’arrivée de Giorgia Meloni au pouvoir en octobre 2022 va doper cette relation. La dirigeante d’extrême droite, élue sur un programme de réduction drastique de l’immigration clandestine, va multiplier les signes de soutien au régime en place. Le 21 février 2023, un communiqué de la présidence tunisienne dénonce les « menaces » que font peser « les hordes de migrants subsahariens » sur « la composition démographique tunisien ». Alors que cette déclinaison tunisienne de la théorie du « Grand Remplacement » provoque l’indignation, — notamment celle de l’Union africaine (UA) — l’Italie est le seul pays à soutenir publiquement les autorités tunisiennes. Depuis, la présidente du Conseil italien et ses ministres multiplient les efforts diplomatiques pour que la Tunisie signe un accord avec le FMI, surtout depuis que l’UE a officiellement évoqué le risque d’un effondrement économique du pays.
La Tunisie est en crise économique au moins depuis 2008. Les dépenses sociales engendrées par la révolution, les épisodes terroristes, la crise du Covid et l’invasion de l’Ukraine par la Russie n’ont fait qu’aggraver la situation du pays.
L’accord avec l’institution washingtonienne est un feuilleton à multiples rebondissements. Fin juillet 2021, avant même la nomination d’un nouveau gouvernement, Saïed charge sa nouvelle ministre des Finances Sihem Namsia de poursuivre les discussions en vue de l’obtention d’un prêt du FMI, prélude à une série d’aides financières bilatérales. À mesure que les pourparlers avancent, des divergences se font jour au sein du nouvel exécutif. Alors que le gouvernement de Najla Bouden semble disposé à accepter les préconisations de l’institution financière (restructuration et privatisation de certaines entreprises publiques, arrêt des subventions sur les hydrocarbures, baisse des subventions sur les matières alimentaires), Saïed s’oppose à ce qu’il qualifie de « diktats du FMI » et dénonce une politique austéritaire à même de menacer la paix civile. Cela ne l’empêche pas de promulguer la loi de finances de l’année 2023 qui reprend les principales préconisations de l’institution de Bretton Woods.
En octobre 2022, un accord « technique » a été trouvé entre les experts du FMI et ceux du gouvernement tunisien et la signature définitive devait intervenir en décembre. Mais cette dernière étape a été reportée sine die, sans aucune explication.
Ces dissensions au sein d’un exécutif censé plus unitaire que sous le régime de la Constitution de 2014 trouvent leur origine dans la vision économique de Kaïs Saïed. Après la chute de Ben Ali, les autorités de transition ont commandé un rapport sur les mécanismes de corruption du régime déchu. Le document final, qui pointe davantage un manque à gagner (prêts sans garanties, autorisations indument accordées…) que des détournements de fonds n’a avancé aucun chiffre. Mais en 2012, le ministre des domaines de l’État Slim Ben Hmidane a avancé celui de 13 milliards de dollars (11,89 milliards d’euros), confondant les biens du clan Ben Ali que l’État pensait saisir avec les sommes qui se trouvaient à l’étranger. Se saisissant du chiffre erroné, Kaïs Saïed estime que cette somme doit être restituée et investie dans les régions marginalisées par l’ancien régime. Le 20 mars 2022, le président promulgue une loi dans ce sens et nomme une commission chargée de proposer à « toute personne […] qui a accompli des actes pouvant entraîner des infractions économiques et financières » d’investir l’équivalent des sommes indument acquises dans les zones sinistrées en échange de l’abandon des poursuites.
La mise en place de ce mécanisme intervient après la signature de l’accord technique avec le FMI. Tandis que le gouvernement voulait finaliser le pacte avec Washington, Saïed mettait la pression sur la commission d’amnistie afin que « la Tunisie s’en sorte par ses propres moyens ». Constatant l’échec de sa démarche, le président tunisien a préféré limoger le président de la commission et dénoncer des blocages au sein de l’administration. Depuis, il multiplie les appels à un assouplissement des conditions de l’accord avec le FMI, avec l’appui du gouvernement italien. Le 12 juin 2023, à l’issue d’une rencontre avec son homologue italien, Antonio Tajani, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken s’est déclaré ouvert à ce que Tunis présente un plan de réforme révisé au FMI.
Encore une fois, les Européens font le choix de soutenir la dictature au nom de la stabilité. Si du temps de Ben Ali, l’islamisme et la lutte contre le terrorisme étaient les principales justifications, c’est aujourd’hui la lutte contre l’immigration, devenue l’alpha et l’oméga de tout discours politique et électoraliste dans une Europe de plus en plus à droite, qui sert de boussole. Mais tous ces acteurs négligent le côté imprévisible du président tunisien, soucieux d’éviter tout mouvement social à même d’affaiblir son pouvoir. À la veille de la visite de la délégation européenne, Saïed s’est rendu à Sfax, deuxième ville du pays et plaque tournante de la migration clandestine. Il est allé à la rencontre des populations subsahariennes pour demander qu’elles soient traitées avec dignité, avant de déclarer que la Tunisie ne « saurait être le garde-frontière d’autrui ». Un propos réitéré lors de la visite de Gérald Darmanin et de son homologue allemande, puis à nouveau lors du Sommet pour un nouveau pacte financier à Paris, les 22 et 23 juin 2023.
HATEM NAFTI
https://orientxxi.info/magazine/pour-garder-ses-frontieres-l-europe-se-precipite-au-chevet-de-la-tunisie,6585
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Rédigé le 26/06/2023 à 08:50 dans Immigration, Tunisie | Lien permanent | Commentaires (0)
OLJ / Par Edgar DAVIDIAN, le 06 juillet 2023 à 00h00
https://www.lorientlejour.com/article/1342555/parfums-damour-et-de-tunisie.html
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